3. Relancer la coopération internationale

Comme il a déjà été souligné dans le présent rapport, les obstacles à une véritable coopération internationale en matière de lutte contre la drogue sont nombreux. Ils résident notamment dans les différences de nature juridique qui existent entre les Etats amenés à coopérer, du point du vue de la législation ainsi que de l'habilitation juridique des services appelés à travailler de concert. En outre, comme il a été dit, la commission tient à souligner que certains Etats ne jouent toujours pas le jeu de la coopération internationale.

Pourtant, la lutte anti-drogue constitue un domaine prioritaire de la coopération internationale.

a) Les domaines privilégiés de la coopération internationale

La commission a constaté au cours de ses travaux que la coopération internationale devait être impérativement relancée dans certains domaines comme échange de renseignements au niveau international et la circulation de l'information.

S'agissant de la répression du blanchiment de fonds issus du trafic de stupéfiants , l'organisation d'une réelle mutualisation internationale du renseignement doit être envisagée, par le biais d'une réactivation des cellules de renseignement financier à vocation multilatérale , regroupant les principaux pays engagés dans la lutte contre le blanchiment au niveau international. En outre, les informations échangées au niveau de ces cellules devraient pouvoir être utilisées à des fins d'enquêtes ou de poursuites pénales.

Une extension de la coopération policière internationale bilatérale en matière de répression du blanchiment est également souhaitable. En effet, à l'échelle internationale, la coopération étroite entre les forces de police est un préalable pour éviter que les frontières ne soient utilisées par les organisations criminelles. Des officiers de liaison ont été mis en place entre les principaux pays développés et veillent à la bonne transmission des informations opérationnelles entre les services. Cette priorité opérationnelle doit être maintenue et développée.

En outre, les relations multilatérales, comme avec Interpol , sont éminemment utiles en matière d'échange d'informations sur les procédures formellement engagées mais les informations d'investigation sont par nature trop sensibles pour donner lieu à des échanges multilatéraux. Une réflexion en ce sens devrait toutefois être menée.

S'agissant de la lutte contre le trafic international de stupéfiants , l'échange de renseignement et l'analyse commune de ce renseignement doit également être au centre des outils de coopération internationale. La technique du ciblage des passeurs de drogues peut, à cet égard, constituer un domaine privilégié de l'échange d'informations et de la coopération bilatérale entre les autorités aéroportuaires notamment.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Bernard Petit, chef de l'Office central pour la répression du trafic des stupéfiants (OCRTIS) a ainsi indiqué que les autorités britanniques et néerlandaises avaient développé, en amont des aéroports, des opérations de ciblage « très rentables ». Il a notamment cité l'exemple du démantèlement d'une filière de passeurs en provenance de Jamaïque.

LES PASSEURS DE JAMAÏQUE DÉCOURAGÉS PAR LA
STRATÉGIE BILATÉRALE ANGLO-JAMAÏCAINE

M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS a exposé cet exemple de coopération bilatérale à la commission d'enquête :

« La Jamaïque compte deux aéroports internationaux : Montego Bay et Kingston. De ces deux aéroports, partaient des dizaines de passeurs à destination d'Heathrow qui étaient en train de saturer le système douanier, policier et judiciaire britannique. Lorsque la filière a été clairement identifiée, les autorités britanniques se sont rapprochées des autorités jamaïquaines qui, pendant une semaine, ont conduit des opérations dans les deux aéroports.

Les résultats sont sans commentaires : une seule action pendant une semaine a permis, sur les deux aéroports jamaïquains, l'interpellation de 59 passeurs arrêtés à la Jamaïque à la place de 59 passeurs, peut-être, arrêtés à Heathrow, poursuivis en Grande-Bretagne et incarcérés dans le cadre du régime pénitentiaire de Grande-Bretagne. Ces 59 passeurs arrêtés ont permis la récupération de 2.500 boulettes de cocaïne, ce qui représentait 53 kilos, et permis la saisie de 929.000 dollars.

Beaucoup plus intéressant : au terme de cette opération, le relais médiatique qui a été fait à l'ambassade de Grande-Bretagne sur place et par la police jamaïquaine a permis de constater que, la semaine même des opérations, cent personnes qui étaient pourtant dûment enregistrées sur les vols à destination d'Heathrow avaient annulé leur vol . Ils ont pris 59 passeurs et 100 passeurs ont sans doute renoncé à venir
».

