B. DES ÉVALUATIONS AMBIGUËS
Le
passage en revue des différentes mesures du présent projet de loi
d'orientation fait apparaître des contradictions, à l'image de
l'assouplissement de l'exonération de taxe foncière prévue
par l'article 29 du projet de loi : cette
"mesure n'a pas d'incidence
financière pour l'Etat"
selon l'étude d'impact alors que le
dossier de presse du programme fait référence à un montant
de 135 millions de francs sur trois ans.
De façon plus générale, cet examen fait ressortir des
lacunes qui conduisent votre rapporteur pour avis à s'interroger sur les
ambiguïtés de certaines évaluations de coûts.
La plupart des chiffrages reposent sur des hypothèses de limitation
quantitative des bénéficiaires, qui semblent fragiles au regard
de l'importance des besoins : 60.000 jeunes pour le programme TRACE ; 70.000
contrats emplois consolidés ; 30.000 emplois supplémentaires en
entreprises d'insertion ; 25.000 contrats de formation en alternance pour
adultes ; 20.000 logements aidés au titre de la
médiation locative ; etc.
Même s'il ne s'agit pas, juridiquement, de dispositifs "à guichet
ouvert", il sera difficile de refuser des demandes en cours d'année
simplement parce que les crédits initialement prévus seront
épuisés. Les dépenses à caractère social
constituent traditionnellement de gros postes d'ajustement en lois de finances
rectificative.
Certains dispositifs sont expérimentaux, mais leur
généralisation n'est pas chiffrée bien que
présentée comme certaine. C'est notamment le cas du dispositif de
lutte contre l'illettrisme, et des antennes régionales de l'Observatoire
national de la pauvreté et de l'exclusion.
D'autres mesures sont réputées n'avoir aucun coût, alors
même qu'elles tendent à créer des dispositifs nouveaux ou
à élargir le champ de dispositifs existants. C'est notamment le
cas de la nouvelle procédure de réquisition de logement avec
attributaire, et de l'extension du champ des emplois jeunes dans les DOM.
De même, les charges de gestion supplémentaires pour les
administrations publiques sont systématiquement minimisées, voire
considérées comme nulles, alors qu'elles impliquent parfois des
créations de postes. C'est notamment le cas du rétablissement des
bourses des collèges et de la mise en place de l'Observatoire national
de la pauvreté et de l'exclusion. Dans ce dernier cas, l'étude
d'impact estimait, en effet, que
"la création de postes
budgétaires est indispensable pour réaliser des recrutements de
qualité".
Par ailleurs, votre rapporteur pour avis souligne qu'il ne faut pas
sous-estimer l'effet potentiellement inflationniste de l'amélioration de
l'information des populations concernées sur leurs droits. Dans son
principe, cet objectif du projet de loi est tout à fait louable. Mais
l'expérience prouve que, indépendamment de toute extension
juridique, le seul renforcement de l'accès effectif aux droits sociaux
existants contribue à accroître considérablement les
dépenses afférentes.
Enfin, le présent projet de loi d'orientation propose d'harmoniser et
d'étendre les mécanismes dits "d'intéressement", qui
permettent de cumuler dans certaines limites une rémunération
d'activité avec un minimum social. Ce dispositif est judicieux car il
facilite les processus de réinsertion par l'emploi en corrigeant les
effets pervers des "trappes à inactivité", créées
par la faiblesse de l'écart entre les revenus de remplacement et les
revenus d'activité en bas de l'échelle des salaires.
Néanmoins, il est susceptible de générer des effets
d'aubaine et des fraudes pures et simples, tant de la part des
bénéficiaires que de celle des entreprises qui les emploient. Le
décret prévu devra donc le calibrer soigneusement, en
prévoyant une réduction progressive du cumul, et des
délais de carence entre deux cumuls. A cet égard, on peut
s'inquiéter de la mesure votée par les députés
contre l'avis du gouvernement, tendant à permettre le cumul d'un contrat
emploi solidarité (CES) avec une activité à mi-temps. En
effet, comme l'a fait observer avec raison Mme Martine Aubry, les CES devraient
être, par définition, réservés aux personnes inaptes
à assurer un emploi ordinaire, même à mi-temps.
Par ailleurs, ce mécanisme d'intéressement est
considéré par le gouvernement comme n'ayant aucun coût, car
l'accroissement des dépenses de minima sociaux
généré dans un premier temps serait compensé, dans
un second temps, par la sortie des bénéficiaires des dispositifs
d'assistance.
Ce raisonnement repose sur un pari dont on ne peut que
souhaiter le succès, mais qui reste assez audacieux.