b) Une typologie des problématiques selon la taille et la situation des bassins

La mesure de la faculté d'adaptation des territoires échappe aux statistiques. En effet, l'appréciation des difficultés potentielles par bassin, en fonction des facteurs ci-dessus examinés, relève essentiellement d'une approche de terrain que les stratégies des entreprises peuvent néanmoins démentir localement.

Ainsi, on constate que, les bassins d'emplois les plus menacés ne sont pas nécessairement ceux ayant le plus d'emplois dans les secteurs les plus concurrencé s : au contraire, une entreprise isolée dans un territoire dominé par d'autres activités a moins de capacité de résistance qu'une grappe d'entreprises. En milieu rural enfin, la défaillance d'un employeur de taille moyenne aura plus d'importance que celle d'un gros employeur dans une unité urbaine diversifiée.

Il convient donc de prendre en compte la taille et la situation territoriale des zones d'emplois. Cette méthode permet à la fois d'évaluer le nombre de territoires concernés et les difficultés spécifiques locales. Il est possible de classer les zones d'emplois industriels exposées aux délocalisations en quatre catégories : les zones d'emploi de faible superficie et isolées, les zones d'emploi moyennes et excentrées, les zones d'emploi dans les petites et moyennes aires métropolitaines et enfin les zones d'emplois dans les grandes aires métropolitaines.

(1) Les petites zones d'emplois isolées

Les petites zones d'emplois isolées comptent moins de 100.000 habitants, moins de 15.000 emplois, et sont situées à l'écart des grands axes. L'emploi industriel dans ces zones est concentré dans une ou plusieurs entreprises. Confrontées au double handicap de la taille et de la localisation pour renouveler l'économie locale, ces zones peuvent être gravement touchées par la défaillance du ou des principaux employeurs. Les mécanismes d'ajustement les plus courants y sont les départs de populations actives, le développement touristique dans les régions qui s'y prêtent. Le défi principal de ces petites zones est la création d'emplois non qualifiés à vocation locale.

Le cabinet « Formules économiques locales » évalue à une quarantaine le nombre de ces zones pouvant rencontrer des difficultés de redéploiement économique du fait de leur taille et de leur isolement.

(2) Les moyennes zones d'emplois excentrées à vocation industrielle

Ces zones comptent plus de 15.000 emplois et se situent hors des grands axes routiers et ferroviaires. Dans des bassins ruraux et isolés, de régions peu industrielles, des entreprises bénéficient de coûts fonciers et salariaux bas. Ces avantages ayant permis de conserver une compétitivité face à la concurrence internationale ne sont aujourd'hui plus suffisants : l'isolement se transforme en handicap par rapport à la localisation en grappe d'entreprises. On constate parfois que la période de prospérité qui a pu justifier une politique d'immigration a engendré des quartiers mal intégrés. Le déclin manufacturier laisse des friches et rend parfois nécessaire une importante rénovation urbaine. Ces zones connaissent souvent une succession de fermetures d'usines dans des secteurs différents, les déchirures du tissu industriel local s'étendant plus vite que les reprises.

Certaines agglomérations de ces zones ne sont pas préparées à une reconversion rapide du tissu industriel. Elles sont souvent moins attractives que d'autres pour des raisons de localisation. Les services aux entreprises sont moins développés. En effet, la tertiairisation locale y est souvent insuffisante car ces zones sont rarement des chefs lieux de département. Elles n'ont pas un grand réservoir de services endogènes et sont affectées par les baisses de revenus, sauf dans les régions d'installation de retraités. Le principal défi est alors d'éviter une paupérisation des personnes en âge de travailler et peu mobiles. Le coût financier de réhabilitation de friches peut dépasser les capacités financières et techniques des collectivités locales. Les moyennes zones d'emplois à vocation industrielle et excentrées ont besoin d'un processus de reconversion pour faire face aux difficultés révélées par les pertes d'emplois.

Selon le cabinet « Formules économiques locales » , une soixantaine de ces zones d'emplois auraient besoin d'enclencher leur reconversion.

