2. La nécessaire adaptation de la prise en charge sanitaire des détenus et des mineurs délinquants
a) Les carences du dispositif de prise en charge
(1) Une population à risque
• Une forte proportion de toxicomanes
Les données les plus récentes concernant la drogue en prison
résultent de l'enquête sur « la santé à
l'entrée en prison » menée au printemps 1997 dans
l'ensemble des maisons d'arrêt et des quartiers maisons d'arrêt des
centres pénitentiaires
118(
*
)
. Une nouvelle enquête,
prévue en 2003, doit permettre de les actualiser.
Selon l'étude de 1997, près du tiers des entrants (32 %)
déclare une consommation prolongée et régulière de
drogues au cours des douze mois précédant leur
incarcération : 25,6 % consommant du cannabis, 14,4 % des
opiacés (héroïne, morphine ou opium), 8,9 % de la
cocaïne et du crack, 9,1 % des médicaments à des fins
toxicomaniaques, 3,4 % des drogues chimiques (ecstasy, LSD, colle,
solvants...), 14,6 % enfin étant polytoxicomanes (deux substances
consommées hors alcool associé). En outre, 40 % des entrants
n'ont eu aucun contact avec le système de soins pendant de
l'année précédant leur incarcération.
La visite médicale obligatoire à l'entrée, qui consiste en
une radio pulmonaire et un test facultatif de détection du VIH (la
prévalence pour le VIH - 1,6 % de la population - est
trois à quatre fois supérieure chez les détenus à
celle qui est constatée en milieu libre pour une population comparable)
et des hépatites B et C, constitue une plaque tournante qui permet
d'orienter le détenu à condition qu'il revendique sa toxicomanie.
Dans ce cas, son état peut être révélé
à l'occasion de consultations psychologiques ou psychiatriques, qui sont
en libre accès, ou par un codétenu, étant rappelé
que nombre de détenus souffrant de troubles mentaux sont aussi
toxicomanes. En règle générale, les consommateurs de
cannabis ne sollicitent pas une prise en charge et ne se déclarent pas
toxicomanes.
Le docteur Véronique Vasseur, ancien médecin-chef de la prison de
la Santé, a déclaré devant la commission :
« On voit de moins en moins de toxicomanes en état de
manque. J'en ai vu au début, surtout avec le crack, mais on en voit
désormais très peu. Comme ils arrivent en général
après 48 heures de dépôt, le gros est
déjà passé. »
Un repérage systématique de toutes les situations d'abus et de
dépendance à l'entrée en détention, par la mise en
place d'un outil d'appréciation de la dépendance et de l'abus
(« Minigrade ») est en cours de mise en place afin de
permettre une meilleure évaluation de la situation des nouveaux
arrivants et leur offrir une prise en charge adaptée.
• La protection judiciaire de la jeunesse également
confrontée au problème de la toxicomanie
L'étude menée en 1997 sur la santé des entrants en prison
et plus spécifiquement sur le problème de la toxicomanie chez les
détenus montre que, dans les quartiers pour mineurs, plus du quart des
entrants (27 %) déclarent une utilisation habituelle de drogues
pendant les douze mois précédant leur interpellation,
dont 24 % consommant du cannabis et 4,8 % des opiacés.
Cette population présentant à bien des égards les
mêmes caractéristiques que celle accueillie dans les structures de
la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), celles-ci sont également
confrontées de manière importante au problème de la
toxicomanie chez les mineurs dont elles ont la charge.
Les dernières données disponibles concernant les
différentes formes de toxicomanie des mineurs confiés à la
PJJ, issues de l'étude INSERM de 1998 réalisée par
l'unité 472 de Mme Marie Choquet, confirment l'importance du
phénomène. Cette étude témoigne d'un état de
santé préoccupant et en particulier d'une importante consommation
de substances psychoactives : 40 % des garçons et 32 %
des filles accueillis dans les structures de la PJJ déclareraient avoir
consommé plus de dix fois dans leur vie une drogue illicite (contre
respectivement 10 et 5 % en population normale aux mêmes âges).
Les mineurs de la PJJ, peu enclins aux pratiques d'injection, sont massivement
concernés par l'usage de cannabis et les polyconsommations. Leur
toxicomanie, sauf exception, ne concerne pas spécifiquement la
consommation de produits illicites (les consommation d'alcool et de tabac sont
plus importantes que chez les adolescents du même âge) et
s'inscrivent souvent dans un ensemble de difficultés mêlant actes
déviants, auto ou hétéro agressions et plus
généralement troubles du comportement.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland, directeur de la PJJ, a
apporté les précisions suivantes :
« Le
cannabis est évidemment le principal produit utilisé par les
jeunes qui nous sont confiés : 31 % des garçons et
21 % des filles peuvent être qualifiés de consommateurs
réguliers. On entend par « consommateurs
réguliers » ceux qui ont pris plus de quarante fois du
cannabis au cours de leur vie. (...) Il va de soi que, si on avait
raisonné à un niveau plus bas, c'est-à-dire des
consommations irrégulières, le taux aurait été
beaucoup plus important. Les produits à inhaler prennent la
deuxième place après le cannabis : 15 % des jeunes qui
nous sont confiés en ont utilisé à
un moment ou un
autre. On note toutefois que, contrairement au cannabis, ces produits sont plus
souvent et plus facilement abandonnés par les jeunes. En
troisième position de ce triste palmarès, on trouve l'ecstasy.
12 % des garçons et 7 % des filles déclarent en avoir
consommé au moins une fois. Il y a, en revanche, peu de consommateurs
réguliers de ce produit. Les autres produits occupent une place
relativement moins importante, même si leur consommation ne peut pas
être qualifiée de totalement négligeable. En ce qui
concerne l'héroïne, la cocaïne, les amphétamines et les
usages toxicomaniaques de médicaments, le chiffre s'établit entre
3 et 8 % selon le sexe et le produit que l'on
considère. »
(2) Un dispositif de prise en charge en milieu carcéral inadapté
• Un dispositif mêlant structures
intégrées et partenariats extérieurs
Le système de prise en charge des toxicomanes en milieu carcéral
a été mis en place après la réforme
instituée par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 (faisant
suite à une circulaire interministérielle du 14 janvier 1993),
qui pose le principe du rattachement de l'ancienne médecine
pénitentiaire au ministère de la santé.