L'exemple de cette coopération bilatérale réussie devrait inciter la France à développer ce type d'opérations.

En outre, le développement de la coopération transfrontalière doit demeurer une priorité au sein de l'Union européenne. Comme il a déjà été souligné, la France participe à divers dispositifs de coopération transfrontalière, parmi lesquels les centres de coopération policière et douanière (CCPD). Ces instruments doivent être développés et étendus à plusieurs pays, et non pas seulement deux, comme c'est le cas actuellement. L'exemple récent de la création d'une structure de coopération policière transfrontalière entre le Luxembourg, l'Allemagne et la Belgique doit servir d'exemple.

S'agissant de la coopération entre Etats membres de l'Union européenne, la nécessité d'une réactivation du rôle d'Europol s'impose. Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a souligné les lacunes de la coopération judiciaire européenne. Il a notamment déclaré : « Sur le plan multilatéral, nous nous heurtons au fait qu'il n'existe pas une autorité judiciaire européenne ». Il a également regretté le caractère non opérationnel d'Europol et appelé de ses voeux une modification de la liste des « eurocrimes », rappelant que le trafic de stupéfiants n'entrait toujours pas dans cette liste.

La commission d'enquête partage ces préoccupations et souhaite voir se développer l'entraide judiciaire internationale, et plus spécifiquement européenne.

A cet égard, elle ne peut qu'être très favorable aux dispositions du chapitre II du titre premier du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité , présenté en conseil des ministres par le garde des Sceaux le 9 avril 2003. Ce chapitre vise en effet à améliorer les dispositions relatives à l'entraide internationale. A cette fin, il introduit dans le code de procédure pénale les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de la convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne, ainsi que de la décision instituant Eurojust du 28 février 2002. A cet effet, il propose une nouvelle rédaction du titre X du livre quatrième du code de procédure pénale relatif à l'entraide judiciaire internationale, en distinguant désormais deux régimes d'entraide : d'une part celui de l'entraide pénale avec tout Etat, d'autre part celui de l'entraide avec les Etats de l'Union européenne.

Les dispositions générales relatives à l'entraide pénale avec tout Etat visent à clarifier et simplifier les conditions de transmission et d'exécution des commissions rogatoires internationales , tout en préservant les intérêts fondamentaux de la France par la consécration de la « clause de sauvegarde ».

Les dispositions applicables à l'entraide avec les Etats membres de l'UE prévoient une coopération renforcée et plus efficace, notamment par le biais de la constitution d'équipes communes d'enquête et de la possibilité de donner aux agents étrangers détachés en France des pouvoirs de police judiciaire analogues à ceux d'un agent de police judiciaire français.

Enfin, la nature, les missions et les pouvoirs de l'unité Eurojust sont définies conformément à la décision du 28 février 2002 : organe de l'Union européenne, Eurojust est chargé de promouvoir et d'améliorer la coordination et la coopération entre les autorités compétentes des Etats membres dans toutes les enquêtes et poursuites relevant de sa compétence.

La commission d'enquête considère ces dispositions comme pertinentes et souhaite qu'elles puissent être soumises rapidement au Parlement.

b) Des instruments à réactiver : coopération bilatérale et coopération multilatérale

Aujourd'hui, la question se pose de savoir si, en matière de lutte contre les stupéfiants, il importe de développer les outils de coopération bilatérale ou ceux, plus vastes et sans doute moins efficaces, de coopération multilatérale. M. Nicolas Sarkozy a estimé que « la solution à trouver est (...) entre le bilatéral d'aujourd'hui et le multilatéral complet ». Il a ajouté, « en revanche, que les principaux ministres de la justice et de l'intérieur des pays les plus concernés se voient régulièrement pour mettre à l'ordre du jour cela, pour échanger leurs renseignements et agir opérationnellement de concert est tout à fait nécessaire ».

La commission partage cette préoccupation de trouver un moyen terme entre le « tout bilatéral » et le « tout multilatéral », au niveau communautaire notamment.

