B. LA PROTECTION DE L'ANIMAL DE COMPAGNIE
"
Une société ne peut se dire ni
civilisée, ni socialement évoluée, si elle ne respecte pas
les animaux et si ellle ne prend pas leurs souffrances en
considération "
disait le Professeur Alfred Kastler, prix
Nobel.
Nombre de possesseurs d'animaux, et notamment de chiens
potentiellement dangereux, considèrent néanmoins leur animal
comme un compagnon.
Il n'est pas inutile de rappeler à ce stade
de réflexion le contenu de l'article 9 de la loi
n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la
protection de la nature : "
Tout animal étant un être
sensible doit être placé par son propriétaire dans des
conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son
espèce
".
1. Le statut juridique de l'animal de compagnie et les règles générales de sa protection
a) L'animal, une " chose animée "
Plusieurs articles du projet de loi présenté
à votre Haute Assemblée contribuent à améliorer la
protection de l'animal de compagnie.
Il n'existe pas à
proprement parler de droits de l'animal de compagnie
. En France, les
textes le concernant sont nombreux et disséminés dans le code
pénal, le code rural, le code civil, le code de la santé
publique, le code général des collectivités territoriales
et le code de la route.
Si la loi Grammont, votée en 1850, peut
être considérée comme un préliminaire à
l'idée d'une protection animale, elle ne visait toutefois qu'à
protéger la sensibilité humaine contre le spectacle de la
souffrance des bêtes.
Au regard de la loi, l'animal de compagnie
ou familier n'existe pas distinctement. En revanche, force est de constater que
l'animal est considéré par le code civil français comme
une " chose ".
Selon l'article 528 du code civil,
"
sont meubles, par leur nature, les corps qui peuvent se transporter
d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, comme
les animaux, soit ...
". En cas de transfert de
propriété, le même code civil protège
l'acquéreur des vices cachés d'une chose et ses dispositions
s'appliquent aussi à la vente d'un animal (articles 1641 à
1647 du code civil).
L'animal ne possède donc pas, en
droit français, de personnalité juridique.
En sa
qualité de bien mobilier, il ne peut faire l'objet d'un droit de garde
dans l'hypothèse du divorce de son maître. Il ne peut, non plus,
recevoir à titre gratuit, être légataire ou donataire ou
même être inhumé dans un cimetière humain.
Cependant, on assiste, depuis quelques décennies,
à une évolution des règles de droit à
l'égard de la protection de l'animal.
Un rappel
sommaire de la législation applicable aux animaux domestiques fait
apparaître la réalité de cette évolution depuis
1959.
b) Le développement d'une législation protectrice des animaux
Le
décret n° 59-1051 du
7 septembre 1959
a abrogé la loi Grammont qui
exigeait, pour sanctionner les mauvais traitements infligés aux animaux,
que ces actes aient été commis en public. Il a fait
disparaître cette exigence de publicité et a prévu la
remise de l'animal maltraité à une oeuvre.
Ce texte ayant
mis fin à la conception " humanitaire " de la protection
animale, pour lui substituer une conception
" animalière ",
c'est-à-dire prenant en compte
l'intérêt propre de l'animal
7(
*
)
.
La loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963 créant
le
délit d'acte de cruauté
, reprise dans
l'ancien article 453 du code pénal, excluait également la
condition de publicité et prévoyait la remise de l'animal
à une oeuvre.
Pour la première fois, dans l'histoire du
droit de l'animal,
l'article 9 de la loi du
10 juillet 1976 lui a reconnu sa nature " d'être
sensible ".
L'animal domestique a le droit de ne pas souffrir
inutilement et de ne pas être mis à mort sans
nécessité.
Le nouveau code pénal de 1992 a
marqué une étape supplémentaire dans la reconnaissance des
droits personnels de l'animal.
