III. PROMOUVOIR UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE
Il est évident que l'intégration communautaire, accélérée par la mise en place de l'euro, interdit de se cantonner à une approche strictement nationale, et a fortiori locale, des leviers susceptibles de donner à l'industrie la vigueur nécessaire pour affronter la mondialisation.
Une approche européenne est donc indispensable, sous deux facettes : une face interne, qui concerne la gestion de l'élargissement européen et de ses conséquences pour l'industrie ; une face externe, relative à la compétitivité de l'industrie européenne vis-à-vis de ses concurrents à l'extérieur de l'Union .
A. GARANTIR UN DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DE L'UNION À 25
Dix nouveaux Etats membres sont rentrés dans l'Union européenne le 1 er mai 2004. Si leurs marchés respectifs sont déjà largement ouverts depuis une dizaine d'années, l'élargissement offre l'opportunité de créer des conditions de concurrence égales puisque les normes et réglementations européennes devront désormais être appliquées par les nouveaux membres . Il s'agit, donc, à terme, d'une chance pour l'industrie européenne, tant dans les quinze Etats déjà membres que dans les dix nouveaux, à condition toutefois que le développement des uns n'entraîne pas le dépérissement des autres.
C'est pourquoi plusieurs préconisations méritent d'être faites pour assurer une croissance globale et harmonieuse de l'Union européenne à 25. Ces préconisations sont d'ordre fiscal, financier et social.
1. Encourager l'harmonisation de la fiscalité des entreprises
Des disparités fortes persistent en matière fiscale à travers l'Union européenne . L'élargissement de l'Union des 15 à dix nouveaux pays a avivé le débat sur leurs conséquences en termes de localisation des activités productives. Ces disparités tiennent au paradoxe inhérent au mode de construction de l'Union européenne : d'un côté, les Etats membres se sont engagés dans une entreprise d'intégration monétaire au profit d'une autorité monétaire de type fédéral ; de l'autre, à l'exception de la TVA, une liberté fiscale absolue est laissée aux Etats membres, malgré les interactions évidentes entre politique budgétaire, notamment fiscale, et politique monétaire.
C'est ainsi que depuis son adhésion à l'Union, l' Irlande a bénéficié du transfert, sous forme de fonds structurels et autres aides communautaires, d'une masse financière représentant 2,5 % de son produit intérieur brut. Ce transfert effectué sans aucune conditionnalité fiscale lui a ainsi permis d'adopter des taux d'imposition très bas (12,5 % pour l'impôt sur les sociétés), conduisant de nombreuses entreprises européennes, et notamment britanniques, à y délocaliser une part importante de leurs activités .
Cette politique, cela a été dit, risque sérieusement d'être suivie par plusieurs des nouveaux entrants dans l'Union, dont les taux d'imposition pesant sur les entreprises, au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle, sont, à la notable exception de la République tchèque (31 %), très attractifs , puisqu'ils s'étendent de 15 % (Chypre et Lituanie) à 25 % (Slovénie), quand il ne sont pas tout simplement nuls, comme en Estonie.
Certes, la fiscalité n'est qu'un déterminant parmi d'autres des choix d'implantation des entreprises, comme l'a rappelé à votre groupe de travail M. Robert Verrue, directeur général Fiscalité et union douanière de la Commission européenne, rencontré à Bruxelles. Celui-ci a également souligné qu'il convenait de distinguer la fiscalité nominale de la fiscalité effective , c'est-à-dire corrigée des différences d'assiette. A cet égard, les comparaisons brutes des taux d'imposition ne doivent pas conduire à des conclusions trop hâtives. Ainsi, le taux d'impôt sur les sociétés n'est que de 28 % en Grande-Bretagne, mais les recettes fiscales qu'engendre cet impôt sont deux fois plus importantes qu'en France, où le taux marginal pratiqué est de 35 %, en raison d'assiettes très différentes. Il n'est donc pas établi que les entreprises françaises supportent un prélèvement au titre de cet impôt plus élevé qu'en Grande-Bretagne. Le rapport que prépare le Conseil des impôts sur la concurrence fiscale apportera un éclairage très attendu sur la réalité des écarts de fiscalité entre les pays de l'Union européenne.
Outre la fiscalité nationale, la fiscalité locale peut également avoir une incidence sur les choix d'implantation des entreprises . A ce sujet, M. Robert Verrue affirme que deux pays de l'Union se distinguent par une fiscalité locale distorsive : l'Allemagne et la France.
Il est cependant établi qu'une corrélation négative existe entre le niveau de la fiscalité et l'implantation, même si la mesure de l'élasticité entre ces deux paramètres reste difficile. Sans doute est-ce la raison pour laquelle se dessine, depuis cinq ou sept ans, une tendance lourde dans l'évolution de la fiscalité des entreprises, consistant en une baisse des taux nominaux d'impôt sur les sociétés (sur les bénéfices) parallèlement à un élargissement progressif de l'assiette , phénomène que l'entrée des dix nouveaux Etats membres devrait accentuer. La combinaison de ces deux phénomènes impliquent donc une baisse moins marquée des taux effectifs, dont l'impact mérite aussi d'être relativisé dans la mesure où, selon les statistiques européennes, l'impôt sur les sociétés ne pèse que 3,1 % du PIB européen, ce qui est peu relativement au poids total de l'ensemble des prélèvements obligatoires dans le PIB (156 ( * )).
