Création d’entreprises innovantes
RAPPORT 505 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
Table des matières
-
I. LA NÉCESSITÉ D'UNE MODIFICATION DU STATUT DU
CHERCHEUR AFIN DE
FACILITER LA CRÉATION D'ENTREPRISES INNOVANTES
- A. UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE
- B. UNE NÉCESSITÉ JURIDIQUE
-
C. LES SOLUTIONS PROPOSÉES PAR LA PROPOSITION
DE LOI
-
1. L'article 25-1 nouveau de la loi du 15
juillet 1982 :
la participation du fonctionnaire en qualité d'associé à la création d'une entreprise de valorisation -
2. L'article 25-2 nouveau de la loi du 15
juillet 1982 :
le concours scientifique apporté par un fonctionnaire à une entreprise de valorisation
-
1. L'article 25-1 nouveau de la loi du 15
juillet 1982 :
- II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
N° 505
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juin 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de M. Pierre LAFFITTE, permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes ,
Par M. Adrien
GOUTEYRON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean-Paul Bataille, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Gérard Fayolle, Bernard Fournier, Alain Gérard, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Philippe Nachbar, Lylian Payet, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal.
Voir le numéro
:
Sénat
:
98
(1997-1998).
Fonctionnaires et agents publics. |
Mesdames,
Messieurs,
La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation
pour la
recherche et le développement technologique de la France précise, dans son
article 14,
que la valorisation des résultats de la recherche constitue un des
objectifs de la
recherche publique.
L'évolution accélérée des marchés comme des techniques qui conduit à
considérer la
capacité d'innover et de diffuser les technologies nouvelles comme un
élément essentiel
de la croissance, de la compétitivité et donc de l'emploi n'a pas démenti le
bien-fondé de cette disposition.
Néanmoins, cette mission est encore souvent considérée dans le monde de la
recherche
publique comme une activité secondaire. Par ailleurs, le décalage existant
entre la
situation satisfaisante de la recherche fondamentale française et la
faiblesse de notre
position technologique amène à la conclusion que notre potentiel
scientifique n'est pas
encore utilisé avec l'efficacité souhaitable pour dynamiser le tissu
industriel et
créer de nouvelles entreprises.
Cette situation unanimement reconnue tient essentiellement à l'insuffisance
des
transferts de technologie des organismes publics de recherche, qu'il
s'agisse des
établissements publics scientifiques et technologiques ou des établissements
d'enseignement supérieur, vers le secteur industriel.
Le faible nombre d'entreprises créées par des chercheurs issus de ces
organismes pour
exploiter les résultats de leurs travaux en est un des indicateurs les plus
significatifs. Or, si cette forme de valorisation de la recherche publique
apparaît comme
particulièrement intéressante comme tendent à le démontrer les exemples
étrangers,
elle ne fait pas encore partie à l'évidence des mentalités françaises.
Les chercheurs publics y sont par tradition souvent peu enclins, leur
conviction étant
-et une telle attitude mérite d'être saluée- que leur mission de
recherche doit
s'exercer dans le cadre des organismes dont ils relèvent. Les organismes
publics de
recherche ainsi que leurs autorités de tutelle ne semblent pas encore avoir
pris, quant
à eux, l'exacte mesure de l'importance de cette modalité de diffusion de
l'innovation. A
ce titre, il importe de rappeler -et cela est particulièrement
significatif- que le
ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ne
dispose pas
d'un recensement exhaustif de ces entreprises et n'assure aucun suivi
systématique de
leur devenir.
La création d'entreprises de haute technologie par des chercheurs se heurte
à de
nombreux obstacles. L'inadaptation des règles de la fonction publique qui
comportent des
dispositions très restrictives quant aux liens qui peuvent s'établir entre
un
fonctionnaire et une entreprise est souvent considérée comme un des plus
importants. La
proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte tente d'y remédier en
aménageant le statut du chercheur
Votre commission vous proposera, sous réserve de quelques aménagements, de
reprendre le
dispositif proposé par M. Pierre Laffitte dans sa proposition de loi. Il
permet, en
effet, de clarifier la situation statutaire du chercheur participant à la
création d'une
entreprise valorisant les résultats de ses travaux scientifiques en évitant
tout risque
de conflit d'intérêt entre l'intéressé et le service public dont il
relève.
I. LA NÉCESSITÉ D'UNE MODIFICATION DU STATUT DU CHERCHEUR AFIN DE FACILITER LA CRÉATION D'ENTREPRISES INNOVANTES
A. UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE
1. Un constat
La France
souffre d'une insuffisante valorisation des résultats de la recherche
publique et d'une
absence de mécanismes efficaces de diffusion de l'innovation.
Ce constat fait aujourd'hui l'unanimité.
Il a été à nouveau dressé par M. Henri Guillaume dans son rapport de
mission sur la
technologie et l'innovation, publié en mars 1998 et élaboré à la demande de
MM. Claude
Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie,
Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie et des finances et Christian
Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie. Ses analyses mettent clairement en
évidence le
décalage entre la production scientifique de la France et sa position
technologique.
Les assises de l'innovation réunies le 12 mai dernier à La Villette ont été
l'occasion
pour le Gouvernement d'exprimer sa volonté de remédier à cette situation.
Votre rapporteur ne peut que s'en féliciter. En effet, votre commission
souligne avec
constance depuis de nombreuses années, en particulier par la voix de notre
excellent
collègue Pierre Laffitte, l'importance du processus d'innovation et la
nécessité de
l'encourager.