En ne faisant pas figurer les
infractions contre les animaux dans le même chapitre que celui
réservé aux infractions contre les biens, le législateur a
marqué la distinction qui s'impose entre l'animal " être
vivant " et les autres biens de nature matérielle. Non moins
symptomatique est la limitation légale apportée au droit de
propriété du maître de l'animal, qui ne possède pas
" l'abusus " à son égard mais doit se comporter envers
lui selon une éthique sanctionnée par la loi pénale.
Enfin, le code général en vigueur depuis le
1er mars 1994 a accru la sévérité des peines
prévues pour les infractions commises à l'encontre des
animaux.
L'article 511-1 punit d'une peine de
six mois de prison et de 50.000 francs d'amende "
le fait,
sans nécessité, publiquement ou non, d'exercer des sévices
graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique,
ou apprivoisé, ou tenu en captivité
". A noter que le
nouveau code pénal prévoit l'application des peines pour actes de
cruauté en cas d'abandon d'un animal.
Si, par maladresse,
imprudence, inattention négligence ou manquement à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements, l'animal est blessé ou trouve la mort,
l'article R.653-1 punit l'auteur d'une amende prévue pour les
contraventions de la 3e classe (3.000 francs au plus).
Les
mauvais traitements, quant à eux, font l'objet d'une amende de
5.000 francs au plus (article R.654-1) sans peine de prison. Le code
pénal (article R.623-3) rend aussi répréhensible et
punissable d'une amende prévue pour les contraventions de la
3e classe "
le fait par le gardien d'un animal susceptible de
présenter un danger pour les personnes, d'exciter ou de ne pas retenir
cet animal lorsqu'il attaque ou poursuit un passant, alors même qu'il
n'en est résulté aucun dommage
".
En cas de
condamnation du propriétaire de l'animal pour divagation, excitation
d'animaux ou mauvais traitements, le tribunal peut aussi décider de
remettre l'animal à la garde d'une association de protection animale,
reconnue d'utilité publique ou déclarée, qui pourra en
disposer librement.
Enfin, "
le fait, sans
nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort
à un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en
captivité, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de
la 5e classe
" (10.000 francs au plus :
article R.655-1).
c) L'évolution de la jurisprudence à l'égard des animaux
On peut constater une évolution progressive de la
jurisprudence qui reconnaît à l'animal
"
une
forme d'intelligence et de sensibilité
" (CA d'Amiens du
16 septembre 1992).
Le tribunal correctionnel de Strasbourg,
dans un jugement du 19 mai 1982, a même été plus
loin : "
depuis la loi du 2 juillet 1850, dite loi
Grammont, les efforts du législateur ont tendu vers une protection plus
grande et plus efficace de l'animal, devenu sujet de droit en 1976
".
L'importance prise par l'animal de compagnie dans la
société contemporaine amène désormais les
magistrats à prendre plus souvent en compte les liens affectifs qui
l'unissent à son propriétaire et donc à rejeter
l'application pure et simple du code civil.
Les espèces les plus
fréquemment soumises aux tribunaux se réfèrent :
- à l'indemnisation du préjudice affectif subi par
le propriétaire d'un animal à la suite de la mort de celui-ci
dans des conditions entraînant l'application des règles de la
responsabilité civile ;
- à la décision
à prendre, en matière de divorce, pour l'attribution de la garde
de l'animal domestique du couple, cet animal étant souvent un chien.
d) Les textes internationaux relatifs à la protection animale
Le même phénomène d'élection juridique
de l'animal comme sujet de droit se manifeste sur le plan international.
Le 29 juillet 1974,
la France a ratifié la
Convention européenne sur la protection des animaux en transport
international
, convention faisant état de la
nécessité d'assurer le bien-être des animaux.
En
1977,
la Ligue internationale des droits de l'animal a adopté la
Déclaration universelle des droits de l'animal
,
proclamée le 15 octobre 1978 au siège de l'UNESCO
à Paris. Celle-ci s'inspire directement de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948 : égalité devant
la vie, protection contre les mauvais traitements ou les actes cruels, droit
à l'existence, au respect, à l'attention, aux soins et à
la protection. Pour autant, cette déclaration n'a aucune force de droit.
