II. À MOYEN TERME, EADS DOIT DEVENIR UNE ENTREPRISE INTÉGRÉE
A. LE CONSTAT DE LA NÉCESSITÉ DU CHANGEMENT
Vos rapporteurs ont observé, à l'issue de leurs travaux, qu'il existe un consensus sur la nécessité de faire évoluer la gouvernance de l'entreprise. Celle-ci, qui était une séquelle sans doute inévitable des conditions de la création de l'entreprise en 1999-2000, ne permet en effet pas de répondre aux crises comme celle résultant des difficultés du programme A380. Du reste, il convient de rappeler que le caractère provisoire de ce mode de gouvernance avait été affirmé dès l'origine.
Cette évolution de la gouvernance devrait permettre d'amener à terme une modification sensible de la gestion, selon deux axes :
- une gestion dotée de réels pouvoirs exécutifs, comme dans le schéma normal d'organisation des multinationales ;
- une gestion ne se résumant plus à la simple synthèse, plus ou moins cohérente, entre les aspirations des différentes composantes nationales de l'entreprise. La gestion d'une entreprise doit en effet avoir pour horizon l'intérêt social de l'entreprise dans son ensemble.
B. DÉPASSER LES VISIONS NATIONALES
1. Le pacte d'actionnaires devrait être le cadre principal de cette évolution
Face aux difficultés qu'a connues l'entreprise et à la nécessité d'en faire évoluer la gouvernance, il n'existe en réalité qu'une alternative :
- soit définir un cadre entièrement nouveau. On ne voit pas très bien comment les actionnaires actuels pourraient être convaincus d'abandonner leur contrôle de l'entreprise, ni quel intérêt ils pourraient avoir à y rester dès lors qu'ils auraient été privés du contrôle ;
- soit inscrire les nécessaires évolutions de la gouvernance dans le cadre qui existe depuis la création d'EADS, c'est-à-dire en permettant la survie du pacte d'actionnaires liant Lagardère, DaimlerChrysler et l'Etat français. Ce second terme de l'alternative est celui qui apparaît le plus efficace et le plus crédible à vos rapporteurs.
2. L'évolution de la gouvernance doit permettre aux Etats de se contenter d'un rôle de garant de leurs intérêts nationaux
a) Il apparaît nécessaire que l'Etat allemand participe à l'actionnariat
Les travaux de vos rapporteurs ont mis en évidence un déséquilibre paradoxal entre la situation de l'Etat français et de l'Etat allemand. En effet, l'Etat français est un des principaux actionnaires de l'entreprise, avec 15 % du capital et ne dispose pourtant d'aucun siège au conseil d'administration 55 ( * ) . A contrario , l'Etat allemand n'est pas actionnaire alors même que le gouvernement allemand veille naturellement aux intérêts essentiels de son pays.
Vos rapporteurs estiment qu' il est possible de clarifier et de simplifier la situation en rapprochant le statut des deux Etats au sein d'EADS . A cette fin, il conviendrait de garantir aux Etats que ceux-ci pourront jouer leur rôle, c'est-à-dire être en mesure de sauvegarder, le cas échéant, leurs intérêts nationaux essentiels. Il apparaît à vos rapporteurs qu'une telle évolution serait de nature à améliorer considérablement le gouvernement d'entreprise d'EADS.
En effet, selon l'analyse de vos rapporteurs, le caractère mal défini ou implicite du rôle réservé aux deux Etats est à l'origine de l'impression, pour l'essentiel infondée, d'une interférence des Etats dans la gestion du groupe. Ils estiment donc que les Etats, la direction, les actionnaires de référence, mais aussi les actionnaires privés qui ne sont pas parties au pacte d'actionnaires ont tout intérêt à une clarification de la situation.
L'objectif serait de prévoir que les Etats puissent disposer d'un droit de veto sur le périmètre restreint des décisions stratégiques de l'entreprise. En revanche, il est clair dans l'esprit de vos rapporteurs que les Etats n'ont pas à se préoccuper de sa gestion, qui doit reposer sur l'équipe de direction qui aura été mise en place.
