EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER
MESURES DE POLICE
ADMINISTRATIVE
Article
1er A (nouveau)
(art. L. 211-2 du code de la sécurité
intérieure)
Modalités de déclaration d'une
manifestation
Introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale , l'article 1 er A tend à simplifier les modalités de déclaration des manifestations sur la voie publique auprès de l'autorité administrative, de manière à encourager les organisateurs à procéder à leurs déclarations.
1. Le régime déclaratif propre aux manifestations sur la voie publique
L'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet « à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique. »
L'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure précise les modalités d'établissement de cette déclaration . Elle doit être formulée entre trois et quinze jours francs avant la date de la manifestation, généralement auprès de la mairie de la commune des lieux concernés par le rassemblement. À Paris, elle est remise au préfet de police. Dans les communes où est instituée la police d'État, elle est faite au représentant de l'État.
Les noms, prénoms et domiciles des organisateurs figurent dans la déclaration, qui doit être signée par trois d'entre eux résidant dans le département. Le but de la manifestation, le lieu, la date et l'heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté doivent être clairement indiqués.
L'autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé.
2. Une simplification du régime souhaitée par l'Assemblée nationale
Introduit par l'Assemblée nationale, en commission, l'article 1 er A de la proposition de loi propose de modifier l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure pour que la déclaration soit accomplie par une seule personne, sans condition de résidence, et non plus par trois personnes domiciliées dans le département où est organisée la manifestation.
Comme l'ont relevé les députés, les modalités de déclaration des manifestations, non modifiées depuis plus de 80 ans 7 ( * ) , seraient en effet de moins en moins adaptées à la réalité des rassemblements contemporains.
Outre la charge bureaucratique des procédures actuellement en vigueur, les conditions fixées par l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure seraient de nature à désinciter les déclarations, sans pour autant apporter de véritables avantages opérationnels pour les services en charge du maintien de l'ordre public.
Ainsi, la condition de résidence apparaît contraignante, dès lors que le lien entre la commune de domiciliation des organisateurs et des participants et le lieu où se déroule la manifestation est, dans la pratique, de plus en plus ténu.
Qui plus est, le recours croissant aux réseaux sociaux pour l'organisation des manifestations rendrait souvent complexe l'identification de trois organisateurs.
Force est d'ailleurs de constater, dans la pratique, que de nombreuses manifestations ne sont pas déclarées, ou sont déclarées de manière non conforme au cadre légal, et que l'organisation sans déclaration d'une manifestation ne donne quasiment jamais lieu à des poursuites 8 ( * ) ou à des dispersions des rassemblements par les forces de l'ordre.
3. La position de votre commission
Lors des auditions organisées par votre rapporteur, les différents services de l'État chargés du maintien de l'ordre public au cours des manifestations ont bien confirmé que les trois contreseings exigés par la loi ainsi que la condition de résidence n'avaient pas de portée opérationnelle.
S'ils se sont montrés prudents sur l'impact réel de la simplification envisagée sur le nombre de déclarations, ils ont en revanche noté que toute incitation à la déclaration était souhaitable, dès lors qu'elle faciliterait, en amont, la communication avec les organisateurs et la préparation des dispositifs de maintien de l'ordre.
Votre commission a adopté l'article 1 er A sans modification.
Article 1er
(art. 78-2-5
[nouveau] du code de procédure pénale)
Contrôles lors
des manifestations se déroulant sur la voie publique
L'article 1 er de la proposition de loi vise à permettre aux forces de sécurité intérieure de procéder à des contrôles des effets personnels, ainsi que des véhicules aux abords et sur le périmètre d'une manifestation se déroulant sur la voie publique.
1. Le choix par le Sénat d'un dispositif de police administrative strictement encadré
Dans sa rédaction issue du Sénat, l'article 1 er de la proposition de loi tendait à créer une nouvelle mesure de police administrative autorisant le préfet à instaurer, par arrêté, à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique, un périmètre à l'entrée et au sein duquel il pourrait être procédé à des palpations de sécurité ainsi qu'à des inspections visuelles et des fouilles de bagages.
