CHAPITRE IV : COMPLÉTER L'ARSENAL PÉNAL
RÉPRESSIF ANTITERRORISTE

Article 11
Délit sanctionnant la détention ou l'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste

Compte tenu de la nécessité de corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme - création jurisprudentielle - qui permettait d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre d'individus détenant des centaines de vidéos et images relayant des crimes commis par des groupements islamistes, la commission a adopté l'article 11 en le sécurisant, permettant de sanctionner les individus détenant des contenus apologétiques.

Elle a ainsi, par l'adoption d'un amendement de réécriture globale du rapporteur, plutôt que de retravailler les dispositions du délit de recel d'apologie, souhaité introduire un nouveau délit de la détention ou l'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste.

1. Le délit de recel d'apologie du terrorisme, une création jurisprudentielle censurée en 2020 par le juge constitutionnel

Sur le fondement d'une combinaison des dispositions des articles 321-1- et 421-2-5 du code pénal, saisie d'un recours à l'encontre d'une jurisprudence de la cour d'appel de Rouen, la Cour de cassation a, par un arrêt du 7 janvier 2020, incriminé la détention de fichiers faisant l'apologie du terrorisme comme constitutif d'un recel d'apologie du terrorisme46(*).

Elle a, pour ce faire, confirmé le raisonnement proposé par la cour d'appel qui avait relevé d'une part, qu'« en effectuant des téléchargements volontaires de fichiers faisant l'apologie du terrorisme », le mis en cause avait « détenu en toute connaissance de cause des choses provenant d'une action qualifiée de crime ou de délit par la loi », autrement dit qu'il s'était rendu coupable de recel.

D'autre part, la cour avait également jugé que « démontr[ait] une certaine adhésion aux propos apologétiques et que la multiplicité, la diversité et le caractère volontaire de la sélection des documents téléchargés exclu[aient] qu'il ait pu agir de bonne foi par simple curiosité, quête spirituelle ou parce qu'il se retrouvait dans une situation de détresse psychologique, matérielle et familiale ainsi qu'il le prétendait ».

Ainsi, avait été par voie jurisprudentielle consacré le recel d'apologie du terrorisme. Le mis en cause avait formulé une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation avait renvoyée au juge constitutionnel au motif qu' « il convient que le Conseil constitutionnel puisse apprécier, au regard de ses décisions n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 et n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017 qui ont, pour incriminer la consultation de sites faisant l'apologie du terrorisme, exigé que soit caractérisé chez l'auteur de cette consultation une intention terroriste, si les dispositions susvisées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, qui admet que le recel de fichiers ou de documents apologétiques notamment issus de la consultation de tels sites puisse être incriminé si est au moins caractérisée, en la personne du receleur, une adhésion à l'idéologie exprimée dans de tels fichiers, ne sont pas susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication »47(*).

Saisi de la conformité à la Constitution du délit d'apologie du terrorisme, le Conseil constitutionnel avait préalablement jugé qu'il ne méconnaissait pas la liberté d'expression et de communication. Il a estimé que « apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle-même un trouble à l'ordre public » et que « le juge se prononce en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction et des circonstances de cette dernière, notamment l'ampleur du trouble causé à l'ordre public »48(*). Il a également admis que l'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication était nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.

Toutefois, en l'espèce et s'agissant du seul délit de recel d'apologie du terrorisme, le Conseil constitutionnel49(*), a émis trois critiques, à titre principal, à l'encontre du caractère adapté et proportionné du délit ainsi créé, le conduisant à censurer ces dispositions et émettre une réserve d'interprétation mettant en échec une telle interprétation par le juge.

Ainsi, en premier lieu, il a estimé que « si l'apologie publique d'actes de terrorisme favorise la large diffusion d'idées et de propos dangereux, la détention des fichiers ou documents apologétiques n'y participe qu'à la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique ».

En deuxième lieu, il a jugé que « l'incrimination de recel d'apologie d'actes de terrorisme n'exige pas que l'auteur du recel ait la volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie ». Dès lors, que l'élément intentionnel, qui constituait un des éléments de caractérisation du délit ainsi créé, ne pouvait ni se déduire d'une détention d'image ni être constituée par une simple adhésion à une idéologie. En effet, il a estimé que « si, conformément à l'interprétation qu'en a retenue la Cour de cassation, la poursuite de cette infraction suppose d'établir l'adhésion du receleur à l'idéologie exprimée dans les fichiers ou documents apologétiques, ni cette adhésion ni la détention matérielle desdits fichiers ou documents ne sont susceptibles d'établir, à elles seules, l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie ».

Enfin, il a relevé que « le délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme réprime donc d'une peine qui peut s'élever, selon les cas, à cinq, sept ou dix ans d'emprisonnement le seul fait de détenir des fichiers ou des documents faisant l'apologie d'actes de terrorisme sans que soit retenue l'intention terroriste ou apologétique du receleur comme élément constitutif de l'infraction ».

Pour l'ensemble de ces raisons, il a estimé que le délit de recel d'apologie du terrorisme portait, dans cette rédaction, une atteinte qui n'était pas nécessaire, adaptée et proportionnée à la liberté d'expression et de communication. Il a en conséquence supprimé ce dispositif.

