II. ORGANISONS DES RÈGLES DU JEU PERMETTANT DE CONCILIER SERVICE PUBLIC AMBITIEUX AVEC TRANSPARENCE ET RÉALITÉ DE LA CONCURRENCE
La
directive européenne
85(
*
)
représente un point d'équilibre entre deux exigences divergentes :
- d'une part, la volonté d'introduire la concurrence, en amont (au
stade la production) et partiellement en aval (libre-choix de leurs
fournisseurs par les clients éligibles
86(
*
)
), pour adapter l'appareil de
production et de distribution européen à la nouvelle donne
énergétique mondiale,
- et, d'autre part, la nécessité de prendre en compte des
" missions d'intérêt économique
général ", c'est-à-dire de missions de service
public, afin d'assurer la satisfaction d'objectifs de politiques publiques
pouvant difficilement être atteints par la voie du marché.
La loi transposant cette directive en France aura donc à définir
un système de régulation garantissant le respect de cet
équilibre et assurer une articulation cohérente entre ces deux
exigences.
Il conviendra, dans cette perspective, de préciser les rôles
respectifs des pouvoirs publics et de la future autorité de
régulation, en cohérence avec ceux des autorités
aujourd'hui en charge du droit de la concurrence en France.
A. AUX POUVOIRS PUBLICS, LA DÉFINITION DES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC, DES CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ ET DE LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE
1. La définition des missions de service public
L'article 3 de la directive permet aux Etats membres qui
le
souhaitent "
d'imposer aux entreprises du secteur de
l'électricité des obligations de service public, dans
l'intérêt économique général, qui peuvent
porter sur la sécurité, y compris la sécurité
d'approvisionnement, la régularité, la qualité et les prix
de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement
".
Chaque état de l'Union dispose en conséquence d'une grande
latitude pour déterminer le champ et l'étendue des missions de
service public ou d'intérêt général qu'il entend
fixer aux opérateurs présents sur son territoire.
Cette latitude est cependant encadrée. Les régimes juridiques des
obligations de service public diffèrent selon la nature de ses
obligations.
Les obligations qui relèvent
du service public de
l'électricité stricto sensu
-le " coeur " du
service public- seront, en France, à la charge d'EDF (et, le cas
échéant, des distributeurs non nationalisés).
Ces obligations consistent essentiellement à assurer la connexion de
tout consommateur à un réseau de qualité, la
continuité de la fourniture d'électricité, ceci au
meilleur coût, dans le cadre de la péréquation tarifaire.
Sont également visés, le secours et le raccordement des clients
éligibles en cas de défaillance de leur fournisseur, le service
de transport et de distribution, EDF ayant vocation à être
désignée comme le gestionnaire unique du réseau.
En contrepartie de ces obligations, l'opérateur pourra se voir
accorder des droits exclusifs ou spéciaux, tels que le monopole -sur
tout ou partie du territoire national- du transport, de la
distribution
87(
*
)
et de la
fourniture de l'électricité aux consommateurs non
éligibles
88(
*
)
.
Pour l'application de ce régime, il suffit
89(
*
)
que la loi charge explicitement
l'opérateur de la gestion d'un service d'intérêt
économique général, définisse la "
mission
particulière
" qui en résulte et montre que les droits
exclusifs accordés sont nécessaires pour permettre
l'accomplissement de cette mission "
dans des conditions
économiques acceptables
".
Par ailleurs,
des obligations spécifiques -hors champ du
service public électrique au sens strict- pourront également
être imposées à l'opérateur historique
.
A titre d'exemple, on peut citer la satisfaction d'objectifs concernant la
politique énergétique, la protection de l'environnement ou
l'aménagement du territoire.
Le monopole ne pourra servir de support au financement de ces obligations. En
revanche, leur charge pourrait être répartie équitablement
entre l'ensemble des consommateurs, " captifs " comme
éligibles.
Est ainsi permise la constitution d'un
fonds
de financement
alimenté par un prélèvement
perçu sur l'ensemble des factures. Cette solution semble
préférable, car plus transparente en termes de concurrence,
à celle qui consisterait à imputer ces charges sur le prix du
transport de l'électricité.
Des analogies peuvent être effectuées avec les règles
posées par la directive postale dans le domaine de l'aménagement
du territoire, par exemple
90(
*
)
.
Le surcoût de la densité du réseau postal peut ainsi
être financé par un fonds de compensation de cette nature.
S'agissant du secteur électrique, pourraient être englobés
dans ce dispositif les coûts liés à la
péréquation tarifaire en faveur de la Corse et des
départements d'outre-mer, le soutien au plan charbonnier national,
l'obligation d'achat de l'électricité provenant de la
cogénération
91(
*
)
et des énergies renouvelables...
Il apparaît, en effet, normal que les producteurs indépendants et
les consommateurs éligibles participent au financement de certaines
missions d'intérêt général.
Il sera essentiel de fixer précisément les limites de ces deux
catégories de missions et de définir de manière
transparente le surcoût résultant pour l'opérateur de sa
contribution à des politiques publiques spécifiques exorbitantes
du service public électrique stricto sensu.