3. Deux exemples opposés : les Pays-Bas et la Suède
a) L'exemple des Pays-Bas
Compte tenu d'une situation très particulière concernant aussi bien les trafics que la production, la réponse néerlandaise à la question des drogues ne peut que susciter des interrogations, et notamment chez ses voisins.
(1) Les fondements d'une politique singulière
Les
orientations du système néerlandais en matière de drogues
ont été définies en 1972 par la commission Baan et
précisées par deux rapports gouvernementaux (Engelsman en 1985 et
Continuité et changement en 1993-1995).
La commission Baan
retient pour la première fois le principe de
la « tolérance » à l'égard des drogues
douces et plus largement l'existence de substances et de modes d'usage à
risque « acceptable ». Il préconise une moindre
pénalisation de l'usage afin de ne pas sanctionner excessivement des
consommateurs dont l'usage resterait « acceptable ». Cet
élément caractéristique de la politique
néerlandaise des drogues sera officialisé en 1976 avec la
révision de la loi sur l'opium de 1916 ; l'objectif est
d'éviter l'exclusion sociale des usagers de drogues, à
l'époque essentiellement des jeunes usagers de cannabis.
Pour sa part,
le rapport Engelsman
pose les bases de la politique dite
« de limitation des risques », souvent décrite comme
« le modèle hollandais ». Par rapport à la
période précédente, le contexte a changé, notamment
avec le développement de l'usage problématique
d'héroïne. La politique des drogues doit se transformer et ne plus
être seulement une « politique de la jeunesse » mais
de plus en plus une politique de santé publique. Si l'objectif est
toujours d'éviter la marginalisation des usagers, la politique de
limitation des risques qui en découle vise à la fois les risques
sanitaires (objectif de limitation des effets secondaires liés à
l'usage de drogues et non plus d'abstinence) et les risques judiciaires. On
notera que les non-usagers ont été
délibérément tenus à l'écart de ce
débat, du fait de leurs « préjugés »
et de leurs « réclamations illégitimes ».
Enfin,
le rapport Continuité et changement
et plusieurs notes
gouvernementales définissent « la politique des
nuisances », cette notion visant les délits, la
présence de seringues, le bruit, la gène occasionnée par
les toxicomanes, etc. Cette politique souhaite ainsi prendre en compte les
plaintes des non-usagers de drogues, c'est-à-dire les voisins ou les
habitants des quartiers confrontés à des rassemblements de
toxicomanes ou à l'implantation d'un centre de soins. Ce rapport fait un
inventaire détaillé des techniques et des mesures existantes ou
préconisées et aborde le problème de la drogue en termes
thérapeutiques, judiciaires, administratifs, sanitaires et
sécuritaires.
Les Pays-Bas ont donc choisi de fonder leur politique sur le principe de
réduction des nuisances, c'est-à-dire l'atténuation des
risques et des dangers liés à l'usage de drogues, plutôt
que sur l'interdiction de toutes les drogues :
- le but central de la politique néerlandaise est la
prévention ou l'atténuation des risques sociaux et individuels
découlant de l'usage de drogue ;
- il doit exister un rapport rationnel entre ces risques et les
politiques ;
- des politiques différenciées doivent prendre en compte
les risques associés aux drogues légalement utilisées
à des fins récréatives et médicales ;
- les mesures de répression contre le trafic de drogue (à
l'exception du cannabis) constituent une priorité ;
- l'inadaptation de la répression pénale est reconnue en ce
qui concerne les aspects autres que le problème du trafic de drogue.
Si l'approche néerlandaise en matière de lutte contre la drogue
répond donc à la norme répressive internationale pour
l'offre des stupéfiants, elle s'en distingue s'agissant de la
consommation : elle considère que l'usage de la drogue n'est le
plus souvent qu'une « passade » de jeunesse et insiste sur
la prise en charge sanitaire et sociale des consommateurs en recherchant leur
intégration dans la société.