Plus de trois ans après cette décision, les auteurs de la proposition de loi ont réintroduit, à l'article 11 du texte, des dispositions visant à réprimer le délit de recel d'apologie du terrorisme. Le rapporteur fait pleinement siennes les justifications à la réintroduction d'un tel délit telles qu'énoncées dans l'exposé des motifs par les auteurs de la proposition de loi : « Si les évolutions récentes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont entraîné la censure du délit de consultation habituelle de contenus à caractère terroriste introduit par le législateur et celle du délit de recel d'apologie du terrorisme créé par voie prétorienne, plusieurs acteurs judiciaires appellent à la création d'un nouveau délit permettant de sanctionner la détention et la consultation régulière de contenus, principalement numériques, à caractère terroriste. Ainsi, le 16 octobre 2023, à la suite de la mise en examen d'un homme de 24 ans, proche de la mouvance islamiste, pour port illégal d'un couteau de neuf centimètres à proximité d'un lycée, la procureure de la République, Maryvonne Caillebotte a déclaré : « il télécharge effectivement des images [de décapitation] mais il ne les diffuse pas. Il n'encourage pas non plus à un acte terroriste. En clair, sur le plan pénal, on ne peut le poursuivre que pour le port d'arme. L'apologie du terrorisme ou même le recel ne tiendraient pas. On n'est pas naïfs pour autant. S'il n'avait pas ce profil, il aurait sans doute écopé d'une simple ordonnance pénale et n'aurait pas été déféré en vue d'une comparution immédiate ».

Malgré l'ensemble de ces éléments, le prévenu n'encourt, en l'espèce et en l'état du droit, qu'une peine d'un an de prison, pour une infraction de droit commun et non à caractère terroriste. ». Toutefois, conscient des difficultés des difficultés constitutionnelles à la réintroduction d'un délit de recel d'apologie du terrorisme, le rapporteur a privilégié la création d'une nouvelle incrimination ; plutôt que de retravailler le délit de recel d'apologie.

2. La nécessaire création d'un délit de détention ou d'enregistrement des contenus apologétiques les plus graves, proportionnée et adaptée aux exigences constitutionnelles

Compte tenu de la nécessité de corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme - création jurisprudentielle - qui permettait d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre d'individus détenant des centaines de vidéos et images relayant des crimes commis par des groupements islamistes, le rapporteur s'est attaché à sécuriser la rédaction proposée par la proposition de loi afin de sanctionner les individus détenant des contenus apologétiques.

En réponse à la censure du Conseil constitutionnel et plutôt que de retravailler les dispositions du délit de recel d'apologie, la commission a souhaité introduire un nouveau délit de détention ou d'enregistrement d'images ou de représentations d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes commis par des individus agissant en relation avec une entreprise terroriste.

Elle a, à l'initiative du rapporteur (amendement COM-15), restreint le champ d'application de ce délit, par rapport au délit de recel d'apologie, par deux moyens :

- d'une part, en introduisant un critère de gravité particulièrement restreint, sur le modèle des dispositions incriminant la détention d'images pédopornographiques. Ainsi, plutôt que de sanctionner la détention de contenus apologétiques de manière générale comme c'était le cas du délit de recel d'apologie, elle a souhaité ne sanctionner que la seule détention des contenus les plus graves, exhibant des crimes terroristes ;

- d'autre part, en introduisant, à la différence du délit de recel d'apologie, un élément intentionnel dans la caractérisation de ce nouveau délit. L'infraction permettant de sanctionner les individus détenant de telles images apologétiques ne serait constituée qu'à condition que l'adhésion de l'auteur à un ou plusieurs crimes terroristes ainsi exhibés soit manifeste.

Un tel délit constituerait, aux yeux du rapporteur, une nouvelle possibilité d'entrave judiciaire à l'encontre de personnes fortement susceptibles de passer à l'acte et présentant donc, par la nature de leurs actes et la gravité des contenus qu'ils détiennent, une menace de trouble particulièrement grave à la sécurité des biens, des personnes et de l'ordre public.

Poursuivant le même objectif de garantir la constitutionnalité du dispositif, la commission a réduit la peine d'amende encourue de 45 000 à 30 000 euros, montant inférieur à celui initialement retenu pour sanctionner le délit de recel d'apologie.

De la même manière, plusieurs motifs légitimes de détention de tels contenus apologétiques sont prévus comme motifs d'exclusion de ce délit, à savoir « la détention résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisées afin de servir de preuve en justice, ou le fait que cette détention s'accompagne d'un signalement de l'origine de ces images ou représentations aux autorités publiques compétentes ».

La commission a adopté l'article 11 ainsi rédigé.

Article 11 bis (nouveau)
Extension du délit d'apologie du terrorisme
à la diffusion de contenu sur les réseaux privés

Prenant acte du fait que certaines évolutions permises par le développement de nouvelles solutions technologiques permettant de contourner la frontière de la publicité entendue au sens de « réseau public de communication », la commission a adopté un amendement du rapporteur portant création d'un article 11 bis, visant à intégrer dans la définition de la condition de publicité du délit d'apologie la diffusion la diffusion de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication, lorsque cette diffusion présente une ampleur telle qu'elle est assimilable à de l'apologie publique et a les mêmes effets en matière de diffusion d'idées et de propos dangereux.

