II. UNE RÉPONSE DÉCALÉE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE ET DES POUVOIRS PUBLICS À LA CATASTROPHE SANITAIRE
Avant d'analyser les raisons pour lesquelles les pouvoirs publics ont été pris de court par la canicule, du fait notamment d'un manque de coordination des différents acteurs et de la défaillance du système d'alerte, la mission se doit de rappeler la chronologie de la crise, qui a fait l'objet de multiples commentaires.
REPÈRES CHRONOLOGIQUES DE LA CRISE DU 1
ER
AU 14 AOÛT 2003
•
Vendredi 1
er
août
Météo France annonce par communiqué de presse
l'arrivée d'une nouvelle vague de chaleur.
FORTE CHALEUR
Une
nouvelle vague de chaleur s'installe aujourd'hui par le sud. Elle enveloppera
l'ensemble de la France ce week-end et se maintiendra plusieurs jours sur la
majeure partie du pays. Il n'est pas prévu d'épisodes pluvieux
significatifs au cours de la semaine prochaine ; en conséquence,
l'état de sécheresse persistera sur les régions
déjà concernées. [...]
(
Source : Météo France)
• Lundi 4 août
Certains hôpitaux parisiens connaissent une augmentation des
passages et des hospitalisations des consultants dans les services d'urgence.
Les sapeurs-pompiers de Paris observent le même phénomène,
sans notion de décès.
• Mardi 5 août
Comme chaque année, une réunion de la cellule de veille de
l'AP-HP se tient pour faire le point sur la situation des capacités
d'accueil hospitalières dans la capitale en période estivale.
L'impact sanitaire de la canicule n'est pas évoqué à cette
occasion.
• Mercredi 6 août
Certains spécialistes de la médecine d'urgence (Samu,
services hospitaliers, sapeurs-pompiers) commencent à identifier le
caractère anormal de la situation.
Un médecin inspecteur de santé publique de la DDASS du
Morbihan informe la DGS et l'InVS de la survenue le mardi 5 août de 3
décès par hyperthermie de personnes jeunes sur leur lieu de
travail.
Point de la DGS avec un conseiller technique du cabinet sur les dossiers
santé-environnement. La DGS évoque les problèmes de
pollution en cours et indique qu'elle prépare un communiqué de
presse à ce sujet. Le cabinet demande d'étendre le
communiqué à l'impact sanitaire de la chaleur.
EXTRAIT DU MAIL ADRESSÉ PAR LE CABINET À LA DGS
« L'épidémiologie nous permet d'anticiper un
excès de mortalité lié à la canicule. Il serait
utile que la DGS prépare un communiqué rappelant quelques
précautions élémentaires notamment chez les plus jeunes et
les plus vieux. Il existe de nombreuses études sur l'impact sanitaire
des vagues de chaleur. L'InVS pourrait les signaler (je crois que les CDC les
ont synthétisées) et cela pourrait faire l'objet d'un message
DGS-URGENT » [...] (
Source : DGS)
Diffusion de messages préventifs sur les panneaux lumineux de la
Ville de Paris.
• Jeudi 7 août
Le service d'accueil des urgences de l'hôpital Saint Joseph
prévient la DDASS 75 de la survenue d'un cas de décès par
« coup de chaleur » d'un homme d'âge moyen au retour
de son travail. La DDASS le signale au bureau des alertes de la DGS.
Le président de l'association des médecins urgentistes
hospitaliers de France, le Dr Patrick Pelloux, signale par
téléphone, à un conseiller technique de la DHOS, un
encombrement des urgences et le manque de disponibilité en lits à
Saint Antoine et dans d'autres hôpitaux de l'AP-HP. Ces informations sont
transmises au cabinet. La DHOS active une cellule de veille.
La DHOS demande à l'ARHIF un point général de la
situation des établissements publics et privés d'Ile-de-France
(hors AP-HP). L'ARHIF ne signale pas de difficulté dans les services
d'urgence d'Ile-de-France (hors AP-HP).
Un communiqué de Météo France annonce à
nouveau des températures élevées :
POURSUITE DE LA CANICULE SUR LA FRANCE
L'air
très chaud qui s'est installé sur la France se maintiendra durant
sept prochains jours (jusqu'au jeudi 14 août).
