N°
505
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juin 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de M. Pierre LAFFITTE, permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes ,
Par M.
Adrien GOUTEYRON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean-Paul Bataille, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Gérard Fayolle, Bernard Fournier, Alain Gérard, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Philippe Nachbar, Lylian Payet, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal.
Voir le
numéro
:
Sénat
:
98
(1997-1998).
Fonctionnaires et agents publics. |
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation
pour la recherche et le développement technologique de la France
précise, dans son article 14, que la valorisation des résultats
de la recherche constitue un des objectifs de la recherche publique.
L'évolution accélérée des marchés comme des
techniques qui conduit à considérer la capacité d'innover
et de diffuser les technologies nouvelles comme un élément
essentiel de la croissance, de la compétitivité et donc de
l'emploi n'a pas démenti le bien-fondé de cette disposition.
Néanmoins, cette mission est encore souvent considérée
dans le monde de la recherche publique comme une activité secondaire.
Par ailleurs, le décalage existant entre la situation satisfaisante de
la recherche fondamentale française et la faiblesse de notre position
technologique amène à la conclusion que notre potentiel
scientifique n'est pas encore utilisé avec l'efficacité
souhaitable pour dynamiser le tissu industriel et créer de nouvelles
entreprises.
Cette situation unanimement reconnue tient essentiellement à
l'insuffisance des transferts de technologie des organismes publics de
recherche, qu'il s'agisse des établissements publics scientifiques et
technologiques ou des établissements d'enseignement supérieur,
vers le secteur industriel.
Le faible nombre d'entreprises créées par des chercheurs issus de
ces organismes pour exploiter les résultats de leurs travaux en est un
des indicateurs les plus significatifs. Or, si cette forme de valorisation de
la recherche publique apparaît comme particulièrement
intéressante comme tendent à le démontrer les exemples
étrangers, elle ne fait pas encore partie à l'évidence des
mentalités françaises.
Les chercheurs publics y sont par tradition souvent peu enclins, leur
conviction étant -et une telle attitude mérite d'être
saluée- que leur mission de recherche doit s'exercer dans le cadre
des organismes dont ils relèvent. Les organismes publics de recherche
ainsi que leurs autorités de tutelle ne semblent pas encore avoir pris,
quant à eux, l'exacte mesure de l'importance de cette modalité de
diffusion de l'innovation. A ce titre, il importe de rappeler -et cela est
particulièrement significatif- que le ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ne dispose
pas d'un recensement exhaustif de ces entreprises et n'assure aucun suivi
systématique de leur devenir.
La création d'entreprises de haute technologie par des chercheurs se
heurte à de nombreux obstacles. L'inadaptation des règles de la
fonction publique qui comportent des dispositions très restrictives
quant aux liens qui peuvent s'établir entre un fonctionnaire et une
entreprise est souvent considérée comme un des plus importants.
La proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte tente
d'y remédier en aménageant le statut du chercheur
Votre commission vous proposera, sous réserve de quelques
aménagements, de reprendre le dispositif proposé par M. Pierre
Laffitte dans sa proposition de loi. Il permet, en effet, de clarifier la
situation statutaire du chercheur participant à la création d'une
entreprise valorisant les résultats de ses travaux scientifiques en
évitant tout risque de conflit d'intérêt entre
l'intéressé et le service public dont il relève.
I. LA NÉCESSITÉ D'UNE MODIFICATION DU STATUT DU CHERCHEUR AFIN DE FACILITER LA CRÉATION D'ENTREPRISES INNOVANTES
A. UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE
1. Un constat
La
France souffre d'une insuffisante valorisation des résultats de la
recherche publique et d'une absence de mécanismes efficaces de diffusion
de l'innovation.
Ce constat fait aujourd'hui l'unanimité.
Il a été à nouveau dressé par M. Henri Guillaume
dans son rapport de mission sur la technologie et l'innovation, publié
en mars 1998 et élaboré à la demande de MM. Claude
Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de
la technologie, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie et des
finances et Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
Ses analyses mettent clairement en évidence le décalage entre la
production scientifique de la France et sa position technologique.
Les assises de l'innovation réunies le 12 mai dernier à La
Villette ont été l'occasion pour le Gouvernement d'exprimer sa
volonté de remédier à cette situation.
Votre rapporteur ne peut que s'en féliciter. En effet, votre commission
souligne avec constance depuis de nombreuses années, en particulier par
la voix de notre excellent collègue Pierre Laffitte, l'importance du
processus d'innovation et la nécessité de l'encourager.