D'un constat partagé par l'ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre le terrorisme auditionnés par le rapporteur, l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux dits « privés » ou des fonctionnalités messageries cryptées ont induit un renouvellement du mode opératoire de l'apologie du terrorisme en permettant aux auteurs de commettre de tels faits en dehors des réseaux de communication publics, alors que le critère de publicité de l'apologie est constitutif de sa répression en matière terroriste.

Pour mémoire, le Conseil constitutionnel n'a admis la constitutionnalité d'un tel délit qu'au motif que « l'apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle-même un trouble à l'ordre public »50(*).

Si ces délits commis dans l'espace virtuel prennent la même forme que celles commises dans le monde réel ou sur des réseaux publics, permettant de qualifier aisément le caractère public de cette apologie, le détournement des fonctionnalités offertes par ces moyens de communication « privés » est susceptible d'entrainer des conséquences encore plus dommageables en ce qu'elles permettent à des individus de se rendre coupables d'apologie devant une large audience de personnes sans lien avec une communauté d'intérêts en contournant les critères juridiques en vigueur.

Ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le caractère privé de certains échanges doit faire l'objet d'une analyse casuistique et admet que le caractère privé de certains espaces d'échanges puisse être remis en cause. À titre d'exemple, elle considère qu'un échange dématérialisé est public s'il est diffusé à un « nombre indéterminé de personnes nullement liées par une communauté d'intérêts »51(*).

La commission a considéré que ces apports de nature jurisprudentielle n'offrent pas les garanties nécessaires quant à l'application uniforme sur le territoire et durable dans le temps de telles appréciations

Il lui est, au surplus, apparu nécessaire d'actualiser le droit existant afin de mieux prendre en compte ces nouvelles réalités et d'adapter en conséquence l'arsenal répressif, ce que ne fait pas, en l'état, la proposition de loi.

Sur proposition du rapporteur, elle a introduit, par l'adoption de l'amendement COM-16, un article 11 bis visant, pour ce faire, à consolider la définition du critère de publicité constitutif du délit d'apologie du terrorisme afin de tenir compte des évolutions permises par le développement de nouvelles solutions technologiques permettant de contourner la frontière de la publicité entendue au sens de « réseau public de communication ».

Ainsi, reprenant les notions dégagées et éprouvées par la jurisprudence de la Cour de cassation, elle a intégré dans la définition de la condition de publicité du délit d'apologie la diffusion de contenus apologétiques sur les réseaux privés de communication, lorsque cette diffusion présente une ampleur telle qu'elle est assimilable à de l'apologie publique et a les mêmes effets en matière de diffusion d'idées et de propos dangereux. Seraient donc constitutif d'un délit d'apologie du terrorisme, et sanctionné des mêmes peines, « le fait de diffuser des documents, images ou supports de toute nature faisant l'apologie du terrorisme sur des réseaux privés de communication lorsque ces réseaux, à raison de leur nature, de leurs conditions d'accès, du nombre de personnes y accédant ou de leur appartenance ou non à une communauté d'intérêts, peuvent être assimilés à des services de communication au public en ligne ».

La commission a adopté l'article 11 bis ainsi rédigé.

Article 12
Aggravations de peine en cas de délit d'apologie ou de provocation
à des actes de terrorisme dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte

La commission a adopté sans modifications l'article 12, qui traduit opportunément une recommandation ancienne du Sénat visant à mieux réprimer la commission par un ministre du culte des infractions d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme.

Traduisant une recommandation formulée par la commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste rapportée par Jacqueline Eustache-Brinio en 2018, l'article 12 de la proposition de loi créée une nouvelle circonstance aggravante au délit d'apologie ou de provocation à des actes de terrorisme lorsque les propos incriminés sont tenus dans l'exercice du culte ou dans un lieu de culte par un ministre du culte.

Les peines seraient portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende dès lors que ces faits auraient été commis, dans un lieu de culte ou dans l'exercice du culte, considérant qu'en raison de la qualité de la personne se rendant coupable de tels actes, les conséquences dommageables et la diffusion de telles idées sont d'une ampleur démultipliée.

Les personnes auditionnées par le rapporteur ont, dans leur ensemble, salué cette avancée dans la répression de comportements particulièrement néfastes dès lors qu'ils étaient commis par des ministres du culte ou dans des lieux de culte. Certaines ont toutefois souligné que les ministres du culte et les responsables de lieux de culte ont, depuis les opérations conduites sous l'état d'urgence jusqu'en 2019, globalement cessé de se rendre coupables, en ces lieux, de telles infractions. Pour autant, la commission a jugé que la mesure proposée restait bien nécessaire.

En conséquence, la commission a adopté, sans modification, cet article qui traduit opportunément une recommandation ancienne du Sénat.

La commission a adopté l'article 12 sans modification.

Article 13 (supprimé)
Aggravations de peine en cas d'apologie ou de provocation à la commission d'actes de terrorisme

Compte tenu des importantes réserves formulées par le procureur national de la République antiterroriste quant aux effets de bord dommageables susceptibles d'être induits par les dispositions proposées par cet article, la commission l'a supprimé.

Comme le précise l'exposé des motifs avec cet article 13, les auteurs de la proposition de loi ambitionnent « face à l'évolution du profil des auteurs d'actes de terrorisme, parfois incités par des individus entrant en contact via les réseaux sociaux avec les auteurs et les ciblant du fait de leur état psychologique ou de leur vulnérabilité, d'introdui[re] une nouvelle circonstance aggravante au délit de provocation directe à la commission d'un acte terroriste lorsqu'elle est commise sur une personne vulnérable à raison de son âge, de son état de santé ou de sa précarité économique, les peines sont alors portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende ».