[...] des températures très élevées continueront
à régner sur le pays. Les températures minimales seront,
sur de nombreuses régions, voisines ou supérieures à 20
degrés, atteignant localement 24 ou 25 degrés. Les
températures maximales s'élèveront elles jusqu'à 36
à 40 degrés ».
La persistance de cette situation, qui conjugue températures minimales
et maximales élevées, est exceptionnelle et constitue un risque
sanitaire pour les personnes sensibles (personnes âgées, personnes
malades et nourrissons). [...] (
Source: Météo France)
Le service de presse de l'INPES (Institut national de prévention
et d'éducation pour la santé) contacte celui de la DGS afin de
lui faire part des inquiétudes du Professeur San-Marco sur les
conséquences sanitaires de la canicule. La DGS indique que le
problème est identifié et qu'elle s'apprête à
émettre un communiqué de presse sur ce sujet.
• Vendredi 8 août
Dans la matinée, la DDASS 92 signale à la DGS l'apparition
de décès en institutions.
A la suite de cet appel, la DGS contacte le Samu de Paris, la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et l'AP-HP. Selon la DGS, les services
d'urgence et de secours indiquent qu'ils sont fortement sollicités,
qu'ils ne peuvent évaluer la part liée à la chaleur et
qu'ils font face à la situation. Les représentants des
sapeurs-pompiers auditionnés indiquent n'avoir pas connaissance de ce
contact.
La DGS informe l'InVS de remontées «
éparses
mais alarmantes
» des DDASS sur des cas de décès
liés à la chaleur. Elle demande à l'InVS de mettre en
place une surveillance des décès liés à la chaleur.
Le chef du service de gériatrie de l'hôpital de la
Pitié-Salpêtrière tente de joindre, sans succès, le
bureau des alertes de la DGS pour signaler deux décès, du fait de
la chaleur, de malades hospitalisés dans son établissement. Il
alerte alors le chef du service « prévention, programmes de
santé et gestion des risques » de la DGS.
Le responsable du pôle urgences/réanimation de
l'hôpital Saint-Joseph (Paris) signale à l'InVS des
«
cas de coups de chaleur graves, pas nécessairement chez
les personnes âgées, dont un avec
décès
». L'InVS en informe la DGS.
Dans l'après-midi, la DGS diffuse un communiqué de presse
mettant en garde contre les risques sanitaires inhérents à la
canicule et fournissant une série de conseils de prévention. Ce
communiqué précise notamment que :
FORTES CHALEURS EN FRANCE: RECOMMANDATIONS SANITAIRES
« [...] la vague de chaleur est susceptible
d'entraîner des répercussions graves sur la santé des
personnes ».
« La chaleur expose aux risques de déshydratation, de coup de
chaleur et d'aggravation de maladies chroniques. Ces risques sont
particulièrement importants et d'évolution plus rapide chez les
nourrissons et les personnes âgées [...] car ils n'expriment pas
la soif ou ne peuvent accéder, sans aide extérieure, à des
apports hydriques adaptés. »
« [...] il convient de leur proposer régulièrement des
boissons fraîches, même en l'absence de demande et au besoin les
aider à boire. »
« [...] les bains et des brumisations peuvent être utiles pour
les personnes âgées. »
« La conduite à tenir et les consignes, tout
particulièrement pour les responsables de collectivités [...],
sont détaillées dans
l'avis du 18 avril 2000 du Conseil
supérieur d'hygiène publique de France ci-joint
. »
(
Source: DGS)
(Ce communiqué, diffusé aux agences sanitaires, à la DHOS,
aux DDASS et DRASS, ainsi qu'à la presse nationale, régionale et
médicale, ne sera que faiblement relayé par les
médias.)
Par requête informatique, le responsable du Samu de Paris compare
le nombre d'appels adressés au 15 depuis le début du mois
à celui des deux années précédentes. Il constate
que ces appels sont moins nombreux, mais qu'ils émanent dans une
proportion importante de personnes très âgées et beaucoup
plus malades qu'habituellement. Il alerte la direction générale
de l'AP-HP dans la matinée.