Inspiré des périmètres de protection créés par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce dispositif visait à permettre à l'autorité administrative de diligenter des contrôles préventifs systématiques sur un périmètre donné , assimilables à des dispositifs de « filtrage » . Il s'agissait notamment d'éviter l'introduction, dans les manifestations, d'armes ou d'objets susceptibles de constituer une arme et d'être utilisés pour commettre des violences ou des dégradations.
Tout en préservant le dispositif souhaité par les auteurs de la proposition de loi, plusieurs modifications substantielles avaient été apportées au texte par votre commission des lois afin d'assurer un équilibre entre les impératifs de sauvegarde de l'ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis .
À l'initiative de son rapporteur, votre commission avait en particulier limité le recours à cette mesure aux seules situations faisant craindre des troubles d'« une particulière gravité » à l'ordre public et circonscrit la durée et l'étendue du périmètre susceptible d'être instauré. Elle avait également prévu une adaptation des mesures de contrôle pour les personnes résidant ou travaillant dans le périmètre défini par arrêté. Enfin, elle avait supprimé la possibilité de mobiliser, au sein de ces périmètres, des agents de police municipale ou des agents de sécurité privée.
2. La préférence par l'Assemblée nationale d'un dispositif de nature judiciaire
Après avoir été supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'article 1 er de la proposition de loi a été réintroduit en séance publique, à l'initiative du Gouvernement, dans une rédaction profondément remaniée.
Le dispositif adopté poursuit un objectif identique à celui voté par le Sénat, à savoir faciliter les contrôles des effets personnels lors des manifestations afin d'éviter l'introduction de tout objet susceptible de constituer une arme et, ainsi, mieux prévenir les actes de dégradation et de violences.
Il substitue néanmoins au dispositif administratif adopté par le Sénat un dispositif de nature judiciaire .
Dans sa rédaction issue de l'Assemblée nationale, l'article 1 er créé ainsi un régime ad hoc de contrôles de police judiciaire, applicable aux manifestations se déroulant sur la voie publique. Il introduit, à cet effet, un article 78-2-5 au sein du code de procédure pénale.
Celui-ci autorise les officiers de police judiciaire et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire, à procéder, sur réquisitions écrites du procureur de la République à des inspections visuelles et à des fouilles de bagages, ainsi qu'à des visites de véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique, sur les lieux d'une manifestation et à ses abords immédiats.
À l'inverse du dispositif adopté par le Sénat, le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale ne prévoit pas explicitement la possibilité de procéder à des palpations de sécurité. Comme le relevait toutefois le Gouvernement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale en séance publique, cette précision n'est pas nécessaire dans un cadre judiciaire : les officiers et agents de police judiciaire ont en effet toujours la possibilité, à l'occasion d'un contrôle, de procéder à cette mesure de sûreté.
Les contrôles de police judiciaire Le code de procédure pénale prévoit plusieurs dispositifs de contrôles dits de police judiciaire, diligentés par l'autorité judiciaire à des fins de prévention, de recherche et de poursuite des infractions. En vertu de l 'article 78-2, alinéa 7 de ce code, l'identité de toute personne peut être contrôlée, sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise. L' article 78-2-2 du même code prévoit que le procureur de la République peut autoriser la réalisation de contrôles d'identité, d'inspections visuelles et de fouilles de sacs ainsi que des visites de véhicules, aux fins de recherche et de poursuite d'infractions limitativement énumérées : - les actes de terrorisme ; - les infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ; - les infractions relatives au port illégal d'arme de catégories A ou B ; - les infractions en matière d'explosifs ; - les infractions de vol et de recel ; - les faits de trafic de stupéfiants. |
La finalité des contrôles réalisés serait strictement encadrée : ils ne pourraient en effet être diligentés qu'aux seules fins de recherche et de poursuite du délit de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme, prévu par l'article 431-10 du code pénal.