De surcroit, cet article propose que lorsque la provocation à la commission d'un acte terroriste ou l'apologie publique du terrorisme sont commises avec, au moins, deux circonstances aggravantes du fait de l'état de la victime, des moyens utilisés ou de la nature de l'auteur, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Poursuivant un raisonnement analogue, le même article 13 introduit également une circonstance aggravante lorsque la provocation à la commission d'un acte terroriste ou à son apologie a été suivie d'effet, portant les peines encourues à sept années d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient ainsi que « cette disposition permette de prendre en compte le fait que l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux et plus largement des supports numériques a induit un renouvellement du mode opératoire de certains individus ou groupements en permettant aux auteurs de maintenir un contact quasi permanent avec leurs victimes favorisant en conséquence leur passage à l'acte ».

Si l'ensemble des acteurs auditionnés ont confirmé la pertinence des constats posés par les auteurs de la proposition de loi tels que décrits dans l'exposé des motifs52(*), le procureur national de la République antiterroriste ainsi que la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice ont, au cours de leur audition, alerté le rapporteur sur les importantes réserves suscitées par cet article compte tenu des conséquences dommageables susceptibles d'être induits par les dispositions proposées.

En premier lieu, l'aggravation de peine à raison de la qualité des victimes ainsi que de leur effet complexifie la caractérisation d'une infraction qui, en l'état du droit, ne requiert pas la désignation formelle d'une victime pour être constituée. Une telle évolution emporte, dès lors, le risque d'amoindrir le champ d'application d'une telle infraction en imposant « en creux » l'exigence d'identification d'une victime.

Au surplus, si une victime était identifiée et qu'elle se rendait coupable d'une infraction terroriste, la reconnaissance de sa qualité de victime pourrait faire obstacle à l'application d'un régime de sanctions plus sévère et aboutirait, de manière contreproductive, à l'application d'un régime protecteur et très favorable à son endroit.

Enfin, une jurisprudence constante du PNAT permet, en l'état du droit, de poursuivre et condamner des individus sur le fondement de l'association de malfaiteurs terroristes criminelle par « inspiration », infraction plus sévèrement sanctionnée que les dispositions de la propositions de loi qui proposent de sanctionner la provocation à un acte de terrorisme suivi d'effets.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a jugé plus opportun de procéder, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, à la suppression de ces dispositions qui pourraient, en dépit de leurs louables intentions, s'avérer contreproductives dans la répression des actes terroristes. Elle a, dès lors, adopté un amendement COM-17 de suppression de cet article.

La commission a supprimé l'article 13.

Article 14
Peine complémentaire de « bannissement numérique » pour les condamnés terroristes

La commission a, à l'initiative du rapporteur, approuvé l'économie générale du dispositif de cet article qui reprend une disposition adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1514 (2022-2023) visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, et, dans l'attente de la réunion de la commission mixte paritaire, adopté un amendement visant à reprendre des améliorations apportées par l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce texte.

1. L'utilisation des réseaux sociaux comme vecteur de radicalisation, une réalité nouvelle et particulièrement préoccupante

L'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur ont fait état du caractère central des moyens de communication numérique, et singulièrement des réseaux sociaux, comme vecteur de radicalisation et de passage à l'acte, en particulier chez les mineurs.

Ainsi, les informations transmises au rapporteur démontrent que les groupes terroristes organisés et connus des services de renseignement ont récemment opéré un changement stratégique visant, plutôt que d'inciter et de recruter des personnes susceptibles de se rendre sur des théâtres d'opérations, à endoctriner et provoquer à la commission d'actes de terrorisme sur le sol national des individus par des contacts opérés au moyen des réseaux sociaux.

À cet égard, le chercheur Xavier Crettiez, sur la base d'une analyse de plus de 200 condamnés terroristes, a distingué cinq modes de socialisation islamiste : « la socialisation militante, qui passe par des associations ou des groupes organisés de type salafistes, la socialisation amicale, la socialisation familiale, la socialisation cultuelle et institutionnelle, par des mosquées ou les clubs de sport, et enfin la socialisation par l'Internet ». Comme il l'indiquait dans une interview au journal Le Monde, « cette dernière socialisation, de type virtuel, écrase toutes les autres formes. La dimension cultuelle est deux fois moins importante, la socialisation amicale trois fois moins »53(*).

Vecteurs de la socialisation djihadiste
(forts ou très forts, en pourcentage)

Source : Infographie Le Monde, d'après les données de J. Boirot, X. Crettiez, R. Sèze,
Sociologie du djihadisme français, 202154(*).

Plus inquiétant encore, le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard a alerté le rapporteur sur le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux pour alimenter les phénomènes « d'auto-radicalisation » qu'il juge « plus difficiles à suivre et à judiciariser » puisqu'il résulte de la consultation répétée de contenus en ligne à caractère religieux ou terroriste sans mise en relation, même virtuelle, avec un individu incitant au passage à l'acte. Partageant ce constat, Nicolas Lerner, ancien directeur général de la sécurité intérieure, a indiqué constater que « les jeunes velléitaires ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation : ils se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un enfermement idéologique et numérique très préoccupant ».

