CHAPITRE IER :
FACILITER ET RENFORCER
LES POURSUITES PÉNALES
Article 1er B
(nouveau)
Circonstance aggravante en cas d'abus de faiblesse au
moyen
d'un support numérique ou électronique
Prenant acte de l'évolution des modes opératoires des auteurs d'infractions en lien avec les dérives sectaires, le rapporteur n'a pu que s'étonner de l'absence de dispositions sur ce point dans le texte gouvernemental malgré les récentes évolutions du droit pénal en matière de répression des infractions commises en ligne.
En conséquence, la commission a introduit, à son initiative, l'article 1er bis tendant à renforcer la répression de l'abus de faiblesse dès lors qu'ils seraient commis en ligne ou au moyen de supports numériques ou électroniques. Les peines seraient portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende en pareil cas.
I. Une évolution préoccupante du mode opératoire des auteurs de dérives sectaires : l'utilisation des réseaux sociaux et des moyens électroniques de communication pour intensifier les violences
D'un constat partagé par l'ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre les dérives sectaires, l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux et plus largement des supports numériques a induit un renouvellement du mode opératoire de l'abus de faiblesse en permettant aux auteurs de maintenir un contact quasi-permanent avec leurs victimes.
L'étude d'impact du projet de loi constate, en ce sens, que « dans le domaine de la santé, mais également au-delà, le développement des réseaux sociaux accroît considérablement la ``surface d'exposition des victimes des mouvements à caractère sectaire'', des gourous 2.0 développent dans le cyberespace et avec les codes des ``influenceurs'' ses méthodes propres à obtenir la sujétion des individus »10(*).
De façon analogue, auditionnée par le rapporteur, Delphine Guérard, psychanalyste experte près les tribunaux judiciaires et spécialisée en matière de dérives sectaire a indiqué que ces nouveaux moyens de communication « ne laissaient aucun répit aux victimes » et, de façon plus inquiétante encore, « permettaient aux gourous d'entrer dans l'intimité de leurs victimes ».
Ainsi, si ces violences commises dans l'espace virtuel peuvent prendre la même forme que celles commises dans le monde réel, l'intensification des violences et la multiplication des victimes permises par ces moyens sont susceptibles d'entraîner des conséquences encore davantage dommageables. Un tel phénomène appelle à des mesures fortes et doit trouver une réponse pénale adaptée.
Il convient dès lors d'actualiser le droit existant afin de mieux prendre en compte ces nouvelles réalités et d'adapter en conséquence l'arsenal répressif, ce que ne fait pas, en l'état, le projet de loi. En conséquence, le rapporteur n'a pu que s'étonner de l'absence de dispositions sur ce point dans le texte gouvernemental, malgré les récentes évolutions du droit pénal en matière de répression des infractions commises en ligne.
II. La position de la commission : adapter l'arsenal législatif existant en aggravant les peines encourues en cas de commission du délit d'abus de faiblesse « en ligne »
Le rapporteur estime que, s'il n'est pas nécessaire de revenir sur les éléments constitutifs de l'abus de faiblesse, les quantums de peines prévus pour le sanctionner doivent impérativement être adaptées aux moyens technologiques existants - qui n'offraient pas de pareilles fonctionnalités en 2001 lors de la création de cette infraction par la loi dite « About-Picard ».
L'abus de faiblesse : un délit
sévèrement puni depuis la loi dite
« About-Picard »
mais inadapté aux nouveaux
modes opératoires des mouvements sectaires
Depuis la loi dite « About-Picard » de 2001, est sanctionné ce qui est appelé, par un abus de langage commun, « l'abus de faiblesse ».
Selon les termes de l'article 223-15-2 du code pénal, cette infraction est caractérisée par deux éléments :
- d'une part, l'abus frauduleux doit avoir été commis sur une personne vulnérable à raison soit de sa minorité, soit d'une particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, qui est apparente ou connue de son auteur, ou sur une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ;
- d'autre part, pour être caractérisée, cette infraction doit comporter un élément matériel - nécessitant la survenue d'un dommage - ou un élément moral - pour les cas où aucun dommage ne serait survenu - pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
L'infraction ainsi constituée est punie de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. Ces peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende lorsque peut être relevée la circonstance aggravante de sa commission par « le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités », autrement dit un mouvement sectaire, peut être appliquée.
De façon analogue, a été introduite par la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, une nouvelle circonstance aggravante lorsque cette infraction est commise par ce même type de groupement en bande organisée. Les peines sont alors portées à sept ans d'emprisonnement et à un million d'euros d'amende.
La caractérisation du délit d'abus de faiblesse n'a connu aucune évolution depuis la loi dite « About-Picard » qui visait ainsi à réprimer les effets négatifs sur les victimes des mouvements sectaires.
Réparant ainsi une omission du texte initial, le rapporteur a souhaité, par l'adoption d'un amendement COM-16 portant création d'un article additionnel 1er B, introduire une nouvelle circonstance aggravante au délit d'abus de faiblesse à raison des moyens utilisés.