Le secrétaire général de l'AP-HP réunit alors
une cellule de crise et diffuse immédiatement une note demandant aux
directeurs de tous les établissements hospitaliers de libérer un
maximum de lits (report de l'activité programmée,
réouverture de lits de médecine et de réanimation).
EXTRAIT DE LA NOTE
[...] La
situation est globalement très préoccupante. Je vous demande
instamment de prendre toutes initiatives nécessaires dès
réception de cette note. [...]
(mention manuscrite sur la
note)
(Source : direction générale AP-HP)
L'un des responsables de la BSPP annonce, par l'intermédiaire de
l'AFP, que les sapeurs-pompiers de Paris ont effectué dans la
première semaine d'août de nombreuses interventions pour des
malaises dus à la chaleur, affectant essentiellement des personnes
âgées.
EXTRAIT DU COMMUNIQUÉ
[...]
« Sur les sept premiers jours d'août, les pompiers, qui
couvrent Paris et la petite couronne, ont effectué
1 798 interventions pour des malaises liés à la chaleur
(déshydratation, coup de chaleur...), contre 1 180 interventions en
2002. »
(Source : AFP)
? Samedi 9 août
Très fort taux de mortalité chez les personnes
âgées, constatés par la BSPP, le Samu, et les services de
police de Paris.
Les collègues des services d'accueil des urgences d'Ile-de-France
et de province (Bourges, Orléans, La Rochelle) du Dr Pelloux lui
signalent de nombreux décès dans leurs établissements.
Le responsable du Samu de Paris appelle le médecin-chef adjoint du
service de santé de la BSPP. Ensemble, ils établissent un
protocole de refroidissement précoce des victimes, mis en oeuvre le jour
même.
• Dimanche 10 août
Le Docteur Pelloux explique dans
Le Parisien
que les
médecins sont confrontés à «
une
véritable hécatombe
». Le chef du service de la DGS
y indique «
qu'il faut s'attendre à plusieurs centaines de
décès
». Sur TF1, le Docteur Pelloux annonce
une cinquantaine de décès dus à la chaleur en 4 jours en
région parisienne.
Le chef de service de la DGS demande à l'administratrice de garde
de la DHOS si elle dispose d'un plan canicule. Celle-ci répond par la
négative.
Le responsable du Samu de Paris alerte la DDASS de Paris sur le fait
qu'il constate un afflux inhabituel de personnes âgées dans les
services d'urgence. A sa demande, la DDASS de Paris, assistée des
services de la Ville de Paris, transmet par téléphone à
l'ensemble des responsables des maisons de retraite des informations pour que
l'on organise des gestes préventifs.
La directrice de l'AP-HP interrompt ses vacances et visite trois
hôpitaux parisiens avec le responsable du Samu de Paris.
Le service d'accueil des urgences de l'hôpital Saint-Joseph
« déleste ».
La maison de retraite « Les jardins d'Arcadie »
à Suresnes signale à la DGAS des difficultés liées
à l'absence de place en funérarium (décès de deux
résidents). Cette information est transmise au cabinet du
secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
• Lundi 11 août
(pic de surmortalité, cette notion
n'étant pas connue à cette date)
Le chef de service de la DGS rend compte par mail (10 h) à la
directrice adjointe du cabinet des faits de la semaine précédente
et du week-end :
EXTRAIT DU MAIL
« La DGS a reçu vendredi dernier -pour la
première fois depuis le début de la vague de chaleur- des appels
de DDASS signalant des décès par coup de chaleur chez des
personnes hospitalisées, ou en institution. Nous avons essayé de
faire le point rapidement avec le Samu de Paris, les pompiers, ... ce qui nous
a confirmé que les 48 dernières heures avaient constitué
un tournant, mais que la situation était maîtrisée. »
(...]
Source: DGS
Une cellule nationale de crise est constituée au sein de la DHOS,
avec mise en place d'un dispositif de remontée d'informations.
Réunion interne à l'AP-HP, avec la participation de la
DHOS, de l'ARHIF, de la préfecture d'IIe de France, du SAMU de Paris et
du Dr Pelloux. Le responsable du SAMU de Paris fait le point sur les
caractéristiques de l'hyperthermie maligne.