2. En réponse à ce phénomène, l'introduction d'une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux apparait particulièrement adaptée aux évolutions de la menace terroriste

L'article 14 de la proposition de loi tend à créer une nouvelle peine complémentaire de « bannissement » des réseaux sociaux pour les personnes s'étant rendues coupables de provocation à la commission d'actes de terrorisme ou de leur apologie publique.

Dans sa nouvelle rédaction issue du présent article, l'article 421-2-5 du code pénal prévoit que pour les délits de provocation à la commission d'actes de terrorisme ou d'apologie du terrorisme prévus aux deux premiers alinéas l'article, une peine complémentaire de suspension du compte d'accès au service de plateforme en ligne ayant été utilisé pour commettre l'infraction peut être prononcée par le tribunal, pour une durée qui ne peut excéder six mois. Cette durée peut être portée à un an si la personne mise en cause est en état de récidive légale.

Le deuxième alinéa de l'article 14 introduit des dispositions visant à organiser la notification de la condamnation aux plateformes. Ainsi, la décision de condamnation serait signifiée au fournisseur de service de plateforme en ligne concerné. Ledit fournisseur devrait ensuite, pendant la durée d'exécution de la peine :

- procéder au blocage du compte ayant fait l'objet d'une suspension ;

- mettre en oeuvre des mesures pour bloquer les autres comptes d'accès à sa plateforme de la personne concernée par la condamnation, ainsi que l'empêcher de créer de nouveaux comptes.

Le fournisseur qui ne procèderait pas au blocage du compte ayant fait l'objet d'une suspension est, en application des dispositions de la proposition de loi, passible de 75 000 euros d'amende.

En outre, il est prévu, au dernier alinéa de l'article 14, dans sa rédaction initiale, que la personne condamnée à cette peine complémentaire peut en solliciter le relèvement devant la juridiction compétente à l'issue d'un délai de trois mois après la décision initiale de condamnation. Ce délai constitue une dérogation au troisième alinéa de l'article 702-1 du code de procédure pénale, qui prévoit qu'une telle demande ne peut être portée devant la juridiction compétente qu'à l'issue d'un délai de six mois après la décision initiale de condamnation. Elle doit dans ce cas spécialement motiver sa décision.

Ainsi, comme l'a rappelé l'exposé des motifs de la proposition de loi « l'intensification et la multiplication des supports de diffusion de contenus permises par les moyens numériques sont susceptibles d'entraîner des conséquences encore davantage dommageables, en particulier s'agissant de la provocation à la commission d'actes de terrorisme ou à leur apologie, ce qui n'est pas correctement appréhendé en l'état du droit ». C'est pourquoi, la commission a considéré qu'une telle modification en ce qu'elle préserve la caractérisation existante et éprouvée des délits de provocation et d'apologie du terrorisme tout en l'actualisant du fait du renforcement des effets négatifs induits par la commission sur l'espace numérique - donc à grande échelle et à l'appui de techniques nouvelles - de telles infractions, était particulièrement pertinente.

À l'initiative de son rapporteur, elle a approuvé l'économie générale de ce dispositif tout en adoptant un amendement COM-17 d'harmonisation des dispositions avec celles retenues par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi dit « SREN ».

La commission a adopté l'article 14 ainsi rédigé.

Article 15
Peine complémentaire d'interdiction de paraître
dans les transports en commun pour les condamnés terroristes

La commission a, à l'initiative du rapporteur, adopté sans modification cet article reprenant une disposition adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 2731 (2019-2020) relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Il vise à introduire opportunément une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun pour les auteurs d'infractions terroristes, dès lors que celles-ci auraient été commises dans les transports en commun.

L'article 15 de la proposition de loi tend à créer une nouvelle peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports en commun au sein d'un nouvel article L. 1633-1 du code des transports applicable aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme qui seraient commis dans les transports en commun.

Il reprend le dispositif d'un amendement du Gouvernement adopté en première lecture et portant article additionnel au projet de loi d'orientation des mobilités, examiné en 2019 au Parlement et devenu la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. Cet article 104 a été censuré par le Conseil Constitutionnel, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution, dans la mesure où il ne présentait pas de lien, même indirect, avec le texte et était à ce titre un « cavalier législatif »55(*). Faisant suite à cette censure, le Gouvernement avait réintroduit à l'article 11 du projet de loi n° 2731 (2019-2020) relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, des dispositions similaires, qui n'avaient finalement pas été retenues, malgré leur vote par le Sénat, par la commission mixte paritaire.

La nécessité de créer cette nouvelle peine est justifiée par le besoin de compléter la palette des mesures permettant la sanction effective des infractions à caractère terroriste, y compris les projets d'attentats aboutis mais non réalisés, commises au sein des transports en commun.