(3) Les zones d'emplois des agglomérations de taille moyenne

Ces zones d'emplois comptent plus de 15.000 emplois industriels. Les petites et moyennes agglomérations sont familières des mutations industrielles depuis trente ans. La capacité d'amortir une nouvelle vague de désindustrialisation dépend de son ampleur et du rythme de croissance des agglomérations, celles ayant des atouts de localisation et des spécialisations récentes étant plus à même d'absorber les chocs : il s'agit par exemple des agglomérations du Havre, de Dunkerque, de Chartres, de Tours, du Mans, de Valenciennes, de Grenoble...

La problématique des pertes d'emplois manufacturiers dans environ une cinquantaine de ces petites et moyennes aires métropolitaines tiendrait pour l'essentiel à la création d'emplois non qualifiés pour permettre aux personnels qualifiés de se reclasser dans leur agglomération.

(4) Les zones d'emplois très industrielles des grandes agglomérations

Comptent de 15.000 à 60.000 emplois industriels et une part importante d'emplois manufacturiers dans l'emploi total, les grandes agglomérations sont en capacité de localiser les nouvelles industries. Leurs personnels sont rarement issus des anciennes usines, mais la croissance des activités génère indirectement des emplois non qualifiés pour les ouvriers. Le marché de l'intérim permet de maintenir partiellement en activité les professionnels de niveau intermédiaire (dessinateur, chaudronnier,...) licenciés des entreprises disparues.

Si les grandes métropoles ont une capacité à absorber les pertes d'emplois, elles ont aussi à faire face à une diminution des industries récentes et à relever le défi de la croissance des emplois tertiaires, secteur dans lequel la compétition pour les emplois non qualifiés est généralement très forte. En effet, les travaux non qualifiés dans les services sont de plus en plus occupés par des personnes qualifiées. Ainsi, en Lorraine de 1990 à 1999, d'après une étude de l'Observatoire régional de l'emploi, de la formation et des qualifications, les travailleurs occupant un emploi non qualifié et ayant un bac ou un BEP représentent 37 % du total régional en 1999, au lieu de 30 % en 1990.

Cette typologie, combinée avec la prise en compte de la diversification ou non des activités industrielles, conduit à l'établissement du tableau suivant résumant les situations locales et leurs enjeux.

Nature des bassins

Situation excentrée, mono-industrie

Bonne situation, mono-industrie

Situation excentrée, industrie diversifiée

Bonne situation, industrie diversifiée

Exemples de bassins

Vallée de l'Aude, Romorantin, Gien, Dieppe, Morlaix, Saint-Dizier, Cambraisis, Joinville, Fumel

Le Havre, Oise, Nord, Mulhouse, Sélestat, Feyzin, Périgueux

Saint-Dizier, Cholet, Roanne, Charleville-Méz., Remiremont

Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Essonne

Risques principaux

Déclin démographique et paupérisation

Chômage et exclusion

Déclin démographique et paupérisation

Chômage et exclusion

Enjeux économiques

Risque de disparition de l'industrie

Enjeu de créations d'emplois de services

Enjeu de créations d'emplois de services non qualifiés

Améliorer l'attractivité du site

Handicap des transports pour la reprise d'emploi

Enjeux de créations d'emplois non qualifiés

Stratégie

Mesures fiscales ou sociales destinées au maintien des populations

Aides au départ

Appuyer les implantations

Faciliter la création d'emplois de services non qualifiés

Appuyer la pérennité de l'industrie

Faciliter la mobilité

Renforcer l'industrie

Faciliter la création d'emplois de services non qualifiés

Si, dans presque toutes les régions, le territoire semble perclus par le repli accéléré de son tissu industriel manufacturier, le cabinet « Formules économiques locales » estime, en dépit de l'existence de situations locales de déshérence, que, d'une part, les agglomérations bien situées résistent mieux en raison des offres de reconversion, et que, d'autre part, les zones d'emplois excentrées ont pour facteurs essentiels d'ajustement les migrations alternantes et les départs de population.

Cependant, l'accroissement des pertes d'emplois manufacturiers, y compris dans les agglomérations dynamiques, conduit à terme non seulement à un impact local dépressif, mais également à un affaiblissement national par l'addition des petites lésions générées au plan local.

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