La prise en charge des toxicomanes repose désormais pour l'essentiel sur
l'équipe de secteur psychiatrique intervenant dans
l'établissement pénitentiaire, en liaison étroite avec
l'équipe de soins somatiques et les CSST. Ces centres de soins en milieu
pénitentiaire (ex antennes toxicomanie depuis le décret du 29
juin 1992) sont au nombre de seize et sont concernés au même titre
que les autres par les nouvelles orientations de la MILDT pour la prise en
charge de l'ensemble des dépendances, conformément à la
note interministérielle du 9 août 2001 relative à la prise
en charge sanitaire et sociale des personnes détenues présentant
une dépendance aux produits licites ou illicites ou ayant une
dépendance abusive. Parallèlement, un certain nombre de CSST
extérieurs aux établissements pénitentiaires ont
signé une convention de prestation dans le cadre du programme des
conventions départementales d'objectifs, afin d'organiser sur le plan
sanitaire la prise en charge des usagers incarcérés, la
préparation de leur sortie et leur suivi après libération.
Les établissements pénitentiaires prennent en charge les soins
somatiques et psychiatriques des détenus via une unité
hospitalière implantée en milieu pénitentiaire et
rattachée à l'hôpital de proximité (UCSA). Ces
unités s'occupent plus particulièrement de la prévention,
de l'organisation et des soins ainsi que de leur continuité à la
sortie de la détention. En outre, depuis la loi n° 94-43 du 18
janvier 1994 relative à la santé publique et à la
protection sociale, les soins en milieu carcéral sont assurés par
des équipes hospitalières relevant du dispositif de droit commun.
Depuis l'arrêté du 14 mars 1986, il existe également
les services médicaux-psychologiques régionaux hospitaliers
(SMPR), qui couvrent l'ensemble de la population carcérale et qui
gèrent pour seize d'entre eux un CSST en milieu pénitentiaire.
Leur rôle est notamment de coordonner l'ensemble des services de
psychiatrie intervenant dans l'établissement.
On rappellera en outre que les derniers textes d'application pris par les
autorités de tutelle sanitaires, hospitalières et
pénitentiaires conjointement avec la MILDT prévoient une nouvelle
organisation des services intervenant en détention, qu'ils soient
sanitaires, socio-éducatifs ou de surveillance. La lettre
interministérielle de 2001 établit ainsi les orientations
relatives à l'amélioration de la prise en charge sanitaire et
sociale des personnes détenues présentant une dépendance
aux produits licites (alcool notamment) ou illicites ou ayant une consommation
abusive. Elle vise notamment à une plus grande coordination des services
appelés à intervenir, tant au sein de la prison qu'au dehors, et
à une meilleure organisation des modalités d'intervention locale
autour d'un projet clairement établi et d'un responsable
nommément désigné.
Les objectifs suivis par cette réorganisation sont les suivants :
repérer systématiquement toutes les situations d'abus ou de
dépendances, proposer une prise en charge adaptée aux besoins de
la personne détenue, développer la prévention (notamment
celle des risques associés à la consommation de produits),
favoriser les aménagements de peines et préparer la sortie. Pour
assurer l'accompagnement de cette mesure et le succès du projet, les
administrations concernées ont pris les dispositions nécessaires
pour qu'une démarche d'évaluation soit engagée.
Le système de prise en charge des détenus toxicomanes
apparaît donc complexe, d'autant plus que la coordination entre ces
différents services n'est pas toujours satisfaisante. Certaines
initiatives innovantes permettant de développer des partenariats et
d'informer les différents acteurs sur le fonctionnement du
système ont toutefois vu le jour, à l'instar du site internet
créé en 1999 par l'Association pour la promotion de la
médecine en milieu pénitentiaire (APMMP), accessible aux
intervenants en milieu fermé et aux détenus.
• Administration pénitentiaire et personnel
médical : des relations peu satisfaisantes
Ainsi que la commission a pu le constater lors de son déplacement
à la maison d'arrêt de la Santé, les rapports entre la
direction des établissements et le personnel médical,
indépendant depuis la réforme de 1994, sont parfois difficiles.
Cette situation semble d'abord résulter d'une certaine
méconnaissance par l'administration de la situation des détenus
en matière de toxicomanie. Au moment de l'incarcération, le juge
d'instruction transmet à l'administration pénitentiaire une
notice précisant l'infraction commise et l'état du détenu
qui ne mentionne pas la toxicomanie éventuelle de l'entrant,
l'administration, et notamment le chef de détention, n'ayant pas
vocation à être l'interlocuteur en matière de toxicomanie.
En outre, la démarche thérapeutique ne s'accompagne d'aucun
signalement nominatif à la direction, du fait du respect du secret
médical, qui s'applique en prison comme à l'extérieur,
même si certains signalements sont parfois effectués sous couvert
d'anonymat.
Le secret médical complique en outre l'action de la direction des
établissements contre le trafic de stupéfiants, de produits de
substitution et de médicaments, ainsi que M. Didier Lallement l'a
indiqué devant la commission :
« Il s'avère
que, dans bien des cas, l'administration pénitentiaire ne connaît
pas les prescriptions médicales. Dans certains cas, un petit nombre de
choses se savent, mais on nous oppose systématiquement l'argument du
secret médical, ce qui ne nous permet pas de savoir qui est sous
traitement. Cela pose d'ailleurs tout le problème du trafic des
médicaments en détention. (...) J'aspire donc à une
meilleure coordination avec les services de santé. Je comprends
parfaitement que le secret médical soit un chose essentielle. Pour
autant, je pense que des politiques efficaces de prévention et de
traitement passeront par une meilleure coordination. »
De son côté, le personnel médical considère que la
formation des personnels de l'administration pénitentiaire est
insuffisante au regard de la toxicomanie en prison. A la suite de la
réflexion engagée en 1999 par la MILDT et par différents
ministères pour rédiger un cahier des charges
interministériel sur la formation des personnels, un module de formation
d'une journée sur les usages et les politiques publiques devait
être mis en place à destination des personnels
pénitentiaires afin de développer un socle de connaissances
communes sur les produits et les usages ; celui-ci a été
inscrit dans le cursus de formation continue des agents avant 2002. S'agissant
de la formation initiale des personnels, dispensée à l'Ecole
nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), 80 % des
surveillants stagiaires de la Santé ont suivi une formation initiale
spécifique à la détection de ces produits.
