EXAMEN PAR LA COMMISSION
Réunie le mercredi 12 novembre 1997 sous la
présidence de M. Jean François-Poncet, président, la
commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de
M. Rodolphe Désiré sur les crédits du
secrétariat d'Etat à l'outre-mer consacrés à
l'outre-mer dans le projet de loi de finances pour 1998.
Après avoir relevé qu'il était très difficile de
mettre sur le même plan les départements d'outre-mer, soumis au
même régime constitutionnel que les autres départements
français, et les territoires d'outre-mer qui ont un statut d'autonomie
qui leur est propre, le rapporteur pour avis a évoqué la
situation économique des départements d'outre-mer qui a
évolué de manière contrastée selon les secteurs
d'activité, mais qui reste globalement très préoccupante.
Il a relevé que l'augmentation sensible du pouvoir d'achat des
bénéficiaires du SMIC, du fait de son alignement sur celui de la
métropole, avait déséquilibré encore un peu plus la
balance des échanges extérieurs, du fait de la difficulté
des économies des DOM à répondre à l'augmentation
de la consommation des ménages.
Il a souligné que les points noirs de l'activité
économique restaient malheureusement bien identifiés, qu'il
s'agisse du poids très important des transferts publics en provenance de
la métropole -puisque le solde net est évalué à
35,8 milliards de francs en 1996, soit 44 % du PIB à la
Réunion, 37 % en Martinique, 32 % en Guadeloupe et 27,8 %
en Guyane- ou de la dégradation continue du marché de l'emploi,
puisque le nombre de demandeurs d'emploi a progressé de 19 % entre
1993 et 1996.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a relevé que les
taux de chômage atteignaient des niveaux très élevés
dans chacun des quatre départements : 40,2 % à la
Réunion, 27 % à la Martinique, 26,8 % à la
Guadeloupe et 22,1 % à la Guyane -ce dernier chiffre étant
largement sous-évalué-.
S'agissant des territoires d'outre-mer, il a considéré que le
constat s'établissait en demi-teinte et variait selon les
activités économiques. Si, globalement, l'activité
touristique s'était améliorée en Polynésie
française et en Nouvelle-Calédonie sans effacer totalement les
effets négatifs de la reprise des essais nucléaires, les
revalorisations salariales avaient souvent eu pour effet d'aggraver le
déséquilibre de la balance des échanges. Le rapporteur
pour avis a souligné que l'activité économique y restait
très dépendante de la commande publique à travers
l'exécution des contrats de plan ou des conventions de
développement.
Présentant le budget de l'outre-mer, il a souligné qu'il
était en progression de 7,3 % par rapport à la loi de
finances initiale pour 1997 et que lemontant des crédits de paiement
ouverts au titre des dépenses ordinaires s'élevait à
5,22 milliards de francs.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a néanmoins fait
valoir que 96 millions de francs provenaient d'un transfert du budget du
logement pour la résorption de l'habitat insalubre dans les
départements d'outre-mer et que 300 millions de francs inscrits
dans les crédits du Fonds pour l'emploi dans les DOM allaient servir
à mettre en oeuvre la loi sur les " emplois-jeunes "
votée en octobre dernier.
Il a considéré que, hors ces deux mouvements, le budget de
l'outre-mer était reconduit à hauteur de l'an dernier.
Le rapporteur pour avis a souligné que la lutte pour l'emploi et
l'insertion restait une priorité mais que l'augmentation de 14,3 %
des crédits du Fonds pour l'emploi dans les DOM ne faisait que traduire
l'inscription dans le budget de l'outre-mer des crédits
nécessaires à la mise en oeuvre de la loi sur le plan
" emplois-jeunes ".
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a
déploré, en conséquence, que le plan
" emplois-jeunes ", qui devrait permettre la création de
6.000 emplois en 1998, vienne compenser en réalité la
diminution des crédits prévus pour un dispositif existant, si
bien que seulement 48.500 nouvelles solutions d'insertion pourront
être financées, contre 66.200 contrats aidés en 1996.
