C. SUR LE PLAN OPÉRATIONNEL, DES INITIATIVES PUBLIC/ PRIVÉ POUR PRÉSERVER LA DURABILITÉ DES ACTIVITÉS SPATIALES
1. La Charte Zéro débris et la coalition « Net Zero Space » : des engagements unilatéraux des acteurs spatiaux pour réduire les débris spatiaux
a) La Charte Zéro Débris de l'Agence spatiale européenne
Depuis le début des années 2000, l'Agence spatiale européenne a joué un rôle précurseur en matière de débris spatiaux ; le Bureau des débris spatiaux de l'Agence a ainsi élaboré dès 2008 des lignes directrices sur la réduction des déchets spatiaux et publie chaque année, depuis 2016, un rapport sur l'environnement spatial, qui compile des données sur les objets spatiaux en orbite et les risques associés.
Dans le cadre de son Agenda 2025, l'ESA a également mis en place son propre « agenda vert », afin que les programmes spatiaux européens soutiennent pleinement la mise en oeuvre de l'Accord de Paris et du Pacte vert pour l'Europe. En pratique, l'Agence s'est engagée à évaluer systématiquement les objectifs de durabilité dans la préparation et la mise en oeuvre des projets et activités spatiales, à réduire les répercussions environnementales de ses actifs dans le domaine des infrastructures ou encore, s'agissant des systèmes spatiaux, à réduire l'empreinte écologique tout au long du cycle de vie.
Enfin, l'Agence a lancé en 2023 l'initiative d'une Charte Zéro débris, ayant vocation à réunir le plus nombre et la plus grande variété d'acteurs du spatial dans le monde autour d'un objectif commun : ne plus créer de débris d'ici 2030. Dévoilée lors du Sommet de l'espace à Séville en novembre 2023, la Charte a d'ores et déjà été signée par 16 États18(*) et plus de 130 organisations (agences spatiales nationales, fabricants de satellites, start-up de l'espace, centres de recherche, sociétés d'astronomie), dont certains poids lourds du secteur spatial international, tels que Amazon et sa constellation Kuiper.
Néanmoins, l'Agence ne disposant pas de compétence en matière normative, cette initiative demeure non contraignante, ce qui en limite sa portée.
b) L'initiative « Net Zero Space » du Forum sur la Paix
L'initiative « Net Zero Space » a été lancée à l'occasion du 4ème Forum de Paris sur la Paix, les 11 et 12 novembre 2021, par plusieurs grands acteurs du secteur de l'aéronautique spatiale19(*), afin de sensibiliser les décideurs politiques et le grand public sur la nécessité de réduire la pollution de l'orbite terrestre. Dans une déclaration commune, les signataires ont appelé à prendre des mesures concrètes pour relever le défi de l'accroissement des débris spatiaux, afin de parvenir à une utilisation durable de l'espace extra-atmosphérique d'ici 2030.
Rassemblant désormais 64 membres issus de toute la chaîne de valeur de l'industrie et représentant 24 pays, la coalition « Net Zero Space » mène depuis son lancement un travail de fond pour élaborer des propositions politiques réalisables et a notamment publié plusieurs livres blancs.
2. La mise au point de techniques de pointe en matière de réduction et d'élimination active des débris spatiaux, un axe de développement prometteur pour l'écosystème spatial
Les opérations spatiales vertueuses et, à plus long terme, les services en orbite et l'économie circulaire dans l'espace sont des domaines à très fort potentiel de croissance. Si ce marché reste à l'heure actuelle encore peu mature, il est progressivement investi par des acteurs publics et privés, notamment européens, qui ambitionnent de devenir leaders dans ce segment.
a) Réduire les débris futurs par une écoconception des infrastructures existantes
Plusieurs acteurs privés, start-up et entreprises, ont entrepris de développer des technologies permettant de réduire à l'avenir les débris spatiaux. Le géant américain SpaceX a ainsi développé une gamme de propulseurs réutilisables, tandis qu'ArianeGroup travaille au développement, en collaboration avec l'ESA, d'un moteur réutilisable à bas coût, Prometheus, et d'un lanceur avec un premier étage réutilisable, dans le cadre du projet Thémis.
En parallèle, le 5 novembre dernier, des chercheurs de l'université de Kyoto au Japon ont élaboré et lancé avec succès, à bord d'une fusée SpaceX, le premier prototype de satellite entièrement biodégradable. Fabriqué en bois de magnolia et baptisé LignoSat, ce satellite présenterait l'avantage de se désintégrer intégralement, sans émission de résidus toxiques, lors de sa rentrée atmosphérique et contribuerait à réduire la pollution lumineuse dans le ciel - car contrairement aux satellites traditionnels en métal, il n'augmenterait pas la luminosité globale du ciel. La résistance et la durabilité de ce satellite dans l'espace seront évalués au cours des six premiers mois, afin de vérifier s'il possède le potentiel requis pour remplacer les satellites traditionnels.
À l'échelle européenne, les sujets technologiques d'éco-conception sont également au coeur des réflexions actuelles des principaux acteurs institutionnels ; les infrastructures spatiales de l'Union européennes (les satellites Copernicus et la constellation Galileo) ont ainsi vocation à intégrer progressivement des règles d'éco-conception et de maîtrise des cycles de vie. La future constellation IRIS² a par ailleurs été d'ores et déjà été conçue pour intégrer des obligations en termes de viabilité et de sûreté - l'Europe étant pionnière dans ce type de conception « secure by design ». Par conséquent, les rapporteurs proposent de supprimer, dans la PPRE, l'alinéa relatif au « développement d'une constellation de satellites dont la conception est écoresponsable », puisque tel est déjà le cas.