Cette incompréhension entre les personnels pénitentiaires et le
monde médical nuit à l'efficacité de la lutte contre la
drogue en prison, chacun ayant tendance à rejeter sur l'autre la
responsabilité de la situation, comme l'a constaté le docteur
Véronique Vasseur à propos de l'analyse des décès
probablement dus à la drogue en prison, lors de son audition :
« Même si on a connaissance de ces doses parce qu'on le
sent, on ne peut trouver quelque chose que par des autopsies, et lorsque je
m'en suis ouverte à mes confrères, lors d'un congrès de
médecine pénitentiaire, ils m'ont répondu que je
débarquais et que ce n'était pas l'affaire des médecins
mais celle de la pénitentiaire. Je ne suis pas d'accord, étant
donné que beaucoup de détenus sont toxicomanes, mais qu'ils sont
aussi en prison pour des vols liés à la toxicomanie. »
• La nécessaire adaptation des moyens de la PJJ
Malgré l'interdit pesant sur le trafic et la consommation de drogues, la
drogue est une réalité dans les établissements relevant de
la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que l'a reconnu son directeur,
M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland devant la commission :
« Pour ne considérer que les lieux où le
contrôle est le plus strict, c'est-à-dire les foyers
d'hébergement, les directives sont clairement que les substances
illicites ne doivent ni circuler, ni être consommées. Cependant,
on se heurte, sur ce sujet, à des difficultés pratiques. En
effet, si on veut contrôler ces éléments, il en
découle un certain nombre de procédures de contrôle des
locaux, mais aussi de
fouilles et d'examens. (...) A ce sujet, je vous
rappelle que la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et
médico-sociale a placé l'ensemble des structures de la protection
judiciaire de la jeunesse dans son champ d'application. Cela signifie que les
mineurs qui sont hébergés dans ces centres et ces services
bénéficient des droits et libertés reconnus à
l'ensemble des usagers du secteur social et médico-social,
c'est-à-dire que les liens avec les familles, le droit à
l'intimité, le droit au respect et un certain nombre d'autres
éléments s'appliquent dans les foyers de la protection judiciaire
de la jeunesse, sauf -ce sont les décrets que nous sommes en train de
travailler en ce moment avec le ministère de la santé- les
prérogatives reconnues à l'autorité judiciaire de
restreindre ces droits. Je veux dire par là que, si nous voulons avoir
un contrôle effectif, nous nous heurtons à une difficulté
juridique. La loi est respectée par moment de manière large ou de
manière un peu plus stricte, mais toujours avec les
problématiques juridiques qui lui sont liées. La question de la
fouille d'un gamin dans un foyer de la PJJ, au regard de la législation
que je viens d'évoquer, constitue aujourd'hui une
difficulté. »
La commission ne peut que souhaiter la publication la plus rapide possible de
ces décrets afin d'assouplir les contraintes auxquelles la PJJ est
aujourd'hui confrontée dans le domaine de la lutte contre les
stupéfiants. Plus largement, ce sont les méthodes de cette
administration qu'il faut adapter à l'évolution croissante de ce
phénomène.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland a indiqué
à la commission les axes de travail suivis par la PJJ dans le domaine de
la lutte contre la toxicomanie :
« Notre base de travail est
évidemment de considérer que la prise de toxiques, quels qu'ils
soient, est d'abord une violation de la loi et une transgression de la
législation et à partir de là, il nous appartient de
conduire, avec les mineurs ou les jeunes qui nous sont confiés, un
travail éducatif sur les raisons de cette interdiction, sur la
façon dont on peut aborder avec eux l'arrêt de cet engagement
qu'ils ont pris et sur la façon dont on peut travailler aussi sur les
problématiques de santé. (...) La deuxième
possibilité, c'est de prendre en charge cette dimension de la
toxicomanie dans ce qui est finalement le deuxième grand volet de la loi
de 1970, c'est-à-dire son volet sanitaire, qui consiste à
considérer les toxicomanes comme des gens qui relèvent d'un
traitement médical et donc à les inscrire dans les politiques de
santé et les prises en charge sanitaires que nous conduisons. De ce
point de vue, l'enquête épidémiologique (...) de 1998 nous
a conduit à « mettre le turbo » sur les politiques
sanitaires qui étaient les nôtres et à accroître
notre participation à une politique de santé publique
construite. »
Cette réflexion a été menée dans trois
directions :
- la première consiste à intégrer la dimension
sanitaire dans la prise en charge éducative, c'est-à-dire
l'état de santé dans la façon dont le mineur est pris en
charge. La culture des éducateurs de la PJJ n'est cependant pas
tournée naturellement vers cet aspect des problèmes des
adolescents accueillis. L'attitude des professionnels témoigne notamment
de leurs difficultés à resituer la toxicomanie dans une approche
éducative globale dans un contexte souvent complexe et violent, et
à s'approprier cette priorité sans l'externaliser ni la
banaliser. Des besoins de formation du personnel sur ces questions sont ainsi
apparus de façon croissante : la PJJ a renforcé la
présence de personnels infirmiers dans ses directions
départementales pour assurer un partenariat avec le système
sanitaire et servir de référence pour les équipes
éducatives confrontées à ce type de problème. La
dimension sanitaire a également été prise en compte dans
les modules de formation des éducateurs.
La commission notera également que la culture de certains de ces
éducateurs souvent issus de la génération de 1968 peut
favoriser parfois un certain laxisme à l'égard des
« drogues douces ». Concernant l'image du cannabis
auprès des jeunes de la PJJ, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland a ainsi
indiqué à la commission :
« Sur le terrain du
cannabis, la relative ambiguïté qui pèse sur l'interdiction
frappant ce produit ne rend pas extrêmement aisé un travail
éducatif construit et solidement ancré » ;
- le deuxième axe de cette politique de santé consiste
à engager au sein de la PJJ une réflexion visant à
intégrer la question de la santé mentale et des comportements
addictifs dans le champ de la prise en charge éducative ;
- le troisième axe découle de la nécessité
d'inscrire l'action de la PJJ dans les grands programmes publics de
santé conduits par le ministère. La protection judiciaire de la
jeunesse participe ainsi désormais activement aux programmes
régionaux d'accès à la prévention et aux soins.