La commission de certaines infractions dans les transports en commun constitue déjà une circonstance aggravante. C'est notamment le cas pour le vol (7° de l'article 311-4 du code pénal), les violences (art. 222-12, 222-13 du même code) ou l'outrage sexiste (art. 621-1 du même code). Néanmoins, l'état actuel du droit ne permet pas de se fonder sur cette circonstance pour empêcher l'accès effectif aux transports en commun de la personne reconnue coupable. Ainsi, la peine complémentaire d'interdiction de séjour déjà prévue à l'article 131-31 du code pénal emporte la « défense de paraître dans certains lieux déterminés » mais les véhicules de transport qui composent les réseaux de transport public ne peuvent être qualifiés de « lieux ». En conséquence, cette peine complémentaire pourrait être prononcée que lorsque la personne s'est rendue coupable d'un crime ou d'un délit à caractère terroristes, en application des articles 421-1 à 421-8, autrement dit, à l'inclusion de la provocation à un acte de terrorisme et de l'apologie publique de terrorisme.

Cette peine complémentaire consisterait, pour la personne majeure reconnue coupable, à être interdite de « paraître dans un ou plusieurs réseaux de transport public déterminés par la juridiction ou dans les lieux permettant l'accès à ces réseaux ». Cette description couvrirait ainsi les véhicules affectés au transport, mais également les gares ou stations d'accès. Elle ne pourrait être prononcée que pour une durée maximum de trois ans à compter de la déclaration de culpabilité.

Consciente du caractère particulièrement contraignant d'une telle peine lorsqu'elle s'applique à des personnes ne disposant pas d'autres moyens de transport, les auteurs de la proposition de loi ont précisé que cette interdiction pouvait concerner « tout ou partie » du réseau de transport et prévoir que la peine puisse être suspendue ou fractionnée par le parquet en cours d'exécution. Ces deux dispositions poursuivent donc un double objectif : d'une part, garantir que la peine complémentaire puisse s'adapter aux éventuels changements intervenus dans la vie de la personne condamnée ; d'autre part, que la peine prononcée soit strictement adaptée aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de la personne condamnée et ne constitue pas une interdiction obligatoirement générale de paraitre dans les transports en commun.

Le manquement à l'interdiction de paraître constituerait en lui-même un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, en application de l'article 434-41 du code pénal auquel renverrait le nouvel article 1633-1 du code des transports que tend à créer le présent article 15.

Ainsi, il est apparu à la commission que cette mesure, permettait tout en présentant des garanties importantes, de compléter utilement l'arsenal pénal existant afin de protéger les lieux spécifiques et particulièrement soumis à des menaces que sont les transports en commun. À l'initiative du rapporteur, elle a, en conséquence, adopté cet article sans modification.

La commission a adopté l'article 15 sans modification.

Article 15 bis (nouveau)
Information systématique du procureur de la République en cas de demande changement de nom d'un condamné pour crimes terroristes

Faisant le constat de détournements préjudiciables de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes, la commission a, à l'initiative du rapporteur, souhaité prévoir dans cet article 15 bis une information systématique du procureur de la République lorsque de telles demandes émanent d'un condamné pour des crimes terroristes.

1. Les détournements préjudiciables de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes

Lors de leur audition par le rapporteur, Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, et Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, ont fait état des difficultés rencontrées par les services du ministère de l'intérieur du fait d'un détournement de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes - procédure introduite par la loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite loi « Vigal ».

Pour rappel, l'article 2 de la loi précitée a modifié l'article 61-3-1 du code civil afin de créer une procédure simplifiée de changement de nom ouverte à toute personne majeure permettant à celle-ci de prendre :

- soit l'un des noms mentionnés sur l'extrait d'acte de naissance de la personne (nom du père, nom de la mère, leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par le demandeur) ;

- soit, en cas de double nom d'un ou des parents, une partie de ces doubles noms.

Les seules limites enserrant cette procédure résident dans le nombre de fois où celle-ci peut être utilisée par une personne, à savoir : une seule fois dans sa vie, son applicabilité aux seules personnes majeures et la limitation du changement au nom de la parentèle.

Deux différences majeures ont été introduites avec la procédure de changement de nom préexistante et prévue au premier alinéa de l'article 61-3-1 précité :

aucune formalité préalable de publicité n'est requise pour procéder à un tel changement ;

aucun contrôle tenant à la légitimité de la demande n'est opéré par l'état civil. Autrement dit, ce changement de nom est réalisé de droit.

La procédure facilitée de changement de nom en pratique

En pratique, en application de la circulaire du 3 juin 2022 du garde des Sceaux, la demande de changement de nom est remise par la personne demanderesse à l'officier d'état civil compétent ou lui est directement adressée par courrier simple accompagné des formulaires et pièces utiles à la demande. Le demandeur doit, à l'issue d'un délai d'un mois, confirmer, en personne, sa volonté de changer de nom devant le même officier et est, à cette fin, contacté par tous moyens par l'officier.

Si les conditions précitées sont remplies, l'officier de l'état civil consigne le changement de nom dans le registre de l'état civil en cours et appose la mention sur l'acte de naissance de l'intéressé s'il le détient. S'il détient l'acte de mariage, l'acte de naissance de l'époux ou du partenaire, l'acte de naissance des enfants et leur acte de mariage le cas échéant, il procède également à la mise a jour de ces actes. S'il ne détient pas ces actes, il adresse un avis de mention aux officiers de l'état civil détenteurs de ces derniers aux fins de mise a jour.