(2) Une législation tolérante critiquée par les pays européens
La
loi sur les drogues de 1976 (Opiumwet),
portant réforme de la loi
sur l'opium de 1916, repose sur deux distinctions :
celle entre les
drogues dures
(héroïne, cocaïne et ecstasy depuis un
décret ministériel de 1988) qui entraînent un risque
« inacceptable »
et les drogues douce
s (marijuana,
haschich) ;
celle entre commerce et détention
pour la
consommation personnelle, le toxicomane n'étant pas
considéré comme un délinquant mais comme un sujet de
santé publique et de politique sociale.
Si la répression est sévère pour le commerce et le trafic
de drogues dures, la démarche pour le simple usage est surtout
axée sur la réduction des risques avec un double objectif :
prévenir la consommation au moyen de campagnes d'information et traiter
les problèmes nés de la consommation grâce à des
mesures sanitaires.
LES DROGUES DURES
Délit |
Quantité |
Peine encourue |
Possession |
< 0,5 g ou < 1 unité de consommation |
Avis de la police (« Police Dismissal ») |
0,5-5 g ou 1-10 unités de consommation |
1 semaine - 2 mois |
|
Possession
et indication de vente (« Dealer Indication »)
|
< 15 g ou < 30 unités de consommation |
Jusqu'à 6 mois |
15-300 g ou 30-600 unités de consommation |
6-18 mois |
|
> 300 g ou > 600 unités de consommation |
18 mois - 4 ans |
|
Commerce dans la rue ou à domicile |
< 1 g |
Jusqu'à 6 mois |
1-3 g |
6-18 mois |
|
> 3 g |
18 mois - 4 ans |
|
Commerce de niveau intermédiaire |
< 1 kg |
1-2 ans |
> 1 kg |
+ 2 ans |
|
Commerce de gros |
> 5 kg |
6-8 ans |
Importation et exportation |
< 1 kg |
jusqu'à 3 ans |
> 1 kg |
3-12 ans |
Des programmes d'échanges de seringues ont ainsi été élaborés dans les années 1980, afin de prévenir le VIH et les hépatites B et C. Aujourd'hui, 130 programmes sont mis en oeuvre dans une soixantaine de villes néerlandaises. La politique sanitaire en faveur des toxicomanes, dont le coût est de plus de 450 millions d'euros par an, a débouché sur des programmes méthadone de grande ampleur (14.000 bénéficiaires par an pour un nombre total de toxicomanes consommateurs d'héroïne évalué à 28.000).
LES « DROGUES DOUCES »
Délit |
Quantité |
Peine encourue |
Possession, préparation, transformation, vente, livraison, approvisionnement, transport et fabrication |
Jusqu'à 5 g |
Avis de la police (« Police Dismissal ») |
5-30 g |
Amende de 50-150 florins |
|
30 g - 1 kg |
Amende de 5-10 florins par g |
|
1-5 kg |
Amende de 5.000-10.000 florins et 2 semaines par kg |
|
5-25 kg |
Amende max. de 25.000 florins et 3-6 mois |
|
25-100 kg |
Amende max. de 25.000 florins et 6-12 mois |
|
> 100 kg |
Amende max. de 25.000 florins et 1-2 ans |
|
Culture |
Jusqu'à 5 plants |
Avis de la police |
5-10 plants |
50 florins par plant (récidiviste : 75 florins par plant) |
|
10-100 plants |
25 florins par plant et/ou ½ journée par plant |
|
100-1.000 plants |
Amende max. de 25.000 florins et 2-6 mois |
|
> 1.000 plants |
Amende max. de 25.000 florins et 6 mois-2 ans |
|
Importation et exportation |
La Loi ne fait pas de distinction entre les quantités, mais en pratique l'accusation recommande une peine correspondant aux divisions de quantité pour possession |
Les peines pour possession sont parfois doublées à un maximum de 4 ans et une amende de 100.000 florins |
Si la
possession de petites quantités de cannabis pour usage personnel a
été dépénalisée aux Pays-Bas, la vente de
cannabis reste une infraction au sens de la loi sur l'opium. Les poursuites,
selon les directives du Parquet, ne seront intentées que dans certaines
situations : ainsi, l'exploitant ou le propriétaire d'un coffee
shop, qui n'a pas le droit de servir d'alcool, ne sera pas
inquiété s'il observe les règles suivantes :
- ne pas vendre plus de cinq grammes de cannabis à la fois à
un même acheteur ;
- ne pas vendre de drogues dures ;
- ne pas faire de publicité pour les drogues ;
- ne pas occasionner de nuisances aux alentours du coffee shop ;
- ne pas vendre de drogue aux mineurs (moins de 18 ans) et ne pas accepter
de mineurs dans l'établissement.