Élaboration en urgence et déclenchement par la direction de
l'AP-HP du plan « chaleur extrême » (Plan PACE). Ce
plan prévoit la réouverture de lits fermés durant
l'été, le report des hospitalisations programmées, la
mobilisation des établissements gériatriques pour l'aval des
urgences, le rappel de 400 élèves infirmières,
l'appel aux volontaires de la Croix-rouge.
Dans une conférence de presse, la directrice
générale de l'AP-HP explique que les hôpitaux parisiens
sont confrontés à une « situation
exceptionnelle ». Le responsable du Samu de Paris alerte la presse
sur l'état critique de nombreuses personnes âgées dans les
maisons de retraite. Il demande aux médias de faire passer des conseils
de prévention aux proches des personnes âgées et aux
maisons de retraite.
(Ces messages seront, selon lui, peu relayés par
les médias, au profit du débat sur le nombre de
décès).
Le directeur du CHIC de Créteil déclenche le plan blanc.
Communiqué de presse du cabinet :
Extrait
du communiqué
FORTES CHALEURS EN FRANCE: ASPECTS SANITAIRES ET RECOMMANDATIONS
La
situation de fortes chaleurs que connaît actuellement la France est
susceptible d'entraîner des répercussions graves sur la
santé des personnes. Plusieurs actions ont été mises en
oeuvre par le ministère de la santé, de la famille et des
personnes handicapées pour mieux prévenir et prendre en charge
les risques de déshydratation et les conséquences de la situation
de forte chaleur. Cette vague de chaleur appelle notamment une attention
renouvelée de la population vis-à-vis des personnes les plus
fragiles (personnes âgées, nourrissons).
[...]
Il faut savoir reconnaître les premiers signes du coup de chaleur,
caractérisés par un malaise, des maux de tête, une
sensation de faiblesse ou de vertige, une impression de fièvre... Toute
apparition de ces signes, surtout chez des personnes fragiles, nécessite
une mise au repos et de donner immédiatement à boire.
[...]
Dans l'ensemble des services hospitaliers, une augmentation des passages de
personnes âgées est perceptible, mais il n'existe pas
d'engorgement massif des urgences. Les difficultés rencontrées
sont comparables aux années antérieures, en dehors de cas
ponctuels de certains établissements, et d'un ou deux
départements d'Ile-de-France.
[...]
(
Source : DGS)
Vers 17 h, premières remontées d'informations à
la DHOS, faisant apparaître une affluence modérée dans les
services d'urgence de la plupart des grandes villes le 11 août, mais une
situation particulièrement aiguë en Ile-de-France et en Bourgogne.
La DHOS en informe le cabinet du ministre.
Panne prolongée de l'informatique et de la messagerie du
ministère de la santé.
Le secrétaire d'Etat aux personnes âgées adresse
à l'AFP un communiqué rappelant les recommandations contenues
dans les circulaires des 12 juillet 2002 et 27 mai 2003.
Mise en place par le Centre d'action sociale de la Ville de Paris de
mesures en direction des personnes âgées vivant à domicile.
En soirée, la DGS transmet par mail au cabinet un projet de
communiqué de presse relatif à la saturation des chambres
funéraires en Ile-de-France.
Extrait
du projet de communiqué
SATURATION DES CHAMBRES FUNÉRAIRES OU MORTUAIRES EN ILE-DE-FRANCE
Plusieurs facteurs concourent actuellement à la saturation
des chambres funéraires ou mortuaires en Ile-de-France :
- augmentation des décès dus à la canicule,
- recours plus fréquent aux chambres funéraires en raison de
fortes chaleurs qui rendent difficile la conservation des corps à
domicile,
- réduction des effectifs de personnel en période de
vacances.
(Source : DGS)
Intervention télévisée du ministre de la
santé, de la famille et des personnes handicapées.
• Mardi 12 août
(aggravation du pic de
surmortalité, cette notion n'étant pas connue à cette
date)
Le plan blanc est déclenché dans le Val de Marne.
Le chef du service « prévention » de la DGS et
un conseiller technique de la DHOS participent au
« téléphone sonne » sur France Inter à
la demande du cabinet.
Ouverture du numéro vert.