Il s'agit là d'un enjeu décisif pour la compétitivité de l'économie
française. En
effet, les secteurs dans lesquels sont appelés à se développer les
entreprises de haute
technologie s'avèrent déterminants qu'il s'agisse des nouvelles
technologies de
l'information et de la communication ou des biotechnologies. Or, la France
y enregistre
des retards considérables, retards qui pourraient être aggravés par une
certaine
faiblesse de la recherche fondamentale dans ces secteurs. Ainsi l'industrie
des
biotechnologies ne représenterait en France que 90 entreprises,
3 000 salariés
et une valeur estimée à 0,6 milliard de dollars alors qu'aux
Etats-Unis, elle
compte 1 300 entreprises, 118 000 salariés et une
capitalisation de
83 milliards de dollars. Il en est de même en ce qui concerne les
nouvelles
technologies de l'information et de la communication qui ont connu un essor
considérable
aux Etats-Unis, en particulier grâce au dynamisme de petites et moyennes
entreprises
créées à partir ou dans l'orbite des grandes universités.
Ce processus de valorisation des résultats de la recherche publique demeure
aujourd'hui
encore insuffisamment développé dans notre pays. Cela est particulièrement
regrettable
car les entreprises auxquelles il donne naissance, comme le souligne M.
Pierre Laffitte
dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi contribuent de manière
déterminante
à la croissance économique. Il note, en effet, que
" les
entreprises
créées à l'initiative de chercheurs et de professeurs de grandes écoles ou
d'universités ont un taux d'échec remarquablement faible et sont en moyenne
trois fois
plus créatrices d'emplois que les autres, avec un effectif moyen de onze
salariés
quelques années après leur création
". Elles sont donc
susceptibles de
favoriser le renouvellement du tissu industriel et d'exercer un effet
d'entraînement sur
l'économie régionale lorsqu'elles accèdent au statut d'entreprises
moyennes.
L'intensification d'un tel processus permettrait à l'évidence de renforcer
l'efficacité
de la politique de la recherche en accroissant l'impact économique des
dépenses
publiques consacrées à la recherche et au développement qui s'élèvent en
France pour
1998 à un peu plus de 53 milliards de francs en dépenses ordinaires et
en crédits
de paiements au sens du BCRD
1(
*
)
.
Certains organismes publics de recherche -mais ils constituent encore des
exceptions-encouragent leurs personnels à créer de telles entreprises.
Ainsi, dans le
cadre de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique
(INRIA), ont
été créées, au cours des dix dernières années, 28 entreprises, dont 5
seulement ont
disparu aujourd'hui . Elles représentent aujourd'hui un effectif de
près de
1 000 salariés, soit bien plus que celui de l'institut lui-même.
2. Des obstacles identifiés
Les obstacles
principaux à la diffusion de l'innovation par la création d'entreprises de
haute
technologie exploitant les résultats de la recherche publique sont
désormais connus.
L'environnement financier nécessaire
à l'apparition de telles
entreprises
fait
encore aujourd'hui défaut en France
, en particulier en raison de
l'insuffisance du
capital risque. Il s'agit là d'un constat désormais partagé qui est aggravé
par
l'absence de
règles fiscales
suffisamment incitatives concernant la
rémunération
des créateurs d'entreprises. En ce domaine, des avancées ont été
accomplies, au rang
desquelles il importe de citer la création des fonds communs de placement
dans
l'innovation par l'article 102 de la loi de finances pour 1997 ou encore la
constitution
du " Nouveau marché ", marché financier dont l'accès
est réservé
aux entreprises de haute technologie.
A ces obstacles financiers, s'ajoute
l'absence de structures capables de
créer des
liens entre le monde de la recherche, celui de la finance et celui de
l'entreprise
.
Comme le soulignait devant votre commission, le 22 avril dernier,
M. Henri
Guillaume, les chercheurs, peu enclins par tradition en France à se lancer
dans
l'aventure de la création d'entreprises, ne bénéficient d'aucune structure
d'accompagnement et de formation, à l'image de celles qui existent dans les
universités
américaines.
Enfin, et c'est à cet obstacle que souhaite remédier la proposition de loi
déposée par
M. Pierre Laffitte,
les règles statutaires de la fonction publique
semblent
incompatibles avec la création d'entreprises par des chercheurs à partir
des résultats
de leurs travaux, démarche qui implique dans la pratique une interaction
entre
l'entreprise et le service public de la recherche.
B. UNE NÉCESSITÉ JURIDIQUE
1. Des règles rigoureuses
· Les règles
générales
Le statut général de la fonction publique ainsi que le code pénal
comportent des
dispositions très restrictives concernant les liens pouvant s'établir entre
un
fonctionnaire et une entreprise.
L'article 25 du code de la fonction publique dispose, en effet, que
"
les
fonctionnaires (...) ne peuvent exercer à titre professionnel une activité
privée de
quelque nature que ce soit
", précisant que les conditions de
dérogation
à cette règle sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce dernier n'étant
jamais
intervenu, s'applique encore le décret-loi du 29 octobre 1936 qui détermine
les
exceptions à la règle d'interdiction de cumul d'emplois et de rémunérations,
prévoyant notamment que le cumul peut être autorisé quand il s'agit
d'enseignement,
d'expertises ou de consultations.
Par ailleurs, l'article 25 du même code dispose également que
"
les
fonctionnaires ne peuvent prendre, par eux-mêmes ou par personnes
interposées, dans une
entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils
appartiennent ou en
relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre leur
indépendance
".
A cette règle, s'ajoutent deux articles du code pénal qui sanctionnent la
prise
illégale d'intérêts, l'article 432-12 réprimant "
le fait, par
une
personne
(...)
chargée d'une mission de service public
(...),
de prendre,
recevoir ou conserver
(...)
un intérêt quelconque dans une
entreprise
(...)
dont
elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la
surveillance,
l'administration
(...) " et l'article 432-13 punissant tout
fonctionnaire
ayant été chargé en raison de sa fonction "
soit d'assurer la
surveillance
ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de
toute nature
avec une entreprise privée
" lorsqu'il s'est rendu coupable
"
de
prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux
dans l'une de
ces entreprises avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la
cessation de cette
fonction
".
Ces règles visent à prévenir tout conflit d'intérêt entre le service public
et les
fonctionnaires en garantissant l'indépendance de ces derniers. Elles sont
complétées
par des règles spécifiques aux personnels du service public de la
recherche.
