B. L'ADOPTION SOUHAITABLE D'UNE LOI SPATIALE EUROPÉENNE POUR RENFORCER LA SÉCURITÉ, LA RÉSILIENCE ET LA DURABILITÉ DES ACTIVITÉS SPATIALES

Parmi les mesures présentées dans le cadre de la communication conjointe de 2022 sur « une approche de l'UE en matière de gestion du trafic spatial » figurait la « promotion des aspects législatifs et de normalisation au moyen d'une action règlementaire contraignante et non contraignante ».

Dans son discours sur l'état de l'Union prononcé en 2023, la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, a ainsi fait de l'élaboration d'une loi spatiale européenne l'une des principales priorités de l'UE pour 2024.

La PPRE soutient explicitement cette initiative, et appelle l'Union européenne à se doter d'une règlementation relative à la gestion du trafic spatial afin d'assurer la sécurité, la résilience et la durabilité des activités spatiales ; les rapporteurs appellent également de leurs voeux la présentation d'une telle proposition législative.

1. Une proposition législative dont la présentation a été retardée de plusieurs mois

Initialement prévue pour le premier semestre 2024, la présentation de la future loi spatiale européenne a finalement été reportée par le commissaire Thierry Breton.

Si la tenue des élections européennes en juin 2024, puis le renouvellement institutionnel ont ensuite retardé de facto sa publication, cette proposition figure néanmoins toujours parmi les priorités de la Commission, comme l'a rappelé Mme von den Leyen au nouveau commissaire lituanien à la Défense et à l'Espace, Andrius Kubilius, dans sa lettre de mission. Cette dernière précise que ce texte devra tenir compte des préconisations du rapport Draghi et définir des « normes et règles communes pour les activités spatiales », tout en harmonisant les exigences en matière d'autorisation.

Selon les informations transmises aux rapporteurs, la présentation de cette proposition législative est désormais prévue pour le premier semestre 2025.

2. Un texte qui devrait comporter trois piliers, à savoir la sécurité, la résilience et la durabilité

Dès 2023, la Commission européenne a mené plusieurs consultations destinées à nourrir l'étude d'impact de la proposition législative, initialement attendue pour le printemps 2024. Après plusieurs cycles d'échanges avec les acteurs publics et privés du secteur, elle a finalement envisagé trois volets dans la future loi spatiale :

- un volet sécurité : l'adoption de règles communes en la matière viserait à assurer un trafic satellitaire sûr, en luttant contre le risque de collisions et de dommages causés par les débris spatiaux ;

- un volet résilience : les nouvelles règles seraient destinées à protéger les infrastructures de l'Union européenne et des États contre les menaces, notamment les cyberattaques ;

- un volet durabilité : des normes communes seraient créées pour évaluer le cycle de vie des activités spatiales, prévenir la pollution lumineuse du ciel nocturne et in fine, garantir la soutenabilité à long terme des activités spatiales.

Selon les informations transmises par la Commission européenne, l'approche retenue serait celle de la combinaison de mesures contraignantes, relatives notamment à la réduction des débris spatiaux, et de mesures non contraignantes, tels que des labels ou des plateformes d'informations.

S'agissant de la nature de la proposition législative, la Commission privilégierait le recours à un règlement, dans la mesure où une directive ne pourrait pas s'appliquer aux infrastructures dont l'Union européenne est propriétaire, telles que les satellites Galileo ou la constellation IRIS².

3. Deux enjeux principaux : renforcer la compétitivité de l'industrie spatiale européenne et mesurer de manière plus systématique l'impact environnemental des activités spatiales
a) La future loi spatiale européenne a vocation à renforcer la compétitivité de l'industrie spatiale européenne

Dans la mesure où les différences dans le champ d'application, le degré d'approfondissement et la mise en oeuvre des législations spatiales nationales nuisent à la compétitivité des opérateurs spatiaux européens (voir supra), la proposition législative vise à définir des règles minimales communes dans les trois domaines clés que sont la sécurité, la résilience et la durabilité.

Une telle règlementation, en mettant fin à la fragmentation normative dénoncée dans les rapports d'Enrico Letta et Mario Draghi, présenterait l'avantage de répondre au besoin croissant des nouveaux acteurs spatiaux de bénéficier d'un cadre juridique unifié, stable et prévisible pour croître et se développer. Elle favoriserait ainsi l'essor d'un véritable marché unique des activités spatiales au sein de l'Union, augmentant la compétitivité des entreprises européennes face à leurs concurrents internationaux et permettant d'attirer davantage d'investissements privés. Une telle évolution permettrait de répondre, au moins partiellement, aux difficultés de financements auxquelles se trouve confronté le secteur spatial européen.

En parallèle, l'objectif de cette législation serait de restaurer des conditions de concurrence équitables entre les opérateurs européens et non-européens. La future loi spatiale européenne aurait ainsi vocation à soumettre tous les opérateurs de satellites à ces exigences, dès lors qu'ils interviennent sur le marché européen (c'est-à-dire sur le sol européen, ou pour des utilisateurs européens). À cet égard, il a été indiqué aux rapporteurs que l'équité de traitement entre les Européens et non-Européens constituait un enjeu clé de la future loi spatiale européenne : dans la mesure où les exigences supplémentaires auxquelles devront se conformer les opérateurs européens se traduiront nécessairement par une augmentation des coûts de conception et d'exploitation des satellites, il est absolument indispensable, pour ne pas grever la compétitivité des entreprises européennes, que les opérateurs extra-européens soient assujettis aux mêmes contraintes règlementaires. Les rapporteurs ont donc amendé la PPRE en ce sens, demandant que cette règlementation « s'applique à tous les opérateurs de satellites, européens ou non, dès lors qu'ils interviennent sur le marché européen ».

En pratique, selon les parties prenantes auditionnées par les rapporteurs, l'Union européenne devrait pouvoir se prévaloir de son marché de 300 millions de consommateurs pour contraindre les opérateurs non-européens à adopter les standards européens ; il s'agirait, in fine, de créer un marché global indexé sur les normes européennes, de telle sorte que l'industrie spatiale ne dépende pas de normes extérieures, qui la mettraient en situation de compétition extra-européenne défavorable.

Dans le prolongement de l'objectif de soutien à la compétitivité, l'auteur de la PPRE estime que la proposition législative pourrait être l'occasion d'insérer dans le droit communautaire des marchés ou financements publics des règles de préférence européenne, avec notamment le recours à des critères de pondération hors-prix, sur la base de la viabilité ou du caractère critique des technologies employées. Pour les rapporteurs, de telles dispositions permettraient en effet de soutenir la montée en puissance des entreprises spatiales européennes, et de favoriser celles qui développent des technologies souveraines.

Si de tels critères étaient instaurés, les effets de bord devraient néanmoins être analysés afin qu'ils n'aient pas un impact prohibitif sur les prix ou le recours à des solutions non-européennes en cas d'indisponibilité avérée.

En tout état de cause, les rapporteurs notent que, dans son rapport sur la compétitivité de l'Europe, Mario Draghi plaide en faveur de l'introduction de règles de préférence européennes ciblées pour le secteur spatial, « accompagnées de mécanismes d'incitation de nature financière et de critères d'éligibilité qui ne donneraient accès au financement qu'aux entreprises basées dans l'Union européenne ».

b) La proposition législative doit contribuer à l'essor de technologies et d'entreprises oeuvrant en faveur de la préservation de l'environnement spatial

Partant du constat qu'il n'existe, à l'heure actuelle, aucun cadre ni aucune méthode pour surveiller et mesurer l'impact environnemental terrestre des activités spatiales, la future loi européenne ambitionne d'introduire les premières dispositions à ce sujet.

Sur le plan environnemental, la future loi spatiale européenne aurait ainsi vocation à soutenir les applications et entreprises spatiales oeuvrant en faveur de la préservation de l'environnement spatial.