Plus précisément, sur le modèle des circonstances aggravantes en matière de harcèlement moral ou scolaire11(*), les peines seraient portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende dès lors qu'un abus de faiblesse serait commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique.
La commission a adopté l'article 1er B ainsi rédigé.
Article 1er (supprimé)
Singulariser le
délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance
ou de faiblesse
résultant d'un état de sujétion et créer un
délit autonome permettant de réprimer les agissements qui ont
pour effet de créer cet état
Cet article entend distinguer l'infraction d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse résultant de l'état de sujétion d'une personne de l'abus de faiblesse déjà réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal.
Il crée par ailleurs une nouvelle infraction liée au « fait de placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ».
Considérant que cette évolution n'était pas nécessaire en droit, mais source de confusions susceptibles de porter atteinte à la répression d'autres infractions, la commission a supprimé cet article.
I. La volonté de faire évoluer la loi « About-Picard »
a) Un dispositif juridiquement précis et efficace
La loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales est issue d'une initiative du sénateur Nicolas About, alors membre de la commission des lois. Cette loi dite « About-Picard », qui associe au nom de notre ancien collègue celui de Catherine Picard, rapporteure du texte à l'Assemblée nationale, a créé l'article 223-15-2 du code pénal tendant à réprimer l'abus frauduleux d'ignorance ou de faiblesse, généralement connu sous le nom d'abus de faiblesse.
L'article 223-15-2 identifie les populations particulièrement fragiles face aux phénomènes sectaires : mineurs, personnes en situation de « particulière vulnérabilité, due à [leur] âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse », et identifie une situation de faiblesse caractéristique, la « sujétion psychologique ou physique ». L'article caractérise les moyens utilisés pour obtenir la sujétion de la victime : « l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ».
Il caractérise enfin l'abus frauduleux comme étant le fait de « conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Cet article permet d'appréhender l'ensemble des dérives sectaires et des abus d'ignorance ou de faiblesse. Il réprime particulièrement les « gourous », qui sont les « dirigeant(s) de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, maintenir ou exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités », pour lesquels les peines s'élèvent de trois à cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 à 750 000 euros d'amende.
Au début de cette année, la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur a complété cet article en portant les peines à sept ans de prison et 1 million d'euros d'amende lorsque « l'infraction est commise en bande organisée par les membres d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ». Cette mention fait entrer certaines dérives sectaires dans le champ de la criminalité organisée, ce qui permet notamment le recours aux techniques spéciales d'enquête et la prolongation de la garde à vue.
La qualification des agissements, la possibilité d'engager la responsabilité pénale des dirigeants et de leurs complices et le niveau des peines encourues font apparaître les dispositions applicables à la répression des dérives sectaires comme particulièrement complètes.
b) Une volonté d'affichage
L'article 1er du projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de distinguer les abus d'ignorance et de faiblesse des personnes fragiles, qui resteraient réprimés par l'article 223-15-2, et ceux des personnes en état de sujétion, qui relèveraient d'un nouvel article 223-15-3.
Deux justifications sont données à cette évolution. La première est la volonté de rendre plus « visibles » les sanctions contre les dérives sectaires dans le cadre de la nouvelle stratégie de lutte contre ces phénomènes. Il a ainsi été indiqué au rapporteur qu'une infraction autonome faciliterait la remontée de données statistiques sur le traitement judiciaire des dérives sectaires. Cette plus grande visibilité repose également sur un renforcement du niveau des peines proposées.
La seconde serait la nécessité de compléter la loi About-Picard par la création d'un délit autonome permettant de réprimer les agissements qui ont pour effet de placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique. Cette nécessité découlerait de la difficulté pour les victimes d'admettre qu'elles sont en situation de faiblesse et de reconnaître le préjudice causé par la sujétion elle-même, indépendamment de tout acte que la victime accomplirait ou s'abstiendrait d'accomplir. Pourrait ainsi également être sanctionnée la mise sous sujétion « ayant pour effet de causer une altération grave de [la] santé physique ou mentale ».
L'économie proposée pour le nouvel article 223-15-3 reposant sur une gradation des peines serait la suivante :
- Seraient punissables de trois ans de prison et 375 000 euros d'amende :
- le fait de placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ;
- l'abus frauduleux de l'état de sujétion psychologique tel qu'il figure actuellement à l'article 223-15-2.
- Seraient punissables de cinq ans de prison et 700 000 euros d'amende les infractions commises à l'encontre de mineurs, des personnes vulnérables mentionnées à l'article 223-15-2 et des dirigeants des groupements.
- Seraient punissables de sept ans de prison et d'1 million d'euros d'amende :
- les infractions commises dans deux au moins des circonstances encourant une peine de prison de cinq ans ;
- les infractions commises en bande organisée.
L'article 1er procède par ailleurs à des coordinations.