· Des règles assouplies pour les personnels de la recherche publique.
La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour
la recherche
et le développement technologique de la France comme la loi n° 84-52 du
26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur ont souligné l'importance
de la
valorisation de la recherche qui constitue, aux termes de leurs articles 24
et 4
respectifs, une des missions des métiers de la recherche et du service
public de
l'enseignement supérieur.
A ce titre, les statuts particuliers des personnels des établissements
publics
scientifiques et technologiques (EPST) peuvent permettre, aux termes de
l'article 26 de la
loi du 15 juillet 1982 précitée, "
des adaptations au régime
des
dispositions prévues par le statut général des fonctionnaires et des
dérogations aux
règles relatives aux mutations afin de faciliter la libre circulation des
hommes et des
équipes entre les métiers de la recherche et les institutions qui y
concourent
".
Le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions
statutaires
communes aux corps de fonctionnaires des EPST a ainsi prévu dans ses
articles 243 à 245
trois catégories de position dérogeant aux règles applicables à l'ensemble
des
fonctionnaires.
En vertu de l'article 243, les fonctionnaires des EPST peuvent, pour une
durée de cinq
ans renouvelable, être détachés dans des entreprises, des organismes privés
ou des
groupements d'intérêt public lorsque ce détachement est effectué pour
exercer
notamment des fonctions de recherche ou de mise en valeur des résultats de
la recherche,
sous réserve que l'intéressé n'ait pas eu, au cours des cinq dernières
années, soit
à exercer un contrôle sur l'entreprise, ou l'organisme privé, soit à
participer à
l'élaboration ou à la passation de marchés avec lui.
Par ailleurs, l'article 244 prévoit que ces fonctionnaires peuvent
également être mis
à disposition d'entreprises, notamment afin d'assurer le transfert des
connaissances et
leur application dans les entreprises et ce pour une durée maximale de
trois ans
renouvelable.
Enfin, aux termes de l'article 245, les fonctionnaires peuvent être mis en
disponibilité, pour une durée de trois ans maximum renouvelable, pour créer
une
entreprise à des fins de valorisation de la recherche. Cette possibilité
est néanmoins
limitée par les dispositions de l'article premier du décret n°95-168 du
17 février 1995 relatif à l'exercice d'activités privées par des
fonctionnaires
placés en disponibilité qui leur interdit notamment l'exercice d'activités
"
professionnelles
dans une entreprise privée lorsque l'intéressé a été, au cours des cinq
dernières
années (...) précédant sa mise en disponibilité, chargé en raison même de sa
fonction (...) de passer des marchés ou contrats avec cette entreprise ou
d'exprimer un
avis sur de tels marchés ou contrats
" et
d'"
activités
lucratives, salariées ou non (...) si par leur nature ou leurs conditions
d'exercice et
eu égard aux fonctions précédemment exercées (...) qui portent atteinte à
(leur)
dignité ou risquent de compromettre ou mettre en cause le fonctionnement
normal,
l'indépendance ou la neutralité du service.
".
Les statuts des enseignants-chercheurs comportent des dispositions
similaires en ce qui
concerne le détachement. Ils prévoient, en outre, que les
enseignants-chercheurs peuvent
être placés, pour une durée de quatre ans au plus, en délégation soit dans
une
entreprise soit pour créer une entreprise. Cette position, propre au statut
des
enseignants-chercheurs, suppose au terme des six premiers mois le versement
par
l'entreprise d'une contribution au moins équivalente à l'ensemble de la
rémunération
de l'intéressé au profit de l'établissement d'origine du chercheur. Dans le
cas d'une
création d'entreprise, une convention est passée avec l'Agence nationale de
valorisation
de la recherche.
Ces règles qui sont certes favorables dans la mesure où elles ouvrent au
chercheur qui
participe à la création ou au développement d'une entreprise de
valorisation un droit
à réintégration n'apparaissent pas adaptées aux modalités dans lesquelles
de telles
entreprises se constituent dans la pratique.
2. Des règles inadaptées à la création d'entreprises par des chercheurs
Ces règles,
dont la légitimité ne peut être contestée, constituent un obstacle à la
création
d'entreprises par des chercheurs. En effet, elles reposent sur
l'interdiction faite aux
chercheurs d'appartenir au service public et en même temps de participer à
la création
d'une entreprise. Or, le succès des entreprises innovantes créées à partir
des
résultats de la recherche publique tient précisément dans l'imbrication de
ces deux
mondes.
Un rapport public particulier de la Cour des comptes publié en juin 1997
consacré à la
valorisation de la recherche dans les EPST relevait, à ce propos, que
"
l'état
actuel de la réglementation place souvent (les personnels de recherche)
devant la
difficile alternative, soit de ne pas répondre aux invitations de la
loi
2(
*
)
, soit de risquer de se mettre en
infraction avec le droit
existant
".
Les dispositions statutaires comme les règles du code pénal ne
correspondent pas, à
l'évidence, aux conditions dans lesquelles se créent ces entreprises.
En effet, la création d'une entreprise de valorisation nécessite une phase
longue et
coûteuse au cours de laquelle la découverte scientifique et technologique
doit être
adaptée pour devenir un bien ou un service commercialisable. Durant cette
période,
qualifiée souvent de " maternage ", l'organisme de
recherche auquel
les chercheurs appartiennent apporte son aide qui prend la forme d'une mise
à disposition
de locaux, de matériels ou de personnels. Dans ce cas, l'absence de position
intermédiaire entre le départ vers l'entreprise, qui bien souvent n'est
créée qu'au
terme du processus de mise au point du procédé de fabrication, et la simple
consultance
ne permet pas de clarifier de manière appropriée la situation du chercheur.
