AUDITION DE MM. HERVÉ LEHERISSEL (CABINET ARTHUR ANDERSEN INTERNATIONAL), AUTEUR D'UN AUDIT SUR " L'IMPACT DE LA DÉFISCALISATION POUR L'ÉCONOMIE DES DOM ET LES FINANCES PUBLIQUES " EN OCTOBRE 1996, ET CLAUDE NEUSCHWANDER (MCN CONSEILS), AUTEUR DU RAPPORT SUR " LES CHANTIERS MAJEURS DU DÉVELOPPEMENT DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER " RENDU EN SEPTEMBRE 1997
Présentant les conclusions de l'audit,
M. Hervé Leherissel a rappelé que le régime dit
" de défiscalisation " avait pour objet d'accorder une aide
fiscale aux investissements réalisés dans des secteurs
jugés prioritaires pour le développement économique de
l'outre-mer. Il a indiqué qu'il fallait y ajouter un mécanisme de
réduction d'impôt pour le logement et les souscriptions au capital
de sociétés.
Il a précisé qu'il existait, schématiquement, deux
catégories d'opérations pouvant bénéficier de la
défiscalisation, à savoir les opérations dites locatives,
dans lesquelles les investisseurs achètent un bien pour le louer
à une entreprise utilisatrice implantée dans les DOM, avec des
pertes d'exploitation modérées, et les opérations
où l'investisseur, exploitant direct, était exposé aux
risques d'exploitation avec, dans ces cas là, des pertes importantes.
Répondant à M. Jean François-Poncet,
président, sur la définition de la
" tunnélisation ", M. Hervé Leherissel a
indiqué que depuis fin 1995 les déficits industriels et
commerciaux n'étaient imputables sur le revenu global que s'ils
résultaient de l'activité principale du contribuable. Sinon, ils
sont qualifiés de revenus non professionnels et ne peuvent être
imputés que sur des bénéfices industriels et commerciaux
(BIC) non professionnels, alors même que cette catégorie est
inexistante puisque les placements non professionnels produisent
généralement des revenus mobiliers ou autres et non des BIC.
En 1995, la mesure avait été prise très officiellement
pour mettre fin aux investissements immobiliers réalisés dans
l'hôtellerie, en métropole, dans un contexte de surcapacité
hôtelière. L'exception consentie en faveur des DOM allait
quasiment de soi, puisque les pouvoirs publics se souciaient en l'occurrence
d'encourager les investissements des particuliers dans ces départements.
Cependant, l'Assemblée nationale est revenue lors de l'examen du projet
de loi de finances pour 1998 sur cette exception en faveur des DOM ; la
déduction pour l'investissement initial subsiste, mais les pertes
d'exploitation ne peuvent plus être imputées fiscalement.
S'agissant de l'incidence de la défiscalisation sur l'économie
des DOM, M. Hervé Leherissel a rappelé que toutes les
études, y compris le rapport de M. Alain Richard publié en
1991, avaient conclu à l'impact très positif du dispositif. Il a
évoqué le rattrapage important, par rapport à la
métropole réalisé depuis 1986-1988 en ce qui concerne la
production par habitant, le spectaculaire décollage de l'investissement
productif -puisque la formation brute de capital fixe dans les quatre DOM
a augmenté de 114 % entre 1986 et 1992 alors qu'elle n'augmentait
que de 44 % au plan national-, ainsi que la croissance tirée par
l'investissement industriel. S'agissant des effets sur l'emploi, plus complexes
à mesurer, il a souligné que la population active employée
avait crû de 27 à 40 % selon les DOM de 1982 à 1993,
alors qu'elle stagnait au plan national (+ 0,5 %). Cela avait permis
une stabilisation, voire un recul, du chômage même s'il demeurait
très élevé. Ainsi aux Antilles françaises, le taux
de chômage était passé de 32 % en 1990 à
26 % en 1995 alors qu'il augmentait fortement en métropole. Toutes
proportions gardées, a-t-il ajouté, un tel dynamisme des
économies locales équivaudrait à la création de
plusieurs centaines de milliers d'emplois en métropole.