II. La position de la commission : une évolution ni souhaitable ni justifiée
La commission estime que l'apport des modifications proposées par l'article 1er est au mieux discutable, voire source de confusions.
La volonté de rendre plus visible la politique contre les dérives sectaires en créant une nouvelle infraction aux côtés de celle déjà créée en 2001 correspond à une facilité malheureusement courante des politiques pénales et de sécurité, ayant pour objectif d'afficher une action qui ne produit néanmoins généralement aucun effet pratique sur la répression des infractions.
C'est à l'aune des deux modifications de fond qu'il entend apporter que l'article 1er doit être jugé.
La première est le renforcement du quantum de peines. Ceci est encore une habitude courante du droit pénal, qui ne repose en général sur aucune évaluation d'un besoin en la matière. La répression des dérives sectaires, que celles-ci soient le fait d'individus, de groupuscules ou de groupements identifiés, le cas échéant structurés et financièrement puissants, souffre d'abord du manque de moyens humains et matériels des enquêteurs pour mener les enquêtes et poursuivre leurs auteurs.
La seconde est la répression de la mise sous sujétion physique ou psychologique. Celle-ci est présentée comme un moyen de mieux prendre en compte la situation des victimes et d'améliorer leur indemnisation. On peut noter que le texte proposé prévoit le même quantum de peine pour la mise sous sujétion et pour l'abus frauduleux de cette situation. Cette absence de distinction découle de l'analyse selon laquelle les deux infractions sont successives et que la sujétion ne fait que précéder le fait de conduire à l'abstention ou à la commission d'un acte gravement préjudiciable.
Or, l'article 222-33-2-2 du code pénal relatif au harcèlement, dans sa rédaction issue de la loi du 2 mars 2022, réprime déjà de manière particulièrement complète les comportements que la nouvelle infraction entend viser. Les peines aggravées en matière de harcèlement donnent lieu à une sanction pouvant aller jusqu'à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
De plus, cette évolution, contrairement à ce qu'annonce le Gouvernement dans sa présentation du texte, outrepasserait largement les cas pour lesquels cet état de sujétion résulterait d'organisations ou de personnes individuelles liés aux dérives sectaires. Cela reviendrait dès lors à sanctionner tout type « d'emprise » de manière générique, quelle qu'en soit l'origine - religieuse, idéologique, conjugale, familiale etc. - et parfois de manière moins sévère que pour des incriminations existantes.
Ceci pose en particulier une question de cohérence entre la nouvelle infraction et la répression des violences contre les femmes et des violences intrafamiliales. Outre le fait que le harcèlement au sein du couple est déjà poursuivi sur la base de l'article 222-33-2-1 du code pénal, les violences physiques ou psychologiques au sein des couples ou au niveau intrafamililal et l'emprise exercée par les auteurs de violences font l'objet de dispositions spécifiques au sein du droit pénal qui risqueraient de se voir concurrencer par le nouvel article 223-15-3.
A minima, renforcer la lutte contre la sujétion physique ou psychologique supposerait une remise à plat et un examen commun de l'ensemble de ces dispositions.
Pour ces raisons d'absence de nécessité et de cohérence du droit pénal, la commission a adopté l'amendement COM-14 du rapporteur de suppression de l'article 1er.
La commission a supprimé l'article 1er.
Article 2
(supprimé)
Introduire une circonstance aggravante
de
sujétion psychologique ou physique pour le meurtre,
les actes de
torture et de barbarie, les violences et les escroqueries
Cet article tend à introduire la sujétion psychologique ou physique comme circonstance aggravante pour plusieurs infractions.
Par cohérence avec la suppression de l'article 1er, la commission a supprimé cet article.
L'article 2 tend à tirer les conséquences de la création d'une infraction spécifique à l'article 1er de sujétion physique ou psychologique distincte de l'abus d'ignorance ou de faiblesse en créant une nouvelle circonstance aggravante à la suite de celle de vulnérabilité, pour les infractions jugées les plus graves : meurtre (article 221-4 du code pénal), tortures et actes de barbarie (article 222-3), tortures et actes de barbarie en bande organisée (article 222-4), violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-8), violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10), violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours (article 222-12), violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail (article 222-13), violences habituelles sur mineur ou personne vulnérable (article 222-14) et escroquerie (article 313-2 du code pénal).
Par cohérence avec la suppression de l'article 1er, la commission a adopté l'amendement COM-16 du rapporteur de suppression de cet article.
La commission a supprimé l'article 2.
* 10 Étude d'impact du projet de loi, p. 55.
* 11 La peine encourue en cas de harcèlement au moyen d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support électronique ou numérique est portée à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 d'amende, en application de l'article 222-33-2 du code pénal, soit un doublement de la peine encourue pour les mêmes faits commis en dehors de l'espace numérique. De façon analogue, en matière de harcèlement scolaire, les peines encourues sont doublées en vertu de l'article 222-33-2-3 du même code.