2. Les collectivités territoriales, acteurs de l'offre énergétique
Les collectivités territoriales et leurs groupements disposent de compétences qui peuvent avoir une incidence directe ou indirecte sur la politique énergétique locale.
a) Des compétences énergétiques directes
(1) Une compétence historique : la distribution de l'électricité et du gaz
La compétence relative à la distribution publique d'électricité figure, avec la compétence « gaz », parmi les premières compétences « énergétiques » expressément reconnues par la loi aux collectivités territoriales 20 ( * ) . Les collectivités territoriales assuraient ainsi sur leur territoire la distribution de l'électricité et, le cas échéant, du gaz. Elles pouvaient exercer cette compétence en régie directe ou en concession de service public pour développer les ressources locales.
Historiquement, les collectivités territoriales ont puissamment contribué à bâtir la politique énergétique sur leur territoire dans un souci de développement local . En effet, entre la fin du 19 ème siècle et le début du 20 ème siècle, époque à laquelle se mettent progressivement en place les compétences « gaz » et « électricité » des communes, était communément répandue l'idée selon laquelle l'électricité était le moyen de décentraliser la force motrice non seulement sur le plan de la géographie, mais également sur celui de l'organisation économique et sociale.
Il en résulte qu'au cours du demi-siècle de développement du système électrique français (schématiquement entre 1880 et 1930), celui-ci a reposé sur une mosaïque de centrales et de réseaux locaux indépendants, exploités dans le cadre de régies ou de concessions communales ou intercommunales, et donc sur un équilibrage purement local de l'offre et de la demande. La logique du système électrique a d'abord été, techniquement, économiquement et juridiquement, une logique décentralisée
La loi du 8 avril 1946, dans la période de reconstruction de l'après-guerre, a nationalisé la production, le transport et la distribution d'électricité et de gaz en créant Electricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF). Les communes ont eu le choix entre conserver leur régie ou confier la gestion du service public à EDF ou GDF, concessionnaires imposés . Si l'écrasante majorité des communes a opté pour le second choix, on rappellera toutefois qu'aux termes de l'article L. 2221-1 du code général des collectivités territoriales, « les communes et les syndicats de communes peuvent exploiter directement des services d'intérêt public à caractère industriel ou commercial ».
(2) Une compétence optionnelle : la gestion d'un réseau de chaleur
Au-delà de leurs obligations historiques, les collectivités territoriales peuvent instituer, dans le cadre de la gestion de réseaux de chaleurs, un service public local optionnel de distribution de l'énergie calorifique , érigé par la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d'énergie et à l'utilisation de la chaleur.
Un réseau de chaleur se définit comme une installation comprenant une ou plusieurs sources de chaleur (chaudière, puits géothermique) et un réseau primaire de canalisations calorifugées empruntant la voirie publique ou privée et aboutissant aux échangeurs des différents utilisateurs où l'eau abandonne sa chaleur aux réseaux de distribution intérieure. Dans le cas d'un réseau alimenté par une chaudière, l'eau refroidie par les échangeurs retourne à l'usine par un tuyau pour y être à nouveau réchauffée. Un réseau permet de satisfaire en chauffage et en eau chaude des quartiers entiers (immeubles, bâtiments tertiaires, autres équipements collectifs) à partir d'une chaufferie centrale et d'un réseau enterré de distribution de la chaleur. Pouvant être alimenté par des énergies fossiles comme par des énergies renouvelables, le réseau se distingue d'une chaufferie dans la mesure où cette dernière ne dessert qu'un seul client.
Les réseaux de chaleur présentent de nombreux avantages qui devraient faire d'eux les instruments privilégiés de toute opération d'aménagement du territoire, en zones urbaines comme rurales.
D'un point de vue énergétique , les réseaux de chaleur ont le grand avantage de pouvoir utiliser tous les types d'énergies en tête de réseau et d'assurer, de ce fait, une grande souplesse d'approvisionnement en fonction de la disponibilité et du coût des différentes énergies. C'est ainsi que de nombreux réseaux de chaleur ont pu utiliser du fioul lourd (déchet de raffinerie trois fois moins cher que le fioul domestique) après le contre-choc pétrolier de 1985.