S'agissant du logement social, le rapporteur pour avis a indiqué que la
réduction de 150 millions de francs tenait compte de la
réduction du taux de TVA applicable dans les DOM au logement social, ce
qui n'affecterait pas le volume des opérations, mais il a
considéré que l'inscription au budget de l'outre-mer d'une
dotation de 96 millions de francs destinés à la
résorption de l'habitat insalubre, ne constituait qu'un simple transfert
et non une augmentation de crédits.
Il s'est félicité de la forte augmentation des crédits de
paiement de la ligne budgétaire unique (LBU) qui allait permettre de
financer plus de 17.000 opérations en constructions neuves et
réhabilitations en 1998.
A propos de l'exécution des contrats de plan, et en tenant compte de la
décision prise par l'Etat en 1997 d'étaler leur
réalisation sur une année supplémentaire -ce qui n'avait
pas été sans conséquence sur la programmation des
réalisations- le rapporteur pour avis a souligné que le taux
d'engagement était au 31 décembre 1996 d'environ
35 %, en amélioration par rapport à 1995, mais qu'il restait
encore insuffisant. Il a relevé que l'engagement était le plus
souvent freiné par la complexité et la très grande ampleur
des opérations lourdes menées en matière d'assainissement
ou d'aménagement foncier.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a indiqué par
ailleurs que les moyens de paiement du Fonds d'investissements des DOM (FIDOM)
s'établissaient à 232,5 millions de francs contre
218 millions de francs en 1997, soit une augmentation de 6,7 %, mais
il a déploré qu'aucun projet de loi sur l'aménagement du
territoire n'ait été en définitive déposé
contrairement aux promesses faites quand la suppression du
FIDES-décentralisé avait été décidée.
Le rapporteur pour avis a souligné que, nonobstant cette suppression,
les crédits de paiement devaient être prévus à un
niveau suffisant pour permettre d'achever les opérations correspondant
à des autorisations de programme engagées avant le 31
décembre 1996.
Il a fait également état de l'effort public important consenti
envers la Guyane à travers la mise en place de la garantie de l'Etat
à la SOFIDEG, la dotation supplémentaire pour les
équipements scolaires de 15 millions de francs qui concernera plus
spécifiquement ce département, et l'augmentation des
crédits pour les infrastructures de Guyane.
A propos des territoires d'outre-mer, le rapporteur pour avis a noté que
les crédits du fonds d'investissement pour le développement
économique et social des territoires d'outre-mer (FIDES) étaient
reconduits mais qu'il avait été décidé de
redéployer les crédits de paiement du FIDES-section
générale vers le FIDES-section territoriale.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a souligné
également que les dotations pour la Nouvelle-Calédonie avaient
été reconduites au même niveau qu'en 1997, à hauteur
de 390 millions de francs en autorisations de programmes et de
378 millions de francs en crédits de paiement, étant
donné les échéances importantes à venir pour ce
territoire.
Prenant acte de la progression, en définitive très
limitée, des moyens budgétaires à destination de
l'outre-mer, le rapporteur pour avis s'est déclaré très
hostile à la remise en cause brutale du dispositif de
défiscalisation de la loi Pons.
Il a fait valoir que ce dispositif, conçu pour compenser l'insuffisance
et la cherté du crédit bancaire ainsi que le coût de la
main d'oeuvre dans les DOM, était un véritable outil de
développement économique.
Il a souligné que l'investissement outre-mer était assuré
par trois sources de financement, à savoir les fonds structurels
européens pour environ 11 milliards de francs sur la période
1994-1999, l'exécution des contrats de plan Etat-régions pour un
montant total de 11,4 milliards de francs contractualisé sur la
même période et, enfin, les investissements
bénéficiant du régime de défiscalisation ; il a
considéré qu'à régime juridique inchangé,
ces derniers pourraient s'élever à 20 milliards de francs
entre 1996 et 2001, date d'échéance du dispositif de
défiscalisation.
Le rapporteur pour avis a fait valoir que le mécanisme de
défiscalisation permettait d'aligner, autant que faire se peut, la
fiscalité locale des DOM-TOM sur celles des états des zones
Caraïbes, Océan indien et pacifique qui sont des concurrents
directs, notamment en matière touristique et que le rapport
rédigé par M. Alain Richard -alors rapporteur
général de la commission des finances de l'Assemblée
nationale- en 1991 en avait déjà souligné la
nécessité économique.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a cité les
investissements réalisés à Cuba où le nombre de
chambres d'hôtels est passé de 8.000 à 38.000 dans un
environnement très largement défiscalisé.