Parallèlement à l'intégration de l'aspect sanitaire dans
la prise en charge éducative des mineurs qui lui sont confiés, la
collaboration de la PJJ avec la MILDT évolue depuis quelques
années :
- au niveau national, la direction participe aux instances du
comité interministériel, du comité de pilotage des
convention départementales d'objectifs justice-santé (CDO) et
à la commission de validation des outils de prévention ;
- au niveau local, les services déconcentrés
départementaux sont associés avec les différents
partenaires institutionnels concernés, sous l'égide du chef de
projet « drogues et dépendances »
désigné par le préfet, au comité de pilotage des
actions de prévention, notamment au niveau du dispositif des CDO. Ce
dernier constitue un outil impliquant localement les services sanitaires et
judiciaires afin de construire des réponses coordonnées et
adaptées. Les services de la PJJ sont encore insuffisamment investis
dans le dispositif CDO, qui a été généralisé
en 1999. Il convient toutefois de citer des initiatives locales
intéressantes, à l'instar du dispositif Oc-Drogues à
Toulouse : l'association travaille dans le champ de la réparation
pénale, en lien avec la PJJ, pour les mineurs qui ont été
interpellés pour infraction à la législation sur les
stupéfiants.
Les perspectives en ce domaine peuvent être ainsi
résumées :
- développer l'intégration de la PJJ dans les CDO, notamment
dans la prise en compte des consommations de cannabis et les
polyconsommations ;
- développer les activités de prévention dans le
cadre du travail éducatif ;
- renforcer la place de la question des drogues dans le corpus de
formation initiale et continue des éducateurs. Les avancées
doivent notamment être poursuivies par la constitution d'une
équipe de formateurs sur la toxicomanie à l'échelon
régional de l'institution ;
- renforcer les partenariats au niveau local entre les
établissements de la PJJ avec les CSST et plus largement les
associations qui travaillent à la prise en charge des toxicomanes.
L'aide éducative seule est en effet insuffisante pour les mineurs
usagers de drogues : le personnel de la PJJ doit pouvoir travailler avec
un psychologue, un médecin et une assistante sociale dans le cadre d'une
prise en charge collective ;
- approfondir les connaissances en explorant notamment la question du lien
entre les comportements délictueux et la modification de l'état
de conscience induit par la consommation de stupéfiants chez les
mineurs.
La prise en compte du problème de la toxicomanie doit donc faire partie
intégrante de la réforme des méthodes d'une institution
que chacun s'accorde à reconnaître en crise, ainsi que l'a
montré le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur
la délinquance des mineurs
119(
*
)
, et dont est convenu M. Dominique
Perben, garde des Sceaux, devant la commission :
«Je suis (...)
très conscient des problèmes de cette administration, qui a
besoin d'être confortée, davantage guidée et
évaluée. »
b) La drogue en prison : une réalité
(1) Les produits de substitution et les médicaments : un moyen de gestion de la détention ?
• Les produits de substitution en prison
Les traitements de substitution sont encore inégalement
développés en prison.
Selon l'étude menée en 1997 sur la santé des
détenus, 11,8 % d'entre eux déclarent s'être
drogués par voie intraveineuse au moins une fois et 6,8 % au cours
des douze mois précédant l'incarcération. Or, une
minorité d'usagers de drogues par voie intraveineuse continue à
consommer en détention. Ce constat fait craindre que des contaminations
virales (VIH et VHC) liées à l'usage de drogue par voie
intraveineuse et à la réutilisation du matériel
d'injection ne surviennent pendant la détention, ce qui justifie la mise
en oeuvre d'une politique de réduction des risques.
Le dispositif de réduction des risques en milieu carcéral repose
principalement sur des actions d'information et de prévention
destinées à l'ensemble des détenus : diffusion d'une
brochure d'information et de prévention à chaque entrant,
facilitation de l'accès aux préservatifs dans les services
médicaux et distribution régulière d'eau de Javel. Il a
été récemment renforcé par des actions
d'éducation à la santé et de prévention. Depuis
septembre 2002, des réunions régionales sont ainsi
organisées avec le ministère de la santé, les personnels
pénitentiaires et les personnels soignants pour mettre en oeuvre ces
actions en les adaptant à chaque établissement.
En cas de problème d'addiction, le détenu bénéficie
de consultations spécialisées et son éventuel traitement
de substitution doit en principe être poursuivi après
vérification, même si toutes les maisons d'arrêt ne sont pas
en mesure de respecter cette obligation.
D'après une enquête de 1999 de la direction des hôpitaux et
de l'organisation de soins et de la direction de la santé, le recours
aux traitements de substitution en milieu carcéral demeure peu
répandu (un héroïnomane sur sept contre un sur trois
à l'extérieur) et traduit des résistances manifestes de
certaines équipes médicales. En 2001, sur 47.000 détenus
recensés, 2.548 faisaient l'objet d'un traitement de substitution. Les
interruptions dans les traitements de substitution restent importantes :
19 % en 1999 contre 21 % en 1998 (il semble toutefois que ce point
soit aujourd'hui en voie d'amélioration). La situation est plus
favorable pour les toxicomanes bénéficiant de traitement à
la méthadone à l'entrée (0,6 % des entrants contre
6,3 % sous Subutex) dont les interruptions ne s'élèvent
qu'à 10 %.
Dix établissements prescrivent à eux seuls 50 % des
traitements de substitution, dans le cadre le plus souvent de la poursuite d'un
traitement antérieur et 21 % des établissements
n'accueillent aucun détenu sous ces traitements. La buprémorphine
est plus largement utilisée que la méthadone et concerne
84 % des traitements. Les prévenus sous substitution
représentent environ 3,3 % de la population carcérale (dont
2,8 % sous Subutex). Le pourcentage maximum de détenus
bénéficiant d'un traitement de substitution est de 16,5 %.