De surcroît, les réseaux de chaleur alimentés par la géothermie présentent une particularité très intéressante d'un point de vue énergétique : lorsque l'eau pompée dans des nappes aquifères n'a pas à être réinjectée dans un puits oblique (cas de la géothermie aquitaine), il est intéressant de « dégrader » en cascade la chaleur produite : par exemple, si l'eau sort du puits à 80°, elle peut communiquer sa chaleur à des radiateurs via des échangeurs. L'eau sortant de ces radiateurs à 60° pourra, à son tour, transmettre la chaleur à des logements équipés de plancher chauffants. L'eau sortant à 45° des planchers chauffants pourra, toujours via des échangeurs, chauffer des serres ou des piscines. Enfin, l'eau sortant à 30° pourra chauffer, par la même technique, une pisciculture ou un réseau de dégivrage des routes ou trottoirs... |
D'un point de vue technologique , les réseaux de chaleur ont désormais atteint un haut niveau de maturité et sont particulièrement sûrs puisque le système repose sur une organisation centralisée de la maintenance. Ils mettent donc les particuliers à l'abri des risques d'incendie généré par une chaudière individuelle ou d'immeuble.
Le principe de fonctionnement est le suivant : l'eau des chaudières sort dans le collecteur « aller » à une température variant entre 80 et 105°C (la température du foyer de combustion atteignant, quant à elle, environ 1.000°C), et revient dégradée à l'usine, dans le collecteur « retour » à une température allant de 60 à 80°C. Les abonnés se raccordent sur le collecteur « aller » et évacuent l'eau refroidie sur le collecteur « retour ». Celle-ci est de nouveau réchauffée par contact avec les tubes contenant les fumées émises par la chaudière (principe d'un échangeur qui favorise le transfert calorifique). L'eau ainsi réchauffée atteint une température variant entre 80 et 105°C et le système fonctionne ainsi en boucle .
D'un point de vue environnemental , les grandes chaufferies utilisées pour l'alimentation de réseaux de chaleur permettent des rendements plus élevés comparés aux chaudières individuelles ou d'immeubles, que ce soit pour le bois, le fioul ou le gaz, et sont équipées de systèmes de dépollution et de filtres des fumées assurant un bilan CO 2 bien meilleur qu'un ensemble équivalent de petites chaudières individuelles . En outre, la centralisation de la production énergétique laisse augurer, dans un avenir proche, des techniques de séquestration de carbone qui permettraient de récupérer de manière concentrée le carbone ainsi piégé.
Enfin, seuls les réseaux de chaleur permettent d'utiliser à grande échelle la chaleur issue du bois énergie, de la géothermie, de l'incinération des déchets ménagers, du biogaz de méthanisation, de la cogénération (quelle qu'en soit la source) ou encore de rejets industriels 21 ( * ) . En particulier, le chauffage bois individuel n'est souvent pas envisageable faute de place dans les immeubles anciens des centres villes (chaudière, stockage), la seule autre alternative étant le chauffage électrique, véritable gouffre financier pour des bâtiments non isolés.
Pour l'ensemble de ces raisons, les réseaux de chaleur sont présents dans toutes les principales métropoles du continent nord-américain (San Francisco, Montréal, New York), de Russie (Moscou), du Japon (Tokyo) et de l'Union européenne (Paris, Londres, Berlin), plus de 100 millions d'européens étant déjà chauffés par 4.500 réseaux de chaleur répartis dans 32 pays.
* 20 Les lois du 5 avril 1884 et 15 juin 1906 ont donné compétence aux communes pour gérer les services publics locaux, dont ceux du gaz et de l'électricité, et ont retenu la concession comme principal mode de gestion.
* 21 Les définitions de ces termes figurent à l'annexe I.