SECTION 3
Dispositions relatives à la responsabilité
des
propriétaires de véhicules
Article 4
Élargissement de la
responsabilité
des propriétaires de véhicules
L'article 4 a pour objet de modifier le
premier alinéa de l'article L.21-1 du code de la route. Dans
sa rédaction actuelle, celui-ci dispose : "
Par
dérogation aux dispositions de l'article précédent, le
titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est responsable
pécuniairement des infractions à la réglementation sur le
stationnement des véhicules pour lesquelles seule une peine d'amende est
encourue, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un
événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des
renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de
l'infraction
. "
L'article 4 du projet de loi tend
à étendre la
responsabilité pécuniaire
du propriétaire :
celle-ci concernerait l'ensemble des infractions à la
réglementation sur le stationnement et non plus seulement celles pour
lesquelles seule une peine d'amende est encourue. Surtout, cette
responsabilité du propriétaire serait étendue aux
infractions sur les vitesses maximales autorisées et sur les
signalisations imposant l'arrêt des véhicules.
Cette disposition a pour objectif de donner au dispositif réprimant les
infractions au code de la route une efficacité qu'il n'a pas
aujourd'hui. Un nombre considérable d'amendes ne sont pas
recouvrées du fait de l'impossibilité d'identifier de
manière certaine le conducteur du véhicule, en particulier en cas
de contrôle automatisé sans interception du véhicule. De
nombreux conducteurs auteurs d'infractions graves échappent à
toute sanction, compte tenu des difficultés posées par
l'identification par photographie. Tel est en particulier le cas des motards,
dont le casque intégral empêche toute identification ; tel est le
cas également des conducteurs de poids lourds, du fait de
l'impossibilité de photographier à la fois la plaque
d'immatriculation et le visage du chauffeur ; tel est enfin le cas
d'automobilistes dont le véhicule est par exemple doté d'un
pare-brise fumé.
Les contrôles à certains endroits dangereux ou dans certaines
conditions difficiles, en particulier la nuit ou par temps de pluie, sont
dénués de toute efficacité, compte tenu de la mauvaise
qualité des clichés obtenus et de l'impossibilité
d'intercepter les véhicules, alors même que ces endroits ou ces
situations présentent les risques d'accident grave sont les plus
élevés.
Le Gouvernement propose donc de faire peser sur le titulaire du certificat
d'immatriculation une présomption de responsabilité qui pourra
être levée en démontrant l'existence d'un
événement de force majeure tel que le vol du véhicule ou
en fournissant des renseignements permettant d'identifier l'auteur
véritable de l'infraction. Dans l'appréciation des circonstances
permettant d'exonérer le propriétaire du véhicule de sa
responsabilité, le juge conservera naturellement une certaine marge
d'appréciation.
Cette disposition soulève deux questions sérieuses.
· En premier lieu, on peut se demander si elle ne constitue pas une
dérogation au principe du droit pénal inscrit à l'article
121-1 du nouveau code pénal, selon lequel "
nul n'est
responsable pénalement que de son propre fait
". La Cour de
cassation rappelle fréquemment que "
nul n'est punissable qu'en
raison de son propre fait
".
Le texte proposé, qui existe déjà pour les infractions
aux règles sur le stationnement pour lesquelles seule une peine d'amende
est encourue, fait référence à une
" responsabilité pécuniaire ", manifestement afin
d'éviter la confusion avec une responsabilité pénale.
Si l'article 4 du projet de loi est adopté, le propriétaire
d'un véhicule mis en cause au titre de cette disposition ne devrait pas
être déclaré pénalement responsable. Aucune
inscription ne devrait figurer au casier judiciaire. Dans ces conditions, il ne
semble pas que cette disposition porte atteinte au principe du droit
pénal de la responsabilité personnelle.
En revanche, il s'agit très certainement d'un aménagement au
principe de personnalité des peines selon lequel seule la personne
déclarée pénalement responsable doit subir les
conséquences de la répression. De tels aménagements
existent dans d'autres matières, en particulier en droit du travail. En
1976, le Conseil constitutionnel a estimé que l'article 263-2-1 du code
du travail, qui permettait de mettre à la charge de l'employeur l'amende
à laquelle était condamné un employé
"
ne portait atteinte à aucune disposition de la Constitution ni
à aucun principe de valeur constitutionnelle applicable en
matière pénale "
6(
*
)
.
Dans le secteur des transports routiers, des textes nationaux et
communautaires imposent à l'exploitant d'une entreprise de faire
respecter par ses préposés la réglementation des
conditions de travail. Le dirigeant d'une entreprise de transports routiers a
ainsi pu être condamné à raison de la
détérioration par l'un de ses chauffeurs d'un
contrôlographe, dans le but de modifier l'enregistrement des vitesses
effectué par cet appareil
7(
*
)
.
L'élargissement de la responsabilité pécuniaire du
propriétaire du véhicule renforce donc l'atteinte d'ores et
déjà portée par le code de la route au principe de
personnalité des peines. Dans bien des cas néanmoins, en
atteignant le propriétaire elle touchera l'auteur même de
l'infraction. Cet élargissement paraît le seul moyen de
remédier aux difficultés actuelles, qui limitent
considérablement l'efficacité de la politique de
sécurité routière.
Votre commission vous soumet un
amendement
tendant à
préciser explicitement d'une part que la personne condamnée en
application de cette disposition n'est pas responsable pénalement de
l'infraction, d'autre part que la condamnation n'est pas inscrite au casier
judiciaire, qu'elle ne peut être prise en compte pour l'application des
règles relatives à la récidive et qu'elle n'entraîne
pas retrait des points affectés au permis de conduire.
· En second lieu, l'extension de la responsabilité
pécuniaire du propriétaire présente le risque de pousser
certains conducteurs auteurs d'infractions à contester les sanctions en
faisant valoir qu'ils n'étaient pas au volant, de manière
à éviter les retraits de points associés à
certaines infractions. Toutefois, dans la situation actuelle, la contestation
permet bien souvent à ces conducteurs d'échapper à toute
sanction.
La proposition du Gouvernement constitue une réponse à des
pratiques qui nuisent à l'efficacité de la politique de
sécurité routière. Cette mesure, sans doute imparfaite,
devrait permettre une responsabilisation de certains conducteurs de mauvaise
foi.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 4
ainsi
modifié.