ANNEXE I :
COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. PATRICK WEIL LE
MERCREDI 26 NOVEMBRE 1997
##Mercredi 26 novembre 1997## -
Présidence de
M. Jacques Larché, président
.
La commission a
procédé à l'audition de
M. Patrick Weil
,
responsable de la mission d'étude des législations de la
nationalité et de l'immigration
.
M. Patrick Weil
a tout d'abord présenté le
premier des deux rapports remis au Premier ministre au nom de la mission,
relatif à la législation de la nationalité.
En préambule, il a précisé que ce rapport ne portait que
sur un aspect du droit de la nationalité, à savoir les
" conditions d'application du principe du droit du sol pour
l'attribution
de la nationalité française ".
Retraçant ensuite l'évolution historique du droit de la
nationalité français et la manière dont y était
pris en compte le droit du sol,
M. Patrick Weil
a
rappelé que si ce droit était à la base de l'attribution
de la nationalité sous la monarchie et l'époque
révolutionnaire, le code civil de 1804 avait marqué une rupture
en faisant du " jus sanguinis " le mode d'attribution
principal de la
nationalité française.
Il a cependant indiqué qu'au XIXè siècle, le droit du sol
était redevenu un principe républicain, avec dans un premier
temps, en 1851, l'institution de la règle du double droit du sol,
conférant la nationalité française aux enfants nés
en France d'un parent étranger lui-même né en France et
dans un deuxième temps, en 1889, l'adoption du principe de l'acquisition
de la nationalité française à leur majorité par les
enfants nés en France de parents étrangers et y résidant,
sous réserve de la faculté de décliner la qualité
de Français au cours de l'année suivant la majorité. Il a,
à cet égard, considéré que les débats
parlementaires de l'époque faisaient apparaître la volonté
de faire Français par le droit des enfants considérés
comme Français dans les faits afin notamment qu'ils ne tirent plus de
cette situation le " privilège " d'échapper au service
militaire.
Après avoir noté que la loi de 1927 avait ensuite élargi
les conditions d'attribution de la nationalité française pour des
raisons démographiques,
M. Patrick Weil
a
précisé qu'en 1945, le principe institué en 1889 avait
été maintenu mais que la faculté de renonciation à
la nationalité française avait été modifiée,
celle-ci étant désormais ouverte au cours d'une période
précédant la majorité et non plus au cours de
l'année la suivant.
Il a enfin constaté que la réforme de 1973 s'était
limitée à tirer les conséquences du principe de
l'égalité entre l'homme et la femme, et entre l'enfant naturel et
l'enfant légitime, tout en rendant l'attribution de la
nationalité française plus aisée pour les descendants de
personnes nées dans les anciennes possessions françaises.
Puis,
M. Patrick Weil
a déclaré que le
législateur de 1993 avait été animé, d'une part,
par le souci de tenir compte des incidences du droit de la nationalité
sur la législation sur l'entrée et le séjour des
étrangers en France -d'où une restriction de l'acquisition de la
nationalité française par le mariage et des conditions
d'application de la règle du double droit du sol en faveur des personnes
originaires des anciennes colonies- et, d'autre part, par la volonté
d'améliorer l'intégration des jeunes d'origine
étrangère qui devenaient parfois Français sans le savoir.
Il a précisé que cette dernière préoccupation avait
conduit à exiger des jeunes nés en France de parents
étrangers une démarche volontaire entre 16 et 21 ans pour
l'acquisition de la nationalité française, suivant les
recommandations de la commission de la nationalité
présidée par M. Marceau Long.
M. Patrick Weil
a estimé que différentes
études réalisées sur l'application de cette
dernière loi, notamment dans la région Alsace, montraient que ses
résultats ne correspondaient pas à la volonté du
législateur, des inégalités géographiques
apparaissant dans l'accès à la nationalité en particulier
en ce qui concernait l'interprétation par les juges des conditions de
résidence en France.
Afin de remédier à cette situation, il a proposé de
rétablir un système universel d'accès à la
nationalité française à la majorité en faveur des
jeunes nés en France de parents étrangers et y résidant,
sous réserve d'une possibilité d'acquisition volontaire de la
nationalité entre 16 et 18 ans, ou de refus de cette nationalité
au cours de l'année suivant la majorité.
En conclusion,
M. Patrick Weil
a déclaré qu'avec
ce système, nul ne serait devenu Français sans le vouloir ou sans
le savoir, mais que nul ne resterait non plus étranger sans le savoir ou
sans le vouloir.
Constatant qu'il était trop tôt pour dresser un bilan complet de
l'application de la loi de 1993,
M. Jean-Jacques Hyest
s'est
interrogé sur l'opportunité de modifier une législation
dont on ne connaissait pas encore exactement les effets. Il a en outre
rappelé que la commission présidée par M. Marceau
Long avait considéré qu'une manifestation de volonté
était plus favorable à l'intégration qu'une acquisition
automatique de la nationalité.
Constatant par ailleurs qu'en tout état de cause, les jeunes seraient
amenés à un moment ou à un autre à effectuer une
démarche pour obtenir la preuve de leur nationalité
française, il s'est finalement demandé si une amélioration
des conditions d'application de la législation actuelle ne serait pas la
meilleure solution.