Il s'agit là d'un enjeu décisif pour la
compétitivité de l'économie française. En effet,
les secteurs dans lesquels sont appelés à se développer
les entreprises de haute technologie s'avèrent déterminants qu'il
s'agisse des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou
des biotechnologies. Or, la France y enregistre des retards
considérables, retards qui pourraient être aggravés par une
certaine faiblesse de la recherche fondamentale dans ces secteurs. Ainsi
l'industrie des biotechnologies ne représenterait en France que
90 entreprises, 3 000 salariés et une valeur estimée
à 0,6 milliard de dollars alors qu'aux Etats-Unis, elle compte
1 300 entreprises, 118 000 salariés et une capitalisation
de 83 milliards de dollars. Il en est de même en ce qui concerne les
nouvelles technologies de l'information et de la communication qui ont connu un
essor considérable aux Etats-Unis, en particulier grâce au
dynamisme de petites et moyennes entreprises créées à
partir ou dans l'orbite des grandes universités.
Ce processus de valorisation des résultats de la recherche publique
demeure aujourd'hui encore insuffisamment développé dans notre
pays. Cela est particulièrement regrettable car les entreprises
auxquelles il donne naissance, comme le souligne M. Pierre Laffitte dans
l'exposé des motifs de sa proposition de loi contribuent de
manière déterminante à la croissance économique. Il
note, en effet, que
" les entreprises créées à
l'initiative de chercheurs et de professeurs de grandes écoles ou
d'universités ont un taux d'échec remarquablement faible et sont
en moyenne trois fois plus créatrices d'emplois que les autres, avec un
effectif moyen de onze salariés quelques années après leur
création
". Elles sont donc susceptibles de favoriser le
renouvellement du tissu industriel et d'exercer un effet d'entraînement
sur l'économie régionale lorsqu'elles accèdent au statut
d'entreprises moyennes.
L'intensification d'un tel processus permettrait à l'évidence de
renforcer l'efficacité de la politique de la recherche en accroissant
l'impact économique des dépenses publiques consacrées
à la recherche et au développement qui s'élèvent en
France pour 1998 à un peu plus de 53 milliards de francs en
dépenses ordinaires et en crédits de paiements au sens du BCRD
1(
*
)
.
Certains organismes publics de recherche -mais ils constituent encore des
exceptions-encouragent leurs personnels à créer de telles
entreprises. Ainsi, dans le cadre de l'Institut national de recherche en
informatique et en automatique (INRIA), ont été
créées, au cours des dix dernières années, 28
entreprises, dont 5 seulement ont disparu aujourd'hui . Elles
représentent aujourd'hui un effectif de près de 1 000
salariés, soit bien plus que celui de l'institut
lui-même.
2. Des obstacles identifiés
Les
obstacles principaux à la diffusion de l'innovation par la
création d'entreprises de haute technologie exploitant les
résultats de la recherche publique sont désormais connus.
L'environnement financier nécessaire
à l'apparition de
telles entreprises
fait encore aujourd'hui défaut en France
, en
particulier en raison de l'insuffisance du capital risque. Il s'agit là
d'un constat désormais partagé qui est aggravé par
l'absence de
règles fiscales
suffisamment incitatives concernant
la rémunération des créateurs d'entreprises. En ce
domaine, des avancées ont été accomplies, au rang
desquelles il importe de citer la création des fonds communs de
placement dans l'innovation par l'article 102 de la loi de finances pour 1997
ou encore la constitution du " Nouveau marché ", marché
financier dont l'accès est réservé aux entreprises de
haute technologie.
A ces obstacles financiers, s'ajoute
l'absence de structures capables de
créer des liens entre le monde de la recherche, celui de la finance et
celui de l'entreprise
. Comme le soulignait devant votre commission, le
22 avril dernier, M. Henri Guillaume, les chercheurs, peu enclins par
tradition en France à se lancer dans l'aventure de la création
d'entreprises, ne bénéficient d'aucune structure d'accompagnement
et de formation, à l'image de celles qui existent dans les
universités américaines.
Enfin, et c'est à cet obstacle que souhaite remédier la
proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte,
les
règles statutaires de la fonction publique
semblent incompatibles
avec la création d'entreprises par des chercheurs à partir des
résultats de leurs travaux, démarche qui implique dans la
pratique une interaction entre l'entreprise et le service public de la
recherche.