Par ailleurs, contrairement aux contrôles sur réquisitions du procureur prévus par l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, les officiers et agents de police judiciaire ne seraient pas autorisés, comme dans le dispositif adopté par le Sénat, à procéder, sur ce fondement, à des contrôles d'identité.
3. La position de votre commission : approuver sans modification un dispositif opérationnel et protecteur des libertés individuelles
En dépit des modifications substantielles apportées au texte adopté par le Sénat, votre rapporteur a, à l'occasion de ses auditions, pu constater que le dispositif judiciaire adopté par l'Assemblée nationale paraissait pertinent sur le plan opérationnel.
Les représentants des forces de sécurité intérieure lui ont ainsi indiqué que les contrôles sur réquisitions du procureur offraient une plus grande souplesse par rapport aux périmètres de contrôles.
En effet, s'il est efficace pour protéger des espaces clos et à l'étendue limitée, le modèle du périmètre serait difficile à mettre en oeuvre autour d'une manifestation mobile et surtout très consommateur en ressources humaines. Tout en atteignant le même objectif, les contrôles sur réquisitions du Parquet permettraient, au contraire, une meilleure adaptabilité des dispositifs de contrôle à l'évolution d'une manifestation et de son itinéraire.
Au demeurant, il a été précisé à votre rapporteur que les contrôles de police judiciaire présentaient le mérite d'être obligatoires . À l'inverse, dans un cadre administratif, les officiers et agents de police judiciaire n'auraient eu que la possibilité, en cas de refus d'une personne de se soumettre aux contrôles, de lui empêcher l'entrée au sein du périmètre.
Soucieuse de doter les forces de l'ordre de nouveaux outils opérationnels, votre commission a été sensible à l'ensemble de ces arguments .
Bien qu'elle se soit interrogée sur l'utilité de créer un nouveau régime de contrôles judiciaires 9 ( * ) , elle a observé que le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale présentait deux avantages.
Il permettrait, d'une part, de sécuriser sur le plan juridique les réquisitions judiciaires émises pour les manifestations. En l'état du droit, l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, bien que régulièrement mobilisé, ne fait en effet référence qu'à des infractions lourdes, en réalité peu adaptées pour couvrir les infractions commises dans le cadre des manifestations.
La création d'un régime de contrôles dédié garantirait, d'autre part, une meilleure adaptabilité des dispositifs de contrôle. Les représentants des forces de l'ordre entendus par votre rapporteur ont en effet indiqué que l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, en exigeant une énumération précise des lieux concernés par les contrôles dans les réquisitions du procureur, ne permettait pas d'adapter le dispositif de contrôle en cas d'évolution du périmètre ou de l'itinéraire d'une manifestation. La rédaction de l'article 78-2-5, en autorisant des contrôles sur les lieux d'une manifestation et ses abords immédiats, garantirait, à cet égard, davantage de souplesse pour les forces de l'ordre.
Bien qu'elle ait approuvé le texte adopté par l'Assemblée nationale, votre commission a néanmoins tenu à souligner que, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale ne permettrait en aucun cas la réalisation de contrôles généralisés dans le temps et dans l'espace 10 ( * ) . Ceux-ci ne pourront ainsi être conduits que sur les lieux et pour la durée d'une manifestation se déroulant sur la voie publique.
Au bénéfice de ces observations, votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .
Article 2
(art. L. 211-4-1 [nouveau] du code de la
sécurité intérieure)
Création d'une interdiction
administrative individuelle de manifester
L'article 2 de la proposition de loi tend à permettre aux préfets d'interdire, par arrêté, à toute personne susceptible de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public de participer à une manifestation sur la voie publique.
1. Une mesure administrative entourée de plusieurs garanties au Sénat
Lors de l'examen du texte en première lecture, le Sénat avait approuvé la création de cette nouvelle mesure de police administrative, dont la durée se limitait à celle d'une manifestation. Comme l'avait alors relevé votre rapporteur, un tel outil permettrait « d'éloigner, en amont d'une manifestation, toute personne susceptible de commettre des dégradations ou des violences et qui entrave, en conséquence, la liberté de manifester » 11 ( * ) .
