III. DE LA DIRECTIVE AU PROJET DE LOI
Comme le
souligne Christian Stoffaës dans l'ouvrage précité :
" la régulation publique des monopoles s'imposait tant que
l'industrie électrique connaissait de puissants rendements
croissants : des années 1920 jusqu'aux années 1970.
Aujourd'hui, alors que le point d'inflexion de la courbe en S du cycle de
croissance a été atteint et dépassé, le
progrès technique ne joue plus dans le même sens :
à industrie mature, régulation
différente
".
La directive n° 96/92 repose précisément sur le constat
des transformations auxquelles est soumise l'industrie de
l'électricité dans le monde. Elle tend, en facilitant
progressivement les échanges et en favorisant l'émergence d'une
concurrence loyale, à renforcer la compétitivité globale
de l'industrie européenne.
A. ÉLABORÉE À L'ISSUE DE DIFFICILES
NÉGOCIATIONS,
LA DIRECTIVE N° 96/92 EST AVANT TOUT UN
TEXTE DE COMPROMIS
1. 1987-1996 : 9 ans de difficiles négociations
La
libéralisation du marché de l'électricité a
été entamée à compter du
1
er
janvier 1987
, date de l'entrée en
vigueur de l'Acte unique européen. Elle s'est traduite de façon
embryonnaire en 1990, avec l'adoption de la
directive n° 90/377 du 29 juin 1990
assurant la
transparence des prix
au consommateur final industriel de gaz et
d'électricité, qui prévoit la communication de
données statistiques sur les prix, par catégories de
consommateurs, et de la
directive n° 90/547 du
29 octobre 1990
relative au
transit
d'électricité,
qui pose le principe de l'acceptation du
transit international d'électricité entre les gestionnaires de
grands réseaux électriques à haute tension.
En 1989
, la Commission réunit un comité d'experts
chargés d'examiner la possibilité d'accorder l'accès des
tiers au réseau (ATR). Devant les réactions peu favorables
à la libéralisation consécutives aux travaux de ce
comité, elle envisage alors d'édicter une directive sur le
secteur de l'électricité et du gaz sur le fondement de
l'article 90-III du traité
qui lui permet d'exercer un
pouvoir propre
pour adresser des directives aux Etats afin de veiller
à la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'application
des règles de concurrence par les entreprises publiques et les
entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt
général. L'avant-projet de la Commission prévoit
qu'à compter du 1
er
janvier 1996, la liberté
d'accès au réseau sera totale. Devant l'émotion
suscitée par ce document parmi les Etats membres, la Commission reporte,
en juillet 1991, l'examen en son sein de la directive.
En
janvier 1992
, le commissaire à l'énergie,
M. Cardoso formule une nouvelle position conformément aux articles
100 A et 189 B du traité qui instituent la procédure de
codécision
associant la Commission, le Conseil des ministres et
le Parlement européen. Le Conseil des ministres n'en repousse pas moins
le contenu de cette proposition, en invoquant notamment la
nécessité de préserver :
- la sécurité d'approvisionnement ;
- la protection de l'environnement ;
- la protection des petits consommateurs ;
- la transparence et la non discrimination ;
- la possibilité d'une mise en oeuvre de la libéralisation
dans un laps de temps suffisamment long.
Le Conseil économique et social de l'Union émet, au même
moment, des réserves allant dans le même sens sur le projet de la
Commission.
En
février 1993
, M. Desama, rapporteur du texte devant
la Commission de l'Energie du Parlement européen, propose de recourir
à un système qui permette de faire coexister, en Europe, un
« marché concurrentiel » dans les pays où,
comme en Grande-Bretagne, l'accès des tiers au réseau (ATR)
existe déjà, et un « marché
régulé » dans les Etats d'Europe continentale. Lors de
l'examen en séance publique, le Parlement européen modifie
substantiellement l'économie du texte initial de la
« proposition Cardoso » en suivant les recommandations de
son rapporteur. Il souhaite
favoriser l'harmonisation progressive du secteur
électrique
, avant d'engager sa libéralisation, et souligner
l'importance des missions d'intérêt général.
En
juin 1995
, le Conseil des ministres se réunit de nouveau,
saisi de la proposition de la Commission amendée par le Parlement. Il
souligne la nécessité de
respecter le principe de
subsidiarité
à l'occasion de l'élaboration de la
directive, de
reconnaître l'existence des missions
d'intérêt général
et la possibilité de
mettre en oeuvre une
programmation de long terme
. Il estime enfin
souhaitable de
faire coexister
, conformément à une
proposition française,
le système de l'ATR et celui de
l'acheteur unique
.
Finalement
la directive est adoptée le 20 juin par le
Conseil des ministres et approuvée le 11 décembre 1996
par le Parlement européen.