Naturellement, une telle modification supposerait une évolution de la position officielle du gouvernement allemand, selon laquelle l'Etat allemand n'est pas partie au capital d'EADS et n'y a donc pas d'intérêt. Vos rapporteurs observent d'une part que cette déclaration ne correspond pas réellement à la réalité, au vu de l'importance que revêt ce dossier pour le gouvernement fédéral et, d'autre part, que l'Etat allemand a commencé lui-même de le reconnaître puisqu'il s'est réservé un droit de préemption « afin de préserver l'équilibre franco-allemand » sur la participation que DaimlerChrysler a prévu de céder à un consortium d'investisseurs privés et publics allemands.
« DaimlerChrysler a placé la totalité de sa participation de 22,5 % dans le capital d'EADS dans une nouvelle société dans laquelle le consortium d'investisseurs prendra une participation à hauteur d'un tiers du capital par l'intermédiaire d'une entreprises ad hoc, ce qui représentera une participation effective de 7,5 % dans le capital d'EADS. DaimlerChrysler a la possibilité de dissoudre la nouvelle structure ad hoc le 1 er juillet 2010 au plus tôt. En cas de dissolution de cette structure, DaimlerChrysler a le droit soit de remettre les actions EADS aux investisseurs, soit de leur verser une contrepartie en numéraire. En cas de remise des actions EADS, l'Etat allemand, l'Etat français et Lagardère par l'intermédiaire de SOGEADE, auront le droit de préempter ces actions afin de préserver l'équilibre franco-allemand ». 56 ( * ) |
La traduction concrète de cette orientation pourrait prendre deux formes : celle d'une action préférentielle ( golden share ) des Etats ou celle d'un mécanisme prévu au sein du pacte d'actionnaires .
Vos rapporteurs ont pleinement conscience que le niveau de la participation respective des Etats allemands et français est un sujet qui ne peut être discuté et tranché qu'au plus haut niveau de ces Etats. Ils se réjouissent du reste de l'intensification du dialogue à ce niveau depuis le mois de mai 2007 57 ( * ) .
b) Le scénario de la golden share
La première solution pour atteindre l'objectif proposé par vos rapporteurs serait de doter l'Etat français et l'Etat allemand d'une action préférentielle 58 ( * ) qui leur permettrait de s'assurer que le contrôle d'EADS ne passe pas dans les mains d'investisseurs n'offrant pas de garanties suffisantes en matière d'intérêts essentiels et stratégiques des Etats et de leur population. Ce mécanisme pourrait aussi jouer à l'occasion des décisions les plus importantes du groupe, mais en aucun cas dans le cadre de sa gestion.
Vos rapporteurs ont observé qu'une telle évolution supposerait, d'une part, une modification des statuts de l'entreprise, qui devrait être acquise à la majorité qualifiée et, d'autre part, un examen attentif de conformité aux règles relatives à la préservation des droits des actionnaires et à la réglementation européenne.
c) Le scénario de la modification du pacte d'actionnaires
La modification du pacte d'actionnaires pourrait constituer une alternative à la mise en place d'une golden share , si celle-ci devait se révéler trop complexe. Dans cet esprit, vos rapporteurs proposent une modification du pacte d'actionnaires dans ses dimensions relatives à la composition du conseil d'administration et de l'exécutif du groupe.
Concrètement, ce scénario suppose, là aussi, que l'Etat allemand détienne, directement ou indirectement, au moins une action EADS. Dès lors que l'Etat allemand sera actionnaire, il pourra rejoindre le pacte d'actionnaires. Ce serait alors au sein de ce pacte que l'Etat allemand se verrait reconnaître des droits spécifiques.
* 55 Cf. supra , première partie.
* 56 Cf . EADS, Rapport annuel 2006 (livre 3, page 118). Vos rapporteurs constatent que cet élément correspond mal à la position de l'ambassade d'Allemagne en France, qui a décliné la demande d'audition de vos rapporteurs au motif que l'Etat allemand n'était pas actionnaire d'EADS ( cf . annexe).
* 57 Le Président de la République devrait rencontrer le 16 juillet 2007 à Toulouse la Chancelière d'Allemagne pour examiner la situation d'EADS avec les actionnaires industriels Lagardère et DaimlerChrysler.
* 58 Le droit néerlandais autorise sous certaines conditions ce type de dispositif.