A l'échelle européenne, certains types d'activité apparaissent particulièrement sensibles au résultat de la combinaison des divers types de fiscalité (sur les bénéfices, sur le travail...) : selon la Commission, la localisation des centres de coordination, celle des centres financiers, des centres de recherche et celle des plates-formes industrielles impliquant une logistique importante est la plus sensible aux différences de fiscalité. Les Etats membres se livrent une concurrence fiscale très agressive pour attirer ce type d'investissement. Cette concurrence, déjà vive en raison de la facilité croissante de circulation des capitaux dans l'Union européenne, va naturellement s'accroître avec l'arrivée des Dix. C'est pour en atténuer les effets qu'un consensus politique a amené au gel et au démantèlement de soixante-six mesures fiscales identifiées comme incontestablement nocives. Parallèlement, la Cour de justice des Communautés européennes a créé une jurisprudence construisant un ordre législatif en matière de fiscalité que les Etats membres n'ont pas voulu prendre en charge.
Il convient en effet de rappeler que, comme en matière de politique sociale ou de politique étrangère, l'Union procède en matière fiscale par unanimité pure et non à la majorité qualifiée. C'est pourquoi les avancées sont si lentes dans ces domaines.
En outre, les seules questions fiscales relevant du ressort communautaire ont trait à la fiscalité indirecte , à quelques dispositions de l'impôt sur le revenu créant des discriminations ou à certains aspects de la fiscalité des revenus de l'épargne . Les perspectives d'harmonisation en matière de fiscalité des entreprises au sein de l'Union sont donc incertaines .
Seule une harmonisation de la base fiscale sur laquelle est assis l'impôt sur les sociétés a été envisagée, en réponse à une demande des entreprises qui déplorent le coût économique qu'induit pour elles la diversité des bases fiscales entre Etats membres, ainsi que la difficulté à consolider leur comptabilité et l'impossibilité de comparer la rentabilité de leurs investissement : l'idée serait de construire une base fiscale harmonisée et de permettre aussi une consolidation (c'est-à-dire une remontée des pertes et profits réalisés dans différents Etats membres au niveau du groupe), les taux d'imposition restant entièrement de la compétence des Etats .
Cette harmonisation de l'assiette aurait sans doute la vertu d'accroître la transparence et de rendre plus directement comparables les taux d'imposition, ce qui mettrait au grand jour la concurrence fiscale à laquelle se livrent divers Etats membres. Cependant, l'initiative de la Commission européenne en vue d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés se heurte à l'opposition résolue de certains d'entre eux, tels la Grande-Bretagne et l'Irlande.
C'est pourquoi, le Commissaire européen en charge de la fiscalité, M. Frits Bolkestein, a proposé en février dernier d'appliquer la procédure de coopération renforcée (157 ( * )), qui autorise un groupe d'Etats membres, pour peu qu'il soient au moins huit à s'entendre, à utiliser le cadre de l'Union pour développer de nouvelles politiques qui n'engagent qu'eux . Sans aucun doute l'Allemagne et la France n'y seraient pas défavorables, comme peut-être l'Autriche, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie et la Belgique (158 ( * )).
Le mécanisme vertueux recherché par le recours à cette procédure serait le suivant : dans un premier temps, les différents Etats parties à la coopération devraient répercuter sur les taux les différences d'imposition cachées jusque-là dans l'assiette ; dans un deuxième temps, le jeu transparent de la concurrence fiscale devrait favoriser le rapprochement desdits taux ; dans un troisième temps, les simplifications engendrées par cette situation améliorant l'attractivité des Etats signataires par rapport à celle des pays restés à l'écart de la coopération, ces derniers pourraient progressivement constater l'intérêt qu'ils trouveraient à s'y joindre.
Votre commission encourage une telle initiative : la recherche de l'harmonisation fiscale lui paraît en effet essentielle pour l'économie et l'équilibre de l'Union européenne. Elle serait de nature à supprimer les effets d'aubaine entraînés par une concurrence fiscale interne aux Etats membres, qui risque au demeurant de s'accroître avec l'élargissement.
Mais elle suggère aussi que le principe de la coopération renforcée soit également envisagé pour la définition des taux de l'impôt sur les sociétés, et qu'il y soit recouru pour d'autres impôts pesant sur les entreprises . En outre, elle exprime le souhait que les Etats membres, à commencer par la France, s'efforcent d'identifier et de diffuser les bonnes pratiques fiscales que représentent, parmi les dispositifs fiscaux nationaux, ceux qui sont les plus susceptibles d'être durablement créateurs d'emplois dans les entreprises . Plutôt que d'accroître la concurrence interne à l'Union, il s'agit au contraire de renforcer la compétitivité globale de l'économie européenne.
* (156) Voir « Les réformes fiscales intervenues dans les pays européens au cours des années 1990 » - Rapport d'information du Sénat n° 343 (2002-2003) - MM. Joël Bourdin et Philippe Marini, au nom de la délégation du Sénat pour la planification - Juin 2003.
* (157) Introduite par le traité de Nice pour la Politique étrangère et de sécurité commune.
* (158) Voir à cet égard « Paris et Berlin dénoncent le dumping fiscal pratiqué dans l'Europe à 25 » - Arnaud Leparmentier - Le Monde - 13 mai 2004.