Source : circulaire NOR JUSC2215808C du 3 juin 202256(*)

L'application d'une telle procédure, à l'inverse de celle « non simplifiée », ne requiert pas la saisine obligatoire du procureur de la République, celle-ci n'étant prévue en application du quatrième alinéa de l'article 61-3-1 du code civil qu'en cas de « difficultés ». Ces difficultés, comme le précise la circulaire mentionnée ci-avant, résident principalement en « un doute quant a l'existence du lien de filiation du demandeur avec le parent dont il sollicite de porter le nom »57(*). En pareil cas, soit le procureur de la république estime que la demande satisfait aux conditions légales et ordonne à l'officier de l'état civil d'y procéder, soit il estime qu'elle ne satisfait pas lesdites conditions et avise le demandeur sans délai de son opposition. La copie de cette décision d'opposition est versée aux pièces annexes de l'acte de naissance.

Eu égard à la facilité d'opérer un changement de nom selon la procédure ainsi décrite, certains individus condamnés pour des faits de terrorisme ont pu changer de nom sans que l'autorité judiciaire n'ait été avertie ou qu'il ne soit possible d'en retrouver, de manière centralisée via une publication au Journal officiel de la République française, la traçabilité.

Comme l'a fait valoir la directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, lors de son audition, cela a induit des difficultés dans l'établissement de certains fichiers pouvant aller jusqu'à des ruptures, particulièrement préjudiciables, de prise en charge de ces profils radicalisés.

2. Une solution équilibrée pour mettre fin à ces détournements : l'information systématique du procureur de la République compétent lorsqu'un condamné terroriste est auteur de la demande

En conséquence, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur et par l'adoption d'un amendement COM-19 portant création d'un article additionnel, introduire une saisine systématique et sans délai du procureur de la République par l'officier d'état civil en cas de demande de changement de nom émanant d'une personne condamnée pour un crime terroriste.

Plus précisément, cette saisine s'inscrit dans la même logique que celle déjà prévue « en cas de difficultés » rencontrées par l'officier d'état civil compétent. Ainsi, quelle qu'en soit l'issue, cette saisine est versée au dossier. En outre, le procureur de la République territorialement compétent dispose d'un pouvoir d'opposition à celle-ci, permettant soit d'y faire échec, soit en cas de confirmation de la demande, d'en assurer la traçabilité.

La commission a adopté l'article 15 bis ainsi rédigé.

Article 15 ter (nouveau)
Information des responsables d'établissements scolaires et des personnes hébergeant les personnes mises en examen ou condamnées en matière terroriste

En réponse à l'augmentation inquiétante du nombre de mineurs radicalisés et mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national, la commission a, sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, souhaité l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d `une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

Elle a, en conséquence, adopté un amendement du rapporteur portant création d'un article 15 ter.

1. La radicalisation des mineurs scolarisés, un phénomène particulièrement préoccupant

Les auditions menées par le rapporteur, en particulier celles du procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, et de la directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, ont confirmé le constat posé par les auteurs de la proposition de loi dans leur exposé des motifs : « les attentats des 16 octobre et 2 décembre 2023 mettent en lumière deux phénomènes de radicalisation particuliers : [au premier titre desquels ] la radicalisation, sur le sol national, de mineurs ayant été scolarisés en France ».

Alors qu'un rapport d'information d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé soulignait déjà en 2017 « l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation »58(*), force est de constater que cette tendance n'a fait que se confirmer depuis lors.

En termes quantitatifs, le nombre cumulé de mineurs déférés devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste s'élevait à 58 entre 2012 et le 1er avril 2017, tandis que, selon les informations communiquées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 19 mineurs ont été déférés pour la seule année 2023. Il s'agit du troisième nombre le plus important constaté depuis 201259(*). Par ailleurs, au 3 janvier 2024, 29 mineurs poursuivis pour ces faits sont pris en charge par les services de la DPJJ, dont 7 sont condamnés et 22 mis en examen.

Sur un plan qualitatif, une évolution particulièrement préoccupante des profils peut être observée. Selon la DPJJ, les mineurs concernés sont de manière générale plus jeunes et présentent des projets d'attentats relativement aboutis. Cela représente un basculement majeur pour la période 2015-2017, où le départ vers les zones de combat de groupements terroristes était le plus souvent l'objectif poursuivi.

2. En réponse au nombre de mineurs radicalisés sur le sol national, un renforcement nécessaire de l'information des autorités académiques, des chefs d'établissement et des personnes hébergeant les mis en examen ou les condamnés en matière terroriste

En réponse à l'augmentation inquiétante du nombre de mineurs radicalisés et mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national, la commission a souhaité, à l'initiative du rapporteur, renforcer l'information des autorités académiques, des chefs d'établissement et des personnes hébergeant les personnes mises en examen ou condamnées en matière terroriste.

Ainsi, sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, elle a adopté un amendement COM-20 prévoyant l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

Le régime dérogatoire d'information obligatoire existant
en cas de mise en examen ou de condamnation d'un mineur
pour des infractions à caractère sexuel ou criminel

L'article 6 de la loi de programmation relative à l'exécution des peines du 27 mars 2012 a introduit dans le code de procédure pénale deux nouveaux articles 138-2 et 712-22-1 prévoyant que, pour certaines infractions à caractère criminel ou sexuel, l'autorité judiciaire est tenue de transmettre aux autorités scolaires, une copie des décisions de placement sous contrôle judiciaire, de condamnation, d'aménagement de peine, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté. Le magistrat a également la possibilité de transmettre copie de ces décisions à la personne hébergeant la personne poursuivie ou condamnée.