On rappellera que le plan triennal 1999-2001 indiquait :
« Tous les détenus doivent avoir accès aux
mêmes traitements qu'en milieu libre. Il conviendra de veiller à
la continuité du traitement en cas de transfert et à la
libération. La proportion d'usagers sous substitution en prison devrait
ainsi progressivement rejoindre celle qui prévaut en milieu
libre. »
Cet objectif est loin d'être atteint et la
commission considère pour sa part que l'incarcération peut offrir
les conditions d'un sevrage du fait de la coupure qu'elle entraîne avec
l'extérieur. Il apparaît en outre que le trafic de Subutex est
proportionnellement plus important en prison qu'à l'extérieur
L'existence d'un trafic de Subutex important dans les prisons
françaises
a été souligné par le docteur
Véronique Vasseur lors de son audition :
«Le Subutex est
prescrit par les médecins généralistes et n'obéit
pas aux mêmes règles que les centres de méthadone : il
n'y a pas de notion de places. Il peut donc être prescrit par n'importe
quel médecin et, très souvent, les détenus arrivent en
disant qu'ils sont sous Subutex et qu'ils ont laissé leur ordonnance
chez eux. A la prison de la Santé, on a donc effectué un tri pour
ne pas inonder la prison de Subutex, parce qu'il y a un énorme trafic et
que c'est une monnaie d'échange, puisqu'un cachet de Subutex vaut un
paquet de Marlboro. (...) Pour ce qui est de la méthadone, on ne fait
que poursuivre la méthadone prescrite à l'extérieur. Elle
n'est jamais instituée à l'intérieur. Quant au Subutex, la
pratique est complètement différente. Il faut savoir que l'on
peut faire des overdoses avec la méthadone, qui est un produit assez
dangereux, alors que si le Subutex n'est pas mélangé avec des
tranquillisants ou des psychotropes, on arrive à une dose plafond et
cela ne grimpe pas puisque c'est une substance qui bloque les
récepteurs. Normalement, il n'y a pas de danger. Je précise
d'ailleurs que le Subutex ne procure aucun plaisir et que ceux qui en
prennent
et qui ne sont pas toxicomanes sont extrêmement malades.
Ce n'est pas du tout plaisant. Les détenus appellent cela une drogue
morte. Ce n'est que parce qu'il est disponible en prison et donné
gratuitement qu'ils sont tentés d'en prendre. (...) Lorsqu'un toxicomane
est pris en charge dans une unité et un centre méthadone, on ne
lui donne pas sa méthadone sans rien faire d'autre ; il y a une
prise en charge psychologique très importante. Quand
ils
arrivent, la méthadone est prise devant l'infirmière et cela ne
pose jamais de problème. Cela n'a jamais entraîné aucun
trafic, d'autant plus que cela se passe sous forme de sirop. Pour le Subutex,
c'est différent. Nous avions essayé de donner le Subutex à
la becquée, à l'infirmerie, ce qui voulait dire qu'à un
moment de la journée, tous les preneurs de Subutex arrivaient à
l'infirmerie. Comme c'était devenu l'enfer, nous avons été
obligés d'arrêter parce que cela se faisait avec des bandes de
scotch dans la main...Tous les moyens étaient bons. C'est très
compliqué, d'autant plus qu'il y a des ruptures de traitement :
lorsque les détenus sont accompagnés en centre de
rétention, ils n'en ont pas. Comme il y a trop de trafic, le
médecin-chef de la préfecture de police a refusé d'en
donner. Le Subutex n'est pas la panacée, de toute
façon. »
Il a en outre été indiqué à la commission, lors de
son déplacement à la prison de la Santé, que les
traitements de substitution conduisent certains détenus à
s'injecter du Subutex préalablement pilé. Par ailleurs, des cas
d'initiation aux produits de substitution sans antécédent de
toxicomanie, qui peuvent résulter d'un partage de ces produits entre
codétenus dans les mois qui suivent l'incarcération, ont
été rapportés, ainsi que des cas de polyconsommations
associées à la substitution, notamment avec le cannabis, ainsi
que l'a indiqué à la commission le docteur Véronique
Vasseur :
« même les détenus qui sont
traités par méthadone en prennent et on peut dire qu'il y une
grande association entre la méthadone et le cannabis, le Subutex et le
cannabis, mais beaucoup moins entre l'héroïne et la
cocaïne. »
• Des médicaments détournés de leur usage en
prison
Si les médicaments psychotropes n'entrent pas dans le champ
d'investigation de la commission d'enquête, l'utilisation
détournée qui en est trop souvent faite en prison justifie
quelques développements.
La commission a été sensibilisée à ce
problème lors de l'audition du docteur Francis Curtet, psychiatre :
« Vous m'avez demandé s'il me paraissait judicieux ou
astucieux de donner de la drogue en prison. C'est une chose qui me
révolte profondément. (...) La première chose que j'avais
faite avait consisté à interdire le Mandrax (un médicament
qui n'existe plus), de même que tous les produits que l'on pouvait
dévier à des fins toxicomanogènes. Il n'était pas
question de ne pas leur donner de médicaments, à condition qu'il
s'agisse de médicaments contre la douleur, l'angoisse ou l'insomnie avec
lesquels on ne se défonce pas. C'est ainsi qu'en l'espace de quinze
jours ou trois semaines, les gars ont été décrochés
physiquement. (...) Par conséquent, une fois passé le manque
physique, je ne leur donnais pas de produit, sauf s'ils étaient vraiment
très déprimés, parce qu'il n'était pas question de
laisser un homme se suicider. »
Pour sa part, le docteur Francis Curtet a indiqué à la
commission :
« Il y avait parfois une pression importante des
autorités pénitentiaires qui me demandaient, en tant que
médecin, de les abrutir pour éviter qu'ils mettent tout sens
dessus dessous, ce que je refusais de faire en disant que, pour moi, un
détenu qui bouge pourra se réinsérer, ce qui risque de ne
pas être le cas d'un détenu qui est content sur place et qui ne
bouge plus, comme ceux qui, lorsqu'on donne une permission et alors qu'ils
doivent rentrer à 18 heures, frappent déjà à la
porte à 16 heures, tellement ils ont mal dehors. (...) Je suis
très hostile à ces distributions de drogues légales en
prison. »
A l'occasion de son déplacement à la prison de la Santé,
la commission n'a pas été en mesure d'obtenir des informations
sur ce phénomène de la part de l'équipe
médicale ; l'ancien médecin-chef de la Santé, le
docteur Véronique Vasseur, a toutefois déclaré lors de son
audition :
« On peut (...) dire que le shit et les
psychotropes, qui sont prescrits larga manu par les psychiatres (quand je suis
partie, en 2000, sur 700 traitements par semaine, plus de 300 étaient
des psychotropes) sont des régulateurs de la détention pour
éviter les émeutes. On rencontre en prison beaucoup de patients
complètement shootés et hagards du fait des psychotropes, du shit
ou des deux à la fois. »
Lors de ce déplacement, la direction de la maison d'arrêt a
reconnu l'existence, par détournement de prescriptions médicales,
d'un trafic de produits licites, dont le stockage a pu être
détecté par le personnel de surveillance lors de l'inspection des
cellules. Si la délivrance quotidienne des psychotropes,
conformément à la loi santé-justice, permet de
réduire ces pratiques sans porter atteinte au secret médical,
elle apparaît donc encore insuffisante pour enrayer ce
phénomène.
