EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe 1 ( * ) , adopté par l'Assemblée nationale le 12 février 2013.

Ce texte concrétise un engagement du président de la République présenté devant les Français, lors de l'élection présidentielle.

En offrant aux couples homosexuels la faculté d'accéder, à l'égal des couples hétérosexuels, au mariage, aux droits et devoirs qui en découlent, ainsi qu'à l'adoption conjointe, le présent projet de loi consacre l'exigence d'égalité entre les couples, sans distinction de sexe ni d'orientation sexuelle.

La préparation de ce texte et son examen par l'Assemblée nationale ont nourri un important débat auquel ont pris part, en séance, dans les médias, et même dans la rue, les partisans et les opposants de la réforme.

À l'initiative conjointe de son président, M. Jean-Pierre Sueur, et de votre rapporteur, la commission des lois a souhaité contribuer à ce débat, en organisant près d'une quarantaine d'heures d'auditions ouvertes à l'ensemble des sénateurs et publiques 2 ( * ) .

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille ont ainsi pu présenter le projet de loi et répondre aux questions de l'ensemble de nos collègues.

La parole a par ailleurs été donnée, de manière équilibrée, aux représentants des associations familiales, des associations de défense des droits des homosexuels, des associations de protection de l'enfance ou des associations compétentes en matière d'adoption.

Les principales sensibilités religieuses ont été entendues, ainsi que de nombreuses personnalités qualifiées dans les disciplines juridique, anthropologique, philosophique, sociologique, psychiatrique ou psychanalytique.

Le Défenseur des droits, le conseil supérieur de l'adoption, l'agence française de l'adoption, l'assemblée des départements de France et l'association des maires de France ont présenté leur analyse de la réforme engagée.

Votre commission a enfin entendu les représentants des professions juridiques - notaires, avocats - qui accompagnent les familles, ainsi que des représentants des juges des enfants et des juges aux affaires familiales 3 ( * ) .

Les différents autorités et personnalités entendues se sont félicitées, dans leur ensemble, du temps d'écoute qui leur avait été réservé.

Ces auditions se sont déroulées dans un climat serein et attentif, conforme à la dignité et l'importance des questions soulevées. Les échanges auxquels elles ont donné lieu ont révélé combien cette réforme lève d'espoirs et de craintes. Votre rapporteur a pris la mesure des unes comme des autres.

Conscient de l'importance du changement symbolique qu'engage l'ouverture du droit de se marier aux couples de personnes de même sexe, il est aussi convaincu de sa nécessité, au nom d'une triple exigence : la reconnaissance sociale des couples homosexuels et des familles homoparentales, l'égalité des droits et des devoirs avec les autres familles et la protection que l'État doit leur assurer, comme à chacun.

D'autres questions se posent que celles traitées par le présent projet de loi. Le Gouvernement a annoncé le dépôt d'ici la fin de l'année d'un texte consacré à la famille. Il a engagé des consultations et notamment saisi le comité consultatif national d'éthique de l'assistance médicale à la procréation. Les auditions de votre commission ont confirmé la nécessité d'une réforme globale de l'adoption, qui concernerait tous les couples et tous les enfants candidats à l'adoption. Ces sujets sont toutefois hors du champ du projet de loi qui vous est proposé : il convient de ne pas lui faire porter le poids de choix que le législateur examinera en leur temps.

La commission des affaires sociales s'est saisie pour avis du texte et a désigné comme rapporteure notre collègue Michelle Meunier, qui a participé aux travaux de votre commission.

I. OUVRIR LE MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE : UNE DEMANDE LÉGITIME D'ÉGALITÉ DES DROITS

L'égalité est le maître mot de la réforme : une égalité de droits et de devoirs qu'autorise l'accès au statut protecteur du mariage, au même titre que les couples de personnes de sexe différents.

Elle se décline sous deux aspects : une demande légitime et constante d'égalité exprimée, depuis longtemps déjà, par des couples de personnes de même sexe et les associations qui défendent leurs droits ; le refus d'un statut à part, qui maintiendrait les couples de personnes de même sexe et leurs enfants hors de la loi commune.

Ce choix d'égalité n'appartient qu'au législateur : le texte présenté par le Gouvernement l'en saisit.

A. UNE DEMANDE CONSTANTE POUR L'ÉGALITÉ DES DROITS

Présentant, lors de son audition par votre commission, le présent projet de loi, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice a rappelé que « le projet de loi est marqué du sceau de l'égalité, comme l'ont très clairement souligné le Président de la République et le Premier ministre ».

Ses propos font échos à ceux de plusieurs représentants de la société civile, et notamment, des associations de défense des droits des homosexuels ou des transsexuels ou de certaines associations familiales.

