D. NE PAS ESQUIVER LA QUESTION FONDAMENTALE DU DROIT APPLICABLE ET DE LA JURIDICTION COMPETENTE

Le véritable enjeu juridique du commerce électronique n'est quasiment pas traité par la directive proposée , bien qu'il figure au coeur des débats.

Il s'agit de savoir quel sera le droit applicable aux transactions par voie électronique et quel sera le niveau de protection du consommateur.

Trois cas doivent être distingués, seul le dernier soulevant d'importantes divergences :

• Les activités extra-contractuelles sont entièrement régies par les règles du marché intérieur, en application de l'article 3 de la directive proposée, c'est-à-dire que le droit applicable aux activités du vendeur ou du prestataire doit être celui en vigueur dans le pays où il est établi. Le principe de l'application de la loi du pays dans lequel le prestataire est établi est dit " loi du pays d'origine " ou " loi du vendeur ".

• Les contrats entre professionnels relèveront de la liberté contractuelle, permettant aux professionnels de déterminer entre eux le droit applicable à leurs transactions (commerce " B to B ").

• Les contrats entre consommateurs et entreprises (commerce " B to C ") conclus par voie électronique relèveront quant à eux des conventions de Bruxelles et de Rome.

Votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur ce dernier point, dans la mesure où il donne lieu à de vifs débats.

1. La directive proposée élude la question du droit applicable aux transactions de commerce électronique

Votre commission des Lois ne peut que constater que la question centrale du droit applicable ne figure qu'à titre de " déclaration à inscrire au procès-verbal du Conseil et faisant partie intégrante du compromis global ".

Cette déclaration du Conseil sur la confiance du consommateur est ainsi rédigée :

" Le Conseil rappelle sa résolution du 19 janvier 1999, dans laquelle il considère que, pour développer la confiance des consommateurs dans les services de la société de l'information et favoriser le développement du commerce électronique, les consommateurs devraient pouvoir bénéficier , dans le cadre de la législation communautaire et des conventions de Bruxelles et de Rome, de la protection assurée par la législation du pays où ils résident habituellement et qu'ils devraient avoir facilement accès à des voies de recours, en particulier dans le pays où ils résident habituellement ".

Dès l'article 1 er , la directive proposée indique clairement qu'elle n'établit pas de règles additionnelles de droit international privé et n'aborde pas les règles de compétence des tribunaux.

Votre commission des Lois s'interroge sur la portée d'un accord politique obtenu au prix de l'absence de mention claire, dans le corps de la directive, du droit applicable en matière de commerce électronique.

Assurément, la directive proposée, en évitant scrupuleusement de trancher la question du droit applicable, n'a pour ambition que de traiter " certains " des aspects juridiques du commerce électronique...

2. Le renvoi aux conventions de Rome et de Bruxelles n'est pas satisfaisant

La directive proposée ne crée aucune règle de droit privé international. Elle renvoie à l'application des conventions existantes :

- convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980, dite " convention de Rome " ;

- convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968, dite " convention de Bruxelles ".

Or, ce renvoi n'est pas satisfaisant, dans la mesure où ces deux conventions sont précisément en cours de renégociation .

La convention de Rome suscite d'importantes difficultés d'application en ce qui concerne les transactions électroniques. Sa révision est envisagée afin de la rendre plus compatible avec les spécificités du commerce en ligne.

De plus, le renvoi au droit international privé n'apporte aucune clarification pour les consommateurs et vendeurs. En effet, le droit international privé n'est pas un droit unique, valable pour l'ensemble des quinze États membres, mais un mode de choix du droit entre le droit du pays du consommateur et le droit du pays du vendeur.

En l' absence d'harmonisation à l'échelle communautaire, force est de constater la difficulté pour un citoyen de connaître le droit applicable en matière de relations contractuelles entre correspondants venant d'États membres différents.

Cette difficulté est aggravée par la rédaction des conventions de Rome et de Bruxelles qui multiplient les exceptions .

a) La convention de Rome sur le droit applicable

La convention du 19 juin 1980 24( * ) sur la loi applicable aux obligations contractuelles pose le principe de la liberté de choix de la loi applicable : " Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ".