En conclusion, le rapporteur pour avis a fait valoir que, si le texte
voté à l'Assemblée nationale en matière de
défiscalisation était maintenu en l'état, le
développement économique, et en particulier touristique, s'en
trouverait gravement handicapé.
Il a souhaité le maintien de la défiscalisation prévue par
la loi Pons jusqu'à son terme, jugeant que, pour être efficace, un
dispositif de développement économique devait être
pérenne. Il a demandé également que les pouvoirs publics
réfléchissent de toute urgence au nouveau dispositif qui devra
prendre place à partir de l'an 2002 pour permettre aux DOM-TOM de
poursuivre leur développement, notamment en matière touristique.
M. Rodolphe Désiré, rapporteur pour avis, a ajouté,
à titre d'exemple, que le développement du secteur de la
navigation de plaisance avait connu un essor significatif et que les
constructeurs français y étaient très présents, ce
qui n'était pas le cas de la navigation de croisière, très
largement dominée par les Etats-Unis et la Norvège. Il a
souligné, de plus, que le secteur de la plaisance était beaucoup
plus intéressant en termes d'emplois locaux créés et de
consommation intérieure.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, il a proposé à la
commission de s'en remettre à la sagesse du Sénat en ce qui
concerne l'adoption des crédits de l'outre-mer.
M. Jean François-Poncet, président, est intervenu pour souligner
que le vote intervenant sur un budget devait tenir compte des orientations
générales et des décisions adoptées sur le secteur.
Il a considéré, à propos du budget de l'outre-mer, que le
contexte politique était particulièrement défavorable du
fait de la remise en cause du principe de défiscalisation des
investissements réalisés outre-mer.
M. Edmond Lauret est intervenu pour souligner les artifices comptables ayant
permis d'afficher une augmentation des crédits consacrés à
l'outre-mer alors qu'en réalité il ne s'agissait que d'une
reconduction.
En ce qui concerne le financement des emplois-jeunes, il a jugé que les
300 millions de francs prévus à ce titre ne permettraient
pas de créer 6.000 emplois, mais seulement 3.500 à
répartir dans tous les départements d'outre-mer, et qu'en tout
état de cause le dispositif n'était pas adapté, puisque
les collectivités locales n'avaient pas les moyens financiers d'assurer
le complément de rémunération.
Il a déploré que les crédits de la ligne budgétaire
unique, hors transferts provenant du budget du logement, stagnent alors
même que le taux de chômage dans le secteur du bâtiment
était important et que les besoins en logements, notamment
intermédiaires, n'étaient pas satisfaits.
Enfin, s'agissant de la loi de défiscalisation, M. Edmond Lauret a
souligné que l'adoption définitive de la
" tunnélisation " ajouté par l'Assemblée
nationale, contre l'avis du Premier ministre, interdirait tout investissement
dans le secteur de l'hôtellerie, des transports ou de la navigation de
plaisance, ce qui aurait des effets catastrophiques sur l'emploi. Il s'est
associé aux propos du rapporteur pour avis pour dénoncer le
risque à très court terme d'une déstabilisation grave de
la société outre-mer.
Compte tenu de ces éléments, il s'est alors déclaré
contre l'adoption des crédits de l'outre-mer.
Après une intervention de M. Jean Huchon sur les possibilités
d'une exploitation plus rationnelle de la forêt guyanaise, la commission
a fait sienne la demande du rapporteur pour avis concernant l'adoption d'un
plan de développement pour l'outre-mer, mettant à plat les
problèmes spécifiques des départements et territoires
d'outre-mer et proposant un dispositif d'aide au développement
défini sur au moins vingt ans.
Puis, la commission, contre la proposition du rapporteur pour avis qui
préconisait de s'en remettre à la sagesse du Sénat, a
émis un avis défavorable à l'adoption des crédits
du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, consacrés à
l'outre-mer.