Mercredi 30 avril 2008 - Audition de M. Louis Schweitzer, Président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)

_______

Statut :

Autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2004-1486
du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l'égalité.

Composition : 11 membres :

- 2 membres, dont le président, désignés par le Président de la République,

- 2 membres désignés par le président du Sénat,

- 2 membres désignés par le président de l'Assemblée nationale,

- 2 membres désignés par le Premier ministre,

- 1 membre désigné par le vice-président du Conseil d'Etat,

- 1 membre désigné par le président de la Cour de cassation,

- 1 membre désigné par le président du Conseil économique et social.

Mission et pouvoirs :

- aider les citoyens à identifier et à combattre les pratiques discriminatoires ;

- mener des actions pour promouvoir l'égalité.

M. Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, a rappelé que la HALDE, créée par la loi du 30 décembre 2004 et installée le 8 mars 2005, avait publié un rapport annuel d'activité pour les années 2005 et 2006 et devait remettre au Président de la République le rapport pour l'année 2007 le 22 mai 2008.

Après avoir mis en avant le caractère collégial de la Haute autorité, composée de onze personnalités d'origines et de formations très diverses, il a indiqué que la HALDE était dotée d'un budget de 11 millions d'euros et d'une équipe de 80 personnes, dont la moitié travaille à la direction juridique, auxquelles s'ajoutent des correspondants locaux bénévoles chargés de relayer sur le terrain l'action de la Haute autorité.

Abordant ensuite les missions de la HALDE, il a expliqué qu'elles couvraient deux champs d'action distincts : la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité.

Au titre de sa première mission, la HALDE aide toute personne à identifier les pratiques discriminatoires et à les combattre ; elle conseille pour les procédures transactionnelles et juridictionnelles et contribue à établir la preuve de la discrimination. Le succès de cette démarche d'accompagnement, a-t-il noté, repose sur la connaissance par le citoyen de l'existence de la HALDE, relevant que la saisine de cette dernière ne constitue pas un préalable obligatoire avant tout recours contentieux, à la différence d'autres autorités administratives indépendantes, telles que la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), et regrettant que seuls 36 % des Français connaissent la Haute autorité, chiffre un peu plus faible que celui des autorités administratives indépendantes établies de plus longue date.

M. Louis Schweitzer a souligné la forte augmentation du nombre de réclamations adressées à la HALDE depuis sa création, en particulier des plaintes adressées par voie électronique, car à la différence d'autres autorités administratives telles que le Médiateur de la République, la HALDE peut recevoir directement les dossiers des citoyens sans passer par un parlementaire.

Après avoir indiqué que la moitié des plaintes portait sur l'emploi et que le premier critère de discrimination allégué était l'origine des personnes (30 % des dossiers), suivi du handicap, de la santé, de l'âge et du sexe, il a signalé que les plaintes recevables (environ 20 % des dossiers) avaient donné lieu à 600 décisions de la HALDE en 2007, se réjouissant que 60 % des recommandations générales et 80 % des recommandations individuelles aient été suivies d'effet.

Il a ajouté que la HALDE avait fait un usage actif de sa faculté, ouverte par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, d'intervenir devant les tribunaux pour soutenir une action contentieuse engagée par une personne s'estimant victime de discrimination et que 80 % des demandes soutenues par la HALDE dans ce cadre étaient acceptées par les juridictions. Il a toutefois regretté que les poursuites engagées à la suite d'une transmission par la HALDE d'un dossier au ministère public ne donnent lieu qu'exceptionnellement à de lourdes sanctions pénales.

Au titre de la seconde mission de la HALDE, à savoir la promotion de l'égalité, M. Louis Schweitzer a souligné que la Haute autorité menait des actions de sensibilisation et de formation pour faire évoluer les mentalités et prévenir ainsi les discriminations, citant des interventions dans les domaines de l'emploi, du logement et de l'éducation. Il a en particulier souligné l'importance de recueillir les bonnes pratiques dans les grandes entreprises en matière de promotion de l'égalité et d'y effectuer régulièrement des tests sur les discriminations.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a relevé que le faible nombre de condamnations pénales résultait de la difficulté d'administrer la preuve de la discrimination et a mis en avant la possibilité d'engager des actions devant les juridictions civiles.

Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité savoir si la typologie des plaintes reçues par la HALDE mettait en évidence que les personnes d'origine arabo-musulmane et africaine étaient les premières victimes de discrimination en France.

M. Louis Schweitzer a déclaré que d'après certaines études, confirmées par des tests effectués par la HALDE, les personnes d'origine du sud de la Méditerranée avaient effectivement quatre fois moins de chance d'obtenir un entretien d'embauche que les autres. Il a ajouté que la discrimination à l'embauche était également liée à l'âge mais plus rarement fondée sur le sexe ou l'orientation sexuelle, soulignant toutefois que la discrimination liée au sexe se manifestait par des perspectives de carrières moins intéressantes pour les femmes salariées (phénomène du « plafond de verre »), et celle liée à l'orientation sexuelle par des pratiques de harcèlement moral au travail. S'agissant de la discrimination liée au handicap, il a souligné que la comparaison était plus difficile car toute pratique contraire à une « action positive » imposée par la loi en faveur des personnes handicapées devait s'analyser comme une discrimination. Il a enfin souligné que des tests de la HALDE avaient démontré que, toutes choses égales par ailleurs, l'origine arabo-musulmane ou africaine réduisait de 90 % la possibilité d'accéder à un logement locatif privé.

Rappelant le récent lancement par la HALDE d'une campagne d'information intitulée « comment louer sans discriminer ? », M. Jean-Jacques Hyest, président, a souhaité connaître les objectifs poursuivis par la Haute autorité à travers cette opération.

M. Louis Schweitzer a souligné que cette campagne, lancée au terme d'une longue concertation avec les principaux acteurs du logement privé, s'appuyait sur deux brochures pédagogiques diffusées à 150.000 exemplaires chacune et disponibles sur Internet. Cette campagne avait pour objectif, d'une part, d'améliorer la connaissance par les propriétaires et professionnels de l'immobilier de leurs droits et devoirs en matière de discriminations, d'autre part, de lutter contre les préjugés, citant l'exemple des mères de famille isolées dont la solvabilité est souvent injustement mise en doute. Il a par ailleurs indiqué avoir confié à Mme Nicole Notat, membre du collège de la HALDE, une étude sur la « diversité sociale dans l'habitat », soulignant que la diversité était parfois le « pavillon de l'exclusion », lorsque, par exemple, une personne aux faibles ressources se voyait refuser, au nom de la nécessaire diversité sociale, un logement dans un immeuble rassemblant déjà de nombreux locataires modestes sans que cette personne se voit pour autant proposer un logement alternatif.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a relevé que les pouvoirs publics devaient être mieux armés pour combattre les discriminations dans les services publics plutôt que dans d'autres domaines, tels que l'emploi ou le logement, qui échappent davantage à son champ d'intervention.

M. Louis Schweitzer a indiqué que certaines discriminations manifestes liées à l'origine pouvaient être facilement combattues dans les services publics mais a noté certaines résistances, citant le cas des discriminations liées à l'âge dans l'accès aux emplois publics, ainsi que celles, dans le même domaine, fondées sur la santé ou le handicap du candidat, compte tenu de la conception historique du recrutement à vie qui ferait craindre l'embauche d'une personne plus fragile à long terme.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souhaité connaître le profil des correspondants locaux de la HALDE et leur mode de recrutement. Il s'est interrogé, en particulier, sur les possibilités de cumul avec un poste de délégué du Médiateur de la République.