En pratique, les activités spatiales seraient intégrées dans le champ de la taxonomie verte européenne, afin de permettre une meilleure appréciation de la contribution de ce secteur à la lutte contre le changement climatique. Ces activités pourraient, dès lors, être intégrées dans les reportings extra-financiers des entreprises, qui font l'objet d'une attention croissante de nombreux investisseurs.

En parallèle, la proposition législative pourrait comporter des dispositions relatives au développement d'un système de labélisation des acteurs européens - comparable à un éco label et permettant aux entreprises européennes de bénéficier d'une certification.

In fine, au-delà des aspects règlementaires, le déploiement de ce volet « durabilité » implique de consentir des investissements significatifs en matière d'innovation et de R&D, afin notamment d'identifier plus précisément les matériaux et processus spatiaux « durables » - puisque comme l'ont souligné plusieurs personnes auditionnées, l'état des connaissances dans ce domaine demeure encore embryonnaire - mais également les moyens techniques permettant d'éliminer activement les débris en orbite.

Si la proposition de résolution européenne invitait d'ores et déjà à soutenir la recherche dans les technologies d'assainissement des débris, les rapporteurs proposent de compléter le dispositif, en prévoyant que ces recherches englobent également les activités relatives à la connaissance et la caractérisation des débris ainsi qu'à l'écoconception et au cycle de vie des systèmes spatiaux.

Pour les rapporteurs, il est primordial que l'adoption de la future loi spatiale européenne permette de définir des priorités stratégiques communes en matière de R&D, qui feraient l'objet d'une agrégation des ressources aux niveaux national et européen.

4. A quelques mois de la présentation de cette initiative législative, des points de vigilance d'ores et déjà identifiés
a) Garantir une bonne articulation avec les lois spatiales nationales et respecter le principe de subsidiarité

L'article 189 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) stipule explicitement que les institutions européennes peuvent prendre les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre une politique spatiale européenne, « à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et règlementaires des États membres ».

La Commission européenne entend fonder sa proposition législative sur l'article 114 du TFUE, relatif au bon fonctionnement du marché intérieur ; dès lors, pour rester dans le périmètre de cet article, les dispositions de la future loi spatiale européenne devront nécessairement se limiter à la protection des consommateurs européens au sein du marché intérieur, dans le respect de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres dans le domaine spatial fixée à l'article 189 du TFUE. .

La problématique de l'articulation de la future loi spatiale européenne avec les lois nationales revêt donc une importance cruciale, a fortiori dans le cas de la France qui possède une législation particulièrement ambitieuse et complète en la matière. Les rapporteurs rappellent, à cet égard, que dans le domaine de l'espace, au terme de l'article 4 du TFUE, l'Union « dispose d'une compétence pour mener des actions [...] sans que l'exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d'empêcher les États membres d'exercer la leur ». Il est donc primordial, en application du principe de subsidiarité, que la loi spatiale européenne ne conduise pas à remettre en cause certaines dispositions de la LOS.

Interrogée sur ce point, la Commission européenne a indiqué qu'elle avait bien pris en compte cette problématique et harmoniserait les dispositions qui peuvent l'être, sans chercher à remplacer l'existant.

Les rapporteurs proposent toutefois de compléter la PPRE en mentionnant explicitement la nécessité de respecter le principe de subsidiarité lors de l'élaboration de ce texte.

b) Préserver les prérogatives des États membres en matière de sécurité et de défense

La gestion du trafic spatial se révèle intrinsèquement duale, les technologies développées pour la surveillance des objets en orbite pouvant être utilisées à des fins de sécurité et défense.

Dans ce contexte, il a été indiqué aux rapporteurs qu'il était capital que les opérateurs et activités de défense, qui relèvent par nature de la souveraineté nationale, soient explicitement exclus du champ d'application de la règlementation.

Sur ce point, la proposition législative de l'Union pourrait s'inspirer des dispositions françaises, qui prévoient la possibilité de déroger aux obligations posées par la LOS pour les opérations spatiales menées par l'État dans l'intérêt de la défense nationale.

