II. UNE CONGESTION SPATIALE PLANÉTAIRE, MAIS PAS DE CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL SUSCEPTIBLE DE PRÉSERVER LA DURABILITÉ DES ACTIVITÉS SPATIALES

A. FAUTE DE RÈGLEMENTATION INTERNATIONALE HARMONISÉE, DES LIGNES DIRECTRICES NON CONTRAIGNANTES

1. Le droit spatial demeure encore embryonnaire en matière de gestion du trafic spatial

Les traités internationaux ne sont plus adaptés aux risques liés à la prolifération des débris spatiaux. Élaboré essentiellement au cours des années 1970, le droit spatial international est demeuré relativement figé au cours des dernières années, tandis que le secteur spatial connaissait de véritables bouleversements. Ainsi, depuis 1979, aucun nouveau traité sur l'espace n'a été ni négocié ni ratifié par les États.

Postérieure à l'élaboration de ces traités, l'apparition de problématiques nouvelles telles que l'augmentation des débris spatiaux ou l'encombrement spatial n'a jusqu'à présent pas suscité l'adoption de nouvelles règlementations internationales.

Principaux traités internationaux en matière spatiale

Le cadre juridique international est principalement constitué de cinq grands traités et conventions adoptés sous l'égide des Nations Unies qui, s'ils traitent indirectement de la question du trafic spatial, n'abordent pas spécifiquement cette question sous une forme unifiée et globale :

- le Traité de l'Espace (1967), pierre angulaire du droit spatial international, établit les principes de base de la coopération internationale, de l'usage pacifique de l'espace et de la non-appropriation, prévoit que les États sont responsables des activités spatiales menées par leurs ressortissants, sans toutefois évoquer explicitement les enjeux de gestion du trafic spatial ;

- la Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (1972) précise la responsabilité des États en cas de dommages causés par des objets spatiaux à d'autres États et établit un mécanisme de réparation des préjudices ;

- la Convention sur l'enregistrement des objets lancés dans l'espace extra-atmosphérique (1976) oblige les États à enregistrer tout objet lancé dans l'espace auprès des Nations, pour garantir une meilleure traçabilité des objets spatiaux ;

- la Convention sur la Lune (1979) vise à garantir une exploitation des ressources lunaires conforme à l'intérêt collectif de l'humanité ;

- le Règlement des télécommunications spatiales (1992), initié par l'Organisation internationale des télécommunications, définit les règles applicables à l'attribution des fréquences radio et des orbites géostationnaires.

2. À défaut de véritables normes juridiques internationales, des lignes directrices ont été élaborées en matière de gestion du trafic spatial

L'échelon international demeure néanmoins le plus approprié en matière de gestion du trafic spatial, étant donné que les opérateurs spatiaux dans le monde entier sont interdépendants à des degrés divers, que les États pouvant désormais atteindre l'orbite terrestre sont de plus en plus nombreux et que les acteurs privés y jouent un rôle accru.

Dès 1959, les Nations Unies ont ainsi créé le Comité des utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique (CUPEEA), afin de promouvoir la coopération entre États en matière d'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique. Les travaux de ce Comité ont abouti à l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies de Lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux en 2009, puis de Lignes directrices en matière de soutenabilité à long terme des activités spatiales en 2019.

Lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux

1. Limiter les débris produits au cours des opérations normales ;

2. Limiter les risques de désintégration au cours des phases opérationnelles ;

3. Limiter les risques de collision accidentelle en orbite ;

4. Éviter la destruction intentionnelle et les autres activités dommageables ;

5. Limiter les risques de désintégration provoquée à l'issue des missions par l'énergie stockée ;

6. Limiter la présence prolongée d'engins spatiaux et d'étages orbitaux de lanceurs dans la région de l'orbite terrestre basse après la fin de la mission ;

7. Limiter les perturbations prolongées provoquées par des engins spatiaux et des étages orbitaux de lanceurs dans la région de l'orbite géosynchrone après la fin de leur mission.