M. Jacques Larché, président,
a souhaité obtenir
des statistiques sur le nombre d'étrangers susceptibles
d'acquérir la nationalité française par une manifestation
de volonté, le nombre de demandes et le nombre de refus.
En réponse,
M. Patrick Weil
a reconnu qu'il n'existait
pas de statistiques précises permettant d'évaluer avec exactitude
le nombre de jeunes potentiellement concernés et le nombre de jeunes
s'étant abstenus de toute démarche.
Rappelant que les modifications de la législation relative à la
nationalité avaient toujours été étroitement
liées à l'évolution des motivations de l'Etat,
M.
Patrice Gélard
s'est interrogé sur la motivation actuelle qui
pourrait conduire à favoriser le droit du sol.
Il a par ailleurs souhaité obtenir des informations sur les
législations relatives à la nationalité en vigueur dans
les autres pays européens.
Enfin, il a posé le problème de la situation des doubles
nationaux, en particulier des jeunes originaires d'Afrique du Nord, qui
risquaient de se voir imposer leur service militaire dans leur pays d'origine
nonobstant la suppression du service national en France.
Après avoir cité les propos tenus par M. Jean-Pierre
Chevènement, ministre de l'intérieur, à propos de la
nation française, communauté de citoyens,
M. Paul Masson
a demandé à M. Patrick Weil si, pour lui, le principal acte
d'intégration ne résidait pas dans la demande d'acquisition de la
nationalité du pays dans lequel l'intéressé souhaitait
s'intégrer.
M. Charles Jolibois
a fait observer que selon M. Patrick Weil,
la principale justification d'un changement de la législation tiendrait
à l'insuffisance de l'information dispensée aux jeunes.
Considérant qu'il existait un lien logique entre le droit du sol et la
plus ou moins grande facilité de l'accès des étrangers au
territoire national, il s'est interrogé sur l'importance des flux
d'immigration qui pouvaient exister lors de l'adoption de la loi de 1889,
soulignant qu'aujourd'hui, les flux étaient massifs et pratiquement
incontrôlables.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a évoqué certaines
difficultés insolubles posées par la législation actuelle,
par exemple le cas d'un incapable majeur qui ne pouvait procéder
lui-même à une manifestation de volonté, la jurisprudence
refusant que l'intéressé puisse dans cette
éventualité être représenté pour cette
démarche.
M. Robert Badinter
a questionné M. Patrick Weil sur
l'évolution du nombre des manifestations de volonté.
Après avoir indiqué qu'avaient acquis la nationalité
français par manifestation de volonté 15.512 jeunes nés en
1976, 21.104 nés en 1977, 23.048 nés en 1978, 20.453 nés
en 1979 et 13.508 en 1980,
M. Patrick Weil
a
considéré que ces variations étaient difficiles à
interpréter.
Soulignant que l'étude effectuée dans la région Alsace
avait fait apparaître un taux de manifestation de volonté allant
de 42 % à Strasbourg à 68 % à Mulhouse, il a
déploré que les conditions d'acquisition de la nationalité
française puissent ainsi varier d'une localité à l'autre
et en particulier dépendre de la plus ou moins bonne qualité de
l'information assurée par le Gouvernement.
M. Patrice Gélard
s'est interrogé sur le point de savoir
si les inégalités constatées dans le taux de manifestation
de volonté ne s'expliquaient pas par des différences dans la
volonté d'intégration.
M. Patrick Weil
a souligné la difficulté
d'assurer une information satisfaisante des jeunes dans la mesure où les
enseignants ne souhaitaient pas toujours remplir cette mission. Admettant que
la nationalité était effectivement attribuée par l'Etat en
fonction de ses intérêts, il a estimé qu'à cet
égard la logique suivant laquelle devait être attribuée la
nationalité française n'était pas fondamentalement
différente aujourd'hui de ce qu'elle était en 1889.
M. Paul Masson
a de nouveau souligné que la volonté
d'intégration devait être manifestée par des actes, dont le
principal était la demande d'acquisition de la nationalité.
M. Patrick Weil
a alors précisé que suivant ses
propositions de réforme, une démarche resterait nécessaire
pour obtenir un certificat de nationalité ou des papiers
d'identité français et qu'en outre l'intéressé
conserverait une possibilité de refus.
Par ailleurs, il a souligné que le droit du sol strict n'avait jamais
fait partie de la tradition républicaine qui avait toujours
subordonné son application à des conditions de résidence.
Après avoir fait part de ses réserves vis-à-vis de
certains amendements de la commission des lois de l'Assemblée nationale,
notamment le rétablissement de l'application du double droit du sol en
faveur des descendants de personnes nées dans les anciennes colonies,
M. Patrick Weil
a enfin formulé quelques suggestions en
vue d'un rapprochement du droit français de la nationalité avec
les autres législations européennes. Il a ainsi constaté
que le caractère indissoluble du mariage s'étant affaibli,
l'attribution automatique de la nationalité par le mariage était
de moins en moins fréquente dans les pays européens. Il a en
outre proposé que la France s'inspire de la législation allemande
qui, depuis 1990, ouvrait l'accès à la nationalité
allemande, par une procédure de naturalisation simplifiée, aux
enfants nés à l'étranger ayant accompli huit années
de scolarité en Allemagne.