En tout état de cause, selon les informations communiquées aux rapporteurs, le champ d'application de la proposition législative tel qu'envisagé par la Commission devrait, à ce stade des travaux préparatoires, se limiter aux volets civils, universitaires et commerciaux.

Néanmoins, dans l'attente de la présentation de la proposition législative, les rapporteurs proposent de rappeler, dans la PPRE, la nécessité d'exclure explicitement du champ d'application de la future loi spatiale européenne les opérateurs et activités de défense.

c) Favoriser l'émergence d'un texte européen s'inspirant de la législation française pour mettre un terme aux distorsions de concurrence intracommunautaires

Au sein de l'Union européenne, les acteurs européens non français ne sont pas soumis à la LOS et à ses exigences techniques, hormis dans le cas où ils souhaitent procéder à un lancement depuis le territoire français ou une installation sous juridiction française. Dès lors, une approche européenne d'harmonisation des exigences permettrait d'améliorer la compétitivité des opérateurs et industriels français, qui sont parmi les plus contraints en Europe.

Dans cette perspective, il serait opportun que la future loi spatiale européenne s'inspire des dispositions figurant dans la LOS et s'attache à garantir un haut niveau d'exigence, permettant une réelle mise à niveau entre tous les acteurs européens. Une telle démarche, utile à la sécurisation, à la résilience et à la durabilité du trafic spatial, participerait en outre au rayonnement de la France, en valorisant les travaux effectués dans le cadre de la LOS.

Les rapporteurs préconisent donc de compléter la PPRE par un alinéa plaidant en faveur d'un cadre règlementaire européen ambitieux, « introduisant des normes communes exigeantes et des standards élevés ».

d) Éviter la création de charges administratives disproportionnées qui grèveraient la compétitivité des entreprises spatiales

Le projet de loi spatiale européenne prévoit un pilier dédié à la résilience des activités spatiales. Élément clé de la protection des systèmes et infrastructures spatiales critiques, ce pilier devrait se focaliser sur les aspects de cybersécurité et de partage d'information quant aux incidents sur les systèmes spatiaux et s'inspirer, notamment, du guide d'hygiène du CNES en matière de cybersécurité des systèmes orbitaux, qui dresse de bonnes pratiques pour assurer une protection minimale et réduire le risque d'attaques. En pratique, ces mesures s'appliqueraient principalement aux manufacturiers de la chaîne de valeur du secteur spatial.

Si les auditions menées par les rapporteurs ont mis en exergue le caractère crucial de ce volet pour garantir la sécurité des opérations spatiales, elles ont aussi souligné la nécessité de ne pas alourdir la charge administrative pesant sur les opérateurs, en particulier les PME et start-up.

En effet, les problématiques de cybersécurité ont très récemment fait l'objet de deux règlementations européennes, à savoir le règlement européen sur la cyber-résilience26(*) de décembre 2023 et la directive NIS 2 sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information27(*) de décembre 2022, qui couvre le segment terrestre pour les biens spatiaux nationaux.

La future loi spatiale aurait vocation à transposer ces normes au segment spatial des infrastructures européennes, mais pourrait également aller au-delà des exigences génériques posées par ces textes. Le cas échéant, les entreprises du secteur se verraient assujetties au respect d'une nouvelle règlementation en matière de cybersécurité, faisant potentiellement doublon avec le droit existant et risquant d'entraîner une certaine confusion quant aux normes à appliquer.

Les rapporteurs appellent donc à la plus grande vigilance pour que l'extension aux infrastructures spatiales du cadre juridique européen en matière de cybersécurité ne se traduise pas par une recrudescence des obligations déclaratives et charges administratives pesant sur les acteurs européens, au risque de nuire à leur compétitivité. Ils proposent par conséquent d'amender la PPRE en ce sens.


* 26 Règlement (UE) 2024/2847 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 concernant des exigences de cybersécurité horizontales pour les produits comportant des éléments numériques et modifiant les règlements (UE) n° 168/2013 et (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2020/1828 (règlement sur la cyberrésilience)

* 27 Directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148 (directive SRI 2)

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