EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Après l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 4 juillet 2018, le Sénat est saisi, en nouvelle lecture, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (n° 697, 2017-2018).

Ce texte vise à répondre aux défis migratoires de la France : hausse de 17 % de la demande d'asile entre 2016 et 2017, insuffisance des places d'hébergement, multiplication des campements insalubres, sous-financement chronique de la lutte contre l'immigration irrégulière, etc .

Le projet de loi initial puis le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture accumulaient une succession de mesures techniques, complexifiant les procédures byzantines du droit des étrangers. À l'inverse, ils restaient muets sur des sujets aussi essentiels que la gestion de l'immigration économique, la prise en charge des mineurs non accompagnés, les relations avec les États les moins coopératifs et l'accompagnement des collectivités territoriales dans l'accueil des demandeurs d'asile.

En première lecture, le Sénat avait donc choisi de procéder à une large réécriture des dispositions qui lui avaient été transmises en élaborant un contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste pour notre politique migratoire. Il avait notamment resserré les conditions du regroupement familial, réformé l'aide médicale d'État (AME) pour garantir sa soutenabilité budgétaire, renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire et créé un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures pour lutter contre la fraude au dispositif de protection de l'enfance.

Le Sénat avait également conforté le parent pauvre du texte élaboré par le Gouvernement : l'intégration des étrangers en situation régulière, notamment en redonnant du sens au contrat d'intégration républicaine (CIR) et en renforçant les dispositifs d'accueil des réfugiés, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides.

Enfin, le Sénat, fidèle à sa mission traditionnelle de gardien des libertés, avait veillé au respect des droits fondamentaux de chacun en maintenant à trente jours le délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et en encadrant plus strictement les conditions de rétention des mineurs accompagnants.

Malgré un dialogue constructif engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à un accord, les concessions nécessaires pour parvenir à un compromis étant manifestement trop importantes.

Comme l'a résumé notre collègue Philippe Bas, président de votre commission des lois, « le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale souhaitent un texte en deçà des attentes du Sénat » 1 ( * ) , alors que la crise migratoire persiste et met sous tension nos dispositifs d'accueil et d'intégration.

À l'issue de la première lecture, sur les 99 articles examinés par le Sénat, seuls 11 avaient été votés conformes. Votre rapporteur regrette à cet égard l'engagement de la procédure accélérée, qui n'a pas facilité le rapprochement des points de vue sur un sujet aussi important.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli son texte de première lecture, les divergences avec le Sénat restant très nombreuses. À titre d'exemple, le texte adopté par nos collègues députés permettrait de maintenir en rétention pendant quatre-vingt-dix jours des mineurs accompagnant leur famille, atteinte intolérable aux droits fondamentaux des personnes les plus vulnérables.

Ce projet de loi constitue ainsi une nouvelle occasion manquée pour lutter contre l'immigration irrégulière et mieux intégrer les étrangers en situation régulière.

Votre commission a donc décidé de déposer une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable ; en conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

I. DES POINTS D'ACCORD TRÈS PONCTUELS : LES MAIGRES CONCESSIONS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Les points d'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat restent peu nombreux. Outre l'approbation de dispositions techniques, l'Assemblée nationale a repris deux mesures essentielles du Sénat : le maintien à trente jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l'adaptation du droit du sol à Mayotte.

A. UN ACCORD PARTIEL SUR LA PROCÉDURE DE DEMANDE D'ASILE

L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause le maintien à trente jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (article 6) , alors que le projet de loi initial tendait à le réduire à quinze jours. En effet, comme votre rapporteur l'a souligné en première lecture, « l'urgence n'est pas de réduire les délais de recours, mais bien de poursuivre les efforts de modernisation de la CNDA » 2 ( * ) .

En revanche, nos collègues députés n'ont pas repris la mesure de simplification adoptée par le Sénat à l'initiative de notre collègue Alain Richard, qui consistait à rendre obligatoirement simultanées la demande d'aide juridictionnelle et l'introduction du recours devant la CNDA.

L'Assemblée nationale a, au contraire, pris le contre-pied de cette mesure en imposant que la demande d'aide juridictionnelle soit formulée dans les quinze jours suivant la notification de la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), tandis que le recours devant la CNDA doit lui être formé dans les trente jours suivant cette même notification. La complexité de la computation des différents délais qui en résulte 3 ( * ) n'est pas gage de la plus grande célérité 4 ( * ) . Il est donc regrettable que nos collègues députés aient rejeté cette mesure d'efficacité proposée par le Sénat.