En outre, il résulte des textes analysés plus haut qu'un fonctionnaire ne
peut en
principe créer une entreprise et partir y travailler, dès lors que des
collaborations se
seraient établies auparavant entre son laboratoire ou son établissement et
cette
entreprise. Il faut, en effet, considérer que la négociation de contrats de
collaboration ou de licence, qui sont généralement à l'origine d'une
entreprise créée
à partir des résultats de la recherche publique, ne devrait pas intervenir
tant que le
fonctionnaire n'est pas en position de disponibilité. Dans ce cas, la
création d'une
entreprise selon ces modalités n'est possible que si, au préalable, le
chercheur rompt
toutes relations avec son laboratoire d'origine. Il y a là, à l'évidence,
une
contradiction avec l'idée même de création d'entreprises par des personnels
de
recherche à partir des résultats de la recherche publique.
Enfin, les règles statutaires de la fonction publique comme celles du code
pénal
limitant les possibilités de prise de participation d'un fonctionnaire à
une entreprise
liée par un contrat à l'établissement ou au service public auquel il
appartient
interdisent à un chercheur de participer au capital d'une entreprise
innovante qu'il
aurait contribué à fonder par ses travaux de recherche. Sur ce point, le
rapport de la
Cour des comptes précité a relevé que les aménagements apportés à cette
interdiction
avaient, dans certains cas, conduit à des dérives. Or, la participation
financière du
chercheur à la création d'une entreprise innovante est souvent exigée par
les
investisseurs comme garantie de la viabilité du projet même si l'intéressé
ne souhaite
pas quitter son laboratoire. Par ailleurs, elle est souvent déterminante
compte tenu de
l'absence de système de soutien financier à l'innovation à partir des
résultats de la
recherche publique.
C. LES SOLUTIONS PROPOSÉES PAR LA PROPOSITION DE LOI
La proposition
de loi déposée par M. Pierre Laffitte tend à faciliter la création
d'entreprises
innovantes par des chercheurs en fixant les règles déontologiques de leur
création. Il
convient, en effet, que la situation des chercheurs qui souhaitent
participer à la
création d'une telle entreprise ou lui apporter leur concours scientifique
soit
précisément encadrée de manière à prévenir tout risque de conflit d'intérêt
entre
les intéressés et le service public dont ils relèvent.
A cette fin, elle comporte un article unique complétant la loi du
15 juillet 1982
précitée par deux articles nouveaux dont la rédaction s'inspire très
largement des
dispositions proposées par le gouvernement de M. Alain Juppé dans le
projet de loi
(AN, n° 3492) portant diverses dispositions d'ordre économique et financier
(DDOEF),
déposé le 2 avril 1997 et devenu caduc à la suite de la dissolution de
l'Assemblée nationale.
On analysera successivement ces deux articles nouveaux.
1.
L'article 25-1 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 :
la participation du fonctionnaire en qualité d'associé à la création
d'une entreprise
de valorisation
L'article 25-1
nouveau de la loi du 15 juillet 1982 prévoit le cas de
l'" essaimage ", c'est-à-dire le cas où le chercheur
quitte son
laboratoire pour l'entreprise en création et doit donc cesser toute
activité au titre du
service public dont il relève.
Il précise les conditions de participation, en qualité d'associé, d'un
fonctionnaire
appartenant au service public de la recherche à la création d'une
entreprise dont
l'objet est d'assurer, en exécution d'un contrat conclu entre cette
entreprise et la
personne publique dont il relève, la valorisation des travaux qu'il a
effectués dans le
cadre de ses fonctions.
Afin d'éviter tout conflit d'intérêt entre l'intéressé et le service public
dont il
relève, elle prévoit, d'une part, que l'autorisation doit être demandée
préalablement
à la négociation de ce contrat et, d'autre part, que le fonctionnaire ne
peut participer
à sa négociation. Cette disposition a donc vocation à écarter les risques
que courent
aujourd'hui les chercheurs notamment au regard des dispositions du code
pénal.
La participation du fonctionnaire peut prendre la forme d'un apport en
capital ou en
industrie en qualité d'associé, d'administrateur ou de dirigeant. Elle est
autorisée
par l'autorité dont il relève, après avis de la commission de déontologie
prévue à
l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la
prévention
de la corruption et à la transparence de la vie économique et des
procédures publiques
3(
*
)
, compétente pour
apprécier la compatibilité avec leurs
fonctions précédentes des activités que souhaitent exercer en dehors de leur
administration des fonctionnaires devant cesser ou ayant cessé
définitivement leurs
fonctions par suite de leur radiation des cadres ou devant être placés en
position de
disponibilité. Les modalités de fonctionnement de cette commission ont été
fixées par
le décret n° 95-168 du 17 février 1995 précité qui précise notamment les
activités
privées interdites.
La proposition de loi détermine néanmoins les motifs pour lesquels
l'autorisation peut
être refusée. Elle reprend sur ce point les termes du décret du
17 février 1995
précité concernant les activités qui seraient susceptibles de porter
atteinte à la
dignité des fonctions exercées par le chercheur ou risqueraient de
compromettre le
fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service. Elle
précise, par
ailleurs, que l'autorisation peut également être refusée dans le cas où
elle porterait
atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la
recherche.
Afin d'assurer un contrôle des conditions dans lesquelles se déroule la
participation du
chercheur à la création de l'entreprise, la proposition de loi prévoit
également que
cette commission sera tenue informée de toutes les relations contractuelles
qui se seront
nouées entre l'entreprise et l'organisme de recherche : contrat de licence,
contrat de
collaboration voire participation au capital de l'entreprise.
L'autorisation est délivrée pour une durée d'un an renouvelable quatre
fois. Durant
cette période, destinée à assurer le lancement de l'entreprise, le
fonctionnaire est
soit détaché auprès de l'entreprise ou mis à disposition de celle-ci ou, à
défaut,
d'un organisme concourant à la valorisation de la recherche, comme par
exemple l'Agence
nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), dispositif qui
s'inspire, sur ce
dernier point, de la position de " délégation " prévue
par les
statuts des enseignants-chercheurs.