Mais elle ouvre un vaste débat qui dépasse le seul cadre
juridique par ses questions d'ordre éthique, notamment en entretenant un
parallélisme entre l'homme et l'animal.
Les dispositions
de la Convention européenne pour la protection des animaux de
compagnie
, conclues à Strasbourg le 13 novembre 1987,
sont entrées en vigueur le 1er mai 1992. Cette convention
signée par certains Etats membres de Conseil de l'Europe, au rang
desquels la France compte depuis le 18 décembre 1996, proclame
dans son préambule " l'importance des animaux de compagnie en
raison de leur contribution à la qualité de la vie et leur valeur
pour la société ". Elle définit les principes de base
pour la détention des animaux de compagnie.
En outre, cette
convention interdit dans son article 10 "
les interventions
chirurgicales destinées à modifier l'apparence d'un animal de
compagnie ou à d'autres fins non curatives
"
(Otectomie, caudectomie). Des exceptions sont autorisées en
fonction de circonstances particulières. Certains Etats, dont la France,
ont ainsi émis des réserves sur l'interdiction de la coupe de la
queue, notamment des chiens (article 21 de la Convention).
Les tribunaux ou le législateur ne souhaitent pas, du
moins pour l'instant, créer un droit autonome de l'animal mais
plutôt intégrer la dimension affective de la relation entre
l'homme et son animal tout en protégeant celui-ci par la
responsabilisation des propriétaires et de la
collectivité.
2. Les règles spécifiques relatives à la protection de l'animal de compagnie
a) Importation et commercialisation des animaux de compagnie
Pour les espèces domestiques, de façon
générale, l'arrêté du 2 novembre 1957
prohibe l'entrée sur le territoire métropolitain de tous
carnivores sauvages ou domestiques en provenance de tous pays. Le
ministère de l'agriculture est néanmoins habilité à
dispenser des dérogations.
Un avis aux importateurs de chiens et
chats accorde une dérogation générale pour le transit et
l'importation de chiens et de chats âgés d'au moins 3 mois
destinés à des établissements de vente. Les animaux ne
peuvent être introduits sur le territoire que par un bureau de douane.
Les importateurs doivent présenter un certificat sanitaire aux bureaux
de douane dans lesquels s'effectue la visite sanitaire des animaux. Ce
certificat doit être délivré par un
vétérinaire officiel du pays d'origine. Il comprend une fiche
signalétique établissant l'identité de l'animal et
attestant la validité des vaccinations contre la rage, la maladie de
Carré, la parvovirose et l'hépatite contagieuse pour les chiens
et contre la rage et la leucopénie infectieuse pour les chats.
Pour les espèces non domestiques ou exotiques, la
diversité des animaux de compagnie a amené à
protéger plus spécifiquement certaines espèces. Ainsi, la
vente d'animaux sauvages ou exotiques est régie par les dispositions de
nombreux textes internationaux, communautaires ou nationaux qui interdisent,
limitent ou réglementent, toujours dans un but de protection des
espèces, les conditions de vente, d'achat, de détention ou
d'importation de ces animaux.
Sur le plan international, la Convention
sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages
menacées d'extinction du 3 mars 1973, dite Convention de
Washington, interdit ou limite en les soumettant à autorisation,
l'importation d'un certain nombre d'animaux (les félins, les singes,
etc.). Cette convention a été approuvée par la France par
la loi n° 77-1423 du 27 décembre 1977. La
réglementation douanière française a été
adaptée en conséquence.
