2. Le Gouvernement n'était pas un partisan de la baisse des charges sur les bas salaires
L'allégement des charges sociales sur les bas salaires
n'était pas, en 1997-98, la " priorité " du
Gouvernement. Le coût et l'efficacité de ces mesures ont
été mis en cause.
Certes, le Gouvernement a pérennisé le dispositif de
réduction dégressive de cotisations patronales de
sécurité sociale sur les bas salaires applicables depuis octobre
1996.
Mais il y a apporté des modifications, sans reprendre à son
compte le calendrier prévu d'extension.
L'article 115 de la loi de finances n° 97-1269 du 30 décembre 1997
a rétabli le principe de la proratisation de la baisse des charges pour
le travail à temps partiel et a également ramené le
plafond de rémunération mensuelle, pour la ristourne
dégressive sur les bas salaires, de 1,33 à 1,3 SMIC. L'ensemble
de ces mesures, ainsi que le gel à son niveau actuel du montant maximum
de réduction prévu par décret devait permettre une
économie de l'ordre de 6,5 milliards de francs.
Votre commission, qui avait soutenu l'effort réalisé depuis 1993
pour alléger le coût du travail des bas salaires ou du travail peu
qualifié, seul moyen de ne pas remettre en cause le niveau du SMIC, a
déploré lors de l'examen de la loi de finances pour 1998 que
cette politique soit contestée sous prétexte qu'elle ne suscitait
pas suffisamment de créations d'emploi. Or, comme le soulignaient les
rapporteurs MM. Louis Souvet et Jean Madelain, dans leur avis au projet de loi
de finances 1998 :
" l'efficacité de ces mesures
d'allégement n'a véritablement d'effet que si ce qui est
accordé d'un côté n'est pas repris de l'autre et si un
climat de confiance en l'avenir règne "
. Ils évaluaient
à 2,5 milliards de francs la charge financière que devraient
supporter les entreprises du fait de la baisse de 1,33 à 1,3 SMIC du
seuil d'exonération des bas salaires.
Face à cette situation, la majorité sénatoriale a
souhaité étendre le dispositif d'allégement de charges, en
adoptant, le 29 juin 1998, une proposition de loi tendant à
réduire les charges sur les bas salaires, déposée par les
présidents des commissions des Affaires sociales et des Finances et
trois présidents de groupes de la majorité sénatoriale.
Les propositions du Sénat en matière d'allégement de charges sociales
Une
proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas
salaires
175(
*
)
a
été rapportée le 28 janvier 1998 par M. Yves Nicolin
devant la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de
l'Assemblée nationale
176(
*
)
. Cette proposition de loi avait pour
objet de généraliser en trois ans un allégement massif de
charges sociales applicable aux salaires inférieurs à 1,4 SMIC
dans la limite de 1.730 francs par mois.
Cette proposition de loi ambitieuse et réaliste se voulait être
une réponse efficace et simple à la condamnation du plan textile
par la commission européenne.
Examinée en séance publique par l'Assemblée nationale le
30 janvier 1998, lors de la séance mensuelle réservée
par priorité à un ordre du jour fixé par
l'Assemblée, alors même que l'examen en première lecture du
projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du
temps de travail
était en cours, elle est apparue comme
l'alternative de l'opposition à la politique de réduction du
temps de travail généralisée et obligatoire
défendue par le Gouvernement.
Après que la proposition de loi a été rejetée de
manière expéditive par l'Assemblée nationale, il est
apparu urgent à la majorité du Sénat de prolonger le
débat devant la Haute Assemblée afin que soient bien
identifiées les priorités de chacun en terme de politique de
l'emploi.
C'est ainsi que MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin de
Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt ont décidé de
déposer une proposition de loi
177(
*
)
reprenant les termes de la
proposition rejetée par l'Assemblée nationale.
