B. UNE NÉCESSITÉ JURIDIQUE

1. Des règles rigoureuses

• Les règles générales

Le statut général de la fonction publique ainsi que le code pénal comportent des dispositions très restrictives concernant les liens pouvant s'établir entre un fonctionnaire et une entreprise.

L'article 25 du code de la fonction publique dispose, en effet, que " les fonctionnaires (...) ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée de quelque nature que ce soit ", précisant que les conditions de dérogation à cette règle sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce dernier n'étant jamais intervenu, s'applique encore le décret-loi du 29 octobre 1936 qui détermine les exceptions à la règle d'interdiction de cumul d'emplois et de rémunérations, prévoyant notamment que le cumul peut être autorisé quand il s'agit d'enseignement, d'expertises ou de consultations.

Par ailleurs, l'article 25 du même code dispose également que " les fonctionnaires ne peuvent prendre, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre leur indépendance ".

A cette règle, s'ajoutent deux articles du code pénal qui sanctionnent la prise illégale d'intérêts, l'article 432-12 réprimant " le fait, par une personne (...) chargée d'une mission de service public (...), de prendre, recevoir ou conserver (...) un intérêt quelconque dans une entreprise (...) dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration (...) " et l'article 432-13 punissant tout fonctionnaire ayant été chargé en raison de sa fonction " soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée " lorsqu'il s'est rendu coupable " de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction ".

Ces règles visent à prévenir tout conflit d'intérêt entre le service public et les fonctionnaires en garantissant l'indépendance de ces derniers. Elles sont complétées par des règles spécifiques aux personnels du service public de la recherche.

• Des règles assouplies pour les personnels de la recherche publique.

La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France comme la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur ont souligné l'importance de la valorisation de la recherche qui constitue, aux termes de leurs articles 24 et 4 respectifs, une des missions des métiers de la recherche et du service public de l'enseignement supérieur.

A ce titre, les statuts particuliers des personnels des établissements publics scientifiques et technologiques (EPST) peuvent permettre, aux termes de l'article 26 de la loi du 15 juillet 1982 précitée, " des adaptations au régime des dispositions prévues par le statut général des fonctionnaires et des dérogations aux règles relatives aux mutations afin de faciliter la libre circulation des hommes et des équipes entre les métiers de la recherche et les institutions qui y concourent ".

Le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des EPST a ainsi prévu dans ses articles 243 à 245 trois catégories de position dérogeant aux règles applicables à l'ensemble des fonctionnaires.

En vertu de l'article 243, les fonctionnaires des EPST peuvent, pour une durée de cinq ans renouvelable, être détachés dans des entreprises, des organismes privés ou des groupements d'intérêt public lorsque ce détachement est effectué pour exercer notamment des fonctions de recherche ou de mise en valeur des résultats de la recherche, sous réserve que l'intéressé n'ait pas eu, au cours des cinq dernières années, soit à exercer un contrôle sur l'entreprise, ou l'organisme privé, soit à participer à l'élaboration ou à la passation de marchés avec lui.

Par ailleurs, l'article 244 prévoit que ces fonctionnaires peuvent également être mis à disposition d'entreprises, notamment afin d'assurer le transfert des connaissances et leur application dans les entreprises et ce pour une durée maximale de trois ans renouvelable.

Enfin, aux termes de l'article 245, les fonctionnaires peuvent être mis en disponibilité, pour une durée de trois ans maximum renouvelable, pour créer une entreprise à des fins de valorisation de la recherche. Cette possibilité est néanmoins limitée par les dispositions de l'article premier du décret n°95-168 du 17 février 1995 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires placés en disponibilité qui leur interdit notamment l'exercice d'activités " professionnelles dans une entreprise privée lorsque l'intéressé a été, au cours des cinq dernières années (...) précédant sa mise en disponibilité, chargé en raison même de sa fonction (...) de passer des marchés ou contrats avec cette entreprise ou d'exprimer un avis sur de tels marchés ou contrats " et d'" activités lucratives, salariées ou non (...) si par leur nature ou leurs conditions d'exercice et eu égard aux fonctions précédemment exercées (...) qui portent atteinte à (leur) dignité ou risquent de compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service. ".