On rappellera que le
nombre de consommateurs réguliers de drogues
dites douces est estimé aux Pays-Bas à 700 000
.
Afin de répondre aux critiques développées au cours des
dix dernières années par les Etats voisins ainsi que par la
France, sur cette tolérance à l'égard des
stupéfiants, les Pays-Bas ont adopté des mesures visant à
limiter
« les conséquences possibles de la politique
néerlandaise, dans le domaine de la coopération avec les
autorités étrangères ou encore dans celui des
répercussions transfrontalières de cette politique, en
matière de recherche et de poursuites des infractions »
(directive des procureurs généraux de septembre 1996).
(3) L'amorce d'une législation plus répressive
Dans le
droit fil de cette directive, la législation a été en
conséquence durcie, notamment à l'égard des vendeurs :
• pour les drogues douces
- afin de lutter contre le développement des lieux de vente
illégaux, un amendement à la loi sur les municipalités du
11 mars 1997 permet désormais aux maires de fermer tout logement ou
local où des agissements perturbent l'ordre public ;
- la loi dite Damoclès, amendant la loi sur les
municipalités, adoptée en avril 1999 et modifiant la loi sur
l'opium, permet aux maires de procéder plus facilement à des
fermetures administratives de coffee shops, notamment en cas de vente de
drogues dures ou d'installation près d'une école ou dans un
quartier résidentiel. En raison de l'application rigoureuse de cette loi
et de diverses mesures administratives et judiciaires, le nombre de coffee
shops a diminué de manière importante, passant de 1.200 en 1995
à 846 en 1999 ;
- pour renforcer la lutte contre la culture intensive du cannabis, une loi
de 1997 amendant la loi sur l'Opium a fait passer de deux à quatre ans
la peine d'emprisonnement encourue. Le texte interdit la culture sous serre et
tolère la seule culture individuelle à l'extérieur. Cette
loi, qui traduit tout le paradoxe de la politique néerlandaise, est
toutefois rarement appliquée : les coffee shops sont
autorisés sans avoir la possibilité de s'approvisionner
légalement ;
• pour les drogues dures
- la loi dite Kohnstamm (1998) facilite la fermeture administrative des
lieux de vente clandestins (drugsfanden) ;
- la lutte contre le tourisme de la drogue s'est intensifiée depuis la
fin des années 90, dans le cadre notamment d'une meilleure
coopération franco-néerlandaise ;
- un plan de lutte contre l'ecstasy a également été
élaboré en 1997 sous la pression des Etats-Unis, avec la
création de l'
Unit synthetische drugs
(USD) que la commission a
pu visiter lors de son déplacement aux Pays-Bas les 24 et 25 avril
dernier. Ce plan a été intensifié en 2001.
La politique pénale a également évolué de
manière plus restrictive
: la directive aux parquets,
entrée en vigueur le 1
er
octobre 1996, répond
à un besoin d'uniformisation de la politique en matière d'action
pénale mais vise surtout à prendre en compte les
conséquences de la politique de tolérance néerlandaise sur
les pays voisins, comme l'a souligné le rapport d'information de
M. Nicolas About fait au nom de la Délégation du
Sénat pour l'Union européenne
110(
*
)
.