Les infractions pour lesquelles ces dispositions sont applicables sont limitativement énumérées et recouvrent tout crime, quelle que soit sa nature, ainsi que les délits à caractère sexuels suivants : l'agression sexuelle, l'atteinte sexuelle sur mineur, le proxénétisme à l'égard d'un mineur et le recours à la prostitution d'un mineur.

Dans le détail, le deuxième alinéa de l'article 138-2 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la personne mise en examen pour l'une des infractions précitées est scolarisée ou a vocation à poursuivre sa scolarité dans un établissement scolaire, public ou privé, la copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire doit être obligatoirement transmise par le magistrat qui a ordonné la mesure de contrôle judiciaire :

- d'une part, dans tous les cas, à l'autorité académique, à savoir en pratique aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale, territorialement compétents pour les lieux de résidence et de scolarisation de la personne scolarisée, agissant sur délégation du recteur d'académie à l'inspecteur d'académie,

- d'autre part, si la personne est scolarisée, au directeur d'école ou au chef d'établissement concerné.

De façon analogue, le deuxième alinéa de l'article 712-22-1 du code de procédure pénale prévoit que lorsque la personne condamnée pour les infractions précitée est scolarisée ou a vocation à poursuivre sa scolarité dans un établissement scolaire, public ou privé, le juge d'application des peines doit transmettre à ces mêmes autorités :

- une copie de la décision de condamnation ou de la décision d'aménagement de la peine, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté ;

- une copie des décisions modifiant les obligations imposées au condamné ayant une incidence sur le lieu où le mode de scolarisation du condamné.

Les deux premiers alinéas des articles précités permettent quant à eux une information facultative de la personne chez qui le mis en examen ou le condamné, pour les mêmes infractions, est hébergé, sur décision du magistrat.

Pour ce faire, elle a prévu la transmission de la copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, de condamnation, ou d'aménagement de peine à l'autorité académique - à savoir en pratique aux directeurs académiques des services de l'éducation nationale territorialement compétent - et au chef d'établissement concerné. Toutefois, seuls les écoles élémentaires, collèges, lycées, écoles régionales du premier degré et établissements régionaux d'enseignement adapté sont ainsi visés60(*).

En outre, ces dispositions seraient applicables non seulement aux personnes scolarisées, mineures ou majeures, mais également aux personnes ayant vocation à poursuivre leur scolarité dans un établissement scolaire : il s'agit donc, en pratique, des mineurs de seize ans non scolarisés mais soumis à l'obligation scolaire.

En l'état du droit, les conditions et modalités de partage de ces informations sont particulièrement encadrées par les articles 138-2 et 712-22-1. Ainsi, les personnes à qui des décisions ont été transmises en application de ces dispositions ne peuvent faire état des renseignements ainsi obtenus qu'aux personnels qui sont responsables de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement. Comme le précise la circulaire du garde des Sceaux précitée, « sont ainsi concernés les personnels de direction, les conseillers principaux d'éducation et, le cas échéant, dans les structures chargées de l'hébergement des élèves, les personnels sociaux et de santé tenus au secret professionnel, chargés du suivi des élèves »61(*). Ces dispositions interdisent ainsi que ces informations judiciaires soient divulguées de façon injustifiée, notamment auprès des enseignants de l'établissement, des parents d'élèves ou des élèves.

En conséquence, la commission a considéré que ce dispositif éprouvé en matière d'infractions à caractère sexuelle trouverait toute sa place en matière terroriste et présentait un équilibre satisfaisant entre la divulgation d'informations judiciaires aux fins de prévention de la commission de nouvelles infractions et protection du secret de l'enquête et de l'instruction, principe constitutif de la présomption d'innocence. À l'initiative du rapporteur, elle a, en conséquence, adopté l'amendement COM-20 portant création de l'article additionnel 15 ter.

La commission a adopté l'article 15 ter ainsi rédigé.

Article 16
Gage financier

L'article 16 de la proposition de loi a pour objet de compenser la charge résultant pour l'État de l'application de la nouvelle loi, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévues au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La commission a adopté l'article 16 sans modification.


* 46 Cass. Crim. n° 19-80.136, 7 janvier 2020.

* 47 Cass, Crim., n° 19-86.709, 24 mars 2020.

* 48 Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P.

* 49 Décision n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020, M. Théo S.

* 50 Pour plus de précisions, voire le commentaire de l'article 11.

* 51 Cass. , crim. 19 juin 2018, n° 17-87.807.

* 52 Voir développements du commentaire de l'article 14.

* 53 Le Monde, «  Djihadisme en France : Deux tiers des détenus pour terrorisme ont vécu un choc moral sur Internet », interview de Xavier Crettiez, le 29 décembre 2021.

* 54 Op. cit.

* 55 Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilités, paragraphe n° 60.

* 56 La circulaire présente les dispositions issues de la loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation.

* 57 Op. cit, p.21.

* 58 Rapport d'information n° 633 (2016-2017) d'Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des djihadistes en France et en Europe (12 juillet 2017).

* 59 Ce nombre s'élevait à 27 en 2016 et 21 en 2017 (DPJJ).

* 60 Cette analyse est confirmée par la circulaire NOR JUSD12222695D présentant les dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines du 31 mai 2012.

* 61 Op. cit. p. 5.

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