2. Veiller à l'ajustement des aides publiques entre les 15 et les 10
Afin de financer l'impact de l'Elargissement, la politique de cohésion européenne va connaître une prochaine réforme, qui sera mise en oeuvre pour la période 2007-2013. L'enveloppe globale des fonds structurels prévus représente 336 milliards d'euros, dont 18 % sont alloués à l'objectif 2 (volet compétitivité).
Les financements européens jouent un rôle important pour l'aménagement du territoire national (159 ( * )). Alors que l'Etat français a attribué 17 milliards d'euros de crédits au titre des contrats de plan État-Région 2000-2006, ce sont 15,6 milliards d'euros (en prix 1999) de financements européens que la France aura perçus sur la période 2000-2006. Sur ces 15,6 milliards d'euros, 6 ont été attribués au titre de l' objectif 2 (160 ( * )), qui vise la reconversion économique et sociale de zones en difficulté structurelle . Les zones éligibles à cet objectif représentent 22 millions d'habitants, soit 31,3 % de la population française. Dans les faits, chacune des régions françaises est concernée par l'objectif 2.
La politique régionale européenne représente donc quasiment 50 % des financements de la politique d'aménagement du territoire en direction des régions françaises . Dans un contexte d'incertitude sur l'avenir de la contractualisation État-Région et de difficultés d'exécution financière des contrats en cours, liée à la dégradation globale des comptes publics, une remise en cause de la politique régionale européenne signifierait certainement l'abandon de toute ambition d'équité territoriale et, plus globalement, celle de « développement régional » . Ce d'autant plus que le cofinancement a un effet de levier sur les dépenses supplémentaires nationales de source publique ou privée, permettant ainsi de créer les masses critiques nécessaires à la réalisation des projets structurants et au renforcement de la compétitivité des territoires.
Comme le souligne le rapport de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, la politique de cohésion repose depuis l'origine sur une double approche : d'une part, la valorisation des atouts et de la compétitivité des territoires , dite logique d'efficacité, d'autre part, la compensation des handicaps spécifiques - zones rurales, de montagne, insulaires, zones urbaines en difficulté, ... -, dite logique d'équité. Ne privilégier que l'objectif de convergence au détriment des objectifs de cohésion et de compétitivité reviendrait à en modifier profondément la philosophie .
Or, lors de sa rencontre avec votre groupe de travail, M. Jacques Barrot, Commissaire européen à la politique régionale, a relevé que si la nouvelle réglementation des aides d'Etat consécutive à l'Elargissement n'était pas encore finalisée, les premiers éléments connus laissaient à penser que les régions en retard de développement , c'est-à-dire essentiellement les dix nouveaux membres, en seraient les premières bénéficiaires , au titre de la convergence . Mettant l'accent sur l'importance qui s'attachait au soutien de l'innovation et de la recherche dans l'Europe des Quinze , il a exprimé l'espoir que les orientations complémentaires de la réforme ne négligent pas de soutenir également la compétitivité dans l'Union européenne , meilleur rempart contre des délocalisations opportunistes.
Sans nier l'impératif de solidarité avec les dix nouveaux entrants, votre groupe de travail insiste également sur la nécessité de conserver une éligibilité à l'objectif 2 pour des projets ciblés de compétitivité dans l'Europe des Quinze . En effet, l'engagement pluriannuel du budget communautaire à travers les fonds structurels est une garantie de viabilité pour de nombreux projets régionaux ou locaux de compétitivité , y compris dans notre pays.
C'est la cohérence de la politique de l'Union à l'égard des objectifs de compétitivité fixés au sommet de Lisbonne qui est en jeu . La politique de cohésion doit ainsi être réformée de manière à servir non pas seulement la croissance des dix nouveaux entrés, mais aussi la croissance globale de l'Union. Le projet finalement retenu par la Commission semble reconnaître cette nécessité, dans la mesure où, à côté des objectifs de convergence et de coopération territoriale (transfrontalière), elle envisage la création d'un nouvel objectif dit « de compétitivité régionale et d'emploi », c'est-à-dire les ex-objectifs 2 et 3 pour les États et les régions de l'Union européenne hors objectif 1.
Il s'agirait d'un objectif à deux volets, un volet national « emploi » et un volet régional « compétitivité ». Toutes les régions seraient potentiellement éligibles aux deux volets. La Commission souhaite supprimer tout zonage pour la mise en oeuvre de cet objectif : il reviendrait aux États membres de définir les régions éligibles, la région dans son ensemble devant être concernée par ce nouvel objectif 2 et plus seulement certaines parties prédéterminées. La concentration de l'intervention communautaire, voulue par la Commission, serait assurée par une programmation régionale ciblée autour de trois thèmes :
- l'économie de la connaissance et l'innovation : ce thème est centré sur le développement des PME, la recherche, ainsi que la mise en réseau. A ce titre , il est envisagé d'exclure les grandes entreprises du bénéfice des fonds structurels ;
- l'environnement et la prévention des risques naturels ;
- l'accessibilité et les services d'intérêt économique général.
Votre groupe de travail insiste sur la nécessité de suivre l'évolution de ce projet de la Commission avec la plus grande vigilance. Il s'inquiète notamment de l'exclusion envisagée des grandes entreprises du bénéfice des fonds structurels , qui pourrait avoir de lourdes conséquences tant est incontestable le rôle des entreprises de plus de 150 salariés dans la promotion de l'innovation. Les grands projets sur lesquels repose une partie éminente de la force économique de l'Union ne peuvent être portés que par les grands groupes : votre groupe de travail juge donc impératif de maintenir leur éligibilité aux financements publics européens.
Comme l'a souligné devant votre groupe de travail M. Pierre Sellal, ambassadeur représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, la France participe à hauteur de 17 % aux fonds structurels, pour un taux de retour sur investissement de 7 % (161 ( * )) aujourd'hui, taux qui ne sera plus que de 4 % du fait de l'entrée des dix nouveaux membres dans l'Union .
A cet égard, affirmant sa conviction de l'absolue nécessité de faire jouer la solidarité entre les Quinze et les Dix notamment par le biais des fonds structurels , l'ambassadeur a très justement indiqué que « la solidarité ne se divisait pas » . Ce propos visait à rappeler qu'en retour de cette solidarité des Quinze vers les Dix, ces derniers devaient s'interdire tout « dumping fiscal » , comme expression de leur propre solidarité à l'intention des Quinze.
Votre commission s'associe à cette réflexion pertinente, qui la conduit à suggérer, la solidarité financière allant de pair avec la solidarité fiscale, que la convergence fiscale des Dix constitue la contrepartie expresse du soutien budgétaire consenti par les Quinze .
* (159) Voir « Les perspectives d'évolution de la politique de cohésion après 2006 » - Rapport d'information du Sénat n° 204 (2003-2004) - MM. Yann Gaillard et Simon Sutour, au nom de la délégation pour l'Union européenne - Février 2004.
* (160) L'objectif 1 vise aujourd'hui le rattrapage des régions en retard de développement (PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire) ; l'objectif 2 soutient la reconversion économique et sociale de zones en difficulté structurelle ; enfin, l'objectif 3 favorise la modernisation des systèmes de formation et la promotion de l'emploi.
* (161) On observe toutefois que le « taux de retour » pour la France sur l'objectif 2 (22 %) est supérieur à son taux de contribution globale (16,8 %). Il en résulte que, dans une simple approche de finances publiques, l'intérêt de la France réside à la fois dans une maîtrise globale du budget de la cohésion, mais aussi dans une répartition de ce budget la plus favorable possible à un instrument de type objectif 2.