B. UN ESSOR DES RÈGLEMENTATIONS NATIONALES POUR RÉGULER LES ACTEURS PRIVÉS
1. À l'échelle de l'Union européenne, une fragmentation règlementaire préjudiciable en matière de gestion du trafic spatial
Le Traité sur l'espace extra-atmosphérique oblige les pays à autoriser et superviser leurs acteurs privés, afin de s'assurer que leurs activités sont conformes aux stipulations internationales ; dans ce contexte, et face à l'augmentation du nombre d'entreprises spatiales commerciales, plusieurs législations nationales dans le domaine spatial ont vu le jour au cours des dernières années. Ainsi, douze États membres10(*) de l'UE se sont dotés d'une loi spatiale, tandis que cinq autres11(*) travaillent actuellement à l'élaboration d'un tel texte.
Ces législations nationales présentent l'intérêt, pour les États concernés, de se conformer aux engagements internationaux, tout en adoptant un cadre juridique favorable au développement de leur industrie spatiale. En effet, l'édiction de normes donne un avantage concurrentiel aux acteurs des États dont elle est issue. À cet égard, il convient de relever que les gouvernements et les agences spatiales jouent un rôle clé de clients auprès des acteurs privés, et soutiennent de facto leur développement économique par le biais de contrats, de financements et de réglementation adaptée.
Cette prolifération de législations nationales présente néanmoins de nombreux inconvénients à l'échelle de l'Union, puisque les opérateurs et fabricants du secteur spatial doivent s'y conformer à une multitude exigences divergentes ; lors des auditions, il a ainsi été indiqué aux rapporteurs que le morcellement des législations nationales perturbait le marché spatial européen et risquait de nuire, à terme, à la compétitivité des opérateurs spatiaux de l'Union - notamment lorsqu'ils sont en concurrence avec des opérateurs de pays tiers.
Les récents rapports d'Enrico Letta sur le marché unique12(*), et de Mario Draghi sur la compétitivité européenne13(*) ont mis en exergue les écueils soulevés par cette fragmentation normative, relevant que le manque de règles communes freinait la croissance et la compétitivité, notamment dans le secteur spatial. Mario Draghi regrette ainsi la coexistence de « législations nationales multiples et hétérogènes, qui évoluent à des rythmes différents et empêchent l'UE d'exploiter les avantages d'un marché unique pour les acteurs commerciaux »14(*).
Les rapporteurs proposent en conséquence d'amender la PPRE pour rappeler qu'à l'échelle de l'Union européenne, « la coexistence de législations nationales hétérogènes nuit à la compétitivité des acteurs spatiaux ».
2. La législation française sur les débris spatiaux, démarche pionnière et cadre de référence au niveau européen et international
Puissance spatiale de premier plan, la France s'est dotée, en 2008, d'un cadre juridique destiné à régir les activités spatiales civiles en plein essor. Fruit de plusieurs années de réflexions, la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales (dite « LOS »)15(*) poursuit deux finalités distinctes : mettre le droit interne en conformité avec le droit international et offrir un cadre juridique contribuant à la compétitivité globale des activités spatiales nationales.
Cette législation s'est révélée pionnière en matière de pollution spatiale, le texte imposant aux opérateurs français de respecter un ensemble de règles pour limiter leur impact environnemental.
En pratique, la LOS instaure un régime d'autorisation et de surveillance des opérations spatiales susceptibles d'engager la responsabilité du Gouvernement français au titre des traités internationaux sur l'espace.
Champ d'application de la LOS
La LOS a vocation à s'appliquer uniquement dans les cas où une opération spatiale, conduite par une entité française ou un pays tiers, serait susceptible d'engager la responsabilité de la France au titre du droit international de l'espace. Dès lors, celle-ci s'applique à :
- tout opérateur, français ou non, qui lance un objet spatial depuis le territoire français ou une installation sous juridiction française (autorisation pour une opération de lancement) ;
- tout opérateur français qui entend assurer la maîtrise d'un objet spatial en orbite (autorisation pour une opération de maîtrise).
- toute entité française qui entend faire procéder au lancement d'un objet spatial (autorisation de faire procéder au lancement) ;
- tout transfert de maîtrise d'un objet spatial (d'un opérateur soumis à la LOS vers un tiers, ou d'un tiers vers un opérateur soumis à la LOS).
Source : CNES.
Ainsi, les opérateurs de satellites, quelle que soit leur nationalité, qui souhaitent procéder au lancement ou au retour d'un objet spatial à partir du territoire national ou de moyens ou installations placés sous juridiction française doivent solliciter du ministre en charge de l'Espace la délivrance d'une autorisation spatiale, conditionnée au strict respect de la LOS et de ses textes d'application.
Or, ces derniers comprennent des prescriptions spécifiques destinées à préserver la sécurité des personnes et des biens, à restreindre les impacts sur la santé et l'environnement et à limiter les risques liés aux débris spatiaux. L'arrêté du 31 mars 201116(*) prévoit ainsi des règles de contrôles contraignantes en matière de non-production de débris, en imposant que :
- les systèmes soient conçus et mis en oeuvre de manière à limiter au maximum la production de débris et les risques de collision accidentelle ;
- les lanceurs et les satellites en fin de vie soient « passivés » (ce qui implique de vider les réservoirs de carburant pour éviter les explosions et de désactiver les moyens de production d'énergie à bord) ;
- les missions terminées soient mises hors de portée des satellites opérationnels pour éviter les collisions, soit en envoyant les satellites vers une « orbite cimetière » (pour les satellites géostationnaires), soit en prévoyant une rentrée atmosphérique (contrôlée ou non) de ces éléments ;
- les lanceurs soient conçus, produits et mis en oeuvre de façon à ce qu'à l'issue de la phase de lancement, leurs éléments constitutifs mis en orbite basse soient désorbités en moins de 25 ans dans le cadre d'une rentrée contrôlée après la phase de lancement.
La LOS a été actualisée en 202417(*), avec notamment la mise en place de restrictions d'accès à certaines orbites pour les objets non-manoeuvrants, ou l'obligation pour les satellites français en orbite basse de rentrer dans l'atmosphère au bout de trois fois la durée de la mission, avec un plafond fixé à 25 ans, afin de limiter les risques de fragmentation.
Cette loi constitue désormais un cadre de référence au niveau européen et international, ce d'autant que de nombreux acteurs spatiaux européens doivent d'ores et déjà s'y conformer, eu égard au rôle central joué par le Centre spatial guyanais (CSG) : tous les opérateurs désireux d'accéder aux sites de lancement du CSG doivent obtenir une autorisation administrative des autorités françaises.
Les rapporteurs proposent de rappeler explicitement ce point dans le dispositif de la PPRE.
* 10 Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Portugal et Suède.
* 11 Pologne, Espagne, Estonie.
* 12 Enrico Letta, « Bien plus qu'un marché », avril 2024.
* 13 Mario Draghi, « Le futur de la compétitivité européenne », septembre 2024.
* 14 Ibid, p. 180.
* 15 Loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.
* 16 Arrêté du 31 mars 2011 relatif à la réglementation technique en application du décret n° 2009-643 du 9 juin 2009 relatif aux autorisations délivrées en application de la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales (articles 21 et 22).
* 17 Arrêté du 28 juin 2024 modifiant l'arrêté du 31 mars 2011 relatif à la réglementation technique en application du décret n° 2009-643 du 9 juin 2009 relatif aux autorisations délivrées en application de la loi no 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales