EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est aujourd'hui saisi d'un projet de loi organisant une
consultation de la population de Mayotte. Il s'agit là de la
première étape d'une évolution statutaire très
attendue par la population et les élus mahorais.
En effet, Mayotte, seule île de l'archipel des Comores à avoir
souhaité rester française, est actuellement régie par un
statut de collectivité territoriale sui generis à
caractère provisoire défini par une loi du 24 décembre
1976. Celle-ci prévoyait une consultation de la population de Mayotte en
vue du choix d'un statut définitif, qui a ensuite été
reportée par une loi du 22 décembre 1979 et n'a finalement
jamais été organisée depuis lors.
En vue de mettre fin à ce statu quo, le Gouvernement propose
aujourd'hui, par ce projet de loi, l'organisation d'une consultation de la
population de Mayotte sur la base d'un document d'orientation baptisé
"
accord sur l'avenir de Mayotte
" signé par le
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, le président du conseil
général et les représentants de trois des principales
formations politiques présentes à Mayotte, à savoir le
Mouvement populaire mahorais (MPM), le RPR et le PS, mais non par les deux
parlementaires représentant la collectivité territoriale et par
le Mouvement départementaliste mahorais (MDM).
Ce document prévoit, pour les dix prochaines années, la mise en
place d'un statut de "
collectivité
départementale
" destiné à permettre un
rapprochement progressif avec le droit commun, la départementalisation
unanimement souhaitée par les élus locaux apparaissant impossible
à court terme compte tenu des spécificités de la situation
de Mayotte.
Dans la perspective d'une évolution du statut de Mayotte et de
l'organisation prochaine d'une consultation de sa population, votre commission
des Lois a souhaité y effectuer une mission d'information afin
d'apprécier sur place cette situation.
Une délégation présidée par votre rapporteur et
composée de MM. Luc Dejoie, Michel Duffour, Jean-Jacques Hyest,
Georges Othily et Simon Sutour s'est donc rendue à Mayotte du 10 au 12
janvier 2000 et y a rencontré les parlementaires, le président du
conseil général et les représentants des principales
formations politiques, le préfet et les chefs de service de l'Etat, les
magistrats, ainsi que des représentants des organismes
socioprofessionnels
1(
*
)
.
Avant de présenter le projet de loi, il importe de rappeler les
principales spécificités de la situation de Mayotte, telles qu'a
pu les constater la délégation sur place.
I. LES SPÉCIFICITÉS DE LA SITUATION ACTUELLE DE MAYOTTE
Pour bien comprendre la situation de Mayotte, il n'est pas inutile de rappeler brièvement quelques éléments de géographie et d'histoire.
Situation géographique de Mayotte
Située dans l'océan Indien, au nord du canal du
Mozambique, Mayotte est la plus méridionale des quatre îles
principales formant géographiquement l'archipel des Comores.
Éloignée de 8.000 km de la métropole et de
1.500 km de la Réunion, elle se trouve à 400 km de la
côte Est de l'Afrique, 300 km de Madagascar, 190 km de la
Grande Comore et 70 km d'Anjouan.
D'une superficie de 374 km2 et peuplée de 131.000 habitants
2(
*
)
(soit une densité de
plus de 350 habitants au km2), la collectivité territoriale de Mayotte
est constituée de deux îles principales : Grande Terre (363
km2) et Petite Terre (11 km2), ainsi que d'une trentaine d'îlots
3(
*
)
.
La quasi-totalité de la population mahoraise (plus de 95%) est
musulmane. Elle est très majoritairement non francophone, la langue
maternelle étant le shimaore ou le shiboushi (environ 75 % des
Mahorais ignorent le français).
Quelques repères historiques
Mayotte
est devenue française dès 1841, avant Nice et la Savoie qui n'ont
été rattachées à la France qu'en 1860.
En 1841, le sultan Adrian Souly céda Mayotte à la France par un
traité qui prévoyait notamment que la France laisserait en
l'état les moeurs et coutumes mahoraises.
La France, qui abolit l'esclavage à Mayotte en 1846, n'établit
son protectorat sur les autres îles des Comores qu'environ un
demi-siècle plus tard (de 1886 à 1892).
En 1912, la colonie française de " Mayotte et
dépendances ", qui avait pour chef-lieu Dzaoudzi (sur la Petite
Terre), fut rattachée à celle de Madagascar.
En 1946, l'archipel des Comores devint un territoire d'outre-mer dont le
chef-lieu fut transféré de Dzaoudzi à Moroni (Grande
Comore) en 1958 et qui bénéficia d'un statut d'autonomie interne
à partir de 1961.
La loi du 23 novembre 1974 organisa une consultation d'autodétermination
des populations des Comores, un amendement adopté à l'initiative
du Sénat ayant prévu la consultation "
des
populations " et non "
de la
population ", afin de
permettre un décompte des suffrages île par île. Cette
consultation, réalisée le 22 décembre 1974, aboutit
à une quasi-unanimité en faveur de l'indépendance des
populations des îles de la Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli,
tandis que la population de Mayotte se prononçait à une
majorité de 63,82 % en faveur du maintien dans la République
française.