M. Louis Schweitzer a indiqué que la mise en place des correspondants locaux de la HALDE s'était inspirée du succès du réseau des délégués du Médiateur de la République, ajoutant que ces correspondants, qui peuvent parallèlement exercer les fonctions de délégué du Médiateur de la République, avaient des profils très variés (anciens fonctionnaires, avocats, médecins, chefs d'entreprise...), mais présentaient tous des garanties d'objectivité et de solides connaissances juridiques, complétées par des formations dispensées au siège de la HALDE. Il a ajouté que ces correspondants, installés dans les maisons de la justice et du droit, étaient actuellement 14, nombre qu'il a souhaité porter à une centaine, soit un par département, en 2010. Il a jugé globalement encourageants les résultats obtenus par ces personnes, chargées en particulier de trouver des solutions amiables aux dossiers de discrimination, leur succès variant en fonction de l'environnement local.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que, selon les informations disponibles sur le site Internet de la HALDE, les discriminations liées à l'orientation sexuelle représentaient encore peu de réclamations, même si leur nombre a quasiment doublé en un an (1,8 % des réclamations adressées à la HALDE en 2007). Il a souhaité connaître l'analyse de M. Louis Schweitzer sur ce phénomène.

M. Louis Schweitzer a indiqué que la HALDE avait financé des ouvrages sur le thème des discriminations liées aux orientations sexuelles et considéré que les associations avaient un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. Il a expliqué que les victimes de ce type de discrimination hésitaient à adresser des réclamations alors même que les préjugés négatifs liés à l'orientation sexuelle des personnes étaient plus facilement exprimés que dans d'autres types de discrimination. Il a ajouté qu'il convenait d'ouvrir un champ de réflexion législative sur les discriminations inhérentes aux avantages du mariage par rapport au PACS.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que les pouvoirs publics avaient déjà sensiblement réduit les avantages comparatifs du mariage. Il a souligné par ailleurs que le Sénat avait récemment approuvé, dans le cadre du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, le dispositif, adopté par les députés, tendant à autoriser les traitements de données à caractère personnel nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des personnes, afin d'améliorer la connaissance des pratiques discriminatoires, et, partant, de mieux les combattre. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait jugé le dispositif non seulement dépourvu de tout lien avec les dispositions du projet de loi initial, mais également contraire à l'article premier de la Constitution qui prohibe toute distinction d'origine, de race ou de religion.

M. Louis Schweitzer a rappelé que la HALDE, bien que partageant l'objectif de mieux appréhender les discriminations en France, s'était montrée réservée sur le dispositif proposé par le Parlement, marquant sa préférence pour un système déclaratif, volontaire et anonyme qui ne lève pas pour autant toutes les préventions.

M. Alex Türk a indiqué que le Conseil constitutionnel semblait avoir assoupli sa position dans les analyses qu'il fait de ses propres décisions (« commentaire aux cahiers ») en jugeant que les traitements visés par la loi pouvaient porter tant sur des données objectives telles que le nom, l'origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française, que sur des données subjectives, par exemple celles fondées sur le « ressenti d'appartenance », ce qui avait permis à la CNIL dont il est le Président de poursuivre certaines études de mesure de la diversité.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souhaité que la HALDE publie les avis sur les projets de loi avant leur adoption définitive par le Parlement, faisant allusion à un avis rendu après la promulgation de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

M. Louis Schweitzer a indiqué que l'avis rendu par la HALDE portait sur un problème de compatibilité de certaines dispositions de la loi aux engagements internationaux de la France et que sa publication après le vote de la loi -à défaut d'avoir pu se prononcer plus tôt- gardait son utilité en l'absence de contrôle de conventionalité des lois par le Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est déclaré favorable à ce que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle de conventionalité des lois, plutôt que de s'en remettre aux juridictions ordinaires. Il a par ailleurs souhaité connaître la position de la HALDE sur la création d'un Défenseur des droits du citoyen, prévue par le projet de loi de réforme des institutions.

M. Louis Schweitzer , tout en reconnaissant que certaines règles, par exemple budgétaires, pouvaient être harmonisées entre les différentes autorités administratives indépendantes, a craint qu'un regroupement de toutes les autorités existantes au sein d'une structure unique de défense des droits du citoyen ne conduise à dissoudre leur spécialisation -condition essentielle de leur efficacité à ses yeux. Il a noté avec satisfaction que le projet de loi limitait la compétence du Défenseur des droits du citoyen aux seuls services publics.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page