En parallèle, le Comité de coordination inter-agences sur les débris spatiaux (Inter-Agency Space Debris Coordination Commitee, IADC), qui rassemble plusieurs agences spatiales nationales afin de promouvoir une véritable coopération internationale en matière de débris spatiaux, a édicté plusieurs règles de bonne conduite et normes techniques, relatives à la conception des satellites, la gestion de leur fin de vie ou encore la promotion de technologies de nettoyage spatial pour récupérer les débris existants.

L'IADC a par ailleurs contribué aux travaux du CUPEEA ; les lignes directrices sur l'atténuation des débris spatiaux de l'IADC en 2002 ont ainsi servi de base à celles élaborées et adoptées par le CUPEEA en 2009.

Enfin, l'Union européenne, qui contribue aux travaux du CUPEEA et soutient la mise en oeuvre des lignes directrices, a également proposé, en 2008, un Code de conduite des activités spatiales, visant à promouvoir un comportement responsable dans l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique.

Si ces lignes directrices constituent indéniablement une avancée majeure dans la prise en compte des enjeux afférents à l'encombrement spatial, il n'existe actuellement aucune norme contraignante permettant d'encadrer la gestion des objets en orbite et de surveiller l'impact environnemental des activités spatiales.

De fait, en l'absence de sanctions à l'intention des acteurs qui ne s'y conforment pas, leur mise en oeuvre dépend uniquement de la bonne volonté des parties prenantes. Ainsi, selon un rapport de l'université des Nations Unies5(*), seuls 60 % des opérateurs de l'orbite terrestre basse respecteraient volontairement ces lignes directrices, cette proportion chutant à 20 % pour les autres orbites.

Il en est de même pour les États, qui ne partagent pas tous les mêmes priorités en matière spatiale. À titre d'exemple, la limitation des tirs antisatellites, responsables de la création de nombreux débris spatiaux, a fait l'objet d'une résolution spécifique de l'Assemblée générale des Nations-Unis du 7 décembre 20226(*) ; soumise par les États-Unis (qui ont mis un terme à leur programme antisatellite) et coparrainée par la France, cette dernière appelle tous les États à s'engager à ne pas conduire d'essais de missiles antisatellites destructifs. Si 155 membres de l'ONU ont voté en faveur de cette résolution, seuls 22 États7(*) se sont en réalité engagés à soutenir le moratoire sur les essais ASAT.

Dans ce contexte, l'Assemblée générale des Nations-Unies a appelé les États, dans une résolution du 7 décembre 20208(*), à développer des normes et règles internationales pour encadrer la gestion des objets en orbite et réduire les débris spatiaux. Dans une seconde résolution, du 24 décembre 20219(*), l'Assemblée générale des Nations-Unies a également reconnu l'importance du CUPEEA et de l'IADC dans la gestion des débris spatiaux et encouragé ces forums à continuer à jouer un rôle de coordination et de promotion de normes internationales.

In fine, aux yeux de nombreux observateurs, il est désormais impératif de se doter d'un texte international contraignant, qui imposerait des « pratiques respectueuses » en matière de non-production de débris et de limitation des risques de collisions. Néanmoins, il ressort des auditions menées par les rapporteurs que les discussions multilatérales actuelles ne permettent pas d'envisager l'adoption, à court terme, de nouveaux instruments contraignants au niveau international.


* 5 Université des Nations-Unies, Débris spatiaux, octobre 2023, https://s3.eu-central-1.amazonaws.com/interconnectedrisks/reports/2023/TR_231 115_Space_Debris.pdf

* 6 Assemblée générale des Nations-Unies, Résolution 77/41, « Essais de missile antisatellite à ascension directe et à visée destructrice », 7 décembre 2022.

* 7 États-Unis, Canada, France, Japon, Allemagne, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Corée du Sud, Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Norvège, Suède, Suisse, Danemark, Irlande, Portugal, Grèce

* 8 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 75/36, « Réduire les menaces spatiales au moyen de normes, de règles et de principes de comportement responsable », 7 décembre 2020.

* 9 Assemblée Générale des Nations Unies, « Renforcer la coopération internationale pour la gestion des débris spatiaux » (A/RES/76/93), 24 décembre 2021.

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