La loi applicable à défaut de choix est fixée par la convention : le contrat est alors régi par " la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ".

Or, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale.

Le Conseil d'État 25( * ) a estimé que la convention de Rome conduisait à faire le plus souvent application de la " loi du vendeur " (droit du pays d'établissement du prestataire), dans la mesure où le vendeur prenait l'initiative du contrat. Il a jugé que le cadre conventionnel actuel apparaissait, pour ce qui concerne le régime des transactions électroniques, assez ambigu et relativement défavorable au consommateur.

Il a donc préconisé une modification de la convention de Rome permettant de faire jouer aisément les stipulations protectrices du consommateur.

b) La convention de Bruxelles sur la juridiction compétente

La convention du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale pose le principe selon lequel les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.

De nombreuses dispositions spéciales sont prévues, selon lesquelles le défendeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant une juridiction d'un autre État membre. Il s'agit en particulier de la compétence spéciale en matière contractuelle , selon laquelle le défendeur peut être attrait devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée.

En pratique, la compétence de la juridiction du pays d'origine est trop souvent retenue au détriment de celle du pays de résidence du consommateur.

En matière de commerce électronique, le consommateur fait la démarche de se rendre sur un site commercial 26( * ) ; il n'a pas fait l'objet d'une sollicitation dans un autre pays ; dans ce cas, les deux conventions n'imposent pas la compétence de loi et de juridiction du pays de résidence.

Or, la compétence de la juridiction du pays du prestataire génère des obstacles considérables pour le consommateur, liés à la langue, à la méconnaissance du système judiciaire étranger, à la difficulté d'identifier et de localiser le professionnel contractant. Ces difficultés sont facteur de rallongement des procédures et représentent un coût financier important pour le particulier.

3. Défendre l'inscription expresse du droit applicable dans le corps de la directive

Dans le domaine des relations contractuelles entre entreprises et consommateurs, la théorie du pays d'origine, très favorable aux entreprises et au développement du commerce électronique, présente des risques pour le consommateur.

Les entreprises proposant des biens et services en ligne n'ont pas intérêt à ce que soit retenue la compétence de principe des tribunaux du pays du consommateur, dans la mesure où elles pourraient alors se voir attraire devant une juridiction de l'un ou l'autre des quinze États membres. De même, l'application obligatoire de la loi du consommateur les contraindra à connaître les règles applicables dans l'ensemble des États de l'Union dans lesquels elles auront des clients. Elles font valoir que l'application de la loi du pays du consommateur constitue un frein au développement du commerce électronique, et préconisent la liberté de choix des parties.

Au contraire, le consommateur, qui prend un risque parfois considérable 27( * ) en utilisant le commerce électronique, n'aurait sans doute pas recours à une juridiction d'un autre État en cas de litige, découragé par l'ampleur des démarches nécessaires et par leur coût. Ne connaissant pas le droit de l'autre État, applicable à la transaction, il ne serait pas en mesure de faire valoir la protection qui lui est reconnue.

Les questions de principe sont les suivantes :

- le consommateur internaute doit-il être " livré " à la législation de l'État membre dans lequel se situe le prestataire et dont il ne connaît a priori pas la teneur ?

- n'appartient-il pas aux prestataires plutôt qu'aux consommateurs de connaître et de s'adapter au droit de la consommation de chacun des États membres ?

Sur le rapport de Mme Odette Terrage 28( * ) , la commission des affaires économiques du Sénat s'est prononcée en faveur de l'application de la loi du pays du consommateur ainsi que de la compétence des tribunaux de son propre pays en cas de violation de ces règles.

De même, votre commission des Lois approuve la position défendue par la délégation française, consistant à clarifier le droit applicable en inscrivant expressément, dans le corps de la directive, le principe de l'application du droit du pays de résidence du consommateur, en ce qui concerne les relations contractuelles d'entreprise à consommateur.

*

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des Lois a adopté la proposition de résolution dont la teneur suit :

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