Reprenant la position du Sénat, l'Assemblée nationale a reconnu que les aspects liés au sexe pouvaient constituer un critère de persécution et justifier l'octroi d'une protection internationale (article 4 A) . Elle a également accepté de consacrer dans la loi les missions de réinstallation 5 ( * ) de l'OFPRA, ce qui garantirait leur pérennité (article 5 bis ) .

À l'inverse, nos collègues députés n'ont pas souhaité durcir les conditions de retrait et de refus de la protection internationale, notamment en présence de menaces à la sécurité publique (article 4) . Ils ont toutefois conservé l'obligation (« compétence liée ») pour l'OFPRA de refuser ou de retirer le statut de réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux de sécurité. Le même principe est également conservé pour les clauses de cessation du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire.

De même, nos collègues députés ont maintenu l'obligation pour l'OFPRA de statuer en procédure accélérée lorsqu'un demandeur d'asile représente une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État (article 5) .

En outre, l'Assemblée nationale et le Sénat s'accordent largement sur les conditions d'enregistrement de la demande d'asile , en particulier sur la nécessité, pour un demandeur, de choisir la langue de la procédure dès son passage en préfecture (article 7) . Votre rapporteur regrette toutefois que les députés n'aient pas inscrit dans la loi le délai de deux mois dans lequel un demandeur d'asile peut solliciter son admission au séjour sur un autre motif, privilégiant un renvoi injustifié au pouvoir règlementaire (article 23) .

L'Assemblée nationale a repris certaines propositions du Sénat pour améliorer le dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile (article 9) . Les schémas régionaux d'accueil des demandeurs seraient désormais soumis à l'avis d'une commission de concertation composée de représentants des collectivités territoriales, de gestionnaires des lieux d'hébergement et d'associations. De même, les gestionnaires seraient autorisés à saisir le juge des référés à l'encontre des déboutés du droit d'asile occupant indûment des places d'hébergement 6 ( * ) .

Votre rapporteur s'inquiète toutefois de la mise en oeuvre de l'article 9 du projet de loi : le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait à l'administration d'orienter un demandeur d'asile vers une région donnée, sans lui garantir une place en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Ce dispositif, qui avait été rejeté par le Sénat, pourrait renforcer la précarité des demandeurs d'asile et compliquer grandement leur accueil dans les territoires.

Enfin, l'Assemblée nationale a fait sienne la volonté du Sénat de sécuriser le droit au séjour des victimes de traite des êtres humains, de violences conjugales ou d'un mariage forcé ( articles 32 et 33) . Elle a également repris le dispositif facultatif d'admission exceptionnelle au séjour des compagnons d' Emmaüs après trois années d'engagement au sein de cette structure (article 33 ter ) .


* 1 Rapport n° 636 (2017-2018) de M. François-Noël Buffet, sénateur, et Mme Élise Fajgeles, députée, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi, p. 9. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l17-636/l17-6361.pdf .

* 2 Rapport n° 552 (2017-2018) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi, p. 115. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l17-552-1/l17-552-11.pdf .

* 3 Ibid , p. 110.

* 4 Un amendement du Gouvernement adopté en séance publique a, en outre, modifié les conséquences juridiques de la demande d'aide juridictionnelle sur le délai de recours. Interruptive du délai de recours dans le droit en vigueur et la version adoptée par l'Assemblée nationale (un nouveau délai identique au délai de recours recommence à courir à compter de la notification de la décision relative à l'admission à l'aide juridictionnelle), elle serait désormais suspensive (seuls les jours correspondant à la durée non consommée du délai de recours global recommenceraient à courir dans les mêmes conditions).

* 5 Les opérations de réinstallation consistant à examiner la demande d'asile d'un étranger depuis son pays d'origine pour ensuite faciliter son entrée en France.

* 6 L'Assemblée nationale a, en outre, adopté en séance publique, à l'initiative du Gouvernement, des dispositions tendant à articuler les nouvelles conditions dans lesquelles le droit au maintien sur le territoire prend fin pour un demandeur d'asile dont la demande a été rejetée par l'OFPRA (article 8), avec la cessation des conditions matérielles d'accueil, d'une part, et les mesures d'assignation à résidence ou de placement en rétention si la personne intéressée fait l'objet d'une mesure d'éloignement, d'autre part.

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