B. LES TARIFS DES SERVICES PUBLICS ADMINISTRATIFS À CARACTÈRE FACULTATIF
1. Une conception renouvelée du principe d'égalité des usagers devant le service public
L'article 78 ouvre la possibilité de moduler les tarifs
des
services publics administratifs à caractère facultatif en
fonction du niveau de revenus des usagers. Il consacre dans la loi une
évolution jurisprudentielle qui a été parachevée
par l'arrêt de section du Conseil d'Etat du 27 décembre 1997
(commune de Gennevilliers et commune de Nanterre).
Le Conseil d'Etat, en reconnaissant que le principe d'égalité des
usagers devant le service public ne s'opposait pas à ce que les tarifs
d'une école municipale de musique soient fixés en fonction des
revenus des familles s'est rallié à une conception du principe
d'égalité qu'il avait d'ores et déjà
appliquée à de nombreux services publics administratifs
facultatifs à vocation éducative ou socio-éducative.
En effet, il avait été amené à considérer
qu'il existait une nécessité d'intérêt
général en rapport avec l'objet des services publics
concernés justifiant que les tarifs d'une crèche (CE, 20 janvier
1989, CCAS de La Rochelle), ceux d'une cantine scolaire (CE, 10 février
1993, Ville de La Rochelle) ou encore d'un centre de loisirs (CE, 18 mars
1993, Mme Dejonckeere et autres) soient modulés en fonction du
niveau de revenus des usagers. Si des modulations en fonction du lieu de
résidence des usagers selon qu'ils habitent ou non dans la commune
avaient été admis pour une école de musique en raison des
différences de situation existant entre ces catégories d'usagers,
la modulation tarifaire en fonction des revenus avait été
refusée par le Conseil d'Etat en 1985 (CE, sect. ,
26 avril 1985, Ville de Tarbes).
Le maintien de cette jurisprudence jusqu'à une date récente
était difficilement compréhensible et a justifié que des
parlementaires et des élus locaux s'en émeuvent. C'est à
ce titre que notre excellent collègue Ivan Renar a déposé
avec les membres du groupe communiste, républicain et citoyen une
proposition de loi (n° 143, 1997-1998) tendant à
reconnaître aux communes le droit de moduler les tarifs des écoles
municipales de musique et de danse en fonction des ressources des familles.
Le revirement de jurisprudence opéré en décembre dernier
harmonisant la position du Conseil d'Etat concernant les services publics
à vocation culturelle et celle concernant les services publics à
vocation sociale illustre une conception du principe d'égalité
des usagers devant le service public plus moderne que celle prévalant
traditionnellement en droit public français et garantissant la seule
égalité formelle. L'arrêt du 27 décembre 1997
consacre une définition nouvelle de l'intérêt
général consistant à garantir l'égalité des
chances plus que l'égalité des droits.
Le Conseil d'Etat, dans les développements de son rapport public pour
1996 consacrés à l'égalité, relevait que
" le principe d'égalité est, en effet, menacé si la
société dont il fonde l'ordre juridique voit s'étendre de
nouvelles et graves inégalités. Or, celles-ci ne touchent pas
seulement aux revenus mais aux liens fondamentaux qui relient chaque individu
à la société, tels que le travail, le logement,
l'éducation ou la culture. Lorsque ces liens sont fragilisés,
voire rompus, l'égalité des droits risque d'apparaître
comme une pétition purement formelle. Dès lors, le principe
d'égalité joue davantage sa crédibilité sur le
terrain de l'égalité des chances. Compromise par une
précarisation d'une partie de la population et notamment de la jeunesse,
cette égalité ne peut être confortée que par une
conception plus active de la solidarité ".