Soucieuse d'assurer la constitutionnalité du dispositif, votre commission des lois avait néanmoins, à l'initiative de son rapporteur, souhaité apporter plusieurs garanties au texte initial de la proposition de loi afin d'assurer un équilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des libertés constitutionnellement garantis.
Elle s'était tout d'abord efforcée de mieux caractériser le champ de la mesure, en prévoyant que ne pourraient être concernés par une interdiction de manifester que les individus appartenant à des groupuscules violents ou ayant commis des actes délictuels à l'occasion d'une manifestation.
Avait également été prévu que l'arrêté préfectoral précise les lieux faisant l'objet de l'interdiction, qui ne pourraient, en tout état de cause, inclure le domicile ni le lieu de travail de la personne.
Enfin, votre commission avait introduit, afin de garantir un droit au recours effectif, une obligation de notification à l'intéressé de l'arrêté d'interdiction, au maximum 48 heures avant la date prévue pour la manifestation.
2. Un dispositif sensiblement étendu par l'Assemblée nationale
Tout en conservant l'esprit de la mesure et plusieurs des garanties ajoutées par le Sénat, l'Assemblée nationale a apporté, à l'initiative du Gouvernement, plusieurs modifications substantielles au texte .
Le champ de la mesure d'interdiction a, en premier lieu, été sensiblement refondu , dans deux sens opposés.
D'un côté, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale supprime la possibilité de prononcer une interdiction à l'encontre d'une personne qui « appartient ou en entre en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits », estimant que ces critères ne suffisaient pas à justifier une mesure restrictive de liberté. De l'autre côté, l'Assemblée nationale a élargi le champ de la mesure, en dissociant son prononcé de toute condamnation pénale préalable.
En définitive, la rédaction adoptée par les députés permettrait de couvrir deux catégories d'individus :
- d'une part, les personnes ayant commis des actes violents pénalement répréhensibles à l'occasion de précédentes manifestations, y compris si elles n'ont pas encore fait l'objet d'une condamnation ;
- d'autre part, les personnes dont les agissements lors de précédentes manifestations ayant donné lieu à des violences permettent d'établir qu'ils constituent une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.
En deuxième lieu, l'Assemblée nationale a complété le dispositif voté par le Sénat d'une mesure complémentaire. Elle a ainsi prévu que le préfet puisse interdire à une personne de manifester sur tout le territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que cette personne est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou à plusieurs manifestations successives. Par cet ajout, les députés ont voulu éviter qu'une personne interdite de manifester puisse contourner la mesure prononcée à son égard, par exemple en participant à un rassemblement se déroulant dans une autre ville. Ils ont également souhaité assurer l'effectivité de la mesure d'interdiction lorsque plusieurs manifestations se succèdent dans des délais très rapprochés.
Dans le prolongement des garanties apportées par le Sénat en vue d'assurer le droit au recours effectif, l'Assemblée nationale a, en troisième lieu, précisé que la condition d'urgence serait présumée à l'occasion de tout recours devant le juge des référés contre une décision d'interdiction de participer à une manifestation.
Enfin, tout en approuvant l'introduction d'un délai de notification, l'Assemblée nationale a estimé nécessaire de préciser que ce délai ne serait pas applicable lorsque la manifestation n'a pas été déclarée ou lorsqu'elle a été déclarée tardivement. Dans ces hypothèses, l'arrêté serait exécutoire d'office et notifié à la personne concernée par tout moyen. La suppression de ce délai restreint, certes, les possibilités de recours a priori , mais elle répond à une contrainte opérationnelle évidente, liée à la prise de connaissance tardive, par l'autorité administrative, de la tenue d'une manifestation.
3. La position de la commission : adopter une mesure utile sur le plan opérationnel
Votre commission se félicite que l'Assemblée nationale ait approuvé la création de cette mesure de police administrative et conservé la plupart des garanties ajoutées par le Sénat en première lecture.