M. Nicolas Gougain, porte-parole de l'interassociative Inter-LGBT, a ainsi salué, devant votre commission, l'examen par le Parlement du projet de loi : « aujourd'hui, nous y sommes, la France marche vers l'égalité des droits » ; ce qu'à son tour, M. Dominique Boren, co-président de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), a souligné en des termes voisins : « le 2 février 2013, jour de l'adoption du premier article du projet de loi par l'Assemblée nationale, l'égalité républicaine s'est remise en marche, pour donner des droits à des citoyens qui en étaient privés à raison de leur seule orientation sexuelle ».

L'union des familles laïques (UFAL) a apporté son soutien au projet de loi, qui, pour son président, M. Michel Canet, « constitue une étape vers l'égalité entre les différentes formes de couples ». M. Jean-Marie Bonnemayre, président de la Confédération nationale des associations familiales laïques (CNAFAL) a dénoncé toute discrimination en cette matière. Mme Marie-Françoise Martin, présidente de la confédération syndicale des familles (CSF) a, pour sa part, rappelé que cette association était « très attachée à l'égalité des droits », et, pour cette raison, favorable au mariage pour tous.

Présentant devant votre commission l'avis majoritaire adopté par commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), sa présidente, Mme Christine Lazerges a quant à elle estimé que « le texte enrichi[ssait] le mariage en l'offrant à des personnes qui en étaient exclues. Au demeurant, la CNCDH, qui lutte depuis la fin de la deuxième guerre mondiale contre les discriminations, estime que nous devons aux personnes homosexuelles la reconnaissance sociale et la justice. [...] Il s'agit ici d'égalité recherchée dans la reconnaissance sociale ».

Les auditions conduites par votre rapporteur ont confirmé cette volonté de reconnaissance des couples homosexuels et d'égalité des droits avec les couples hétérosexuels, qu'il s'agisse des représentants d'associations particulières de défense des droits des homosexuels, comme l'association des familles homoparentales (ADFH), le Refuge, la fédération Total respect, ou l'Autre maman ; des représentants d'associations politiques, comme Homosexualité et socialisme et Gay lib ; ou encore des représentants d'associations ou de courants religieux minoritaires au sein des grandes églises, qui promeuvent un modèle de foi qui n'établit pas de distinction entre les uns et les autres, comme l'association David et Jonathan, le carrefour des chrétiens inclusifs, l'association Beit Haverim et celle des musulmans progressistes de France.

Ce voeu d'égalité , déjà formulé lors de l'adoption de la loi instituant le pacte civil de solidarité 4 ( * ) , est conforme aux principes qui fondent notre République .

Il a cependant été dénoncé à plusieurs reprises lors des auditions : certaines des personnes entendues ont fait valoir que l'égalité n'est pas l'identité, et qu'elle n'impose de traiter également que des personnes placées strictement dans la même situation.

Développant ce raisonnement, M. André Vingt-Trois, cardinal archevêque de Paris, président de la conférence des évêques de France s'est interrogé : « la différence sexuelle est-elle une inégalité ? L'intention déclarée du projet de loi d'établir davantage d'égalité est-elle fondée ? Chacune de nos existences est marquée par des différences factuelles qui n'impliquent pas d'inégalités juridiques ; laisser croire qu'une décision législative va pouvoir effacer les effets de la différence sexuelle ne peut que conduire à une insatisfaction. La confusion repose sur le fait que le respect de la dignité qui doit être égal pour tous est identifié à une identité de statut juridique ».

L'argument mérite d'être entendu : l'égalité n'est pas identité. Pour autant, s'applique-t-il vraiment à la situation visée par le présent projet de loi ?

En effet, le texte écarte toute assimilation des couples homosexuels aux couples hétérosexuels pour ce qui regarde la filiation biologique.

Hors de ce cas, lorsqu'il s'agit de protection mutuelle, fondée sur l'amour que l'on se porte, quelle différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ? Lorsqu'il s'agit de la protection d'un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l'unissent à ceux qui l'éduquent et l'élèvent, quelle différence entre l'enfant de parents de même sexe et celui de parents de sexe différents ?

Pourquoi réserver aux uns le mariage et ses effets, et tenir les autres à l'écart de ce statut protecteur ? L'exigence d'égalité commande d'en ouvrir l'accès aux couples de personnes de même sexe, simplement parce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » 5 ( * ) .

Pour la même raison, elle exclut qu'un statut à part leur soit réservé.


* 1 Projet de loi n° 349 (2012-2013), ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe .

* 2 Préalablement, la commission des lois avait sollicité de la division de législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat, la production d'une étude de droit comparé sur le mariage des personnes de même sexe et l'homoparentalité dans neuf États européens et au Québec ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/lc229-notice.html ). Cette étude est reproduite en annexe au présent rapport.

* 3 Ces auditions furent complétées par celles tenues par votre rapporteur, qui a aussi reçu de nombreuses contributions écrites ( cf. pour la liste complète des auditions et des contributions écrites, infra ).

* 4 Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999, relative au pacte civil de solidarité.

* 5 Art. 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page