Cette proposition de loi a été rapportée devant la
commission des Affaires sociales le mercredi 17 juin 1998 par M. Alain
Gournac
178(
*
)
. Votre commission
avait estimé que
" l'allégement massif des charges
sociales constituait le point de passage obligé d'une politique
ambitieuse de lutte contre le chômage "
179(
*
)
; elle avait
également considéré que le débat au Sénat
sur la proposition de loi déposée par M. Christian Poncelet
serait
" l'occasion d'affirmer résolument la
nécessité d'une politique permettant de soutenir l'emploi
durablement à travers l'extension d'un dispositif qui fait ses preuves
aujourd'hui "
.
Le Gouvernement s'est opposé le 29 juin 1998 à cette proposition
de loi du Sénat, en relativisant l'efficacité d'une telle
politique -notamment en comparaison de la réduction du temps de travail-
et en critiquant le coût d'une telle mesure (30 milliards de francs).
Les
déclarations de Mme Nicole Péry au Sénat le 29 juin
1998
(Journal officiel des Débats, Sénat, séance du 29
juin 1998, p. 3565)
" Nous n'avons néanmoins pas fait de la
poursuite de
l'allégement des charges patronales une priorité, pour trois
raisons principales.
" La première raison -mais ce n'est pas là le plus
important- est que nous ne sommes pas certains que le niveau des charges
patronales soit l'obstacle majeur à l'emploi.
" Nous le savons, les prix ne sont plus l'élément essentiel
de la compétitivité.(...)
" Il est une deuxième raison, plus importante : l'efficacité
des allégements de charges patronales semble relative, notamment au
regard d'autres politiques telles que la réduction du temps de travail.
Les études, dont les résultats doivent être maniés
avec précaution de l'aveu même de leurs auteurs, sont relativement
convergentes. Elles aboutissent à deux conclusions fortes : d'une part,
les effets des allégements de charges patronales sont très lents
à se manifester -la plupart parlent d'au moins cinq ans- et, d'autre
part, le coût par emploi créé est élevé. Si
l'on en croit ces estimations, la ristourne telle qu'elle existe aujourd'hui,
pour une dépense de 40 milliards de francs par an, serait à
l'origine de 40.000 à 50.000 emplois par an sur la période
1995-1999, l'effet se tarissant ensuite. (...) Vous le savez, il ne suffit pas
de comptabiliser le nombre d'emplois subventionnés ; il faut faire la
part des emplois qui auraient été créés en
l'absence d'une intervention des pouvoirs publics -les fameux effets d'aubaine
et de substitution. (...) Le Gouvernement en convient avec vous, monsieur le
rapporteur : " le seul coût d'un dispositif ne peut justifier à
lui seul son rejet... le seul critère devrait être celui de
l'efficacité ". Or, la réalité, quelle est-elle ? Sur la
base des chiffres qui font l'objet d'un relatif consensus, et que je viens de
rappeler -40.000 emplois par an pendant cinq ans pour 40 milliards de francs
d'allégement de charges- il apparaît que le coût de l'emploi
créé est très important : 200 milliards de francs
dépensés sur cinq ans, pour 100.000 emplois supplémentaire
créés en moyenne sur la période, soit 500.000 francs par
emploi créé.
" A long terme, c'est-à-dire au mieux à partir de la
sixième année, la facture, si je peux m'exprimer ainsi, est plus
raisonnable : environ 200.000 francs par emploi créé. Mais on est
encore loin des effets positifs induits sur les finances publiques, qui sont de
l'ordre de 100.000 francs par chômeur évité, si l'on s'en
tient, bien sûr, à une simple approche financière, qui,
c'est vrai, n'est pas la seule possible, monsieur le rapporteur. ( ...)
Cette différence forte tient, notamment, à ce que, contrairement
à la réduction du temps de travail, les abattements de charges
qui reposent sur un mécanisme du type de la ristourne sont
accordés sans contreparties d'embauches. (...)
" Enfin, troisième et dernière raison, et c'est là la
difficulté majeure : le financement d'une telle mesure. (...) ".