Enfin, le renforcement de la coopération bilatérale avec les pays producteurs apparaît aujourd'hui prioritaire.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Jacques Franquet, premier vice-président de l'Organe international de contrôle de stupéfiants (OICS), a souligné les ambiguïtés d'une coopération internationale avec les pays producteurs, en s'appuyant sur l'exemple du Maroc : « Je me suis rendu au Maroc pour l'OICS pour dire que son attitude n'était pas sérieuse car il était toujours un pays pourvoyeur de cannabis. Sa réponse est toujours la même au premier degré : de quoi vont vivre nos paysans du rif ? En fait c'est un peu court parce qu'on s'aperçoit (...) que le développement économique ne vient pas du trafic de produits stupéfiants et que celui-ci produit même exactement l'inverse. Pour autant, les Marocains nous disent des choses beaucoup plus troublantes (...) : « ce sont bien vos usagers et vos trafiquants qui viennent chercher le cannabis chez nous ». Certains nous disent : « il n'y a qu'à nous donner des millions et on remplacera la culture du cannabis par de l'économie de substitution ». En effet, il faut parler d'économie de substitution et non pas seulement de culture de substitution ».

Dans le même sens, M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, a déclaré : « Je pense que vis-à-vis du Maroc, il faut être pragmatique et modeste si on veut engranger des résultats. A tout vouloir, on n'a rien. Aujourd'hui, on a besoin d'actions diplomatiques et de plus de coopération opérationnelle . Si on attaque bille en tête sur l'éradication des cultures et les grandes enquêtes internes au Maroc, on risque de se heurter à des difficultés. En revanche, on devrait demander tout de suite aux Marocains de nous aider dans nos enquêtes de façon plus opérationnelle et plus souple, pour que nous en revenions à une coopération policière normale. Ensuite, que les Marocains fassent le ménage ou non chez eux, nous n'en sommes pas là ».

La commission d'enquête estime donc nécessaire de renforcer la coopération bilatérale avec les pays producteurs, du point de vue diplomatique aussi bien qu'opérationnel, coopération qui doit s'intégrer dans un contexte plus large de développement de l'aide internationale aux pays en développement.

A cet égard, M. Nicolas Sarkozy, lors de son audition par la commission d'enquête, s'est déclaré favorable à un approfondissement de la « coopération avec les pays d'origine de ces drogues pour soutenir leur lutte, principalement en participant à la formation de leurs équipes, mais aussi en les aidant à se doter de moyens adaptés sur le plan répressif ».

c) Le renforcement de la coopération internationale douanière

S'agissant plus spécifiquement de la coopération internationale douanière, plusieurs pistes d'amélioration peuvent être proposées.

Dans un premier temps, la commission d'enquête souhaite que la convention entre la France et les Pays-Bas, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre leurs administrations douanières en vue d'appliquer de manière satisfaisante la législation douanière, de prévenir, de rechercher, de constater et de réprimer les infractions douanières dans la région Caraïbe, et notamment sur l'île de Saint-Martin, signée à Philipsburg le 11 janvier 2002, soit rapidement ratifiée.

Elle estime ensuite que les points suivants peuvent constituer des pistes de recherche pour la résolution des obstacles techniques et juridiques à une coopération internationale douanière plus efficace dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants :

- le développement des capacités d'interceptions de communications et/ou de courrier postal sous contrôle judiciaire effectuées par la douane française à partir des renseignements internationaux fournis par ses partenaires ;

- la définition d'une capacité juridique, pour les agents des douanes infiltrés étrangers, pour traverser le pays partenaire, sous garantie judiciaire, en cas de livraisons surveillées internationales pour les produits stupéfiants en collaboration avec les services d'enquête et de recherche douaniers français ;

- l'instauration de la capacité juridique de montage d'opérations de livraisons surveillées internationales avec utilisation de moyens techniques de repérage (balises) pour les produits stupéfiants ;

- le développement de la capacité de mise en oeuvre des poursuites transfrontalières et des observations transfrontalières par des équipes d'intervention mixtes et la pratique courante des livraisons surveillées et des enquêtes discrètes.

A l'avenir, il est vraisemblable que la coopération internationale douanière dans le domaine de la lutte anti-drogue se développera autant sur des logiques de coopération judiciaire que d'assistance mutuelle administrative et qu'elle devra disposer d'une organisation appropriée au montage d'opérations internationales longues et répétées, nécessitant des moyens humains et matériels spécialisés et des garanties juridiques suffisantes.

Les impératifs de l'action opérationnelle et les exigences nationales en matière de résultats conduiront les services douaniers étrangers dotés de pouvoirs judiciaires à étendre leur coopération avec d'autres services de douane, police ou gendarmerie dotés de pouvoirs judiciaires et de moyens d'enquête et d'intervention disponibles.

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