A l'issue de cette période transitoire, le fonctionnaire devra opter entre
son entreprise
et sa carrière au sein du service public. S'il choisit la première, il sera
placé en
disponibilité à moins qu'il ne cesse ses fonctions, les dispositions de la
loi
n° 93-122 du 29 janvier 1993 précitée s'appliquant alors. S'il
choisit la
seconde, il sera réintégré dans son corps d'origine et il disposera d'un
délai de six
mois pour mettre fin à la collaboration avec l'entreprise et céder ses
droits sociaux.
Dans l'hypothèse où le fonctionnaire réintègre le service public de la
recherche, il
pourra néanmoins être autorisé à conserver une participation dans le
capital de
l'entreprise ou à lui apporter un concours scientifique dans des conditions
qui seraient
précisées par un nouvel article que la proposition de loi propose d'insérer
dans la loi
du 15 juillet 1982 précitée.
2.
L'article 25-2 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 :
le concours scientifique apporté par un fonctionnaire à une entreprise de
valorisation
La proposition
de loi permet également à un chercheur d'apporter un concours scientifique
à une
entreprise assurant, en vertu d'un contrat conclu avec la personne publique
dont il
relève, la valorisation des travaux qu'il a réalisés dans l'exercice de ses
fonctions.
Dans cette hypothèse, il demeure au sein du service public de la recherche,
le concours
scientifique devant être pleinement compatible avec le plein exercice par le
fonctionnaire de son emploi public.
Cette disposition figurant à l'article 25-2 nouveau de la loi du
15 juillet 1982
paraît opportune dans la mesure où elle permet de prévoir une position
intermédiaire
entre la simple consultance, encadrée par le décret-loi de 1936, et le
départ dans
l'entreprise que ce soit par le biais de la mise à disposition, du
détachement ou de la
mise en disponibilité.
L'autorisation est accordée au fonctionnaire selon la même procédure que
pour la
participation en qualité d'associé à la création d'une entreprise.
Les modalités selon lesquelles le chercheur apporte son concours
scientifique à
l'entreprise sont fixées par le biais d'une convention conclue entre la
personne publique
dont il relève et l'entreprise, le versement d'une rémunération au profit
du chercheur
pouvant être prévue. Une telle solution permet de donc d'aménager de
manière très
souple le concours scientifique.
Afin d'éviter les conflits d'intérêts entre le fonctionnaire et la personne
publique
dont il relève, la proposition de loi précise que l'intéressé ne peut
participer à
l'élaboration ni à la passation des contrats et conventions conclus entre
l'entreprise
et le service public de la recherche. En outre, le chercheur ne peut être
soumis au
pouvoir hiérarchique au sein de l'entreprise et ne peut l'exercer ni
occuper des
fonctions de dirigeant ou d'administrateur.
Le fonctionnaire peut également être autorisé à prendre une participation
dans le
capital de l'entreprise, la proposition de loi fixant son montant maximal à
49 % de
celui-ci.
Afin d'assurer un contrôle des conditions dans lesquelles se déroule cette
" collaboration " entre le fonctionnaire et
l'entreprise il est prévu
d'une part, que l'autorité publique dont relève le chercheur est tenue
informée des
revenus qu'il perçoit à raison de sa participation au capital de
l'entreprise, des
cessions de titres auxquelles il procède ainsi que des compléments de
rémunération
qu'il est susceptible de percevoir et, d'autre part, que la commission
prévue de
l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 précitée est tenue informée des
contrats et
conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la
recherche.
II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A. UNE POSITION FAVORABLE...
Les conclusions
de votre commission reprennent très largement le dispositif de la
proposition de loi de
M. Pierre Laffitte.
Le rapport précité de M. Henri Guillaume, se référant au texte proposé
par le
précédent gouvernement dont s'inspire -comme nous l'avons relevé plus haut-
la
proposition que nous examinons, avait considéré que son adoption constituait
"
une condition déterminante de la relance de la création
d'entreprises de
technologies en France
". Votre rapporteur a pu, au cours de
ses travaux,
constater qu'il correspondait aux aspirations des chercheurs.
Par ailleurs, il présente, sous réserve de quelques aménagements, un
assouplissement
satisfaisant des dispositions statutaires applicables aux fonctionnaires.
Lors des assises de l'innovation, le 12 mai dernier, le Premier ministre a
appelé
"
à cultiver le goût du risque et le désir
d'entreprendre
"
et a estimé que l'Etat se devait d'aider les chercheurs souhaitant créer
des entreprises
à bénéficier de fonds publics et privés. Le ministre de l'éducation
nationale, de la
recherche et de la technologie a quant à lui défini sa politique en matière
d'innovation, soulignant la nécessité de "
favoriser la
création
d'entreprises innovantes par des chercheurs "
issus de la
recherche
publique.
Ces déclarations rejoignent la préoccupation constante de votre commission
de promouvoir
la diffusion de l'innovation ainsi que la valorisation des résultats de la
recherche
publique. Votre rapporteur estime, qu'en ce domaine, il importe d'agir
rapidement. Compte
tenu du retard accumulé par la France dans des secteurs comme les nouvelles
technologies
de l'information et de la communication ou les biotechnologies, il faut
permettre sans
tarder à une génération de jeunes chercheurs plus ouverts que leur aînés à
l'esprit
d'entreprise de développer de tels projets et d'éviter ainsi une fuite des
cerveaux vers
des pays dont la réglementation et les structures économiques plus
favorables que les
nôtres encouragent ce type d'initiatives.
Le principe du dispositif proposé apparaît approprié dans la mesure où il
permet
d'encadrer la situation du chercheur, que l'entreprise soit créée dans le
cadre d'un
" essaimage " c'est-à-dire d'un départ du chercheur
public vers le
secteur privé ou qu'elle bénéficie seulement de l'appui d'un chercheur qui
choisit de
rester au sein du service public.
