CHAPITRE IV
EXERCICE DE LA CITOYENNETÉ
Article 40
(articles L. 15-1 nouveau et L. 18 du code
électoral)
Inscription des personnes sans domicile fixe sur les
listes électorales
Cet
article tend à rendre plus effectif l'exercice du droit de vote des
personnes qui ne remplissent pas la condition de domicile posée par le
code électoral.
En l'état actuel du droit, seuls les électeurs qui ont leur
domicile réel dans la commune et ceux qui y habitent depuis six mois au
moins, ainsi que ceux qui acquittent depuis cinq ans au moins les impôts
locaux, peuvent être inscrits sur la liste électorale communale
(article L. 11 du code électoral). Celle-ci indique le domicile ou
la résidence des électeurs (L. 18 du code électoral).
Ainsi, la condition de domicile fixée par la loi rend plus difficile
l'exercice du droit de vote par les personnes sans domicile fixe. Pourtant, aux
termes de l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958,
" sont
électeurs, dans les conditions déterminées par la loi,
tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs
droits civils et politiques ".
Le projet de loi faciliterait la mise
en oeuvre d'un droit que la Constitution reconnaît à tous les
Français.
•
Le paragraphe I
du présent article complète la
section première du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code
électoral (dispositions communes à l'élection des
députés, des conseillers généraux et des
conseillers municipaux) en y ajoutant un article L. 15-1 pour faciliter la
domiciliation électorale des personnes sans domicile fixe.
Cet article L. 15-1 nouveau envisage le cas des citoyens qui ne peuvent
fournir la preuve d'un domicile ou d'une résidence et auxquels la loi
n'a pas fixé une commune de rattachement.
Le rattachement à une commune permet en effet à certaines
personnes sans domicile fixe d'exercer leurs droits électoraux. Il est
organisé par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative aux
personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, qui
prévoit le rattachement à une commune des personnes logeant de
façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre
abri mobile, dans la limite d'un seuil fixé par la loi : le nombre
de ces personnes rattachées à une commune ne doit pas
dépasser 3% de la population municipale.
Le rattachement à une commune, s'il ne vaut pas domicile fixe et
déterminé, permet cependant l'exercice des droits
électoraux : l'inscription sur la liste électorale, sur la
demande des intéressés, s'opère après trois ans de
rattachement ininterrompu dans la même commune.
L'article L. 15-1 nouveau du code électoral proposé par cet
article prévoit que les personnes sans domicile fixe sont, sur leur
demande, inscrites sur la liste électorale de la commune où est
situé l'organisme d'accueil agréé dont l'adresse figure
depuis au moins six mois sur leur carte nationale d'identité, ou qui
leur a fourni une attestation établissant leur lien avec lui depuis au
moins six mois.
La solution proposée par ce dispositif est comparable à celle
résultant de l'article 1
er
du décret n° 94-876 du
12 octobre 1994 relatif à la délivrance de la carte nationale
d'identité (CNI) aux personnes sans domicile fixe, selon lequel :
" les personnes qui n'ont pas la possibilité d'apporter la
preuve d'un domicile ou d'une résidence, ou auxquelles la loi n'a pas
fixé une commune de rattachement, doivent fournir une attestation
établissant leur lien avec un organisme d'accueil figurant sur une liste
établie par le préfet et, à Paris, par le préfet de
police. Il est fait mention sur la carte nationale d'identité de
l'adresse de l'organisme d'accueil, à l'exclusion de sa
dénomination ".
L'organisme d'accueil qui fournit une adresse
pour l'exercice du droit de vote est agréé dans les mêmes
conditions que l'organisme dont l'adresse figure sur la carte d'identité
du demandeur.
Le décret n° 94-876 précité dispose que la mention de
l'adresse de l'organisme d'accueil agréé sur la CNI n'emporte pas
les effets juridiques attachés à la résidence ou au
domicile. L'article L. 15-1 nouveau, qui serait inséré dans
le code électoral, signifie que la domiciliation ainsi
créée aurait une portée limitée à ce code.
En particulier, elle ne peut être confondue avec le domicile de secours
de la personne sans domicile fixe ; elle ne décharge pas l'Etat de
sa responsabilité en matière d'aide sociale pour ces personnes.
D'ailleurs une rédaction similaire existe dans la loi n°69-3 du 3
janvier 1969 précitée :
" le rattachement à
une commune ne vaut pas domicile fixe et déterminé. Il ne saurait
entraîner un transfert de charges de l'Etat sur les collectivités
locales, notamment en ce qui concerne les frais d'aide sociale ".
L'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission spéciale,
a ramené d'un an à six mois la durée du lien entre
l'intéressé et son organisme d'accueil. Cette modification ne
paraît pas souhaitable, en raison des risques possibles de fraude
électorale liés à une mobilité importante des
personnes sans domicile fixe. En effet, une même personne sans domicile
fixe pourrait très bien se faire domicilier auprès de plusieurs
organismes d'accueil, la condition de " lien " pouvant être
interprétée dans un sens plus ou moins restrictif. Pour permettre
aux services de l'Institut national de la statistique et des études
économiques de contrôler efficacement les lites
électorales, notamment supprimer les inscriptions multiples, il
conviendrait de rétablir la durée initialement prévue (un
an) du lien entre l'intéressé et l'organisme d'accueil ;
votre commission des Lois vous propose donc deux
amendements
à
cet effet.