Enfin, il a jugé que la défiscalisation avait eu des effets
structurants majeurs pour l'économie domienne en favorisant une
modernisation radicale de l'industrie et l'émergence d'une
véritable capacité touristique, qui avaient permis des taux de
croissance importants dans le secteur du tourisme (+ 19 % par an en
Guadeloupe et + 12 % par an en Martinique contre + 8,4 %
par an pour l'ensemble du continent américain).
Il a fait remarquer, à ce propos, que le dispositif de
" tunnélisation " voté par l'Assemblée nationale
pénaliserait directement le secteur hôtelier, dans lequel on ne
pouvait pas faire d'opérations locatives en raison de durées
d'amortissement trop longues et de résultats insuffisants dans les
premières années d'exploitation.
Evoquant l'incidence du dispositif sur les ressources fiscales publiques,
M. Hervé Leherissel a indiqué qu'en 1995 le coût de la
défiscalisation des investissements s'élevait à
1,5 milliard de francs -dont 1,2 milliard de francs pour les DOM- et
qu'il s'élevait à 2,4 milliards de francs en 1996, à
comparer aux dépenses fiscales en faveur des DOM, évaluées
à 9,5 milliards de francs, et au total des dépenses fiscales
et budgétaires pour l'outre-mer, estimé à
37 milliards de francs en 1995.
En tenant compte des recettes fiscales induites au titre des seuls impôts
directs -qui ont connu une très forte croissance entre 1985 et 1995-, et
en les rapportant à la part dans la valeur ajoutée des seuls
secteurs éligibles à la défiscalisation,
M. Hervé Leherissel a jugé que le coût fiscal
représentait à peine 500 millions de francs en 1995. Il a
considéré qu'en tenant compte de l'accroissement des recettes
fiscales locales, notamment le produit de la taxe professionnelle, les finances
publiques tiraient un bénéfice net significatif de la
défiscalisation, évalué à plus d'un milliard de
francs en 1995.
En ce qui concerne la question des abus, il a relevé la confusion
entretenue entre :
- les abus ou excès factuels, commis tout au début de la
mise en application de la défiscalisation, en raison de
l'inexpérience des entreprises implantées outre-mer et d'une
méconnaissance des réalités locales et des marchés
de la part d'opérateurs métropolitains ;
- certaines réticences de principe qui peuvent être
exprimées à l'encontre d'un outil fiscal favorisant les
investissements, et donc les détenteurs de revenus importants,
susceptibles d'investir. Il a souligné que ces dernières
critiques valaient pour toute mesure fiscale d'incitation à
l'investissement et n'avaient rien à voir avec la notion d'abus.
Il a estimé que les corrections successives apportées au
dispositif avaient donné les moyens à l'administration de
remédier aux abus et de contrôler strictement le contenu des
projets à travers la procédure d'agrément.
Pour conclure, M. Hervé Leherissel a replacé le dispositif
de la défiscalisation dans le contexte global des économies des
DOM caractérisées par le déséquilibre
emplois/ressources, la dégradation du taux de couverture des
importations par les exportations, et par l'envolée très forte
des transferts publics métropolitains.
Il a rappelé que les entreprises implantées dans les
départements d'outre-mer avaient subi déjà deux
" séismes " : la baisse du coût du fret lié
à la mondialisation, qui avait favorisé les produits
importés et la politique d'égalité sociale, qui avait mis
le coût de la main d'oeuvre locale à un niveau, pour la
première fois, supérieur à celui du monde
industrialisé dans son ensemble, compte tenu du décalage de
productivité.
Il a jugé qu'il fallait soutenir le développement
économique afin d'enrayer l'ampleur exponentielle de l'engagement
public, en substituant autant que faire se pouvait des revenus
d'activité aux transferts sociaux passifs.
Il a considéré que, pour y parvenir, la défiscalisation
était le meilleur outil possible, et qu'il était vain de plaider
pour son remplacement immédiat par des subventions budgétaires,
dont l'efficacité serait d'ailleurs bien inférieure.
M. Claude Neuschwander est ensuite intervenu pour présenter son rapport
établi en septembre 1997 à la demande de la
Fédération des entreprises des départements d'outre-mer
(FEDOM). Il a considéré, à titre incident, que le ratio de
couverture des importations par les exportations n'était pas très
pertinent car il ne tenait pas compte du tourisme et des services invisibles.