(2) Un trafic difficile à réprimer
• La réalité d'un trafic
Le problème de la drogue en prison est apparu à la fin des
années 1970. L'existence indéniable d'un trafic de
stupéfiants en prison a été affirmée par le docteur
Véronique Vasseur lors de son audition :
« Le cannabis
rentre très facilement en prison et ce n'est un secret pour personne
puisqu'on peut sentir son odeur en se promenant dans les coursives et que les
patients avouent en fumer très régulièrement, de la
même façon que le tabac. On m'en a déjà
proposé et c'est une chose extrêmement banale. On en saisit
à l'occasion de rares fouilles et des trafics orchestrés par des
détenus ou des surveillants ont été dénoncés
et punis, même si cela entre aussi par les familles. Les gros trafics
sont organisés avec des complicités, bien
évidemment. (...) Alors que tout est fait pour les soigner, je
trouve absolument hallucinant qu'on laisse le shit entrer et qu'ils continuent
à en fumer. (...) En revanche, pendant huit ans et demi, je n'ai jamais
entendu parler de saisies de cocaïne, de crack ou d'héroïne.
Il est arrivé simplement deux fois que l'on retrouve des petites
seringues à insuline.»
Dans la réalité, la drogue entre en prison selon trois
modalités :
- les parloirs permettent d'abord de faire entrer de la drogue en prison,
notamment depuis la disparition du dispositif de séparation entre le
détenu et sa famille. En 2002, les parquets ont organisé 55
opérations de contrôle, dont la réussite dépend d'un
minimum d'effet de surprise et du fait que les fonctionnaires de police et de
gendarmerie qui y procèdent sont accompagnés de chiens
renifleurs. En revanche, les contrôles de routine sont souvent
infructueux et les familles ne sont astreintes qu'au passage sous portique et
ne peuvent être fouillées au corps.
Les personnels assurent en outre une surveillance quotidienne à travers
le contrôle des effets remis aux détenus et effectuent une fouille
corporelle systématique de tout détenu sortant du parloir, en
application de l'article D. 275 du code de procédure pénale,
rendue plus difficile avec les pratiques de dissimulation buccale ou
capillaire. En cas de découverte de produits illicites, la direction
alerte le parquet qui peut saisir la brigade des stupéfiants, les
familles en cause pouvant être mises en garde à vue.
Lors de son déplacement à la prison de la Santé, il a
été indiqué à la commission que les détenus
exerçaient fréquemment des pressions sur leur famille, notamment
les mères et les soeurs, qui sont de plus en plus souvent acquises
à la banalisation de l'usage du cannabis. D'une manière
générale, il apparaît que tout est matière à
trafic, à troc et à transaction entre les détenus et leurs
familles, qui se connaissent et sont l'objet de pressions à
l'extérieur ;
- la drogue est également introduite par projection au-dessus des
murs, comme c'est le cas pour les téléphones portables. A cet
égard, M. Didier Lallement, directeur de l'administration
pénitentiaire, a indiqué à la commission :
« Nous sommes confrontés à un quasi problème
de société : la
prison ne fait plus peur. (...) On
s'approche donc aujourd'hui de la prison pour y jeter des substances avec des
modes opératoires très efficaces (...) : cela consiste tout
simplement à mettre les objets que l'on veut introduire dans une balle
de tennis et, à l'aide d'une raquette, sans être forcément
un très bon joueur, à projeter la balle au-dessus du mur
d'enceinte. (...) Les objets projetés de cette façon sont
ensuite récupérés par un dispositif très
rodé : lorsqu'ils tombent au milieu d'une cour de promenade,
même si nous faisons une série de fouilles au même moment,
les détenus concernés ramassent l'objet et le projettent en
direction des cellules. »
Dans les maisons d'arrêt, les
murs ont été systématiquement rehaussés mais cette
opération n'a pas sensiblement réduit le phénomène.
Si la maison d'arrêt de la Santé est épargnée, en
raison de sa configuration, par le phénomène des projections de
l'extérieur, la drogue est, comme partout, introduite dans les cellules
par le système dit des « yo-yo » ;
- la drogue entre enfin en prison lors des réintégrations. A
l'occasion d'une extraction médicale ou judiciaire, le détenu est
en effet conduit à rencontrer des tiers à l'administration
pénitentiaire et fait donc l'objet d'une fouille systématique.
• Les réponses de l'administration pénitentiaire
Les personnels pénitentiaires sont confrontés à des
difficultés pratiques pour détecter la consommation ou la revente
de drogue, qui s'effectue souvent lors des promenades. En effet, les
contrôles réguliers des cellules donnent des résultats
décevants au regard du temps passé et du personnel
mobilisé (deux heures sont nécessaires, à deux
surveillants, pour fouiller une cellule de manière efficace, les trois
quarts des fouilles étant ciblées sur signalement). En 2002, 847
infractions à la législation sur les stupéfiants,
concernant 953 détenus, ont été constatées et ont
fait l'objet de poursuites judiciaires. Ces chiffres sont sans doute loin de la
réalité du phénomène même si les fouilles
générales des établissements les plus importants,
décidées par le garde des Sceaux à la suite de la
récente évasion de la maison d'arrêt de Fresnes, se sont
traduites par des résultats décevants.
S'agissant de la maison d'arrêt de la Santé, il a
été indiqué à la commission une augmentation
sensible de la circulation de stupéfiants, qui se traduit notamment par
les procédures disciplinaires engagées après
découverte de cannabis : 66 sanctions disciplinaires ont
été prononcées en 2002, dont 15 pour possession de
téléphones portables, contre 5 en 1997. En revanche, depuis
quatre ans, aucun détenu n'a été convoqué devant la
commission de discipline pour détention de cocaïne, d'ecstasy ou
d'héroïne. Si les saisies ne concernent que le cannabis et que les
fouilles ne révèlent pas la présence de seringues dans les
cellules, cela n'exclut pas que d'autres produits soient dissimulés et
consommés ailleurs.
