TITRE II
DE LA PRÉVENTION DES EXCLUSIONS
CHAPITRE PREMIER
PROCÉDURE DE TRAITEMENT
DES
SITUATIONS DE SURENDETTEMENT
Ce
premier chapitre du volet du projet de loi relatif à la
prévention des exclusions contenait initialement onze articles modifiant
le dispositif de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989
relative à la prévention et au règlement des
difficultés liées au surendettement des particuliers et des
familles, communément appelée " loi Neiertz ".
Lors de son examen par l'Assemblée nationale, cette partie du projet de
loi a été enrichie de six nouveaux articles et a subi
d'importantes modifications résultant de l'adoption de plus d'une
trentaine d'amendements.
Avant d'examiner dans le détail les dispositions du projet de loi
tendant à modifier la procédure résultant de la " loi
Neiertz " et s'inspirant sur de nombreux points des conclusions du groupe
de travail sénatorial figurant dans un rapport d'information
5(
*
)
publié à l'automne 1997,
pour l'adapter aux nouvelles formes du surendettement des ménages, votre
rapporteur exposera les évolutions de ce phénomène au
cours des dernières années et rappellera corrélativement
en quoi une révision de la procédure s'avérait
nécessaire.
I. UNE ÉVOLUTION DU PHÉNOMÈNE DU SURENDETTEMENT IMPOSANT UNE ADAPTATION DES PROCÉDURES EN VIGUEUR
Le
phénomène du surendettement a connu depuis 1990, première
année de mise en oeuvre de la procédure de traitement
instaurée par la loi Neiertz, une profonde évolution en termes
quantitatif et qualitatif.
D'un point de vue quantitatif, le nombre de dépôts annuels de
dossiers devant les commissions de surendettement, après avoir connu une
relative stagnation jusqu'en 1990, a enregistré une forte augmentation
à partir de 1995 retracée dans le tableau ci-après :
Dépôts annuels de dossiers de surendettement en
phase amiable
auprès des 119 commissions
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
90.174 |
68.075 |
68.830 |
68.863 |
68.608 |
70.112 |
86.806 |
95.756 |
Source : Banque de France
La progression enregistrée semble encore s'accentuer au premier
trimestre 1998 avec quelque 30.000 dépôts de dossiers (contre
environ 25.000 au premier trimestre 1997).
Ainsi, en données cumulées au 31 mars 1998, les commissions de
surendettement ont été saisies de près de 650.000 dossiers
depuis 1990.
Si cette progression peut en partie s'expliquer par la meilleure connaissance
que peuvent avoir les particuliers en difficulté des procédures
existantes et, pour la période la plus récente, par l'effet
d'appel dû à l'annonce du projet de loi, l'évolution
résulte pour l'essentiel d'un fort accroissement de la
précarité qui a provoqué un changement de nature du
phénomène du surendettement.
Concernant cette évolution qualitative du surendettement, les
observateurs estiment que la période charnière se situe en
1993-1994. A compter de cette période, ils constatent une décrue
du nombre de dossiers comportant exclusivement des dettes bancaires et,
simultanément, une forte croissance du nombre de dossiers de
surendettement dit " passif ", lié à la survenance
d'accidents de la vie provoquant une forte et brutale contraction des
ressources, en particulier le chômage.
Si, géographiquement, le surendettement continue à marquer le
plus fortement les régions industrialisées où le taux de
chômage est particulièrement élevé tels que le
Nord-Pas-de-Calais, la Haute Normandie et la Picardie, le profil sociologique
du surendetté a subi de profondes transformations, les situations se
caractérisant cependant par une grande diversité.
Le surendettement passif touche de plus en plus les classes moyennes, parfois
même les cadres et les professions libérales et les personnes
seules ou isolées à la suite, pour la majorité d'entre
elles, d'un éclatement de la famille.
La structure de l'endettement de ces personnes révèle un poids
croissant des dettes fiscales et des dettes de la vie courante. A défaut
de données statistiques qualitatives établies au niveau national,
les secrétariats des commissions ne disposant pas des outils
adaptés pour observer l'évolution du phénomène, des
exemples ponctuels peuvent illustrer ce propos.
Sur les 123 dossiers présentés le 5 décembre 1996 devant
la commission de Melun aux fins d'examen de leur recevabilité, 75,6 %
d'entre eux contenaient des dettes fiscales et 52,8 % des dettes de la vie
courante (factures EDF-GDF, factures de téléphone... non
acquittées). La commission a constaté que 26,8 % de ces dossiers
présentaient une capacité de remboursement nulle.
Dans son étude publiée en janvier 1997, l'Observatoire national
de l'action sociale décentralisée (ODAS)
6(
*
)
indiquait que la capacité de
remboursement par ménage était, en 1995, négative dans 32
% des cas et inférieure à 500 francs par mois dans 41 % des cas.
Si les mécanismes de traitement du surendettement mis en place par la
loi du 31 décembre 1989, modifiée par la loi n° 95-125 du 8
février 1995 pour renforcer le rôle pivot des commissions, se sont
révélés globalement efficaces, les procédures
existantes paraissent aujourd'hui inadaptées au traitement des cas, de
plus en plus nombreux, de surendettement dit "
passif
".
Selon les informations délivrées par la Banque de France, plus de
580.000 dossiers ont été traités en phase amiable par les
commissions depuis l'entrée en vigueur du dispositif jusqu'au 31
décembre 1997, et près de 95.000 pour la seule année 1997.
