EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 12 MARS 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues.

M. Louis Vogel, rapporteur. - Mes chers collègues, c'est pour mettre fin à une situation paradoxale, pour ne pas dire aberrante, que notre collègue Laure Darcos a déposé la proposition de loi soumise à notre examen ce matin. En effet, la volonté de favoriser le droit de vote des personnes détenues peut conduire, dans certains cas, à changer l'issue d'une élection, pour des raisons, non pas de choix démocratique, mais de pure logistique.

Permettez-moi de présenter brièvement l'état du droit.

Les personnes détenues remplissant les conditions prévues pour l'ensemble des citoyens disposent du droit de vote, sauf à avoir été déchues de leurs droits civiques par décision de justice. On en dénombre aujourd'hui environ 57 000. Jusqu'en 2019, ce droit pouvait s'exercer de deux manières : en obtenant une autorisation de sortie ou en votant par procuration.

Je vous rappelle que les conditions du vote par correspondance étaient, avant l'épidémie de covid, particulièrement restrictives et, à vrai dire, peu adaptées à des détenus parfois très isolés sur le plan social. Quant aux autorisations de sortie, elles étaient, et sont toujours, accordées de façon prudente, afin d'éviter les évasions.

Ces facteurs conduisaient à un faible taux de participation des détenus, avoisinant 2 %.

La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a cherché à faciliter l'exercice de leur droit de vote par les détenus.

Elle a ouvert la possibilité pour les personnes détenues de s'inscrire, non seulement dans leur commune de rattachement initiale, dans les conditions du droit commun, mais également dans les communes énumérées à l'article L. 12 du code électoral, qui sont celles dans lesquelles les Français établis hors de France peuvent demander à être inscrits en raison de leur expatriation. A été ajoutée à cette liste la commune d'inscription du conjoint de la personne détenue, de son partenaire de pacte civil de solidarité (Pacs) ou de son concubin.

Surtout, pour donner suite à une promesse faite par le Président de la République en 2018, la loi de décembre 2019 a créé un droit de vote par correspondance des personnes détenues.

Il ne s'agit pas, en vérité, d'un véritable vote par correspondance. En effet, la contrainte de faire parvenir aux détenus le matériel électoral de leur commune de rattachement, puis de renvoyer leur bulletin de vote sous double enveloppe dans les délais requis a paru trop difficile à surmonter. Il a donc été choisi de créer un bureau de vote virtuel au sein des établissements et de prévoir que les détenus votant par correspondance sont inscrits sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département. À la fin des opérations de vote dans le lieu de détention, l'urne est transportée au chef-lieu, dans un bureau de vote où sont regroupées les urnes de tous les établissements pénitentiaires du département.

Cette procédure, qui se traduit, pour les détenus, par la possibilité de voter sur place, a fait accroître de manière importante leur participation : en 2024, leur taux de participation a atteint 22 % pour les élections européennes et 19 % pour les élections législatives. Ces résultats sont incontestablement importants, même s'ils ne sont pas à la hauteur de ce qu'un tel dispositif dérogatoire aurait pu laisser espérer.

Dans le même temps, ce dispositif dit de « vote par correspondance » des détenus suscite d'importantes difficultés, tant théoriques que pratiques.

D'abord, selon les termes utilisés par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi de décembre 2019, il conduit « à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription » et « méconnaît la tradition de notre droit électoral ». Pour que la dérogation soit acceptable, il faudrait que l'objectif de favoriser le droit de vote des détenus n'ait pas d'effet disproportionné du fait de la suppression du lien entre l'électeur et la commune où son vote est décompté. Or tel peut être le cas.

En 2019, le Conseil d'État relevait que, dans au moins six chefs-lieux - Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Évry-Courcouronnes et Basse-Terre -, le nombre d'électeurs susceptibles d'être inscrits au titre du nouveau dispositif représentait 5 % du nombre des électeurs inscrits. Dans plusieurs autres communes, dont Alençon, Bordeaux, Pontoise et Bobigny, ce taux dépasse 2 %. À Évry, les détenus représentent plus de 9 % du corps électoral, soit 1 300 inscrits - le plus gros bureau de vote de la ville -, du fait de la présence dans le département de la prison de Fleury-Mérogis.

Le ministère de l'intérieur nous a même indiqué un cas où près de 11 % du corps électoral de la ville chef-lieu est constitué par les détenus du département, tous comptabilisés dans ce chef-lieu.