La directive prévoyait, comme cela a été
évoqué, une réduction de 30 à 5 grammes de la
quantité de drogues douces considérée comme
destinée à un usage personnel, et fixait à 50 grammes
la quantité maximale qui peut être stockée dans un coffee
shop. La publicité pour le cannabis est interdite et la lutte contre les
cultures illégales est intensifiée. La directive de 1996
demandait en outre une plus grande fermeté de la part des procureurs, ce
qui a été en général le cas.
Par ailleurs,
les condamnations prononcées contre les trafiquants
sont désormais de plus en plus lourdes
. Ainsi, à Amsterdam,
en janvier 1997, s'est déroulé le procès d'un important
trafiquant : pour la première fois, le ministère public a
estimé que les peines prévues par la loi pour ce type de trafic
n'étaient pas suffisamment dissuasives.
Enfin, un plan de lutte contre les passeurs de drogues en provenance des
Caraïbes et d'Amérique du Sud devrait être prochainement mis
en place, sous la pression de l'opinion publique néerlandaise. D'ores et
déjà, les capacités de mise en garde à vue à
l'aéroport de Schiphol ont été très nettement
augmentées.
(4) Les observations de la commission d'enquête
Malgré ces quelques évolutions positives, la
commission a pu mesurer, lors de son déplacement aux Pays-Bas,
les
résultats discutables de la politique de tolérance
néerlandaise.
Si la consommation de drogues ne semble pas plus importante aux Pays-Bas que
dans l'ensemble des pays développés, il n'en est pas de
même de la production et du trafic de stupéfiants. La politique
censée maintenir dans des limites strictement définies la
production et la consommation de drogues est ainsi peu efficace :
augmentation du nombre de coffee shops qui ne respectent pas la
réglementation, développement de l'importation et de
l'exportation de drogues dures et d'un
narco-tourisme européen
favorisé par le faible coût des stupéfiants aux Pays-Bas.
Les Pays-Bas sont également le
premier producteur d'ecstasy
dans
le monde, devant la Belgique. Selon Europol, les rejets de produits chimiques
en 2000 correspondent à une production de
70 millions de cachets
d'ecstasy
, et les chiffres fournis par l'
Unit synthetische drugs
(USD) à la commission quant au nombre de saisies et de
découvertes de laboratoires clandestins confirment ce sombre constat.
Les Pays-Bas sont aussi producteurs de cannabis (le Nederwiet) dont les
caractéristiques l'assimilent à une véritable drogue dure.
En effet, son taux de principe actif THC dépasse parfois 20 %,
soit très au-delà des 2,5 % fixés par la commission
européenne pour la culture du chanvre industriel et des 4 à
8 % de THC contenu dans le cannabis marocain.
Les Pays-Bas restent par ailleurs
le premier pays européen de transit
pour les drogues dures
(héroïne, crack, cocaïne), les
cartels sud-américains étant désormais bien
implantés dans les grandes villes néerlandaises, comme d'ailleurs
les filières turques et marocaines.
En conséquence,
une véritable économie de la drogue
s'est développée progressivement aux Pays-Bas
(près de
30 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel) qui s'appuie sur le
plan logistique sur deux des plus grands centres portuaires et
aéroportuaires du monde : le port de Rotterdam et l'aéroport
de Schipol.
Si la politique néerlandaise semble enfin évoluer sur cette
question, les résistances sont nombreuses, y compris de la part de la
population.
Au total, contrairement à beaucoup d'idées reçues et
largement diffusées par les tenants d'une dépénalisation
des drogues douces, la commission ne peut que constater qu'une politique de
tolérance induit une augmentation automatique des trafics et ne les
freine nullement.
b) L'exemple suédois
Une
délégation de la commission d'enquête s'est rendue en
Suède les 20 et 21 mars dernier et a été très
favorablement impressionnée par la politique menée en
matière de lutte contre les drogues.
On rappellera que la pratique très libérale menée dans ce
pays, et notamment la vente libre du cannabis, au début des
années 60, s'est traduite par une forte poussée de la
délinquance et a conduit les autorités suédoises à
revenir à une législation restrictive en 1968 ; il en est
résulté une réduction drastique de l'usage du cannabis.