Il a jugé que depuis dix ans, la loi de défiscalisation,
associée à la loi Perben, avait eu des effets spectaculaires aux
Antilles, même si la croissance de la démographie restait et
resterait très forte pour les trente ans à venir du fait de
l'arrivée de classes d'âge jeunes et nombreuses, et en
dépit de l'alignement actuellement constaté des taux de
fécondité sur ceux de la métropole.
Il a fait remarquer, également, que les flux migratoires
s'étaient, depuis dix ans, inversés et qu'à la
Réunion on enregistrait mille retours par an. Il a souligné
également que le chômage était important chez les jeunes
alors même que ceux-ci étaient formés et qualifiés,
ce qui lui faisait redouter des risques d'implosion sociale si la situation
économique se dégradait encore.
Il a considéré que l'effort d'équipement aidé par
la défiscalisation des investissements devait être maintenu pour
permettre la création de 3.000 emplois en Martinique et de
4.500 emplois à la Réunion, principalement dans le secteur
du tourisme. Il a souligné que ce mécanisme fiscal permettait
d'atténuer les surcoûts de fabrication et d'exploitation dûs
aux coûts salariaux et qu'il était ainsi possible de rentabiliser
des investissements hôteliers créant des emplois locaux.
Evoquant l'éventuelle suppression du dispositif de
défiscalisation, il a jugé à tout le moins indispensable
de mettre en place des solutions économiques de substitution à
effet immédiat, et attiré fortement l'attention sur les risques
de voir dégénérer une situation sociale déjà
très explosive.
Répondant à MM. Edmond Lauret et Michel Souplet sur le
nombre d'emplois créés par la défiscalisation,
M. Hervé Leherissel a indiqué qu'entre 1982 et 1992, sur les
113.000 emplois créés, les deux-tiers étaient
à porter au crédit de la défiscalisation, ce qui avait
permis de stabiliser la progression des taux de chômage.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis des crédits de
l'outre-mer, est intervenu pour souligner les profondes transformations des
économies des DOM qui, caractérisées initialement par des
monocultures à fort taux de main d'oeuvre, avaient évolué
vers des activités de services très diversifiées, et sur
la nécessité de maintenir des outils adaptés pour le
développement économique.
M. Claude Neuschwander a également souligné le chemin parcouru
depuis trente ans par les quatre départements d'outre-mer pour
parvenir à une nécessaire ouverture à la mondialisation.
Il a fait valoir que si la production de canne à sucre et de bananes
s'était rationalisée en supprimant de la main d'oeuvre, d'autres
activités à très fort taux d'emplois s'étaient
également développées.
Il a considéré que l'on arrivait au terme des conséquences
économiques résultant du choix de la départementalisation,
puisqu'il avait fallu quarante ans pour parvenir à
l'égalité sociale, et que, désormais, il n'y avait plus de
progrès à espérer en matière de transferts sociaux.
Il a constaté que, parfois, cette égalité sociale
s'était faite au détriment du développement
économique et que pour l'avenir les économies concernées
n'avaient pas d'autre solution que leur ouverture sur les grandes
régions économiques auxquelles elles appartenaient.
M. Claude Neuschwander s'est déclaré favorable à la
mise en place de zones de libre échange dans l'ensemble indien, dans
l'ensemble Caraïbes ou Amérique du sud. Il a
considéré que la seule réponse globale était
à trouver dans une évolution des modes d'intervention publique
tendant à favoriser des investissements qui génèrent
effectivement des ressources afin de diminuer progressivement la
dépendance insulaire et maîtriser la progression des transferts
sociaux à fonds perdus. A cet égard, il a fait valoir que la loi
de défiscalisation constituait un élément clef de cette
mutation.
M. Michel Souplet s'est interrogé sur la façon de valoriser
l'image des départements d'outre-mer, dont l'apport est trop souvent
sous-estimé en métropole.
M. Jean François-Poncet, président, a remercié les deux
interlocuteurs pour la richesse de leurs propos et les éclaircissements
qu'ils avaient apportés à la commission sur le dispositif de
défiscalisation.