B. RENFORCER LA PUISSANCE INDUSTRIELLE DE L'UNION

Ayant souligné l'importance d'un développement équilibré de l'Europe élargie, votre commission estime ensuite indispensable de renforcer la puissance industrielle de cette Union élargie, notamment en « communautarisant » la notion de politique industrielle.

1. Prendre en compte les intérêts industriels dans la stratégie économique de l'Union

La crainte de voir des pans entiers de l'industrie communautaire délocalisés vers des pays caractérisés par des coûts plus faibles et de moindres contraintes réglementaires a conduit le Chancelier Schröder, le Président Chirac et le Premier ministre britannique Blair à écrire au Président Prodi en février et septembre 2003 afin d'exprimer leur inquiétude et d'appeler l'attention de la Commission sur les phénomènes en cours.

En écho à la demande des responsables allemand, français et anglais, le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2003 a demandé à la Commission européenne de proposer des solutions susceptibles de prévenir la désindustrialisation . C'est ce qu'elle vient de faire dans une récente communication, intitulée « Accompagner les mutations structurelles : une politique industrielle pour l'Europe élargie » et publiée le 20 avril dernier.

La Commission y analyse la désindustrialisation , qu'elle appelle à ne pas confondre avec le processus permanent , souvent douloureux quand il se concentre sur certaines régions ou activités, mais globalement bénéfique, de réallocation des ressources vers les services, secteur où existent des avantages comparatifs . Elle convient toutefois que des signes inquiétants sont apparus récemment : infléchissement de la croissance de la productivité manufacturière, imputable au déficit européen en matière d'innovation et de recherche, et fragilisation de la compétitivité internationale de l'Union. Or la conjoncture économique peu favorable et la forte appréciation de l'euro brouillent l'analyse, ce qui amène la Commission à présenter la désindustrialisation comme un risque plutôt que comme une certitude.

Etant donné la nature du risque, elle admet tout de même la nécessité de le prendre en considération. Elle reconnaît donc le bien-fondé d'un renforcement de la politique industrielle, ce que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de « changement climatique », tant la notion même de politique industrielle ne recevait, jusque là, qu'un maigre écho à Bruxelles .

a) L'industrie, longtemps parent pauvre de la construction européenne

Historiquement , la construction européenne a été marquée par le succès du Marché commun et par l'échec de l'Euratom, ce qui, comme le font observer MM. Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi dans un rapport du Conseil d'analyse économique (162 ( * )), a déçu d'emblée les espoirs, nourris notamment par la France, d'édifier une politique technologique européenne .

Juridiquement , le Traité de Rome a placé la politique de la concurrence au coeur des politiques communes de la Communauté , alors qu'il ne pourvoyait la Commission d'aucune base légale en matière de politique industrielle. Celle-ci fit longtemps figure de « passager clandestin », selon les termes de M. Benjamin Coriat (163 ( * )). Seul l'Acte unique de 1986, en consacrant une compétence communautaire en matière de recherche et de développement de la technologie, a permis de mettre en oeuvre des programmes-cadres quadriennaux de recherche, qui ont longtemps constitué le dispositif essentiel de soutien à l'industrie de la Commission , et d'engager quelques programmes spécifiques de recherche « pré-compétitive » ( Eureka , Esprit ...).

Le traité de Maastricht marque une nouvelle étape vers la reconnaissance de la politique industrielle comme mission de la Commission : son article 3 l confie en effet à l'Union le soin de renforcer « la compétitivité de l'industrie » . De nombreux documents communautaires dessinent alors les voies et moyens susceptibles d'accroître la compétitivité industrielle, cet objectif faisant de plus l'objet d'un Livre blanc de la Commission en 1993 (164 ( * )). Toutefois, comme le relève M. Benjamin Coriat, le choix de parler de « compétitivité industrielle » plutôt que de « politique industrielle » est lourd d'implications : il s'agit de privilégier les actions « horizontales » en faveur de l'industrie, c'est-à-dire d'améliorer l'environnement des firmes , et non d'engager des actions verticales.

C'est dire combien la communication récente de la Commission, et celle de décembre 2002 qui lui a ouvert la voie en relançant le débat (165 ( * )), constituent des étapes décisives en affichant pour ambition une « politique industrielle pour l'Europe élargie » .

* (162) Politiques industrielles pour l'Europe - Rapport n° 26 - Op. cit .

* (163) Ibid .

* (164) Livre blanc sur la compétitivité, la croissance et l'emploi - 1993.

* (165) Communication de la Commission du 11 décembre 2002, concernant la politique industrielle dans une Europe élargie (COM (2002) 714 final).

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