III. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPROFONDIR LA RÉFLEXION POUR ÉLABORER DES SOLUTIONS SUR MESURE POUR LUTTER CONTRE L'HABITAT DÉGRADÉ DANS LES OUTRE-MER

A. LE DISPOSITIF POURRAIT IN FINE PORTER PRÉJUDICE AUX LOCATAIRES COMME AUX PROPRIÉTAIRES MODESTES

1. Priver les propriétaires modestes d'un revenu complémentaire, au moment où les critères de décence sont renforcés

La rapporteure a souhaité évaluer l'intérêt du dispositif proposé à la fois en métropole, où il a vocation à s'appliquer, et plus spécifiquement à La Réunion, d'où est issu l'auteur de la proposition de loi.

Interrogés par la rapporteure, les bailleurs sociaux de La Réunion et leurs représentants ont indiqué que la très grande majorité des travaux de remise en décence étaient effectués dans le délai de dix-huit mois prescrit par la CAF, éventuellement prolongé de six mois . Selon les informations fournies par la Semader pour son propre parc, la durée moyenne de traitement de la non-décence serait d'un an. La Semader a d'ailleurs tenu à préciser qu'elle traitait avec une égale diligence les cas de non-décence reconnus par la CAF et les signalements préalables n'ayant pas encore fait l'objet de reconnaissance de la part de la CAF.

Les bailleurs sociaux ont indiqué que les (relativement rares) cas de retards pris dans les travaux de remise en décence s'expliquent principalement par les délais réglementaires (notamment le respect de la procédure contradictoire) ou des difficultés techniques ou logistiques .

Ils estiment que la consignation du reste à charge des loyers n'aurait aucune influence sur la durée de traitement des cas de non-décence, d'autant que ce reste à charge représente une part marginale du total des loyers perçus sur le parc. Pour illustration, la SHLMR a rapporté que 70 % des locataires de son parc bénéficiaient d'allocations de logement, ces dernières représentant en moyenne 50 % du montant total des loyers pour les bénéficiaires - des chiffres cependant jugés légèrement inférieurs à la moyenne réunionnaise, en raison du profil des locataires de la SHLMR.

En ce qui concerne le parc privé, l'Agence départementale d'information sur le logement (Adil), a évoqué les résultats d'une enquête « flash » menée par la CAF de La Réunion, selon laquelle les deux tiers des logements déclarés non-décents étaient remis en conformité au bout d'un an . Le levier de la retenue des allocations de logement, touchées selon la FNAIM par environ 60 % des locataires du parc privé serait donc un levier suffisant.

Auditionné par la rapporteure, M. Christian Prétot, chef du service Habitat à la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) de La Réunion, a cependant pointé le risque de priver les propriétaires modestes, avec la consignation du reste à charge locatif, de ressources nécessaires pour engager les travaux de remise en décence de leur bien . Pour rappel, selon la Fondation Abbé Pierre, la majorité des particuliers bailleurs dont les logements peuvent être qualifiés de non-décents ou indignes seraient, à La Réunion « des propriétaires bailleurs ayant peu de moyens, qui louent un ou plusieurs logements [...] mais qui vivent dans des conditions similaires [...] et qui n'ont pas les ressources suffisantes pour réhabiliter leurs logements ». Selon la même source, la part de « marchands de sommeil » dans le volume des signalements d'habitat indigne pourrait être évaluée à moins de 10 % 35 ( * ) .

Avec l'entrée en vigueur des critères de performance énergétique , qui rendent nécessaire la rénovation de dizaines de milliers de logements locatifs, cette situation pourrait être exacerbée en métropole . Pour rappel, selon l'Insee, en 2018, 45 % des logements franciliens, soient 2,3 millions de résidences principales, étaient classés E, F ou G en matière de performance énergétique, cette proportion montant même à 55 % dans le parc locatif privé (745 000 logements) 36 ( * ) , nécessitant de coûteux travaux de rénovation, malgré des aides ad hoc (« MaPrimeRénov' »).

En outre, différents interlocuteurs ont attiré l'attention de la rapporteure sur la difficulté de faire porter la seule responsabilité d'un défaut de mise en conformité aux bailleurs privés, lorsqu'il ne peut être remédié à la situation que par des travaux pris en charge par les copropriétés .

2. Les risques inhérents à une complexification de la procédure pour le locataire

Si plusieurs interlocuteurs, bailleurs et institutionnels, ont évoqué des cas de dégradations de l'habitat dues à un mauvais entretien de la part des locataires, ces cas semblent demeurer marginaux. En revanche, le retard pris dans le signalement de dégâts ou d'anomalies dans le bâti a été cité par les bailleurs privés comme par les bailleurs sociaux comme un élément de complexité des travaux de remise en état. Ces derniers ont également souligné que la consignation du reste à charge du loyer pourrait inciter certains locataires à cesser de payer le reste à charge, d'autant que la proposition de loi ne prévoit pas ce qui adviendrait des sommes consignées à l'issue de la période initiale de dix-huit mois .

Au-delà du débat théorique, M. Pascal Foulque, directeur de l'Adil de La Réunion, a mis en garde contre les risques liés à une complexification de la procédure pour le locataire . Avec la procédure actuelle, ce dernier n'a aucune démarche supplémentaire à effectuer, à compter du constat de non-décence du logement par la CAF, cette dernière procédant d'elle-même à la retenue des allocations de logement.

Une mauvaise compréhension du dispositif prévu par la proposition de loi pourrait amener une partie des locataires à des situations d'impayés de loyer , qui pourraient in fine déboucher sur leur expulsion. Les premiers bilans de mise en oeuvre de la procédure de conservation des allocations de logement soulignaient d'ailleurs déjà de telles difficultés de compréhension de la procédure de la part des locataires, les organismes payeurs de 90 % des départements ayant indiqué être confrontés fréquemment (plus d'un quart des départements) ou au moins occasionnellement à des cessations de versement des loyers de la part des locataires 37 ( * ) .


* 35 Fondation Abbé Pierre , Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion.

* 36 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6541 392.

* 37 Mise en place de la mesure de conservation de l'allocation de logement en cas de non-décence du logement. Organisation partenariale, mise en oeuvre opérationnelle et résultats. Enquête des réseaux Anil/Adil et Cnaf/Caf , 2019, p. 14.

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