B. ... SOUS RÉSERVE DE QUELQUES AMÉNAGEMENTS
Les conclusions de votre commission, tout en conservant la structure de la proposition de loi de M. Pierre Laffitte et en reprenant l'essentiel de ses dispositions, lui apportent quelques aménagements. Ces derniers répondent à trois préoccupations essentielles.
1. Rendre plus opérationnelles les dispositions de l'article 25-1
· Répondant au
souci de la proposition de loi de prévenir tout conflit d'intérêt entre le
service
public et le fonctionnaire souhaitant participer en qualité d'associé à la
création
d'une entreprise de valorisation, l'article 25-1 prévoit que ce dernier ne
peut
participer à la négociation du contrat conclu entre la personne publique
dont il relève
et l'entreprise afin de fixer les conditions dans lesquelles ses travaux
seront
exploités. Cela implique qu'une fois la demande d'autorisation déposée, le
chercheur ne
puisse participer à cette négociation que ce soit pour le compte de la
personne publique
dont il relève ou pour celui de l'entreprise à la création de laquelle il
participe.
Le chercheur ayant vocation à être dirigeant de l'entreprise et étant bien
souvent seul
à créer l'entreprise, cette disposition apparaît trop restrictive. Sa
rigueur risque,
en effet, de constituer un obstacle à l'essaimage.
Votre commission vous propose donc de prévoir que le fonctionnaire
intéressé ne peut
participer à l'élaboration et à la passation de la convention pour le
compte de la
personne publique dont il relève. Une telle disposition a le mérite de
tenir compte du
rôle central joué par le chercheur dans la création de l'entreprise tout en
évitant de
le faire tomber sous le coup des dispositions de l'article 432-13 du code
pénal.
· Votre commission propose, par ailleurs, de ne pas limiter la
participation du chercheur
à l'entreprise de valorisation à un apport en capital ou en industrie mais
de prévoir
également le cas d'un apport en nature. Il est apparu, en effet, nécessaire
de prévoir
l'hypothèse où le chercheur consentirait un apport de brevets compte tenu de
l'importance de ce type d'apport dans la constitution d'une entreprise de
valorisation.
Dans la plupart des cas, l'entreprise exploite un brevet déposé par la
personne publique
puis cédé aux chercheurs qui créent l'entreprise.
2. Mieux encadrer le dispositif de l'article 25-2
· Votre
commission a souhaité limiter le montant de la participation qu'un
chercheur peut prendre
dans le capital de l'entreprise qui valorise ses travaux tout en restant au
sein du
service public de la recherche. En effet le seuil de 49 % prévu par la
proposition
de loi semble excessif et risque d'aboutir à des conflits d'intérêts entre
la personne
publique et l'entreprise.
Votre commission vous propose donc de retenir une limite fixée à 10 %
du capital de
l'entreprise. Ce seuil correspond par ailleurs mieux à la vocation de cette
disposition.
En effet, dans de nombreux cas, la participation d'un chercheur au capital
d'une
entreprise de valorisation dans le cadre du concours scientifique n'a pas
d'autre
finalité que de garantir aux yeux des autres associés ou des partenaires
financiers la
viabilité du projet et de servir de caution au concours scientifique.
Par ailleurs, le seuil de 49 % ne semble pas cohérent avec le statut
d'indépendance
qui doit caractériser le concours scientifique. Votre commission vous
propose, à ce
titre, de préciser que le chercheur ne peut être administrateur ou
dirigeant de
l'entreprise ni être placé en son sein dans une situation hiérarchique, ce
qui semble
à l'évidence incompatible avec un tel niveau de participation.
· En outre, il a semblé nécessaire de prévoir le cas -fréquent dans la
pratique- où
plusieurs chercheurs appartenant à un même établissement public
apporteraient leur
concours scientifique à une entreprise de valorisation. Dans ce cas, votre
commission
propose qu'ils ne puissent détenir ensemble plus de 30 % du capital de
l'entreprise.
3. Alléger le dispositif législatif proposé par les articles 25-1 et 25-2
Les conclusions
de votre commission renvoient à des décrets en Conseil d'Etat la fixation
des modalités
d'application des articles nouveaux insérés dans la loi du 15 juillet 1982,
ces décrets
devant définir notamment :
- les conditions d'octroi, de renouvellement et de retrait des
autorisations visées aux
articles 25-1 et 25-2 nouveaux, votre commission vous proposant seulement
de préciser
dans la loi qu'elles ne peuvent porter atteinte aux intérêts matériels et
moraux du service public de la recherche ;
- les modalités selon lesquelles la commission de déontologie est tenue
informée des
contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de
la
recherche ;
- et, dans le cas où le concours scientifique s'accompagne d'un complément
de
rémunération au profit du chercheur ou d'une participation au capital, les
conditions
dans lesquelles l'autorité dont relève le fonctionnaire est tenue informée
des revenus
qu'il perçoit à raison de sa participation au capital de l'entreprise, des
cessions de
titres auxquels il procède ainsi que des éventuels compléments de
rémunération.
Au bénéfice des observations qui précèdent, votre commission vous
demande d'adopter
la proposition de loi dans le texte de ses conclusions, et qui figure
ci-après.
*
* *
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours d'une
réunion tenue le mercredi 17 juin 1998 sous la présidence de
M.
Jean-Paul Hugot,
vice-président
, la commission a examiné le rapport de
M. Adrien
Gouteyron
sur
la proposition de loi n° 98 (1997-1998) de M. Pierre Laffitte
permettant à des
fonctionnaires
de participer à la
création d'entreprises
innovantes
.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
M. James Bordas
, soulignant l'intérêt de cette proposition de loi, a
indiqué que
la rigueur des règles de la fonction publique pouvaient, dans certains cas,
interdire le
départ de chercheurs vers le secteur industriel et, à ce titre, risquaient
d'entraîner
une fuite des cerveaux au profit des pays étrangers.