•
Le paragraphe II
tire les conséquences de l'inscription
des personnes sans domicile fixe sur les listes électorales. Il
complète l'article L. 18 du code électoral, en
prévoyant que l'indication du domicile de l'électeur sur la liste
électorale est remplacée, pour les citoyens mentionnés
à l'article L. 15-1 nouveau, par l'adresse de l'organisme d'accueil
au titre duquel ils ont été inscrits sur la liste
électorale. Votre commission des Lois vous propose un amendement
permettant de mentionner également le nom de l'organisme d'accueil sur
la liste électorale (voir infra).
Il convient d'examiner les conséquences de la mise en oeuvre pratique du
droit de vote des personnes sans domicile fixe sur leur
éligibilité.
En l'état actuel du droit, il semblerait qu'une personne visée
à l'article L. 15-1 nouveau du code électoral ne puisse
être élue député ou conseiller régional,
malgré l'article L. 44 du code électoral selon lequel
" tout Français et toute Française ayant vingt-trois ans
accomplis peuvent faire acte de candidature et être élus, sous
réserve des cas d'incapacité ou d'inéligibilité
prévus par la loi "
, et l'article L.339 du même
code :
" sont éligibles au conseil régional tous les
citoyens (âgés de vingt et un ans révolus) inscrits sur la
liste électorale... domiciliés dans la région ".
En effet, la déclaration de candidature doit comporter la mention du
domicile du candidat (art. L. 154 du code électoral pour les
députés et L. 347 pour les conseillers régionaux).
Les personnes sans domicile fixe pourraient être élues conseiller
général :
" sont éligibles au conseil
général tous les citoyens (âgés de vingt et un ans
révolus) inscrits sur une liste électorale... qui sont
domiciliés dans le département... "
(article L. 194
du code électoral), conseiller municipal :
"sont
éligibles au conseil municipal tous les électeurs
(âgés de dix-huit ans révolus) de la commune..."
(article L. 228 du code électoral). Pour ces deux mandats, la loi
ne mentionne pas l'obligation d'inscrire le domicile sur la déclaration
de candidature.
Pourtant, le cas pratique d'une petite commune ayant une population de
résidents inférieure en nombre aux personnes sans domicile fixe
domiciliées auprès d'un organisme d'accueil situé sur son
territoire doit être évoqué. En effet, la liberté de
choix de l'organisme d'accueil pose problème ; que faire au cas
où des personnes sans domicile fixe choisiraient de se domicilier en
grand nombre dans une petite commune, au risque de la déstabiliser ?
C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose, par analogie avec la
solution retenue par l'article L. 228 du code électoral, un
amendement
visant à limiter le nombre de personnes sans domicile
fixe admises au conseil municipal après leur élection.
En vertu du deuxième alinéa de l'article L. 228 du code
électoral,
" dans les communes de plus de 500 habitants, le
nombre de conseillers qui ne résident pas dans la commune au moment de
l'élection ne peut excéder le quart des membres du conseil. Dans
les communes de 500 habitants au plus, ce nombre ne peut excéder quatre
pour les conseils municipaux comportant neuf membres et cinq pour les conseils
municipaux comportant onze membres. Si les chiffres visés ci-dessus sont
dépassés, la préférence est
déterminée selon les règles posées à
l'article 25 du Code de l'administration communale (art. R. 121-11 du code des
communes) ".
Cet article R. 121-11 du code des communes fixe les
conditions dans lesquelles les conseillers municipaux prennent rang dans
l'ordre du tableau ; les conseillers forains excédentaires sont
éliminés en fonction de l'ordre du tableau.
Il ne s'agit pas d'un cas d'inéligibilité, car ces seuils ne
s'appliquent qu'après la proclamation des résultats de
l'élection. Les personnes sans domicile fixe ne peuvent être
considérées comme résidant dans la commune, puisque la
domiciliation, on l'a vu, n'emporte pas les effets juridiques liés
à la résidence ou au domicile. Elles seraient donc
assimilées aux conseillers " qui ne résident pas dans la
commune au moment de l'élection ", dits " conseillers
forains ". En conséquence, les personnes sans domicile fixe doivent
pouvoir apparaître sur la liste électorale comme
" foraines ".
Votre commission des Lois vous propose à cet effet un
amendement
permettant d'indiquer sur la liste électorale, en même temps que
l'adresse de l'organisme d'accueil, le nom de celui-ci. Il s'agit d'une
condition indispensable pour pouvoir appliquer l'article L. 228 du code
électoral aux personnes sans domicile fixe bénéficiant du
dispositif prévu par l'article L. 15-1 proposé ; elle
permet de distinguer entre les résidents et contribuables de la commune
d'une part, et les personnes sans domicile fixe d'autre part, afin d'appliquer
à ces dernières les mesures relatives aux conseillers forains.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 40, sous
réserve des amendements qu'elle vous soumet.