A l'issue de cette consultation, la loi du 3 juillet 1975 relative
à l'indépendance du territoire des Comores organisa l'accession
à l'indépendance par l'adoption d'une Constitution par voie
référendaire, en prévoyant le décompte des
suffrages île par île.
Cependant, le 6 juillet 1975, le président du Gouvernement des Comores
déclara unilatéralement l'indépendance (en
désaccord avec les élus de Mayotte).
Prenant acte de cette proclamation d'indépendance, la loi du
31 décembre 1975 relative aux conséquences de
l'autodétermination des îles des Comores mit fin à
l'appartenance à la République française des îles de
Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli et organisa deux consultations
à Mayotte, la première pour demander à ses habitants s'ils
entendaient rester Français ou devenir Comoriens et la seconde pour les
inviter à choisir leur statut au sein de la République :
- la première consultation, le 8 février 1976, aboutit par un
vote quasi-unanime (99,4 % des suffrages exprimés) au maintien de
Mayotte dans la République ;
- lors de la seconde, le 11 avril 1976, les habitants
écartèrent le statut de territoire d'outre-mer par 97,47 %
des suffrages exprimés (près de 80 % des votants ayant
déposé dans l'urne un bulletin " sauvage ", donc nul,
exprimant le souhait de voir Mayotte dotée du statut de
département d'outre-mer).
A la suite de ces consultations, un projet de loi prévoyant la
départementalisation de Mayotte fut déposé à
l'Assemblée nationale, puis retiré avant d'avoir
été discuté.
La loi du 24 décembre 1976 relative à l'organisation de
Mayotte a finalement créé une collectivité territoriale
à statut particulier sur le fondement de l'article 72 de la
Constitution.
Cette loi toujours en vigueur définit le statut actuel de Mayotte.
A. UNE COLLECTIVITÉ TERRITORIALE " SUI GENERIS " DOTÉE D'UN STATUT À CARACTÈRE PROVISOIRE
La loi du 24 décembre 1976 4( * ) a doté Mayotte d'un statut original qui avait été conçu comme provisoire. En effet, son article 1 er avait prévu qu'une consultation de la population sur l'évolution de ce statut aurait lieu dans un délai " d'au moins trois ans ". Cette disposition a ensuite été modifiée par une loi de 1979 précisant que cette consultation serait organisée " dans un délai de cinq ans ". Cependant, aucune consultation n'est intervenue depuis l'échéance dudit délai en 1984 5( * ) et le statu quo issu de la loi du 24 décembre 1976 a donc perduré depuis lors.
1. Le statut issu de la loi du 24 décembre 1976
La loi
du 24 décembre 1976 relative à l'organisation de
Mayotte y a créé une collectivité territoriale sui generis
sur le fondement de l'article 72 de la Constitution
6(
*
)
.
Le statut particulier de cette collectivité s'inspire de
l'
organisation départementale antérieure aux lois de
décentralisation
; toutefois, comme les territoires
d'outre-mer, la collectivité territoriale de Mayotte est régie
par le
principe
dit de
spécialité
législative
, les lois métropolitaines ne s'y appliquant que
sur mention expresse, conformément à l'
article 10
de
la loi du 24 décembre 1976.
La collectivité territoriale de Mayotte est administrée par un
représentant du Gouvernement
qui a rang de préfet.
Désigné en conseil des ministres, celui-ci a "
la charge
des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du
respect des lois
" (
article 4
de la loi du
24 décembre 1976) et "
instruit les affaires qui
intéressent Mayotte
" (
article 5
).
Mayotte est dotée d'un
conseil général élu au
suffrage universel direct
; cependant, c'est
le représentant
du Gouvernement
, et non le président du conseil
général, qui
exécute les décisions de cette
assemblée
(
article 5
).
La loi du 24 décembre 1976 précise en outre que
"
Mayotte bénéficie de l'intervention directe des
services, des établissements publics, des entreprises publiques et des
fonds d'investissement et de développement de l'Etat
"
(
article 9
).
Mayotte est divisée en
19 cantons
et
17 communes
7(
*
)
.
La
loi du 10 août 1871
relative aux conseils
généraux et le
code des communes
ont été
étendus à Mayotte, moyennant adaptation, par des ordonnances de
1977. Toutefois, les lois de décentralisation n'ayant pas
été étendues à Mayotte, ces textes s'y appliquent
dans leur version antérieure à la décentralisation :
les communes restent donc soumises au régime de la tutelle
exercée a priori et le représentant du Gouvernement est toujours
l'exécutif du conseil général.
2. Un PTOM associé à l'Union européenne
Au
regard de l'Union européenne, Mayotte fait "
partie des pays et
territoires d'outre-mer
" (PTOM) qui font l'objet d'un régime
spécial d'association en application de l'article 227-3 du
Traité de Rome.