S'agissant d'une éventuelle complicité des personnels et d'une
supposée instrumentalisation de la consommation de drogues pour
« gérer » la détention, M. Didier
Lallement, directeur de l'administration pénitentiaire, a indiqué
à la commission :
« C'est un discours contre lequel
nous luttons pied à pied. (...) Je suis bien conscient qu'il y a, au
sein de l'administration pénitentiaire, des opinions de cette nature.
Comme je vous l'ai dit tout aussi franchement, nous les combattons avec
énergie. Il ne peut être accepté que
l'illégalité soit au coeur de ce qui doit être
l'application du droit. (...) J'ai la plus grande confiance dans les personnels
pénitentiaires, dont je voudrais ici saluer le rôle essentiel,
mais nous devons aussi être vigilants par rapport à un certain
nombre d'individus qui, bien que faisant partie du personnel
pénitentiaire, n'hésitent pas à se rendre complices de
tels trafics dont nous les sanctionnons disciplinairement et pénalement.
En 2001, ce sont sept agents pénitentiaires qui ont ainsi
été impliqués dans des procédures de cette nature
et qui ont été sanctionnés, la sanction étant, dans
la presque totalité des cas, celle de la révocation. »
Lors de son déplacement à la maison d'arrêt de la
Santé, il a été indiqué de la même
manière à la commission que la participation d'un surveillant
à tout type de trafic entraînerait des sanctions disciplinaires et
une information du parquet, le problème étant d'identifier et
d'apporter la preuve de cette complicité.
La commission souhaiterait par ailleurs que le personnel médical
s'implique de manière plus importante dans cette politique de lutte
contre les trafics. Le docteur Véronique Vasseur, lors de son audition,
a ainsi déclaré :
« je ne l'ai pas non plus vue
(cette volonté) au niveau de mes collègues médecins, qui
disaient que ce n'était pas notre affaire mais celle de la
pénitentiaire. A partir du moment où on met en place des
structures pour aider les toxicomanes, cela me paraît quand même
notre affaire, justement.
(...)
On pourrait imaginer qu'à chaque
fois qu'un détenu « pète les plombs », on
puisse éventuellement faire une analyse d'urine. De toute façon
cela a une odeur particulière. C'est une chose qui est relativement
admise et c'est ce que je trouve extrêmement grave. Le fait qu'il y ait
des trafics est autre chose : les détenus ne sont pas des gens
honnêtes -c'est l'évidence-, ils trafiquent beaucoup de choses et
cela ne peut pas être parfait, mais, en l'occurrence, il s'agit d'une
tolérance, à mon avis, pour avoir la paix. »
La lutte contre le trafic et la consommation de drogues en prison doit donc
être prioritaire. L'urgence s'impose en ce domaine comme l'a
souligné le docteur Véronique Vasseur :
« Dans
les prisons, la violence augmente sans arrêt, qu'il s'agisse des
automutilations, des tentatives de suicide ou des agressions. Je ne dis pas que
c'est le fait du cannabis, mais, alors que c'est une population
extrêmement perturbée, cela ne va pas s'arranger en prison et on
sait que le cannabis peut déclencher des perturbations psychiques. Il
faut donc arrêter le massacre. »
c) Un objectif prioritaire : préparer la sortie de la détention
(1) L'exemple des Pays-Bas
A l'occasion de son déplacement aux Pays-Bas, la commission s'est penchée sur le système néerlandais de prise en charge des toxicomanes délinquants et a visité la prison de Hoogvliet, aux environs de Rotterdam.
LA PRISON POUR TOXICOMANES DE HOOGVLIET
La
prison pour toxicomanes de Hoogvliet est opérationnelle depuis 2001 et
accueille 192 détenus.
La prison est peu sécurisée (pas de barbelés ni de filets
mais des caméras et un mur de 5 m de haut), le profil de la
population carcérale ne le justifiant pas. Elle comporte un gardien pour
cinq détenus. Chaque détenu dispose d'une cellule individuelle,
mais on envisage de créer des cellules doubles en raison du manque de
places. Les syndicats de surveillants sont opposés à cette
formule en raison du fait que 20 % des détenus ont des
problèmes psychiatriques.
La prison de Hoogvliet a été construite pour répondre
particulièrement au problème de la délinquance liée
à l'usage des drogues. La population des quartiers les plus
exposés de Rotterdam s'est mobilisée contre les nuisances
liées à la consommation et à la vente de
stupéfiants : 12 % des toxicomanes sous méthadone
causaient 85 % des nuisances. Afin de lutter contre la petite
délinquance liée à la drogue (vols, agressions, etc.), les
différents acteurs (police, justice, travailleurs sociaux,
médecins) ont mis en place un programme pénal spécifique
pour les toxicomanes, alliant désintoxication et resocialisation. Ce
programme est imposé par le juge aux toxicomanes majeurs qui ont commis
en cinq ans plus de trois actes délictueux liés à la
drogue.
Les détenus accueillis à Hoogvliet se partagent en deux
catégories, qui occupent des parties séparées de la
prison :
- 120 non toxicomanes qui dépendent du « régime
sobre » (courtes peines de 2-3 mois) ;
- 72 toxicomanes qui suivent un programme d'accompagnement pénal
progressif de deux ans. Ces derniers sont le plus souvent des
héroïnomanes, en moyenne âgés de 30 ans, qui
consomment depuis près d'une quinzaine d'années. Chaque
détenu est suivi par deux « mentors » et, à
la différence des autres prisons néerlandaises, les
détenus travaillent en relation directe avec le directeur de la prison.
Le programme d'accueil des détenus toxicomanes peut être ainsi
présenté :
- lors de leur entrée (24 places), de nombreux entrants reçoivent
de la méthadone mais tous sont rapidement sevrés.
Pendant la première phase, les exercices physiques sont
encouragés. Les détenus peuvent également travailler en
atelier (toutes les prisons néerlandaises doivent proposer quatre heures
de travail par jour aux détenus), aller en bibliothèque et
participer à des activités en fin de journée. Les nouveaux
entrants s'engagent à suivre le programme jusqu'à son terme en
apprenant à gérer leur temps libre et leur agressivité, en
participant aux activités et en choisissant un objectif à partir
d'une « feuille de route ». Les rares détenus qui
ont refusé de suivre le programme ne peuvent participer aux
activités, ne sont pas rétribués et restent
confinés dans leur cellule ;
- dans la section motivation, les détenus disposent de plus de
confort ; ils ont plus de possibilités d'activités et
prennent leurs repas ensemble ;
- dans la phase semi-ouverte, les détenus peuvent progressivement se
rendre à l'extérieur et y exercer une activité, à
condition de rendre compte de tous leurs déplacements, de leurs
rencontres et de respecter les horaires fixés chaque semaine selon un
programme individuel. Ils peuvent également travailler au sein de la
prison, notamment à la bibliothèque ou la cuisine.