La proportion de plans d'apurement conventionnels conclus par rapport aux
constats de non-accord en phase amiable s'élève en moyenne sur la
période à 64 %. Ce taux a connu une forte augmentation au
fil des années et une importante accélération depuis 1995
pour atteindre 74 % en 1997.
BILAN
NATIONAL DE L'ACTIVITÉ
DES COMMISSIONS DE SURENDETTEMENT
PAR
ANNÉE CIVILE
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Cumul
depuis
|
Dossiers
déposés
|
90 174 |
68 075 |
63 830 |
68 863 |
68 608 |
70 112 |
86 999 |
95 756 |
612 417 |
Ouvertures de procédures
|
1 179 |
1 035 |
1 411 |
1 197 |
1 366 |
753 |
2 |
0 |
6 943 |
Dossiers
estimés
|
10 076 |
6 789 |
6 311 |
6 603 |
5 690 |
4 780 |
5 727 |
6 610 |
52 586 |
Dossiers recevables......... |
64 320 |
60 240 |
55 067 |
57 003 |
59 000 |
56 400 |
71 588 |
80 161 |
503 779 |
Taux de recevabilité........ |
86 |
90 |
90 |
90 |
91 |
92 |
93 |
92 |
91 |
Plans conventionnels....D |
13 662 |
36 866 |
35 755 |
32 934 |
37 280 |
32 131 |
43 357 |
55 971 |
287 956 |
Constats
|
16 799 |
26 582 |
22 051 |
19 618 |
22 065 |
16 549 |
19 606 |
19 350 |
162 620 |
Taux de réussite (a)........ |
45 |
58 |
62 |
63 |
63 |
66 |
69 |
74 |
64 |
Dossiers clos.................F |
6 334 |
14 029 |
10 470 |
9 317 |
8 895 |
6 847 |
10 865 |
12 859 |
79 648 |
Dossiers
traités
|
46 871 |
84 266 |
74 587 |
68 472 |
73 930 |
60 307 |
79 555 |
94 842 |
582 810 |
Taux de
traitement
|
51 |
122 |
114 |
98 |
106 |
85 |
91 |
99 |
94 |
Stock
restant à traiter
|
44 482 |
28 147 |
19 980 |
21 568 |
17 612 |
28 170 |
35 616 |
36 550 |
|
Demandes
|
|
|
- |
|
|
9 381 |
16 262 |
15 798 |
41 441 |
Recommandations
|
|
|
|
|
|
4 135 |
17 064 |
16 408 |
37 607 |
Recommandations
|
|
|
|
|
|
1 062 |
11 246 |
11 131 |
23 439 |
Recommandations restant
|
|
|
|
|
|
5 125 |
3 488 |
2 244 |
|
(a) D/(D
+ E)
(b) (C+D+E+F)/(A+B)
Source : tableau extrait du bulletin de la banque de France n° 51 de mars
1998
Toutefois, et comme l'a fait valoir le rapport d'information du groupe de
travail sénatorial,
7(
*
)
"
l'efficacité du dispositif doit se mesurer à l'aune non
seulement du taux de succès de la phase amiable, mais aussi et surtout
en fonction du taux de réussite dans la mise en oeuvre des plans
conventionnels. Or, en l'absence de système de suivi de
l'exécution des plans, aucune étude statistique d'ensemble ne
permet de procéder à une telle évaluation "
.
Seule une étude ponctuelle réalisée par le Centre de
Recherche sur l'Épargne (CREP), en mai 1995, indique que le taux
d'échec correspondant à la proportion de plans frappés de
caducité du fait du non-respect par le débiteur des engagements
souscrits est de l'ordre de 10 %. Ce chiffre semble corroboré par les
statistiques du Fichier des Incidents de Crédit aux Particuliers (FICP)
qui révèlent qu'au 31 mars 1997, seuls 13,2 % des plans ont fait
l'objet d'un incident caractérisé postérieur à leur
signature.
Si ces échecs peuvent, dans une partie des cas, être
analysés comme le résultat du non-respect
délibéré du plan par le débiteur, ils traduisent
également la difficulté à élaborer des plans
d'apurement viables du fait de la faible solvabilité des
débiteurs. La Banque de France estime ainsi à environ 15 %
la proportion de dossiers faisant l'objet d'un nouveau dépôt et
d'un nouvel examen par la commission de surendettement. Ces dépôts
renouvelés sont également dus à un recours croissant des
commissions à la pratique des moratoires, seul instrument actuellement
à leur disposition pour traiter les cas d'insolvabilité absolue
dans la mesure où elles ne sauraient décliner leur
compétence, l'absence de ressources ou de capacité de
remboursement du débiteur ne constituant pas un motif
d'irrecevabilité.
Comme le montre le tableau ci-après, la part des plans de surendettement
comportant des moratoires tend à augmenter depuis un an en phase
amiable, passant de 25,1 % en mars 1997 à 39,4 % en mars 1998
:
|
1997 |
1998 |
||||
|
mars |
2ème trimestre |
3ème trimestre |
4ème trimestre |
1er trimestre |
mars |
phase amiable |
25,1 |
32,8 |
32,9 |
35,4 |
36,7 |
39,4 |
phase
de
|
65,1 |
57 |
59,6 |
59,5 |
63 |
64,1 |
La part
des plans recommandés incluant des moratoires reste quant à elle
très élevée puisqu'elle s'élève à
près des deux tiers.
L'ensemble de ces données révélant les limites du
dispositif en vigueur a conduit le Gouvernement à proposer une nouvelle
réforme qui, sans remettre en cause fondamentalement les
procédures existantes vient les compléter et les adapter.