A la différence des départements d'outre-mer français,
Mayotte
ne fait donc pas partie intégrante de l'Union
européenne et
n'est pas éligible aux fonds structurels
européens
.
De même que les territoires d'outre-mer, la collectivité
territoriale de Mayotte bénéficie seulement de l'
aide du Fonds
européen de développement (FED)
, dont les ressources sont
sans commune mesure avec celles des fonds structurels.
En effet la dotation annuelle par personne était pour Mayotte d'environ
21 écus au titre du VIIème FED (1991-1995) alors
qu'elle était au même moment pour la Réunion d'environ
178 écus au titre des fonds structurels. Après avoir
reçu 47 milllions de francs au titre du VIIè FED,
Mayotte recevra environ 65,6 millions de francs au titre du
VIIIème FED (1996-2000)
8(
*
)
alors qu'au cours de la même
période, la Réunion pourra bénéficier de
plusieurs milliards de francs au titre des fonds structurels.
Votre rapporteur souhaite que des négociations communautaires soient
engagées pour permettre à Mayotte de bénéficier des
fonds structurels européens.
Interrogé sur ce point au cours de son audition devant votre commission
des Lois, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à
l'outre-mer, a rappelé que l'éligibilité aux fonds
structurels européens nécessitait une mise en conformité
avec le droit communautaire, notamment en matière de droits de douane.
Il a ajouté qu'il avait appelé l'attention de la Commission
européenne sur la nécessité de tenir compte du retard de
développement économique de Mayotte pour l'attribution des aides
qui lui sont accordées dans le cadre de son statut de PTOM
associé à l'Union européenne.
3. L'application du principe de spécialité législative : un régime législatif encore très différent de celui de la métropole, malgré un rapprochement progressif avec le droit commun
En
application du principe de spécialité législative, les
textes de nature législative qui étaient applicables à
Mayotte précédemment au statut de 1976, le sont restés
sous réserve de modifications ultérieures et les lois nouvelles
ne sont applicables à Mayotte que sur mention expresse (à
l'exception des lois dites de souveraineté).
Certes, un effort considérable de modernisation du droit applicable
à Mayotte a été entrepris depuis 1976, notamment
grâce à plusieurs séries d'
ordonnances
prises sur le
fondement de l'article 38 de la Constitution et à des lois
"
portant diverses dispositions relatives à
l'outre-mer
". Un certain nombre de codes ont été
étendus à Mayotte, moyennant adaptations plus ou moins
étendues, par exemple le code de procédure pénale (1981),
le nouveau code pénal (1996), le code du travail (1991), le code des
assurances (1992), le code rural (1991), le code des marchés publics
(1992)... Par ailleurs, un statut général des fonctionnaires de
la collectivité territoriale, des communes et des établissements
publics a été mis en place en 1996.
Cependant, malgré l'importance des adaptations ainsi
réalisées, on constate encore dans de nombreux domaines une
insécurité, voire un vide juridique
résultant de
l'incertitude sur les textes applicables, ce qui conduit parfois les
fonctionnaires en poste sur place à devoir faire preuve d'un certain
pragmatisme en l'absence de textes précis, ou du moins adaptés
à la réalité d'aujourd'hui.
Par exemple, en matière d'entrée et de séjour des
étrangers, l'ordonnance de 1945 n'étant pas applicable, doivent
théoriquement être appliqués des textes désuets tels
qu'un décret de 1932 "
réglementant les conditions
d'admission et de séjour des Français et des étrangers
à Madagascar et dépendances
" et même une loi du 3
décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des
étrangers en France, en ce qui concerne les reconduites à la
frontière.
Par ailleurs, dans certains domaines, le régime applicable est tout
à fait spécifique et complètement dérogatoire
à celui de la métropole.
Tel est en particulier le cas du
régime fiscal et douanier
qui
résulte notamment d'une ordonnance n° 81-296 du 1
er
avril 1981.
Comme dans les territoires d'outre-mer,
la fiscalité relève de
la compétence de la collectivité territoriale et l'ensemble des
impôts,
directs ou indirects, ainsi que les droits de douane,
sont
perçus à son profit
,
aucun impôt n'étant
perçu au profit de l'Etat
.
Les
impôts indirects
, au premier rang desquels figurent les droits
de douanes et notamment la
taxe de consommation
avec un produit de
175 millions de francs en 1998, représentent plus de 75 % d'un
produit fiscal total de 401 millions de francs en 1998. Il existe par
ailleurs quatre impôts directs (impôt sur le revenu
prélevé à la source, impôt sur les
sociétés, impôt foncier sur le terrain et patente).
Les communes ne disposent d'aucune recette fiscale propre
, la DGF
constituant quasiment leur seule ressource. La mise en place d'une
fiscalité locale directe ne peut être envisagée sans qu'au
préalable ait été établi un cadastre encore
inexistant
9(
*
)
.
En outre, le droit applicable à Mayotte se caractérise par les
particularismes du droit civil et de l'organisation judiciaire, fortement
marqués par les spécificités culturelles, religieuses et
coutumières de ce territoire.