Elle approuve également pleinement l'ajout de la présomption de la condition d'urgence en cas de référé, de nature à garantir l'effectivité du recours a priori devant le juge administratif.
Elle s'est toutefois interrogée, à plusieurs égards, sur la constitutionnalité de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale .
Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel rappelle que les mesures de police administrative « susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif » 12 ( * ) . Il relève qu'il appartient au législateur d'encadrer, à cette fin, les mesures administratives restrictives de liberté des conditions et des garanties de nature à assurer une conciliation équilibrée entre la présentation des atteintes à l'ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis 13 ( * ) .
En l'espèce, plusieurs modifications apportées par l'Assemblée nationale sont apparues susceptibles de remettre en cause la proportionnalité du dispositif recherchée par le Sénat en première lecture.
S'agissant, en premier lieu, du champ de la mesure , votre commission a souscrit au fait de dissocier le prononcé de la mesure de toute condamnation pénale préalable, celle-ci ne constituant pas un prérequis pour établir qu'une personne constitue une menace pour l'ordre public, ni pour garantir la proportionnalité d'une mesure de nature administrative.
Elle a au demeurant relevé un intérêt opérationnel à cette modification : cela permettrait d'interdire, à titre préventif, à des personnes dont on sait qu'elles ont commis des actes de violence mais pour lesquelles une condamnation pénale n'a pas été encore prononcée, de participer à une manifestation.
En revanche, elle s'est interrogée sur le caractère suffisamment précis et restrictif de la notion d'« agissements », sur laquelle le Conseil constitutionnel ne s'est à ce jour jamais prononcé, pour caractériser le risque d'atteinte grave à l'ordre public.
En second lieu, votre commission a émis des réserves quant à la nécessité et à la proportionnalité de la mesure complémentaire d'interdiction de manifester introduite par l'Assemblée nationale, compte tenu de l'extension de son champ d'application temporel et territorial.
Elle a admis la pertinence, d'un point de vue opérationnel, de permettre le prononcé d'une mesure applicable à l'ensemble du territoire, afin d'éviter les stratégies de contournement. En revanche, elle a considéré qu'eu égard à l'atteinte portée au droit de manifester et à la liberté d'aller et venir, le caractère proportionné de l'extension, jusqu'à un mois, de la durée de la mesure pourrait ne pas être pleinement assuré au regard des exigences constitutionnelles.
Les représentants du ministère de l'intérieur entendus par votre rapporteur ont écarté tout risque d'inconstitutionnalité, estimant que les rédactions adoptées par l'Assemblée nationale résultaient d'un équilibre dûment pesé entre opérationnalité du dispositif et protection des droits et libertés individuels.
Ils ont notamment indiqué que la terminologie employée pour définir le champ de la mesure, similaire à celle employée pour les interdictions de stade 14 ( * ) , présentait un intérêt opérationnel, dès lors qu'elle permettait de cibler des personnes constituant une menace caractérisée pour l'ordre public mais auxquelles il serait difficile d'attribuer la commission d'un acte précis. Répondraient notamment à ces critères les individus qui incitent de manière expresse à la commission de violences ou de dégradations dans le cadre des manifestations.
Il a été assuré à votre rapporteur qu'ainsi définie, la mesure d'interdiction de manifester aurait un périmètre d'application réduit et ne devrait cibler que les personnes les plus violentes, dont le nombre est estimé à quelques centaines seulement sur l'ensemble du territoire national.
Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont précisé que la succession, dans des délais très rapprochés, de manifestations sur l'ensemble du territoire nécessitait qu'une interdiction de plus longue durée puisse être prononcée, de manière proportionnée avec le risque d'atteinte à l'ordre public. Ils ont estimé qu'à défaut, l'effectivité même de la mesure d'interdiction administrative de manifester en serait affectée.
Tenant compte de ces arguments opérationnels ainsi que des garanties apportées par les services du ministère de l'intérieur, notamment quant au nombre réduit de personnes concernées, votre commission, en dépit de ses interrogations persistantes sur la proportionnalité de certaines dispositions, a choisi d' approuver les modifications apportées par l'Assemblée nationale .