M. Jean Bernadaux
, insistant également sur la nécessité des échanges
entre le
secteur industriel et la recherche publique, a évoqué à l'appui de ses
propos le
bénéfice que les technopoles pouvaient retirer de la proximité d'une
université.
M. Guy Poirieux
a considéré que la proposition de loi, en permettant
aux
fonctionnaires de participer à la création d'une entreprise tout en leur
garantissant un
droit à réintégration dans leur organisme d'origine, ne pouvait être
comprise comme un
moyen de développer le goût du risque chez les chercheurs.
M. Franck Sérusclat
s'est inquiété des modalités selon lesquelles les
intérêts matériels et moraux de l'organisme public de recherche pourraient
être
protégés dans les situations visées par la proposition de loi.
M. Pierre Laffitte
a manifesté son accord avec les aménagements
proposés par le
rapporteur à sa proposition de loi. Il a relevé en particulier que
l'impossibilité pour
le chercheur de participer, pour le compte de l'organisme dont il relève, à
la
négociation du contrat fixant les conditions dans lesquelles l'entreprise
valoriserait
les résultats de ses travaux était de nature à protéger les intérêts du
service
public de la recherche. Il a indiqué à ce titre que la loi allemande
attribuait la
propriété des brevets aux chercheurs à la différence de la loi française,
qui
l'attribue à l'organisme de recherche ou à l'entreprise qui les emploie.
Par ailleurs, il a fait observer que, si les chercheurs créant des
entreprises
bénéficiaient d'un droit à réintégration, ils prenaient un risque financier
en
investissant des capitaux. Soulignant l'importance pour les chercheurs de
travailler dans
le secteur industriel, il a indiqué que les professeurs du
" Massachusetts
Institute of Technology " (MIT) avaient pour obligation de
consacrer un jour par
semaine à des consultations auprès d'entreprises. Par ailleurs, il a
rappelé que les
entreprises innovantes étaient à l'origine de la quasi-totalité des
créations
d'emplois à haute valeur ajoutée aux Etats-Unis au cours des dernières
années.
Insistant sur la nécessité de développer l'esprit d'entreprise chez les
chercheurs, il
s'est réjoui que deux ministres de la recherche successifs se soient
prononcés en faveur
de l'adoption d'un dispositif analogue à celui proposé par la proposition
de loi. Il a
considéré, en effet, que cette dernière, sans pouvoir remédier à elle seule
à
l'insuffisante valorisation de la recherche dont souffre la France,
permettait d'offrir un
cadre légal à un processus qui doit être encouragé.
M. Serge Lagauche
, tout en convenant de l'importance de la
valorisation des
résultats de la recherche, a néanmoins insisté sur la nécessité de veiller
aux
intérêts du service public de la recherche lors de la négociation de la
convention
conclue entre l'entreprise et l'organisme public prévue à l'article 25-1.
M. Franck Sérusclat
s'est inquiété des conditions dans lesquelles
l'organisme
public de recherche prendrait part aux profits dégagés par l'entreprise
ainsi créée.
Rappelant que 50 000 Français travaillaient déjà dans la Silicon Valley et
évoquant
les risques liés à une fuite des cerveaux vers l'étranger,
M. Pierre Laffitte
a indiqué que dans les années à venir, la croissance des économies
nationales
dépendrait de l'existence et de la valorisation des compétences
scientifiques et
technologiques. Il a rappelé que le développement, dont le coût est au
demeurant très
supérieur à celui de la recherche, ne relevait pas de la mission des
organismes publics
de recherche qui ont, par ailleurs, un intérêt financier évident à la
valorisation des
travaux menés en leur sein.
Etablissant une distinction entre le cas de la création d'une entreprise
par un chercheur
et celui du départ d'un chercheur dans une grande entreprise, il a
considéré que la
proposition de loi n'était pas de nature à encourager le
" pantouflage " des fonctionnaires dans l'industrie.
M. Jean-Paul Hugot
s'est interrogé sur les éventuelles
conséquences sur
l'organisation interne des organismes publics de recherche d'une
participation accrue de
leurs personnels à des actions de valorisation.
M. Pierre Laffitte
a fait observer que la proposition de loi avait
pour objet
principal d'assurer la transparence de pratiques qui se développaient
actuellement dans
des conditions juridiques hasardeuses. N'étant pas de nature à susciter
l'engouement des
chercheurs, son application ne risquait pas de remettre en cause les
structures des
organismes publics de recherche.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur
, répondant aux remarques de
MM. Franck
Sérusclat et Serge Lagauche, a souligné qu'il proposait de limiter à 10 %
la part que
peut détenir un chercheur dans le capital de l'entreprise à laquelle il
apporte son
concours scientifique. Par ailleurs, il a fait observer que si le chercheur
participant à
la création d'une entreprise innovante bénéficiait d'un droit à
réintégration, il
assumait néanmoins un risque financier et qu'en outre, sa carrière risquait
d'être
affectée par une telle initiative.
Il a souligné que, compte tenu des retards enregistrés par la France dans
certains
secteurs, il importait d'encourager le développement de l'innovation et que
la
proposition de loi était susceptible d'y contribuer. A titre d'exemple, il
a indiqué que
l'industrie des biotechnologies ne représentait en France que 50
entreprises, 3 000
salariés et une valeur estimée à 0,6 milliard de dollars alors qu'aux
Etats-Unis elle
comptait 1 300 entreprises, 118 000 salariés et une capitalisation de 83
milliards de
dollars.
Enfin, il a rappelé que la Cour des comptes, dans un rapport public
particulier publié
en 1997, avait recommandé une clarification des conditions juridiques dans
lesquelles les
chercheurs pouvaient participer à des entreprises valorisant les résultats
de leurs
travaux.
La commission a ensuite procédé à l'examen du dispositif proposé par le
rapporteur.
A l'issue de cet examen, elle a adopté les conclusions proposées par son
rapporteur
.
