C. UN TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE QUI TOURNE LE DOS À L'EUROPE ET PORTE PRÉJUDICE À L'INDUSTRIE FRANÇAISE

En adoptant des modifications au texte du projet de loi transmis par l'Assemblée nationale, le Sénat avait, en première lecture, cherché à définir le cadre d'un réel marché de l'électricité, dans lequel des " règles du jeu ", connues à l'avance et applicables à tous les agents -producteurs et acheteurs, opérateur historique et nouveaux entrants- permettraient d'abaisser les coûts, d'accroître la qualité et la diversité de l'offre et d'améliorer la compétitivité de l'économie nationale.

C'est dans ce but que votre Commission des affaires économiques a renforcé le rôle de la Commission de régulation de l'électricité et garanti la parfaite impartialité du Gestionnaire du réseau de transport. En outre, le Sénat a souhaité assurer la pérennité et l'efficacité du service public en veillant à son financement et en concentrant les aides à vocation sociale sur les personnes en difficulté.

Sur chacun de ces points, le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture marque un net recul par rapport à celui du Sénat.

Alors que le projet de loi ne proposait déjà qu'une ouverture minimale à la concurrence -la majorité de nos partenaires européens ayant, quant à eux, totalement libéralisé leur marché- la Commission de la production et des échanges a initialement proposé de réserver le négoce d'électricité aux seuls producteurs, en proportion d'une fraction de leur production. Cette mesure d'apparence technique revenait à instituer un monopole de négoce au profit d'EDF, ce qui est contraire aux dispositions de la directive.

Le Gouvernement a obtenu de justesse, et après avoir demandé une seconde délibération, que l'autorisation d'exercer l'activité de négoce soit délivrée aux producteurs dès lors qu'ils établissent que la quantité d'électricité achetée pour revente est inférieure à un pourcentage de l'électricité produite à partir des capacités de production " dont ils disposent ".

Votre Commission des Affaires économiques donne acte au Gouvernement d'avoir tenté, par une manoeuvre inopinée, de passer outre à la résistance des députés qui le soutiennent... Elle ne peut cependant accepter la solution proposée sur ce point : demande-t-on à un négociant en vins de ne vendre de grands crus qu'à proportion des vignes qu'il possède ?

A l'évidence, cette disposition traduit le malaise du Gouvernement face au risque de se voir pris à partie par Bruxelles. Elle ne constitue cependant qu'une demi-mesure.

L'existence d'une activité de négoce est indispensable pour répondre de façon plus efficiente à la demande toujours plus diversifiée qui émane des consommateurs d'électricité, et spécialement des consommateurs industriels. Le texte adopté par les députés permettra-t-il d'éviter la délocalisation de cette activité ? Votre Commission des Affaires économiques ne le croit malheureusement pas. A cause du flou de ces dispositions, EDF risque toujours, hors de nos frontières, de se voir opposer, dans les mois à venir, la " clause de réciprocité " prévue par la directive qui pourrait gêner son développement international. Des voix se sont d'ailleurs, d'ores et déjà, élevées en Europe et notamment en Espagne dans ce sens.

En renforçant les pouvoirs de la Commission de régulation de l'électricité, en matière de fixation du montant des charges de service public ou de mise en oeuvre de la procédure d'appel d'offres, notamment, le Sénat avait souhaité mettre en place un régulateur indépendant et puissant, garant du bon fonctionnement du marché, dont les décisions seraient incontestables. L'Assemblée nationale a préféré, tout au contraire, le réduire à la portion congrue, et le cantonner dans des questions qui concernent exclusivement l'accès au réseau électrique. Bien plus, elle a tenu à renforcer les pouvoirs du Commissaire du Gouvernement, placé auprès de cette autorité, émanation pour le moins paradoxale, au sein d'un organisme indépendant, de la tutelle ministérielle qui s'exerce sur l'opérateur historique ! Votre Haute Assemblée demeure convaincue que si toutes les questions relatives à la politique énergétique sont de la compétence du Gouvernement, l'ensemble de celles qui concernent le fonctionnement du marché de l'électricité méritent d'être traitées par la Commission de régulation de l'électricité.

La Haute Assemblée a également souhaité envisager, dès à présent, l'avenir du régime juridique du gestionnaire du réseau de transport. La majorité des Etats de l'Union européenne a, en effet, choisi de créer des GRT totalement indépendants de l'opérateur historique. N'est-il pas, dès lors, légitime de s'interroger sur d'éventuelles évolutions du gestionnaire du réseau français, en fonction des résultats obtenus et d'un bilan de son activité, à l'issue d'un délai raisonnable ? Cette seule éventualité -qui ne préjuge en rien du futur- a pourtant paru inenvisageable à l'Assemblée nationale.

Au demeurant, le texte soumis au Sénat en nouvelle lecture pêche aussi par omission, puisqu'il n'envisage nullement des questions cruciales, comme le financement futur des retraites des agents soumis au statut des industries électriques et gazières. Ce silence, que votre Haute Assemblée a solennellement déploré, fait peser une lourde hypothèque sur l'opérateur et les personnels et engage le Gouvernement. Quelle différence avec l'attitude responsable adoptée, en 1996, lors de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications !

En instituant une " tranche sociale ", reposant sur le principe du quotient familial, l'Assemblée nationale a également choisi un système qui risque de peser fortement sur les finances d'EDF, sans pour autant être ciblé sur les plus démunis de nos concitoyens. Ce n'est certainement pas l'adoption d'un énième décret -prévue par un amendement adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale- qui éclaircira les modalités de mise en oeuvre de ce système ! On sait en effet que la publication des décrets d'application des lois votées après déclaration d'urgence est, paradoxalement, plus tardive que celle des décrets relatifs à des lois adoptées selon la procédure de droit commun : à peine plus de la moitié des lois examinées par votre Commission des Affaires économiques en urgence depuis 1981 sont aujourd'hui entièrement applicables.

Au total, hormis une disposition nouvelle relative à la mise en oeuvre des mesures d'urgence que nécessite la réfection des lignes électriques détruites par les tempêtes de décembre 1999 (article 21), votre Commission des Affaires économiques estime que le texte transmis par l'Assemblée nationale encourt encore nombre de critiques qu'elle avait émises en octobre dernier.

Désormais, le temps presse ; la Commission européenne a décidé d'adresser un avis motivé à la France pour non transposition de la directive, en vertu de l'article 226 du traité instituant la Communauté européenne. En adoptant des mesures telles que l'encadrement abusif du régime du négoce, notre pays encourt, en outre, le risque de voir sa responsabilité mise en cause, au fond cette fois-ci, devant la Cour de justice.

En dernière analyse, le droit européen prévaudra. Mais ce qui aurait dû être réalisé par la France, conformément à une directive qu'elle a librement négociée, sera imposé par Bruxelles. Le Gouvernement aura alors beau jeu de dire à ses mandants qu'il lui faut bien se plier aux injonctions européennes. Une telle attitude s'avère, à l'évidence, peu responsable. Elle est en outre contraire aux intérêts de la France et de l'Europe, à laquelle l'Assemblée nationale a malheureusement choisi de tourner le dos.

Pour l'ensemble de ces motifs, et considérant que le Sénat ne saurait ni cautionner une procédure préjudiciable aux droits du Parlement, ni approuver un texte dont certaines dispositions sont susceptibles de nuire aux intérêts de la France et de l'Union européenne, votre Commission des Affaires économiques vous proposera de rétablir, sauf pour l'article 21, le texte adopté au Sénat en première lecture.

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