Neuf années de négociations
ont permis aux partisans du maintien d'obligations de service public -au
premier rang desquels votre Haute assemblée par la voix de sa Commission
des Affaires économiques- de corriger les propositions très
libérales initialement émises par la Commission.
2. Un texte de compromis
Votre
rapporteur reviendra, de façon très détaillée, dans
le commentaire de chacun des articles du projet de loi sur le contenu de la
directive 96/92. Il souhaite cependant rappeler, dès à
présent, les grands traits de ce texte et l'esprit qui inspire ses
principales dispositions.
La libéralisation du marché de l'électricité
est progressive
La directive n° 96-92 est entrée en vigueur le
20 février 1997. Son article 19 prévoit une
libéralisation en trois paliers
. Deux ans après
l'entrée en vigueur de la directive
(le 19 février 1999), la part du marché ouverte
à la concurrence doit être au moins égale à la
consommation communautaire moyenne des clients de plus de
40 Gwh
par an (environ 25 à 26 % du marché européen, soit
400 sites éligibles en France).
Trois ans
après 1997 (2000), ce seuil est abaissé à
20 Gwh
(environ 28 % du marché, soit 800 sites
éligibles en France) et
six ans
plus tard (2003) à
9 Gwh
(plus de 30 % du marché, soit 3.000 sites en
France). La Commission est chargée d'examiner la possibilité
d'une nouvelle ouverture du marché
neuf ans
(2006) après
l'entrée en vigueur de la directive.
L'article 24 prévoit, quant à lui, que les Etats pourront
bénéficier d'un régime transitoire afin de faire face aux
« coûts échoués »
correspondant
aux engagements ou aux garanties d'exploitation accordées avant
l'entrée en vigueur de la directive, lesquels risquent de n'être
pas honorés, à cause de ce texte.
Le principe de subsidiarité est respecté
Chaque Etat membre est tenu d'atteindre les résultats que prescrit la
directive, selon les modalités qu'il souhaite.
Les critères
qui permettent de définir les clients " éligibles "
sont laissés à son appréciation
(hormis pour les
consommateurs de plus de 100 Gwh par an, qui sont automatiquement
éligibles, dès le 19 février 1999).
De même, le mode de régulation est laissé à
l'appréciation des Etats, la directive prenant acte de la
diversité des modèles nationaux en la matière et
n'imposant que l'existence d'une autorité indépendante des
parties pour régler les litiges (article 20).
Les Etats membres jouissent, en outre, de la faculté :
-
d'imposer
aux entreprises du secteur de
l'électricité
des obligations de service public dans
l'intérêt économique général
; ces
obligations peuvent porter sur la sécurité (y compris la
sécurité d'approvisionnement), la régularité, la
qualité, le prix de la fourniture et la protection de l'environnement
(article 3-II) ;
- de mettre en oeuvre une
planification à long terme
(article 3-2) ;
- de recourir à
l'ATR réglementé
(accès
au réseau moyennant un prix établi sur la base d'un tarif
publié) ou à
l'ATR négocié
(accès au
réseau moyennant un prix négocié au coup par coup) ou
encore à
l'acheteur unique
(personne morale responsable de la
gestion unifiée du système de transport et/ou d'achat et de
vente) (articles 16, 17 et 18) ;
- de mettre en oeuvre des
appels d'offres
pour créer de
nouvelles installations
de production ou d'instituer un système
d'autorisation.
L'exploitation des réseaux est assurée sans discrimination
Les chapitres IV et V prévoient que les Etats membres désignent
ou demandent aux entreprises propriétaires de réseaux de
désigner un
gestionnaire du réseau de transport
(GRT) qui
doit
s'abstenir de toute discrimination entre les utilisateurs
, en
particulier si ce gestionnaire dépend d'un opérateur ayant des
activités de production. C'est pourquoi ce GRT doit être
indépendant -au moins sur le plan de la gestion- des autres
activités non liées au réseau de transport s'il reste
intégré au sein d'une entreprise qui produit de
l'électricité.
Une dissociation comptable entre activités est instaurée
La directive institue au profit des Etats un
droit d'accès à
la comptabilité des entreprises
de production, de transport et de
distribution et prévoit
l'établissement de comptes
séparés entre les diverses branches d'activité afin
d'éviter les discriminations, les subventions croisées, et les
distorsions de concurrence
.
Une clause de réciprocité est instituée
L'article 19-V prévoit une
clause de réciprocité
au bénéfice des Etats qui, ayant totalement
libéralisé leur marché, se trouveraient confrontés
à la concurrence d'Etats plus protectionnistes.
Cette clause
ne
pourra jouer qu'avec l'accord de la Commission européenne
.