Le secrétaire d'Etat aux personnes âgées adresse
à l'AFP un communiqué de presse complétant les
recommandations déjà adressées aux professionnels, et
faisant appel à la mobilisation et à la vigilance des
bénévoles et de chaque citoyen.
• Mercredi 13 août
(persistance du pic de
surmortalité, cette notion n'étant pas connue à cette
date)
Fin des très fortes chaleurs en région parisienne.
Arrivée de 20 secouristes de la Croix Rouge, répartis dans
différents hôpitaux de Paris et de la petite couronne.
Par instruction de la DHOS, levée du dispositif des ententes
préalables pour l'admission directe des urgences en soins de suite et de
réadaptation jusqu'au 20 août.
La DHOS pilote les problèmes de saturation des morgues et de
transport des corps.
Réunion inter-directions au cabinet (cabinet, DGS, DHOS, InVS,
AP-HP). Le chiffre de 3 000 morts est avancé.
Le responsable du pôle urgences/réanimation de
l'hôpital Saint-Joseph (Paris) signale à l'lnVS
7 décès par hyperthermie maligne dans la nuit
précédente dans son service.
L'InVS appelle le cabinet du ministre de l'intérieur, qui demande
à tous les préfets, pour le lendemain, le dénombrement des
décès jour par jour par département depuis le 25 juillet
et les mêmes données pour 2002. Les données doivent
être adressées aux ministères de l'intérieur et de
la santé, et à l'InVS.
La DGS obtient de l'AP-HP, de la DHOS et des entreprises de pompes
funèbres les premières informations chiffrées sur les
décès.
Le responsable du Samu de Paris réunit les responsables des
services d'urgence de l'AP-HP. Ceux-ci font état de la persistance d'une
situation très préoccupante dans leur service.
Le Premier ministre demande aux préfets des départements
d'Ile-de-France, par l'intermédiaire du ministre de l'intérieur,
d'activer le « plan blanc ». Ce plan visant à
adapter « l'organisation du système hospitalier en cas
d'afflux de victimes », prévoit la mobilisation de tous les
moyens humains et matériels, y compris le rappel des personnels de
santé en congés.
• Jeudi 14 août
Réunion interministérielle à Matignon. Le Premier
ministre demande l'extension du « plan blanc » à
l'ensemble du territoire, sous réserve de l'appréciation des
préfets dans leur département. Mobilisation
générale et déblocage de la situation dans les
hôpitaux.
Selon la DHOS, situation maîtrisée dans les hôpitaux,
notamment en Ile-de-France à partir de jeudi soir (plus de
1 000 lits disponibles en vue du week-end suivant).
Communiqué de presse DGS/lnVS intitulé
« première estimation des décès dus à la
canicule ».
Le responsable du Samu de Paris constate que le nombre de personnes
âgées en attente dans les services d'urgence qu'il contacte est en
forte baisse. Il estime que « l'effet Plan blanc a été
spectaculaire ».
Source : Rapport du docteur Françoise Lalande -
« Mission d'expertise et d'évaluation du système de
santé pendant la canicule 2003 ».
A. LES POUVOIRS PUBLICS IMPRÉPARÉS ET PRIS DE COURT PAR LE PHÉNOMÈNE CANICULAIRE
1. Des précédents climatiques ignorés
a) Des données pourtant existantes
Ainsi que la mission d'information l'a précédemment relevé, d'autres pays, mais aussi une grande ville française comme Marseille, avaient déjà connu une période de canicule entraînant une augmentation de la surmortalité. Ces expériences passées avaient conduit de nombreux scientifiques étrangers à étudier l'impact sanitaire des vagues de chaleur sur la santé. L'annexe 3 du rapport de septembre 2003 du Docteur Françoise Lalande, inspecteur général des affaires sociales, recense ainsi 47 références bibliographiques principales, très majoritairement anglophones, traitant de ce sujet.
LES CONNAISSANCES ÉPIDÉMIOLOGIQUES DISPONIBLES AU MOMENT DE LA CRISE
L'impact
possible de la chaleur sur la santé a été reconnu depuis
longtemps, avec une étude publiée dès 1938
décrivant la surmortalité associée aux vagues de chaleur
au début du 20
ème
siècle aux USA, et d'autres
études descriptives dans les années 1940 et 1950.
