III. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN INSTRUMENT JURIDIQUE INADAPTÉ AU BUT POURSUIVI

À l'éclairage des auditions, il est apparu que le texte proposé était inapplicable. Il tend d'une part à assimiler des situations différentes qui sont la corrida et le combat de coqs. D'autre part, le choix fait par les auteurs de la proposition de loi d'inscrire un objectif de protection des mineurs de seize ans au sein des dispositions du code pénal relatives à la protection des animaux entraîne plusieurs difficultés juridiques insurmontables.

A. UN DISPOSITIF INADAPTÉ AUX COMBATS DE COQS

Le combat de coqs repose sur le combat entre deux animaux dont la combativité naturelle est exacerbée. Il est, spécialement dans les outre-mer, lié à la pratique de paris, assimilables aux paris hippiques, et de ce fait d'abord une activité d'adultes. Même s'il existe des exceptions, la pratique générale décrite au rapporteur par les services de l'État dans les départements et collectivités d'outre-mer est celle d'un accès libre, sans vente de billets.

Le dispositif proposé entraînerait, pour être applicable, une obligation de contrôler les accès aux combats de coqs et un contrôle accru par les services de l'État alors même que le nombre de mineurs présents ne paraît pas a priori le justifier.

La pratique traditionnelle des combats de coqs, spécialement dans les outre-mer, se trouverait fortement affectée sans qu'il y ait eu de concertation préalable avec les acteurs de terrain. Outre le risque d'un déport vers les pratiques de combats illégaux, il est à craindre qu'une telle mesure ne soit vue comme une mesure unilatérale remettant en cause les cultures locales. Il résulte des auditions du rapporteur et des contacts pris avec les services de l'État dans les départements concernés que susciter un nouveau sujet de tension dans les outre-mer, alors même que la nécessité de protéger les mineurs de seize ans du spectacle des combats de coqs n'est pas suffisamment établie, n'est pas opportun.

B. DES EFFETS JURIDIQUES INCERTAINS SUR LA CORRIDA

1. Garantir la cohérence des dispositions relatives aux mineurs

En interdisant la présence de mineurs de seize ans lors des courses de taureaux, les auteurs de la proposition de loi ont entendu prévoir l'interdiction la plus large possible. L'interdiction s'applique ainsi à toutes les courses de taureaux, qu'il s'agisse ou non d'une corrida, et donc qu'il y ait ou non mise à mort.

Les auditions et la comparaison avec les autres propositions de texte ayant le même objet tendent à laisser penser que la proposition de loi entend interdire deux situations distinctes : celle, visée dans l'exposé des motifs, dans laquelle le mineur est spectateur, mais également celle où un mineur de seize ans participe au spectacle. De telles situations ont été signalées au rapporteur et ont entraîné des débats sur le cadre juridique permettant à des enfants soumis à l'obligation scolaire de se produire, de manière rémunérée ou non.

On comprend que les auteurs souhaitent interdire la participation, dont l'effet sur les mineurs est nécessairement plus important que le simple spectacle. La clarté de la loi imposerait cependant que les deux circonstances soient explicitement visées. De plus, si l'effet des mesures proposées était d'interdire aux mineurs de seize ans de participer aux corridas, la question de l'apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie resterait entière. En effet, la loi pénale étant d'interprétation stricte, l'interdiction des écoles qui forment à la tauromachie n'entre pas dans son champ tant qu'elles n'organisent pas de courses. Le régime proposé interdirait donc aux mineurs de seize ans de se produire, mais permettrait encore aux parents d'inscrire leurs enfants dès l'âge de six ou huit ans dans les quelques écoles de tauromachie existant en France.

2. Des sanctions pénales disproportionnées

La proposition de loi n'apporte aucune modification au régime pénal et fait donc reposer sur l'organisateur la responsabilité liée à la présence d'un mineur de seize ans. Elle ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents, adultes ou mineurs de seize à dix-huit ans qui auraient facilité la présence du mineur de seize ans, ni de responsabilité pour le mineur lui-même qui se serait introduit malgré les contrôles et interdictions.

Le régime de responsabilité de l'organisateur n'est pas sans parallèles, par exemple avec celui qui pèse sur les exploitants de salles de cinéma. Cette responsabilité s'exerce cependant généralement conjointement à la responsabilité parentale et est sanctionnée par une contravention.

Or, la proposition de loi aurait des conséquences allant bien au-delà de ces régimes. Telle que rédigée, la présence d'un seul mineur de seize ans transformerait, du point de vue du droit pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal, assorti de plusieurs circonstances aggravantes, dont celle d'avoir été commise en présence d'un mineur et ayant entraîné la mort de l'animal. Ceci exposerait les personnes physiques à une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, et les personnes morales notamment à l'interdiction d'exercice de l'activité professionnelle, en application de l'article 131-39 du code pénal.

Pareilles sanctions, qui aboutiraient de fait à l'interdiction des spectacles de corrida si elles étaient mises en oeuvre par le juge, ne paraissent pas conformes à l'échelle des peines, si l'on se place sur le terrain de la protection des mineurs.

3. Une interrogation sur le seuil d'âge retenu

Les auditions du rapporteur n'ont, en outre, pas permis d'établir un seuil d'âge qui serait le plus adapté à l'objectif de protection poursuivi. Le seuil de 16 ans correspond à la fin de l'obligation scolaire et à la possibilité d'émancipation. Il établit un parallèle avec le système de classification des oeuvres cinématographiques qui connaît ce seuil. Cependant ce seuil a été critiqué comme étant trop faible tant pour des raisons juridiques - l'article 521-1 du code pénal considérant comme circonstance aggravante les sévices sur animaux en présence de mineurs sans distinction d'âge - que par la nécessité de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents le plus tard possible. À l'inverse, le seuil de seize ans peut paraître trop élevé au regard de la majorité sexuelle à 15 ans. Reprenant le parallèle avec la classification des oeuvres cinématographiques, certaines des personnes auditionnées ont pu considérer que le seuil de douze ans serait le plus adapté.

L'ARCOM, qui n'a plus été amenée à se prononcer depuis 2012 sur la diffusion de spectacles de corrida, a pour sa part déconseillé le spectacle de corrida aux moins de 10 ans, tout en recommandant de ne pas montrer la mise à mort et de placer la diffusion à des horaires de deuxième partie de soirée.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page