Chacun comprend que ces votes sont de nature à faire basculer les résultats des élections. Cette situation serait inadmissible tant pour les prochaines élections municipales que pour les élections locales dans leur ensemble, pour lesquelles les niveaux de participation peuvent être faibles et les écarts étroits.

Je veux insister sur un point : ce n'est pas le contenu du vote des détenus qui est déterminant. C'est la modalité qui est contraire au principe démocratique, dans le sens où ce vote peut déterminer l'issue des élections locales, alors même qu'il est sans portée démocratique, sans lien avec le territoire. Il s'agit, au sens propre, d'un vote hors sol !

Inversement, lorsque le vote des détenus s'exerce lors d'un scrutin pour lequel il existe une circonscription unique au niveau national, le vote par correspondance, quand bien même il est décompté dans la ville chef-lieu du département, ne pose aucune difficulté. Il en va ainsi des élections européennes et de l'élection présidentielle, dont je rappelle qu'elle relève d'une loi organique spécifique, et pas du code électoral. Il en va de même pour les référendums.

Reste une question qui nous a posé difficulté, celle des élections législatives. Dès lors qu'il s'agit d'élections nationales se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale, les inconvénients du système demeurent. Je considère donc, eu égard notamment à la faiblesse de l'écart de voix qui caractérise certaines élections législatives, que, là encore, le lien avec la circonscription doit être réel, et non purement formel.

En résumé, face au risque de contestation des résultats de certaines élections municipales, il est nécessaire de faire évoluer dès à présent le système de vote par correspondance des détenus. Certains maires m'ont indiqué, au cours des auditions, qu'ils n'hésiteraient pas à saisir le juge en mettant en avant l'importance des résultats du bureau de vote centralisant les voix des détenus si l'issue du scrutin leur est défavorable.

La proposition de loi de Laure Darcos vise donc à mettre en place un véritable vote par correspondance, en supprimant l'inscription sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département et en permettant le vote par correspondance dans toutes les communes dans lesquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire dans le cadre du vote par procuration. D'ailleurs, elle élargit encore cette liste. Ce sont là a priori des mesures de bon sens.

Mes auditions ont toutefois montré que les difficultés logistiques ayant conduit au choix de la centralisation des votes par correspondance au sein des bureaux des chefs-lieux de département demeurent.

Si la distribution du matériel de vote par l'intermédiaire des préfectures est susceptible d'être organisée, l'envoi et, surtout, la réception en temps utile des enveloppes du vote par correspondance restent problématiques. Il s'agit là d'une difficulté consubstantielle au vote par correspondance, qui, conjointement avec la possibilité de fraude, avait conduit à son abandon en 1975.

Je regrette vivement que des contraintes logistiques ne permettent pas de concilier vote par correspondance et rattachement territorial des électeurs détenus. J'admets cependant la réalité de ces difficultés, qui, si j'en crois les auditions des représentants de l'administration pénitentiaire et du ministère de l'intérieur que j'ai menées, sont permanentes.

Faute de pouvoir trouver un moyen de concilier ces deux objectifs, je vous propose donc, en accord avec l'auteure de la proposition de loi, de distinguer les élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale - élections locales et législatives - des élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription nationale - élections au Parlement européen et élection présidentielle, auxquelles s'ajoutent les référendums.

Le vote par correspondance des détenus serait ainsi maintenu dans ses modalités fixées par l'actuel article L. 12-1 du code électoral pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums. En revanche, pour les élections locales et législatives, les détenus voteraient sur la base d'une autorisation de sortie ou d'une procuration.

Cette solution me paraît d'autant plus respectueuse de l'objectif de favoriser l'exercice du droit de vote par les détenus que les modalités du vote par procuration ont été sensiblement accrues en 2019, s'agissant des communes au sein desquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire - cette possibilité étant élargie par la présente proposition de loi, à la commune de leurs descendants. Par ailleurs, il est désormais possible, pour les détenus comme pour tout citoyen, d'accorder une procuration à une personne résidant hors de la commune où ils sont inscrits. Enfin, les représentants de l'administration pénitentiaire m'ont indiqué que celle-ci était susceptible de se mobiliser pour favoriser le recours au vote par procuration pour les prochaines élections municipales.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous soumettrai un amendement qui me paraît trouver le meilleur équilibre possible entre, d'une part, la volonté partagée par tous de favoriser l'exercice par les détenus de leur droit de vote et, d'autre part, le lien indispensable entre l'électeur et le territoire que son vote concerne.