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
Proposition de
loi permettant à des fonctionnaires
de participer à la création d'entreprises innovantes
Article unique
Il est inséré
après l'article 25 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et
de
programmation pour la recherche et le développement technologique de la
France deux
articles nouveaux ainsi rédigés :
"
Art. 25-1
. - Les fonctionnaires civils des services publics
définis à
l'article 14 peuvent être autorisés à participer, en qualité d'associé,
d'administrateur ou de dirigeant, à la création d'une entreprise dont
l'objet est
d'assurer, en exécution d'un contrat conclu avec une personne publique, la
valorisation
des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice de leurs
fonctions.
" L'autorisation doit être demandée préalablement à la négociation du
contrat
prévu au premier alinéa et au plus tard trois mois avant l'immatriculation
de
l'entreprise au registre du commerce et des sociétés. Le fonctionnaire
intéressé ne
peut participer à l'élaboration ni à la passation du contrat pour le compte
de la
personne publique avec laquelle il est conclu.
" L'autorisation est accordée, après avis de la commission prévue par
l'article 87
de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la
corruption et à
la transparence de la vie économique et des procédures publiques, pour une
période d'un
an renouvelable quatre fois.
" A compter de la date d'effet de l'autorisation, l'intéressé est,
soit détaché
dans l'entreprise, soit mis à disposition de celle-ci ou d'un organisme qui
concourt à
la valorisation de la recherche. Il cesse toute activité au sein du service
public de la
recherche.
" Au terme de l'autorisation, le fonctionnaire peut :
" - être, à sa demande, placé en position de disponibilité ou radié
des cadres
s'il souhaite conserver des intérêts dans l'entreprise ;
" - être réintégré au sein de son corps d'origine. Dans ce cas, il
cède ses
droits sociaux et met fin à sa collaboration avec l'entreprise dans un
délai de six
mois. Il peut toutefois être autorisé à apporter son concours scientifique à
l'entreprise et à conserver une participation dans le capital de celle-ci
dans les
conditions prévues à l'article 25-2.
" L'autorisation peut être retirée ou non renouvelée si les conditions
qui ont
permis sa délivrance ne sont plus remplies. Dans ce cas, le fonctionnaire
ne peut
poursuivre son activité dans l'entreprise que dans les conditions prévues à
l'article
72 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires
relatives à la
fonction publique de l'Etat. S'il ne peut conserver d'intérêts dans
l'entreprise, il
dispose du délai prévu au septième alinéa pour y renoncer.
" Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du
présent
article. Il précise les conditions d'octroi, de renouvellement et de
retrait de
l'autorisation, qui ne peut porter atteinte aux intérêts matériels et
moraux du service
public de la recherche. Il fixe également les conditions dans lesquelles la
commission
mentionnée au troisième alinéa est tenue informée, pendant la durée de
l'autorisation
et durant cinq ans à compter de son expiration ou de son retrait, des
contrats et
conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la
recherche.
"
Art. 25-2.
- Les fonctionnaires mentionnés au premier
alinéa de
l'article 25-1 peuvent être autorisés à apporter leur concours scientifique
à une
entreprise qui assure, en exécution d'un contrat conclu avec une personne
publique, la
valorisation des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice
de leurs
fonctions.
" Les conditions dans lesquelles le fonctionnaire intéressé apporte
son concours
scientifique à l'entreprise sont définies par une convention conclue entre
l'entreprise
et la personne publique mentionnée au premier alinéa. Elles doivent être
compatibles
avec le plein exercice par le fonctionnaire de son emploi public.
" Le fonctionnaire peut également être autorisé à prendre une
participation dans
le capital social de l'entreprise, dans la limite de 10 % de celui-ci.
Lorsque plusieurs
fonctionnaires relevant de la personne publique mentionnée au premier
alinéa apportent
leur concours scientifique à l'entreprise, la totalité des participations
qu'ils
détiennent dans son capital ne peut excéder 30 % de celui-ci.
" Le fonctionnaire ne peut participer à l'élaboration ni à la
passation des
contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de
la recherche.
Il ne peut, au sein de l'entreprise, exercer des fonctions d'administrateur
ou de
dirigeant, ni être placé dans une situation hiérarchique.
" L'autorisation est délivrée après avis de la commission mentionnée au
troisième alinéa de l'article 25-1. Elle est retirée si les conditions qui
avaient
permis sa délivrance ne sont plus remplies ou si le fonctionnaire méconnaît
les
dispositions du présent article. En cas de retrait de l'autorisation, le
fonctionnaire
dispose d'un délai de six mois pour céder ses droits sociaux. Il ne peut
poursuivre son
activité au sein de l'entreprise que dans les conditions prévues à
l'avant-dernier
alinéa de l'article 25-1.
" Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du
présent
article. Ce décret précise les conditions d'octroi et de retrait de
l'autorisation, qui
ne peut porter atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public
de la
recherche. Il fixe les conditions dans lesquelles l'autorité dont relève le
fonctionnaire est tenue informée des revenus qu'il perçoit à raison de sa
participation
au capital de l'entreprise, des cessions de titres auxquelles il procède
ainsi que des
compléments de rémunération prévus, le cas échéant, par la convention visée
au
deuxième alinéa. Il détermine également les modalités selon lesquelles,
pendant la
durée de l'autorisation, la commission mentionnée au troisième alinéa de
l'article
25-1 est tenue informée des contrats et conventions conclus entre
l'entreprise et le
service public de la recherche. ".
1
BCRD : budget civil de recherche et développement.
2
par référence à la loi du 15 juillet 1982 qui fait de la
valorisation de
la recherche une mission du service public de la recherche.
3
dans sa rédaction résultant de l'article 4 de la loi
n° 94-539 du 28
juin 1994 relative à certaines modalités de nomination dans la fonction
publique de
l'Etat et aux modalités d'accès de certains fonctionnaires ou anciens
fonctionnaires à
des fonctions privées.