Les difficultés économiques des années 90 ont conduit la
Suède à réduire les moyens consacrés à la
prévention et à la prise en charge des toxicomanes, ce qui a
provoqué une nouvelle augmentation de la consommation, par ailleurs
alimentée par l'ouverture à l'Europe, ainsi qu'une nouvelle
poussée de la délinquance. Dans le droit fil de l'objectif d'une
société sans drogue, arrêté à
l'unanimité par le Parlement en 1984, une commission a proposé de
renforcer le dispositif de lutte contre les drogues, qui a d'ailleurs
été largement repris dans le plan national de lutte contre la
toxicomanie actuellement en vigueur.
(1) Le constat : une consommation relativement faible
En
2001
111(
*
)
, 10 %
des garçons et 9 % des filles de 15 ans ont reconnu avoir
déjà essayé au moins une fois une drogue, contre 14 %
en 1970, 8 % en 1982 et 3-4 % au début des années 1990.
18 % des conscrits avait expérimenté au moins une fois une
drogue (pour 60% d'entre eux du cannabis exclusivement). La grande
majorité des jeunes Suédois a une représentation
négative des drogues, et seuls 12 % des 15-75 ans ont
expérimenté une drogue. Ainsi, la Suède compte 26.000
toxicomanes (définis comme faisant usage d'intraveineuses ou ayant une
consommation quotidienne de drogues, ce qui inclue les usagers réguliers
de cannabis) alors qu'en France, on estime entre 150.000 et 180.000 le nombre
d'usagers d'opiacés ou de cocaïne à problèmes, et
à plus de 300.000 le nombre de consommateurs réguliers de
cannabis.
La consommation de drogues illicites en Suède est donc faible
comparativement à celle d'autres pays européens, même si on
constate une augmentation du nombre de consommateurs occasionnels et
réguliers. Après le cannabis, le groupe des amphétamines
(et non l'héroïne) est la deuxième catégorie de
drogues la plus populaire en Suède et le principal groupe à poser
problème.
(2) La particularité de l'approche suédoise: l'objectif d'une société sans drogues
Après une politique libérale consistant
à
réduire les risques (de 1965 à 1967, 120 toxicomanes très
dépendants ont pu obtenir des ordonnances de morphine et
d'amphétamines), la création en 1965 du comité sur le
traitement des toxicomanes a été à l'origine de la loi sur
les stupéfiants de 1968, fondement législatif de la politique
actuelle en matière de drogue.
Cette politique restrictive est liée au mouvement de tempérance
concernant l'alcool. Au début des années 1980, la police s'est
concentrée sur le deal de rue plutôt que le gros trafic, les
toxicomanes étant considérés comme le moteur de la
machine. Depuis 1984, sur décision unanime du Parlement, l'objectif de
la Suède est de parvenir à une société sans
drogues. En 1998, le gouvernement a créé une commission sur les
drogues ayant pour mission d'évaluer le dispositif suédois de
lutte contre les drogues et de proposer des mesures d'amélioration, sans
dévier de l'objectif général d'une société
sans drogue. Dans son rapport rendu en 2000, la commission a proposé des
mesures de renforcement du dispositif actuel, en grande partie reprises dans le
plan national de lutte contre la toxicomanie pour 2002-2004.
Une des principales nouveautés de ce plan est la création d'un
poste de coordinateur national antidrogue, actuellement assuré par M.
Björn Fries. 325 millions de couronnes suédoises ont
été dégagés pour financer les diverses actions
prévues. Les principaux domaines d'actions retenus sont : un
programme spécifique pour les établissements
pénitentiaires, la prévention, la recherche, des programmes
spécifiques à Stockholm, Göteborg, Malmö, le traitement
et la réhabilitation.
(3) Une répression déterminée de l'usage comme du trafic
La
drogue est considérée comme une menace non seulement pour la
santé individuelle, mais aussi la sécurité et le
bien-être de tous.