Ils ont l'obligation de relever d'une association à l'extérieur
de la prison pour engager une resocialisation et préparer leur sortie.
Ils se prennent progressivement en charge et cuisinent par exemple
eux-mêmes leurs repas.
Les cellules sont des chambres individuelles, dépourvues de barreaux aux
fenêtres ; il est possible de circuler librement la nuit dans cette
partie de la prison.
En fin de programme seulement, les détenus peuvent librement avoir un
contact avec les visiteurs.
A leur sortie, la ville de Rotterdam leur offre un logement provisoire et leur
facilite des contacts avec des entreprises. En outre, ils font l'objet d'un
suivi par les services sociaux pendant six mois. En revanche, il existe pas de
système de post-cure aux Pays-Bas où l'on considère qu'un
ancien toxicomane peut à nouveau consommer, s'il le souhaite, même
hors de son milieu d'origine. Le principe est plutôt de les
« armer » au maximum pendant le temps de prise en charge
(sevrage, accompagnement psychologique et social) pour leur permettre de
résister ensuite aux tentations.
En cas de rechute, le programme pénal pour toxicomane peut être
reconduit autant de fois qu'il est nécessaire. De la même
façon, si un détenu rechute (des fouilles et des contrôles
urinaires sont régulièrement organisés) pendant les deux
années du programme, il revient à la phase
précédente ou perd certains privilèges.
S'il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette initiative, les
responsables du programme estiment qu'un taux de réussite de 20 %
serait satisfaisant au regard de la population accueillie.
(2) Une nécessaire préparation des détenus à leur libération
Depuis
1997, la prise en charge des toxicomanes en milieu carcéral est
complétée par les unités pour sortants (UPS), dispositifs
de préparation à la sortie destinés aux personnes
incarcérées libérables présentant un
problème de dépendance. Initiées en 1992 avec le
« quartier intermédiaire sortants » de la maison
d'arrêt de Fresnes, sept autres UPS ont été
créées depuis dans des centres pénitentiaires à
Lille, Lyon, Strasbourg, Marseille, Metz, Nice et à la maison
d'arrêt pour femmes de Fresnes. Les UPS sont des unités
particulières de détention où sont affectés, en
général un mois avant leur sortie, des détenus
présentant des problèmes de dépendance. Ils
bénéficient d'activités de groupe (sports,
théâtre, etc.), de stages d'aide à l'emploi et de conseils
pour engager des démarches administratives (notamment pour obtenir un
logement). Ces unités s'appuient sur une dynamique de groupe, la
direction et l'animation des UPS étant assurées par un CSST en
milieu pénitentiaire.
Si la nécessité d'un dispositif d'aide à la sortie est
indispensable, notamment pour les détenus anciennement toxicomanes les
plus fragiles, certaines dérives ont été observées,
qui ont été notamment dénoncées par le docteur
Francis Curtet lors de son audition :
« Face à cela,
c'est un énarque qui m'a dit un jour : « Quand les gens
vont en prison, ils décrochent physiquement et quand ils sortent, s'ils
ont envie de se droguer, ils risquent d'avoir une overdose dès le
premier soir de leur sortie ; il me paraît donc essentiel, avant
qu'ils sortent, de les remettre à la drogue pour éviter
l'overdose à la sortie ! » (...) C'est ainsi que l'on a
décidé de donner du Subutex systématiquement, dans
certaines prisons, à un mois de la sortie. Certains
médecins-chefs le font, d'autres disent qu'il est hors de question de le
faire. De toute façon, certains détenus disent :
« Vous êtes fou ? Je suis décroché ; je
n'en veux pas ! », mais d'autres sont très contents. Il
est vrai qu'ils ont la paix avec cela. »
La commission tient par ailleurs à souligner l'insuffisance du
dispositif d'accompagnement lors de la libération des
détenus : en effet, le bilan du plan triennal fait apparaître
que les capacités d'accueil de ces structures ont été
réduites de 27 % entre 1999 et 2001 et que l'on reste, avec environ
10.000 détenus concernés par an, très en
deçà des années 1989-1990.
Si ce dispositif mérite d'être développé, il n'a pas
le monopole de la prise en charge des détenus ex-toxicomanes en fin de
détention puisqu'il s'inscrit dans une politique plus vaste d'aide
à la réinsertion exposée par M. Didier
Lallement à la commission :
« La remise en
liberté des personnes toxicomanes doit être
préparée, puisqu'on sait, par définition, que ce sont des
personnes fragiles. Les personnes sortant de prison sont en situation de
fragilité et nous avons une importante politique d'aide à la
sortie de prison qui se traduit par des aides aux plus démunis et aux
indigents pour se payer une nuit d'hôtel et éventuellement leur
billet de retour. Au delà, nous essayons, en relation avec les services
soignants, d'assurer une continuité dans la prise en charge des
détenus, une fois qu'ils ne le sont plus, avec le dispositif
extérieur afin que des liens et des ponts soient établis avec
ceux qui concourent, de près ou de loin (associations,
collectivités locales, etc.) à cette lutte contre la toxicomanie.
C'est difficile. J'observe en effet que la sortie des détenus est
quelquefois, pour les associations locales, un sujet qui paraît
lointain parce que le détenu ne se réinstalle pas à
l'endroit de sa détention : il habite ailleurs. Il y a donc une
visibilité dans la continuité qui est assez difficile à
avoir. Nous nous y employons notamment avec les services pénitentiaires
d'insertion et de probation, puisque vous savez que l'administration
pénitentiaire n'agit pas uniquement dans le milieu fermé et
qu'elle est aussi composée de 2 000 travailleurs sociaux qui travaillent
sur les mesures du milieu ouvert et qui nous permettent, dans la limite de nos
moyens, d'assurer cette liaison ».
La commission estime également nécessaire de renforcer les
dispositifs de réinsertion, notamment en développant les
partenariats avec les structures qui agissent, pour les toxicomanes non
détenus, dans le domaine de la post-cure.