Les acteurs européens- publics ou privés - ont également pris à bras le corps la question de la fin de vie des satellites. La désorbitation assistée consiste ainsi à prévoir, dès la conception des satellites, qu'ils puissent être mis hors de portée des satellites opérationnels, une fois leur mission terminée ; cette pratique suppose l'ajout de propulseurs ou de systèmes à bord des satellites pour les faire descendre vers l'atmosphère terrestre, où ils brûleront lorsqu'ils rentreront dans l'atmosphère. Si elle est largement utilisée, cette solution demeure coûteuse, et son impact environnemental réel demeure incertain.
Ces problématiques sont au coeur du programme de sécurité spatiale de l'Agence spatiale européenne, qui mène aussi bien des travaux relatifs à la connaissance et la caractérisation des débris, aux mécanismes de création de débris et aux rentrées atmosphériques, que des études portant sur le cycle de vie et l'éco-conception des systèmes spatiaux ou encore l'identification des matériaux les plus respectueux de l'environnement.
La mission « Draco » (Destructive Reentry Assessment Container Object), menée par l'ESA et la start-up Deimos et dont le lancement est prévu pour 2027, ambitionne ainsi, précisément, de collecter des données sur les processus physiques impliqués dans la désintégration de satellites revenant en orbite, ainsi que leurs conséquences environnementales, dans le but d'améliorer la conception des satellites destinés à une rentrée contrôlée dans l'atmosphère.
En juin 2024, trois acteurs majeurs de l'industrie spatiale européenne (Airbus Defence and Space, OHB et Thales Alenia Space) ont par ailleurs signé des contrats avec l'Agence pour développer de grandes plateformes satellitaires en orbite basse conformes aux normes « zéro débris ».
b) Éliminer activement les débris existants en les désorbitant
S'il paraît illusoire de nettoyer l'espace des millions de débris qui gravitent en orbite, il paraît envisageable, à court terme, de retirer les plus gros d'entre eux, susceptibles d'entrer en collision avec un satellite ou une infrastructure spatiale. Ainsi, plusieurs entreprises oeuvrent à l'élaboration de projets permettant l'envoi d'un vaisseau ou d'un filet pour capturer mécaniquement les débris spatiaux, et les tirer vers des orbites de chute.
Au Japon, la start-up Astroscale-Japan a lancé une mission de type « Active Debris Removal », intitulée ELSA-d. L'entreprise japonaise a fait la démonstration en orbite, début 2024, d'un système de capture magnétique puis de désorbitation de débris spatiaux. Pour cela, la mission était composée de deux satellites lancés en même temps - un satellite pilote (175 kg), équipé de technologies de « rendez-vous » ainsi que d'un mécanisme d'amarrage magnétique et un plus petit satellite (17 kg) faisant office de « proie », équipée d'une plaque ferromagnétique qui permet l'amarrage.
Astroscale a également lancé en 2024 le satellite ADRAS-J, qui tente actuellement de s'approcher d'un fragment de fusée abandonné en orbite il y a quinze ans. L'équipe a pour objectif de photographier ce déchet spatial, d'analyser son état et ses mouvements, puis de synchroniser la rotation de la sonde avec celle du débris de façon à préparer son retrait de l'orbite.
En 2025, la start-up suisse ClearSpace SA lancera quant à elle avec l'Agence spatiale européenne une mission d'enlèvement actif de débris, appelée ClearSpace-1, qui effectuera un rendez-vous avec « Vespa », la structure porteuse à double lancement pesant 112kg utilisée avec le lanceur européen Vega en 2013, en vue de la capturer avec des bras robotiques et de la désorbiter. Ces premiers tests visent également à étudier les perspectives d'un marché de l'élimination des débris.
De son côté, la NASA envisage l'idée d'un nouveau type de « velcro spatial » qui pourrait agripper les débris. En s'inspirant des pattes du reptile le gecko, les chercheurs ont imaginé une pince robotisée équipée d'un adhésif non collant (propriétés électrostatiques) qui permettrait de capturer de petits débris. Bien que testé avec succès en laboratoire, son application en orbite reste à démontrer.
Enfin, l'utilisation de lasers au sol ou en orbite pourrait permettre de désorbiter manuellement des débris spatiaux, en déviant légèrement leur trajectoire, voire même en les éjectant de l'orbite terrestre. Pour prometteuse qu'elle soit, cette technique n'est pas encore mature et suscite des craintes quant aux dangers qu'elle pourrait générer dans l'espace, par exemple en endommageant des satellites.
Si, à première vue, les solutions ne manquent pas, nombre d'entre elles sont encore dans leur phase de test. Leur déploiement se heurte en réalité à plusieurs obstacles majeurs : un coût très élevé, associé à une forte consommation énergétique et à une complexité technique indéniable, liée aux vitesses orbitales, de l'ordre de 28 000 km/ heure.
* 18 L'Autriche, la Belgique, Chypre, l'Estonie, l'Allemagne, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, la Suède, le Royaume-Uni, le Mexique et la Nouvelle Zélande.
* 19 ArianeSpaceGroup, Eutelsat, CGSTL, Astroscale, ONU, CNES.