II. UN PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS

A. UNE RÉDACTION PROCHE DE CELLE DU SÉNAT SANS ÊTRE IDENTIQUE

Lors du vote le 1er février 2023, la majorité des sénateurs s'est clairement exprimée en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG en votant l'amendement présenté par Philippe Bas9(*).

Le projet de loi n'en reprend pas les termes, mais est présenté par le Gouvernement comme « un juste équilibre entre les positions du Sénat et de l'Assemblée nationale », une forme de « troisième lecture » selon les mots du garde des Sceaux.

La rédaction proposée, suggérée par le Conseil d'État dans son avis préalable10(*), se rapproche de celle adoptée par le Sénat dans la mesure où :

- une « liberté » serait consacrée et non un droit ; le Conseil d'État relève que cette terminologie était celle employée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions relatives à l'IVG ;

- la disposition nouvelle serait insérée à l'article 34, consacrant ainsi le rôle du Parlement dans la détermination des conditions dans lesquelles s'exerce cette liberté ; le Conseil d'État a considéré que ce choix n'est pas inadéquat et qu'aucun autre emplacement n'apparaît préférable.

Ce qui distingue la rédaction proposée par le Gouvernement de la rédaction adoptée par le Sénat consiste en l'ajout des termes « garantie » et « interruption volontaire de grossesse ».

B. UNE RÉDACTION QUI LAISSE SUBSISTER DES QUESTIONNEMENTS QUANT À SA PORTÉE RÉELLE

Selon le Conseil d'État, cette rédaction maintiendrait un statu quo et poursuivrait l'objectif « d'encadrer l'office du législateur afin qu'il ne puisse interdire tout recours à l'interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d'exercice de façon telle qu'il priverait cette liberté de toute portée ».

Toutefois, le terme « garantie » - qui ne figurait pas dans la version votée par le Sénat - semble inutile dans la mesure où, en application de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ». L'ajout de ce terme interroge donc sur la portée juridique qui pourrait y être attachée et l'interprétation que pourrait en faire le Conseil constitutionnel, qui ne s'estime lié ni par les avis du Conseil d'État ni par les débats parlementaires.

Se pose également la question de la liberté de conscience des professionnels de santé, qui était l'un des deux éléments qui faisaient de la loi Veil une loi de compromis, l'autre élément étant la situation de détresse des patientes, supprimée depuis 2014. Ainsi que l'a rappelé le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)11(*) : « la clause de conscience spécifique souligne la singularité de l'acte médical que représente l'IVG ».

Or, pas plus que la liberté de la femme de recourir à l'IVG, la liberté de conscience des professionnels de santé n'est aujourd'hui consacrée en tant que telle dans la Constitution. Si la première découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la seconde découle de son article 1012(*). Il semble donc discutable de n'inscrire dans la Constitution qu'une seule de ces deux libertés.

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Dans l'attente du débat qui se tiendra en séance publique, la commission a pris acte du projet de loi constitutionnelle.


* 9 https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/143/Amdt_1.html

* 10 Avis du Conseil d'État n° 407667 du 7 décembre 2023.

* 11 Avis du 18 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse.

* 12 Dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a simplement relevé que la « clause » de conscience inscrite dans le code de la santé publique permettait de sauvegarder la liberté du médecin de ne pas pratiquer l'IVG, « laquelle relève de sa conscience personnelle ».

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