Elle a considéré que les atteintes graves à l'ordre public commises par des groupes violents nuisaient, en pratique, à l'exercice de la liberté de manifester et justifiaient, dès lors, de doter l'autorité administrative de mesures de prévention fermes et efficaces.
Au bénéfice de ces observations, elle a adopté l'article 2 sans modification .
Article 3
(art. 230-19 du code de procédure
pénale)
Inscription au fichier des personnes
recherchées
des mesures d'interdiction de participer à une
manifestation
Dans sa version adoptée en première lecture au Sénat, l'article 3 de la proposition de loi prévoyait la création d'un traitement de données à caractère personnel spécifique destiné à répertorier, au sein d'un même fichier, les mesures d'interdiction de manifester prononcées soit dans un cadre judiciaire, en application de l'article 131-32-1 du code pénal, soit dans un cadre administratif, en application du nouvel article L. 211-4-1 du code de la sécurité intérieure 15 ( * ) .
Comme le relevait votre rapporteur lors de l'examen du texte en première lecture, le recensement de ces mesures s'avère nécessaire pour que les forces de sécurité intérieure puissent facilement identifier, lors de leurs opérations de contrôles, les personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester.
Tout en partageant cet objectif, la commission des lois de l'Assemblée nationale a, à l'initiative de son rapporteur, préféré à la création d'un nouveau fichier une inscription des mesures concernées au fichier des personnes recherchées (FPR) .
Elle a, à cet effet, prévu de compléter l'article 230-19 du code de procédure pénale qui dresse la liste des décisions judiciaires inscrites au FPR, de manière à y ajouter la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations prononcée en application de l'article 131-32-1 du code pénal.
De manière à tenir compte de la création de l'article 6 bis , l'article 3 adopté par l'Assemblée nationale prévoit également que puissent figurer au FPR les mesures d'interdiction de manifester prononcées dans le cadre d'un contrôle judiciaire, comme cela est déjà le cas pour d'autres modalités de contrôle judiciaire.
Le fichier des personnes recherchées Créé dès 1969, le fichier des personnes recherchées est un traitement automatisé de données à caractère personnel qui recense l'ensemble des personnes faisant l'objet d'une mesure de recherche ou de vérification de leur situation. Il a pour objectif de faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles effectués par les services de police, de gendarmerie ou des douanes. Il peut également être, dans certains cas, consultés par les autorités administratives dans le cadre de l'instruction de certaines procédures administrations (instruction des demandes relatives à la législation sur les étrangers par exemple). Le FPR est actuellement régi par le décret en Conseil d'État n° 2010-569 du 28 mai 2010. Celui-ci précise les types d'informations contenues dans le fichier, les différentes catégories de mesures de recherche ainsi que les conditions d'accès au fichier. |
L'inscription des décisions administratives dans le FPR relevant en revanche du pouvoir réglementaire, l'Assemblée nationale a renvoyé au Gouvernement le soin de modifier le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010, afin de prévoir le recensement des mesures administratives d'interdiction de manifester.
Votre commission partage le souci d'opérationnalité poursuivi par l'Assemblée nationale . Elle juge en effet cohérent de privilégier l'inscription des mesures d'interdiction de manifester au sein d'un fichier existant et facilement accessible par les forces de l'ordre, y compris sur leurs téléphones et tablettes.
Elle insiste toutefois sur la nécessité, pour le Gouvernement, de compléter rapidement, à l'issue de la promulgation de la présente loi, le décret relatif au fichier des personnes recherchées afin de garantir l'efficacité de la mesure d'interdiction administrative de manifester.
Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .
Article 3 bis
Évaluation et contrôle
parlementaires des mesures de contrôle judiciaire
et d'interdiction
administrative de manifester
Introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale, par l'adoption de trois amendements identiques, l'article 3 bis prévoit les modalités spécifiques d'évaluation et de contrôle par le Parlement des dispositions du chapitre I er de la proposition de loi.