La littérature épidémiologique documentant la
mortalité et la morbidité entraînée par les vagues
de chaleur estivales, ainsi que les facteurs de risque, les méthodes de
prévention individuelles et de santé publique et les
systèmes d'alerte, est abondante
, bien que le sujet ne
bénéficie sans aucun doute que de financements faibles par
rapport aux études, par exemple, sur les effets de la pollution
atmosphérique. Cette littérature est publiée non seulement
dans des revues de spécialités prestigieuses de
l'épidémiologie et de l'environnement mais aussi dans des revues
à grande diffusion dans la communauté médicale, tels le
New England Journal of Medicine, le JAMA, le Lancet... Des livres entiers ont
également été consacrés au sujet. Cette
activité de publications provient bien entendu majoritairement des
Etats-Unis, à la fois pour les raisons habituelles de
productivité scientifique et parce qu'ils sont géographiquement
particulièrement touchés par le problème mais aussi de
pays européens à climat tempéré (par exemple :
Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne).
La place de la France
dans ce champ de connaissance apparaît très faible
: le
journal « Epidemiologic Reviews » publie des revues
générales d'excellente qualité sur les grands sujets de
l'épidémiologie et a en particulier publié en 2002 un
article sur le sujet (Basu and Samet 2002) ; celui-ci comprend 88
références, dont un certain nombre européennes mais aucune
française. La même année un chercheur de
l'Université de Dijon (Jean-Pierre Besancenot) a également
publié une synthèse (Besancenot 2002) qui comprend 60
références. Cette revue, bien que française, permet
d'identifier seulement deux travaux originaux français (publiés
en 1978 sur la vague de chaleur 1976 et en 1992 sur la vague de chaleur de
juillet 1983 à Marseille) et une thèse de médecine.
Ceci exprime donc de façon objective que
l'épidémiologie française, qui est active et
concurrentielle dans la plupart des domaines, ne l'était pas dans
celui-ci
pour un ensemble de raisons qui pourraient être
analysées. En tout cas, il s'agit sans doute d'un
phénomène important car pour que la veille sanitaire sur un
risque émergent soit efficace il faut évidemment qu'elle s'appuie
sur la recherche scientifique et donc sur des chercheurs compétitifs
censés être les mieux à même d'accomplir une veille
technologique et scientifique. (...)
Un autre indicateur de l'absence d'investissement scientifique français
sur cette thématique est fourni par l'examen des 190 demandes
déposées à l'action thématique concernée
« environnement et santé » organisée par
l'INSERM en 2002 et à laquelle participent des personnalités du
CNRS, INRA, CNES, Ifremer, Pasteur, InVS, AFSSE : aucune des demandes ne
s'intéressait à la chaleur et à ses conséquences
sanitaires.
Source : Docteur Françoise Lalande, Professeur Sylvie Legrain,
Professeur Alain-Jacques Valleron, Docteur Dominique Meyniel, Mission
d'information et d'évaluation du système de santé pendant
la canicule 2003, septembre 2003
Les études montrant une relation directe entre la chaleur et la
surmortalité existaient donc, même si leur contenu n'avait
semble-t-il pas attiré l'attention des responsables de la santé
publique. Si les travaux français n'étaient guère
nombreux, des travaux récents avaient toutefois été
menés par le docteur Espinoza, responsable des urgences de
l'hôpital de l'Hôtel-Dieu, à l'occasion des journées
mondiales de la jeunesse tenues à Paris en 1997, comme l'a
rappelé le Docteur Patrick Pelloux devant la mission, et par le
Professeur Jean-Pierre Besancenot, directeur de recherche au CNRS, en septembre
2002
47
(
*
)
.
La mission
d'information ne peut donc que s'étonner que les
précédents climatiques et ces travaux n'aient pas davantage
été pris en compte.