Toute consommation est donc perçue comme
abusive et il n'y a pas de distinction entre drogue douce et drogue dure, entre
consommation récréative et lourde
, même si les
mentalités changent quelque peu. Depuis 1988, l'abus de drogue constitue
un délit et depuis juillet 1993, la police peut procéder, aussi
bien dans un lieu privé que public, à l'arrestation de personnes
soupçonnées d'être sous l'influence d'un stupéfiant
et exiger d'elles un test d'urine ou une prise de sang. Beaucoup d'officiers de
police sont formés pour reconnaître les signes et les
symptômes des drogues.
Pour les infractions dites mineures (usage ou possession à des fins
personnelles de très petites quantités : jusqu'à
6 g pour les amphétamines, 50 g pour le cannabis, 0,5 g
pour la cocaïne et 0,39 g pour l'héroïne), les sanctions
peuvent être des amendes ou des peines d'emprisonnement (jusqu'à 6
mois), les amendes étant basées sur le revenu du contrevenant. A
ce jour, personne n'a été condamné à des peines de
prison pour avoir été sous l'influence de drogues. Le procureur a
le devoir de poursuivre, peu d'exceptions étant prévues.
La loi sur la contrebande de 2000 régit les importations et les
exportations illégales de drogue.
(4) Drogue et prison
En 2000, plus de 5.000 toxicomanes ont été mis en détention, où ils peuvent avoir accès à des programmes de désintoxication. Pendant leur séjour, les détenus n'ont pas droit à des seringues et à des traitements de substitution. Depuis 1998, les personnes ayant un problème de toxicomanie et ayant commis un délit lié à la drogue peuvent avoir accès à un traitement en signant une convention de traitement. Le contrevenant peut alors purger sa peine hors de prison, en établissement, avec ou non une période de probation. Ce système doit être renforcé avec le nouveau plan stratégique 2002-2004.
(5) Une approche globale des soins
La prise
en charge des toxicomanes a été organisée depuis les
années 1970 selon le
modèle de chaîne de soins
. Le
premier maillon est un travail de proximité, réalisé par
les travailleurs sociaux des services sociaux municipaux, qui doivent
repérer les populations à risques et essayer de les convaincre de
demander de l'aide pour régler leurs problèmes de drogues. Ce
travail est cependant moins prioritaire, la police constituant souvent le
premier interlocuteur de l'usager de drogue. Elle est tenue d'informer les
services sociaux municipaux pour tous les types de consommation de drogues.
Lorsqu'il s'agit d'un
mineur
, la police doit obligatoirement et
immédiatement informer la commission municipale d'aide sociale. Cette
dernière peut prescrire un traitement obligatoire jusqu'à
l'âge de 20 ans, en vertu de la loi sur les services sociaux et la loi
sur la jeunesse, dite « LVU ». De même,
conformément à la loi sur la prise en charge des alcooliques, des
toxicomanes et des usagers de solvants volatils, dite
« LVM », tant la police que la commission municipale d'aide
sociale peuvent émettre une
ordonnance de soins immédiats
dans le cas d'un usager de drogues âgé de plus de 18 ans,
dès lors qu'il met gravement en péril sa propre santé
physique ou mentale, court un risque manifeste de ruiner son avenir, ou est
susceptible d'infliger des torts sérieux à lui-même ou
à un de ses proches.
Le traitement est financé par les services sociaux, qui sont
également responsables de la réinsertion sociale et
professionnelle (logement, emploi...).
En 1999, 20.000 personnes alcooliques,
toxicomanes et consommateurs
abusifs de produits pharmaceutiques étaient prises en charge par les
services sociaux. La majorité (80 %) de ces personnes a
bénéficié d'un traitement ambulatoire, 16% étant en
institution, dont 257 en traitement forcé.
Il existe une importante
diversité de modes de traitements
proposés aux personnes toxicomanes. Les structures sont
traditionnellement éloignées du centre ville ou à la
campagne. Les unités de désintoxication se trouvent pour la
plupart dans des hôpitaux ou des cliniques, comme le centre «Maria
pour la jeunesse » visité par la commission d'enquête. Les
traitements résidentiels ont une capacité de 6.000 lits et
s'adressent indifféremment aux usagers de drogues et aux alcooliques.
