N° 557
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, allongeant la durée de l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate,
Par Mme Dominique VÉRIEN,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
1970, 2078 et T.A. 250 |
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Sénat : |
380 et 558 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Les violences intrafamiliales sont un fléau qui nécessite une mobilisation sans faille aussi bien des forces de l'ordre et des services sociaux que du monde judiciaire.
C'est pourquoi, en 2010, le législateur a instauré un dispositif de protection judicaire d'urgence des victimes présumées de violences intrafamiliales, les ordonnances de protection, permettant au juge aux affaires familiales de prononcer dans un délai restreint des mesures protectrices à mi-chemin du droit civil et du droit pénal.
Néanmoins, malgré cinq réformes successives du dispositif, celui-ci parait encore perfectible au regard du nombre élevé de femmes majeures déclarant avoir été victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques ou verbales par leur partenaire ou ex-partenaire, qui a atteint 321 000 en 2022, comparé au nombre d'ordonnances de protection demandées, inférieur à 6 000 sur cette même année 2022.
Dans l'objectif de mieux assurer l'intégrité physique des victimes présumées, et de les inciter à se tourner vers la justice, la proposition de loi déposée par la députée Émilie Chandler et adoptée en mars par l'Assemblée nationale, prévoit deux mesures principales ayant pour effet d'étendre temporellement la protection des victimes : en amont de la décision judiciaire d'octroi de l'ordonnance de protection, avec la création d'une ordonnance provisoire de protection immédiate, et en aval avec l'allongement de la durée de l'ordonnance de protection, qui passerait de six à douze mois.
Souscrivant à cet objectif, la commission a adopté la proposition de loi, modifiée par 8 amendements, rendant notamment plus accessible et plus effective l'ordonnance provisoire de protection immédiate, en ouvrant la saisine du juge aux personnes en danger, après avis conforme du ministère public, et en permettant au procureur de la République d'octroyer à la victime un téléphone grave danger. La commission a également aligné sur trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amendement la peine encourue pour violation d'une mesure édictée dans le cadre d'une ordonnance provisoire de protection immédiate et celle encourue pour violation d'une ordonnance de protection.
I. LES ORDONNANCES DE PROTECTION, UN OUTIL MAJEUR DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES INTRAFAMILIALES ENCORE TROP PEU EXPLOITÉ
Inspirées d'un dispositif juridique instauré en Espagne en 2003, les ordonnances de protection ont été créées en France par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, en remplacement des anciens « référés violence ». Signe de l'intérêt qui est porté à ce récent dispositif et au souhait de lutter contre les violences intrafamiliales, le législateur l'a actualisé à cinq reprises entre 2011 et 2022.
En l'état actuel du droit, l'ordonnance de protection est un dispositif d'urgence qui permet au juge aux affaires familiales, saisi par la personne en danger ou, avec l'accord de celle-ci, par le ministère public, de prononcer dans un délai de six jours des mesures temporaires afin de garantir la sécurité de la victime et l'aider à rendre effective la séparation, dans l'attente d'un éventuel jugement pénal si les violences sont avérées.
Si le juge estime, après avoir entendu les observations des deux parties, qu'il « existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés »1(*), il peut ordonner des mesures relevant aussi bien du droit pénal, comme l'interdiction d'entrer en relation, l'interdiction de détenir ou de porter une arme, l'interdiction de se rendre dans certains lieux, ou encore le port d'un bracelet anti-rapprochement ou l'attribution d' un « téléphone grave danger », que des mesures relevant du droit civil, à l'instar de la résidence séparée des membres du couple, l'attribution à la victime des violences du logement conjugal ou la définition des modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Toutes ces mesures sont valables pendant une durée maximale de six mois. Cette durée peut cependant être prolongée si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale ou si une demande en divorce ou en séparation de corps est introduite avant l'expiration de l'ordonnance de protection.
Le non-respect de ces mesures constitue un délit pouvant être puni d'une peine de 15 000 € d'amende et de deux ans d'emprisonnement.
Bien que les ordonnances de protection soient un dispositif central de la lutte contre les violences intrafamiliales, dont l'importance et l'utilité ont été soulignées par l'ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure, leur prononcé apparaît encore faible, au regard des 321 000 femmes s'étant déclarées victimes de violences conjugales en 20222(*). La même année, 5 792 demandes d'ordonnances de protection ont été formulées, dont 3 621 qui ont été acceptées par le juge, soit 62,5 %.
La tendance est cependant à la hausse. D'après les chiffres provisoires transmis à la rapporteure par le ministère de la justice, 6 435 demandes d'ordonnance de protection ont été formulées en 2023, soit plus du double du nombre de demandes formulées en 2015.
Source : commission des lois, d'après les données de la Miprof et du SDES
* 1 Article 515-11 du code civil.
* 2 Source : Lettre de l'observatoire national des violences faites aux femmes n° 19, mars 2024.