Elle remarque par ailleurs que ces données n'étaient pas
totalement inconnues des autorités compétentes. Ainsi, M. William
Dab, alors membre du cabinet de M. Jean-François Mattei et
aujourd'hui directeur général de la santé, se
réfère aux études épidémiologiques dans son
mail adressé à la DGS daté du 6 août :
«
L'épidémiologie
nous permet d'anticiper un
excès de mortalité lié à la canicule. Il serait
utile que la DGS prépare un communiqué rappelant quelques
précautions élémentaires notamment chez les plus jeunes et
les plus vieux. Il existe de nombreuses études sur l'impact sanitaire
des vagues de chaleur. L'InVS pourrait les signaler (je crois que les CDC les
ont synthétisées) et cela pourrait faire l'objet d'un message
DGS-URGENT
».
Indiquant devant la mission qu'il s'agissait à sa connaissance de la
première alerte officielle, M. William Dab a expliqué qu'il
s'était adressé à la DGS sur la base de connaissances
théoriques et qu'il n'avait ce jour-là «
aucun
signal émanant d'où que ce soit (médecins, hôpitaux,
préfectures, DDASS, DRASS, urgentistes, etc) qui
[lui]
aurait
permis de penser que quelque chose d'anormal était en train de se
passer. Il en est de même jusqu'au vendredi 8 août, quand la DGS
sort son communiqué de presse qui fait suite à cette saisine du 6
août.
Nous étions encore persuadés, les uns et les
autres, d'être en attitude proactive et de gérer un risque
potentiel
».
La mission -elle y reviendra- regrette que ce mail, basé sur des
connaissances théoriques, n'ait pas débouché sur des
mesures plus significatives ni suscité une réactivité plus
grande.
En revanche, elle observe que le Professeur Carli, directeur du Samu de Paris,
dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 août, a consulté sur
Internet les précédents médicaux, en particulier celui de
Chicago en 1995, pour comprendre ce que recouvrait ce phénomène
d'hyperthermie, identifier les personnes à risques et préparer
les protocoles de prise en charge adaptés.
b) Un phénomène considéré comme « exotique »
Le
caractère « exotique » des vagues de chaleur dans un
pays tempéré comme la France explique, en partie, l'absence de
prise en compte des expériences antérieures et de la
littérature existante par les autorités compétentes.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et
des personnes handicapées, a insisté sur ce point devant la
mission d'information et relevé que, «
en 2003, en
préparant le projet de loi de santé publique (...), la direction
générale de la santé a sollicité 140 experts
français, européens et internationaux pour retenir
100 objectifs de santé publique. Aucun n'a mentionné les
problèmes climatiques. Les spécialistes d'Atlanta nous l'ont
dit : aucun pays, aucune région, aucune ville confrontée
pour la première fois à cette crise ne sait apporter les
réponses nécessaires
».
Le climat tempéré de la France, s'il peut expliquer le faible
intérêt des scientifiques pour cette question de la relation entre
chaleur et mortalité, n'est donc pas seul en cause. La première
vague de chaleur semble toujours prendre au dépourvu les
autorités, ainsi que l'a également noté le Professeur
Jean-Louis San-Marco : «
On s'étonne toujours que
l'expérience des uns ne puisse pas être donnée aux autres.
L'été 1995 à Chicago est toujours cité en
exemple, la vague de chaleur ayant été particulièrement
dangereuse, avec plus de 700 morts en quatre jours. En 1999, la
surmortalité attendue à Chicago a été
réduite de moitié grâce à une très bonne
organisation. Mais il faut savoir que Chicago a pris la vague de chaleur de
1995 comme si elle était la première vague de chaleur aux
Etats-Unis. Or, Saint-Louis, dans le Missouri, à la frontière de
l'Illinois, à 450 kilomètres de Chicago, avait connu
en 1980 une vague de chaleur qui a été fatale à
plusieurs centaines de personnes. Mais cela ne concernait pas les personnes de
Chicago, mais les personnes de l'Illinois ! Lorsque nous avons
présenté dans un certain nombre de sociétés
savantes notre vague de chaleur de 1983, elles ont été
intéressées par nos actions, mais les ont trouvées
plutôt exotiques. Nous avions le sentiment que notre expérience ne
pouvait pas être exportable
».
* 47 Jean-Pierre Besancenot, « Vagues de chaleur et mortalité dans les grandes agglomérations urbaines », Environnement, risques et santé, 2002.