Les statuts des enseignants-chercheurs comportent des dispositions similaires en ce qui concerne le détachement. Ils prévoient, en outre, que les enseignants-chercheurs peuvent être placés, pour une durée de quatre ans au plus, en délégation soit dans une entreprise soit pour créer une entreprise. Cette position, propre au statut des enseignants-chercheurs, suppose au terme des six premiers mois le versement par l'entreprise d'une contribution au moins équivalente à l'ensemble de la rémunération de l'intéressé au profit de l'établissement d'origine du chercheur. Dans le cas d'une création d'entreprise, une convention est passée avec l'Agence nationale de valorisation de la recherche.

Ces règles qui sont certes favorables dans la mesure où elles ouvrent au chercheur qui participe à la création ou au développement d'une entreprise de valorisation un droit à réintégration n'apparaissent pas adaptées aux modalités dans lesquelles de telles entreprises se constituent dans la pratique.

2. Des règles inadaptées à la création d'entreprises par des chercheurs

Ces règles, dont la légitimité ne peut être contestée, constituent un obstacle à la création d'entreprises par des chercheurs. En effet, elles reposent sur l'interdiction faite aux chercheurs d'appartenir au service public et en même temps de participer à la création d'une entreprise. Or, le succès des entreprises innovantes créées à partir des résultats de la recherche publique tient précisément dans l'imbrication de ces deux mondes.

Un rapport public particulier de la Cour des comptes publié en juin 1997 consacré à la valorisation de la recherche dans les EPST relevait, à ce propos, que " l'état actuel de la réglementation place souvent (les personnels de recherche) devant la difficile alternative, soit de ne pas répondre aux invitations de la loi 2( * ) , soit de risquer de se mettre en infraction avec le droit existant ".

Les dispositions statutaires comme les règles du code pénal ne correspondent pas, à l'évidence, aux conditions dans lesquelles se créent ces entreprises.

En effet, la création d'une entreprise de valorisation nécessite une phase longue et coûteuse au cours de laquelle la découverte scientifique et technologique doit être adaptée pour devenir un bien ou un service commercialisable. Durant cette période, qualifiée souvent de " maternage ", l'organisme de recherche auquel les chercheurs appartiennent apporte son aide qui prend la forme d'une mise à disposition de locaux, de matériels ou de personnels. Dans ce cas, l'absence de position intermédiaire entre le départ vers l'entreprise, qui bien souvent n'est créée qu'au terme du processus de mise au point du procédé de fabrication, et la simple consultance ne permet pas de clarifier de manière appropriée la situation du chercheur.

En outre, il résulte des textes analysés plus haut qu'un fonctionnaire ne peut en principe créer une entreprise et partir y travailler, dès lors que des collaborations se seraient établies auparavant entre son laboratoire ou son établissement et cette entreprise. Il faut, en effet, considérer que la négociation de contrats de collaboration ou de licence, qui sont généralement à l'origine d'une entreprise créée à partir des résultats de la recherche publique, ne devrait pas intervenir tant que le fonctionnaire n'est pas en position de disponibilité. Dans ce cas, la création d'une entreprise selon ces modalités n'est possible que si, au préalable, le chercheur rompt toutes relations avec son laboratoire d'origine. Il y a là, à l'évidence, une contradiction avec l'idée même de création d'entreprises par des personnels de recherche à partir des résultats de la recherche publique.

Enfin, les règles statutaires de la fonction publique comme celles du code pénal limitant les possibilités de prise de participation d'un fonctionnaire à une entreprise liée par un contrat à l'établissement ou au service public auquel il appartient interdisent à un chercheur de participer au capital d'une entreprise innovante qu'il aurait contribué à fonder par ses travaux de recherche. Sur ce point, le rapport de la Cour des comptes précité a relevé que les aménagements apportés à cette interdiction avaient, dans certains cas, conduit à des dérives. Or, la participation financière du chercheur à la création d'une entreprise innovante est souvent exigée par les investisseurs comme garantie de la viabilité du projet même si l'intéressé ne souhaite pas quitter son laboratoire. Par ailleurs, elle est souvent déterminante compte tenu de l'absence de système de soutien financier à l'innovation à partir des résultats de la recherche publique.

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