Il ne faut pas encourager la participation pour elle-même : elle n'a de valeur que si le droit de vote conserve son sens démocratique.

Je vous propose d'adopter la présente proposition de loi, ainsi modifiée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cette proposition de loi peut laisser perplexe quant à ses effets. À l'exception de certains, qui en ont été privés, tous les détenus devraient pouvoir exercer leur droit de vote. Le taux de participation constaté montre que c'est loin d'être le cas ! Pourtant, cet aspect importe si l'on considère que les détenus devraient pouvoir s'insérer dans une vie normale.

Le code électoral prévoyant déjà les modalités d'exercice de leur droit de vote, est-il bien nécessaire d'apporter des modifications ? Sur ce sujet, je me réfère au rapport de Françoise Gatel et de Mathieu Darnaud sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, examiné en 2019 : nos collègues avaient constaté que très peu de communes étaient concernées et que le fait de se concentrer sur la commune chef-lieu de l'établissement pénitentiaire était sans doute la manière la plus efficace de prendre en compte les votes. Cette commune chef-lieu est d'ailleurs le lieu de domicile légal du détenu, même si cela peut paraître curieux.

Nous nous demandons donc, à ce stade, si ce texte est bien justifié. Il me semble que seules deux communes pourraient être concernées, dont Évry-Courcouronnes, à laquelle est rattaché l'établissement de Fleury-Mérogis. En résumé, je ne peux qu'exprimer ma perplexité.

M. Jean-Michel Arnaud. - J'aimerais avoir des précisions sur les modalités de l'autorisation de sortie, notamment pour la commune susceptible d'accueillir le détenu désireux d'exercer son droit de vote.

M. Louis Vogel, rapporteur. - Les magistrats, après avis des directeurs des établissements pénitentiaires, accordent les autorisations de sortie afin que le détenu puisse aller voter, mais sont réticents compte tenu des risques d'évasion qu'elles créent.

Madame de La Gontrie, tous les chefs-lieux de département sont en principe concernés, même si c'est dans des proportions variables. Lorsque j'étais maire de Melun, les voix des détenus étaient au nombre de 500, ce qui n'était pas sans incidence sur le résultat du scrutin, alors que les intéressés n'avaient pas de lien avec la commune et n'étaient pas en mesure de se prononcer sur les programmes, qu'ils ne connaissaient pas. C'est un détournement complet du résultat électoral !

Ce constat d'un dysfonctionnement a été établi de manière tout à fait transpartisane au cours des auditions. À Évry, le bureau où votent les détenus est le plus fourni, alors même que la prison ne se situe même pas sur le territoire de la commune, ce qui est aberrant.

M. André Reichardt. - Je n'ai pas très bien compris en quoi cette proposition de loi améliorera le taux de participation pour le vote par procuration, l'extension à la commune des descendants me semblant être la seule modification concrète. Renvoyez-vous à un texte réglementaire le soin d'améliorer la situation ?

M. Louis Vogel, rapporteur. - Le vote par procuration était peu efficace jusqu'à la loi de 2019, qui en a considérablement élargi les modalités.

M. André Reichardt. - Les délais vont rester les mêmes...

M. Louis Vogel, rapporteur. - J'ai indiqué que les délais d'envoi du matériel électoral étaient trop longs pour le vote par correspondance, sans oublier un risque de fraude. Le vote par correspondance est donc volontairement restreint.

Au contraire, le vote par procuration ne pose aucun problème de délai. Ses conditions d'exercice, déjà assouplies par la loi de 2019, le sont encore davantage avec cette proposition de loi. Il sera donc possible pour un détenu de trouver un mandataire dans de bonnes conditions.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'exercice de leur droit de vote par les personnes détenues.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Louis Vogel, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à réserver le vote par correspondance aux seules élections dans lesquelles il existe une circonscription unique au niveau national, soit aujourd'hui l'élection présidentielle et les élections européennes.

Pour les élections dans lesquelles la circonscription est locale, il est proposé que les personnes détenues puissent voter dans le cadre d'une autorisation de sortie ou du vote par procuration, dont le recours a déjà été élargi en 2019 pour les détenus et que la proposition de loi prévoit d'élargir encore.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. Louis VOGEL, rapporteur

1

Vote par correspondance pour les seuls scrutins à circonscription unique et les référendums

Adopté

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