S'inspirant du contrôle parlementaire mis en place par l'article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme 16 ( * ) , les députés ont souhaité prévoir un contrôle parlementaire renforcé des mesures susceptibles de porter l'atteinte la plus importante aux droits et libertés constitutionnellement garantis . Seraient concernés les articles 1 er A à 3 de la proposition de loi, c'est-à-dire les mesures destinées à prévenir les risques de débordements dans le cadre des manifestations et rassemblements sur la voie publique.
L'article 3 bis prévoit, à cette fin :
- une évaluation annuelle de l'application des dispositions prévues par les articles 1 er A à 3 de la présente proposition de loi ;
- la possibilité pour l'Assemblée nationale et le Sénat de requérir, dans ce cadre, toute information nécessaire à leur activité d'évaluation et de contrôle ;
- la remise annuelle au Parlement d'un rapport détaillé sur l'application de ces dispositions.
Bien qu'elle ne soit pas favorable à la multiplication des demandes de rapports au Parlement, votre commission a souscrit à la mise en place d'un contrôle parlementaire renforcé . Elle a en effet considéré que l'atteinte susceptible d'être portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier s'agissant des mesures d'interdiction administrative de participer à une manifestation prévues par l'article 2, justifiait un contrôle approfondi et régulier par le Parlement.
Elle a observé que l'article 3 bis adopté par l'Assemblée nationale ne conférait pas des prérogatives identiques à celles prévues dans le cadre de la loi du 30 octobre 2017. Ainsi, il ne prévoit pas que soient transmis au Parlement tous les actes, y compris individuels, pris en application des dispositions de la loi. Votre commission note toutefois que les parlementaires bénéficieraient d'un droit d'information renforcé et pourraient exiger du Gouvernement toute information utile à l'exercice de leur contrôle.
Votre commission a adopté l'article 3 bis sans modification .
* 7 La section 1 du chapitre I er du livre II du code de la sécurité intérieure dénommée « manifestations sur la voie publique », qui comprend les articles L. 211-1 à L. 211-4, résulte de la codification, sans modification, du décret-loi du 23 octobre 1935, pris à la suite des manifestations du 6 février 1934.
* 8 L'article 431-9 du code pénal punit de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende l'organisation d'une manifestation non déclarée ou ayant donné lieu à une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur son objet ou ses conditions.
* 9 Lors de l'examen du texte en première lecture, votre rapporteur avait observé que le recours aux contrôles sur réquisitions du parquet était d'ores et déjà régulièrement pratiqué dans le cadre des manifestations, sur le fondement des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, aux fins de prévention des actes de dégradations et de violences.
* 10 Dans sa décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution des contrôles d'identité sur réquisitions du procureur de la République, tout en formulant deux réserves. Il a, d'une part, considéré que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions ». D'autre part, il a estimé qu' « elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace ».
* 11 Rapport n° 251 (2018-2019) de Mme Catherine Troendlé fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l18-051/l18-051.html
* 12 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure .
* 13 Dans sa décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, M. Émile L., le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 dès lors que le législateur n'avait soumis le prononcé d'une mesure d'interdiction de séjour à aucune condition et encadré sa mise en oeuvre d'aucune garantie.
* 14 L'article L. 332-16 du code du sport autorise ainsi le préfet à prononcer une mesure d'interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive à toute personne qui constitue une menace pour l'ordre public « par son comportement d'ensemble à l'occasion de manifestations sportives ».
* 15 La mesure d'interdiction administrative de manifester est créée par l'article 2 de la présente proposition de loi, qui insère dans le code de la sécurité intérieure un article L. 211-4-1.
* 16 L'article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme prévoit que l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises ou mises en oeuvre par les autorités administratives en application des quatre mesures de la loi considérées les plus attentatoires aux libertés individuelles, à savoir les périmètres de protection, les fermetures de lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires. Il prévoit également que leur soient transmise copie de tous les actes pris en application de ces mêmes dispositions et qu'un rapport détaillé sur l'application de ces mesures leur soit remis chaque année.