Codifiées au livre II
du code rural, les dispositions de la loi de 1976 relative à la
protection de la nature ont instauré en France un double
mécanisme d'interdiction ou d'autorisation de vente des espèces
non domestiques fondé sur les nécessités d'une protection
absolue ou contrôlée des différentes espèces. Par
ailleurs, ce dispositif législatif est complété par de
nombreux arrêtés ministériels qui interdisent en tous temps
la mise en vente de certaines espèces.
b) Lieux de ventes et d'expositions
Animaleries et autres locaux de transit ou de
garde
Un dispositif réglementaire relatif à
l'aménagement et au fonctionnement des locaux d'élevage en vue de
la vente, de la commercialisation, du toilettage, du transit et de la garde de
chiens ou de chats participe au dispositif juridique de protection des animaux.
Il est prévu notamment que les niches et cages doivent permettre
aux animaux de se tenir debout la tête droite, de se déplacer et
de se coucher facilement et qu'elles doivent les préserver contre les
intempéries et les grands écarts climatiques. Ces niches et cages
doivent par ailleurs être " lavées,
désinfectées et désodorisées chaque jour ".
Les animaux doivent avoir en permanence à leur disposition une eau
propre et potable et recevoir une nourriture saine et équilibrée
correspondant à leurs besoins physiologiques. Il est en outre
exigé des aménagements de manière à assurer non
seulement la salubrité et l'hygiène des locaux mais aussi la
protection des animaux contre des individus dangereux de même
espèce ou d'autres espèces naturellement hostiles.
Foires, marchés et expositions
Plusieurs dispositions réglementaires relatives à
l'élevage, la garde et la détention des animaux prévoient
que sur les foires et marchés de chiens ou de chats, leur installation
doit être réalisée dans des conditions d'hygiène et
de confort évitant toute souffrance ou perturbation psychologique.
En particulier, les chiens et les chats ne doivent pas être
exposés aux intempéries sans protection suffisante et ne doivent
pas être à même le sol par temps de pluie, de gel ou de
neige. Un récipient propre contenant de l'eau fraîche doit
être mis à leur disposition.
Par ailleurs,
l'article 276-1 du code rural interdit l'attribution en lot ou en prime de
tout animal vivant (sauf d'élevage) dans le cadre de foires,
fêtes, concours ou manifestations à caractère agricole. De
plus, les animaux présentés en de telles occasions.
3. Une évolution nécessaire de la législation en faveur de l'animal de compagnie
Un renforcement de la protection de l'animal paraît
s'imposer
. En effet, au nombre croissant des animaux de compagnie,
correspond celui des abandons et des refuges surpeuplés contraints de
pratiquer l'euthanasie.
On compte ainsi chaque année
plus de 170.000 abandons de chiens et chats sur le territoire
métropolitain.
Les transports d'animaux vivants s'effectuent
dans des conditions parfois révoltantes
.
L'expérimentation sur l'animal est de plus en plus pratiquée,
même par des industries cosmétiques. Les conditions d'abattage
sont encore loin d'être satisfaisantes : la liste serait longue si
l'on voulait détailler l'immense misère du monde animal.
Comment espérer une amélioration de la condition animale
dans les années à venir ? Rien de positif ne pourra se faire
s'il n'y a pas une véritable prise de conscience de ce problème
moral par le législateur.
Les échanges de
réflexion et les travaux effectués au Parlement européen
nous paraissent avoir, dans ce domaine, une importance capitale. Mais encore
faut-il qu'ils soient menés dans une optique qui, tout en prenant en
compte le bien être animal, n'aboutisse pas à des mesures
incohérentes et totalement inapplicables. Si le bien être de
l'animal doit être une priorité, il ne doit pas pour autant
provoquer la mise en place d'une législation totalement
irréaliste et inapplicable.
L'acte final de la Conférence
ayant abouti à la signature du Traité de Maastricht comporte une
" Déclaration sur la protection des animaux " invitant les
Etats membres à tenir compte des exigences en matière de
bien-être des animaux. Le principe en a été solennellement
proclamé, il est encore loin d'avoir été mis en
application.