Les programmes ambulatoires sont pour la plupart dirigés ou
financés par les services sociaux communaux qui fonctionnent comme des
acheteurs de traitements et passent des contrats avec les institutions.
La conception de société sans drogue et l'abstinence comme
instrument principal de traitement conduisent à des traitements
principalement psychiatriques et psychologiques
. L'introspection
élargie au cercle familial est dominante. Des dispositifs sociaux
généraux ou spécifiques aux toxicomanes permettent la
reprise des études et l'accès au logement. Le plan 2002-2004 vise
à inciter les municipalités à investir dans ce domaine,
les années 1990 ayant été marquées par un
désinvestissement financier et politique des municipalités du
fait de la récession économique.
(6) Une réticence à l'égard de la politique de réduction des risques et de substitution
Le traitement médical est de plus en plus sollicité. Ainsi, l'utilisation du Subutex fait l'objet de projets pilotes et semble être de plus en plus accepté. Pour autant, le programme méthadone est restreint à 800 personnes pour toute la Suède, ne s'applique que dans cinq grandes villes et prévoit des conditions d'éligibilité strictes (être âgé de 20 ans ou plus, avoir choisi librement ce traitement, avoir usé d'opiacés depuis au moins quatre ans, être retombé dans la drogue en dépit de traitement répétés et ne pas être un polyconsommateur). L'abstinence doit être totale et les patients sont régulièrement soumis à des tests d'urine. Les listes d'attente peuvent être de deux ans, voire plus. Ce dispositif a fait l'objet d'une évaluation positive en 1997, mais l'abstinence demeure le but. Ceci explique sans doute le stade expérimental du programme d'accès à des seringues propres, qui ne concerne que les villes de Lund et Malmö. En mars 2003, le coordonnateur national des drogues s'est prononcé en faveur de la pérennité de ce projet. Les réticences restent importantes quant à ce programme qui se rapproche d'une politique de réduction des risques, orientation officiellement rejetée en Suède.
(7) La priorité accordée à la prévention
Le
plus gros travail de prévention s'effectue dans les écoles
,
qui doivent fournir une connaissance suffisante sur les dangers de la drogue,
l'alcool et le tabac (et ce très tôt et à tous les niveaux
du programme scolaire).
Ce travail est effectué par les professeurs,
par la police ou encore par des anciens toxicomanes et des représentants
d'associations
. Compte tenu de son ampleur, son contenu fait partie du
système de valeurs de chacun et peut être décrit comme un
programme d'influence d'opinion. Les autorités locales produisent aussi
des brochures à l'attention des parents et des jeunes. A Stockholm,
chaque district dispose d'une personne responsable de la prévention en
matière de drogue, d'alcool et de tabac. Ces personnes sont
coordonnées par l'intermédiaire d'une récente agence de la
ville, Precens, chargée de travailler sur l'ingénierie de la
prévention.
Au niveau national,
l'agence nationale de santé publique
,
responsable de la prévention pour l'alcool et les drogues, conduit
différentes campagnes de prévention dans les médias, et ce
depuis 1968. Toute une génération a donc grandi avec ces messages
fondés sur la théorie de la « drogue
d'introduction », entre autres, selon laquelle les carrières
dans le domaine de la drogue commencent par le cannabis, et qui justifie la
politique restrictive voire répressive de la Suède. D'ailleurs
les mesures de prévention portent une attention particulière sur
le cannabis classé parmi les drogues dangereuses.
Le gouvernement et la plus grande majorité de la population restent
très attachés à ce modèle. Il n'existe pour ainsi
dire aucun débat au sein de la société suédoise sur
l'opportunité de revoir la loi.
Si la commission d'enquête ne peut qu'envier les résultats de
la politique suédoise en matière de lutte contre la toxicomanie,
l'importance des facteurs propres à la Suède (influence
luthérienne, niveau de vie...) rend difficile sa transposition en
France.