B. DES GISEMENTS D'ÉCONOMIES D'ÉNERGIE IMPORTANTS RESTENT À EXPLORER
L'énergie, invisible et insaisissable, n'en est pas moins omniprésente et indispensable à la société moderne. Les activités de la vie quotidienne et tous les secteurs économiques reposent sur l'utilisation d'énergie sous une forme ou une autre. Les gisements d'économie sont donc multiformes et aucun ne doit être négligé .
S'agissant des secteurs économiques, la consommation d'énergie se décompose comme suit en France :
Consommation d'énergie finale |
|
Bâtiment |
43,2 % |
Transports |
31,8 % |
Industrie |
22,4 % |
Agriculture |
2,6 % |
Total |
100 % |
Source : Commissariat général au
développement durable (CGDD),
Bilan énergétique pour
2010
Votre commission considère qu'une politique de l'efficacité énergétique devrait viser l'ensemble des acteurs et des secteurs concernés.
Le bâtiment : le secteur le plus consommateur d'énergie
Dans le secteur du bâtiment, les technologies existantes permettent d'ores et déjà de construire des bâtiments à basse consommation, voire à énergie positive.
L'amélioration de l'efficacité énergétique du parc immobilier se heurte toutefois au faible taux de renouvellement du parc immobilier , qui confère une grande inertie à la performance énergétique globale du secteur.
Si des normes permettent progressivement de réduire la consommation d'énergie nette des bâtiments nouveaux dans des proportions considérables, les bâtiments existants ne peuvent être améliorés que de manière plus limitée et à l'occasion d'opérations de rénovation importante.
L'Union européenne , par la directive du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, a prévu que, d'ici au 31 décembre 2020, tous les nouveaux bâtiments seraient à consommation d'énergie quasi nulle .
La France a pour sa part fixé des objectifs concernant aussi bien les bâtiments neufs que les bâtiments existants :
- pour les bâtiments neufs : la généralisation des bâtiments basse consommation d'ici 2012 ;
- pour les bâtiments anciens : une réduction de 38 % de la consommation d'énergie, passant aussi bien par la rénovation du parc immobilier public que par des mesures réglementaires et incitatives concernant l'immobilier privé.
Mesures réglementaires et incitatives concernant
le résidentiel
La réglementation thermique concerne les bâtiments neufs et les bâtiments existants lorsqu'ils font l'objet de travaux importants. Concernant les bâtiments neufs, la réglementation thermique 2012 prévoit que tous les nouveaux bâtiments dont le permis de construire sera déposé après le 1 er janvier 2013 devront avoir une consommation d'énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kWh ep /m2/an 7 ( * ) . Concernant les bâtiments existants, les objectifs portent, selon le cas, sur la performance énergétique globale ou sur les éléments remplacés ou installés (isolation, chauffage, production d'eau chaude, refroidissement, ventilation...). De plus, l'article 3 de la loi Grenelle II prévoit la réalisation avant 2020 de travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public. Les mesures incitatives incluent notamment : - les certificats d'économie d'énergie ; - le crédit d'impôt développement durable (CIDD) pour l'achat de matériaux ou d'équipements les plus performants en matière d'efficacité énergétique ou de production d'énergie d'origine renouvelable ; - l'éco-prêt à taux zéro, accordé pour le financement de travaux de rénovation lourds ; - la possibilité d'exonération de taxe foncière bâtie pour l'exécution de travaux importants ; - l'application du taux réduit de TVA à 5,5 % pour les travaux de rénovation ; - le livret de développement durable, qui a remplacé l'ancien CODEVI. Des mesures spécifiques concernent également le parc locatif social. Enfin, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion a prévu la possibilité pour le bailleur de demander au locataire une contribution pour le partage des économies de charge lors de la réalisation de travaux permettant au logement d'atteindre un niveau minimal de performance énergétique. Cette disposition a pour objet d'encourager à la réalisation de travaux de performance énergétique en répartissant leur bénéfice sur le propriétaire et sur le locataire. |
Le rôle des transports
La part des transports dans la consommation d'énergie finale est considérable (32 %), même si elle est moindre que celle des bâtiments.
Une action est d'autant plus nécessaire, selon votre commission, que les transports reposent à 92 % sur une énergie produite à partir de pétrole 8 ( * ) et donc émettrice de CO 2 , contrairement au résidentiel et au tertiaire dont le bouquet énergétique, plus diversifié, intègre des énergies non émettrices de gaz à effet de serre. Or la consommation d'énergie des transports a pratiquement doublé entre 1973 et le début des années 2000 , pour ensuite se stabiliser.
Sur le plan technique, l'amélioration de l'efficacité énergétique des transports demeure un défi et exige une poursuite des efforts de recherche et de développement.
Les objectifs relatifs aux transports portent généralement sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre plutôt que sur l'efficacité énergétique en elle-même. Ainsi le règlement n° 443/2009 du 23 avril 2009 limite-t-il les émissions des voitures particulières neuves à 130 g de CO 2 /km d'ici à 2015. En France, le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif de réduction des émissions de l'ensemble du parc automobile français à 120 g de CO 2 /km en moyenne à l'horizon 2020. Les mesures mises en oeuvre incluent l'étiquetage CO 2 des véhicules particuliers à la vente et le « bonus-malus écologique ».
Par ailleurs, le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) tend à privilégier le report modal vers les modes de transport les moins émetteurs de CO 2 . Le groupe de travail sur le SNIT mis en place par votre commission a apprécié à cet égard l'impact positif du schéma au regard des objectifs de limitation des émissions de CO 2 et d'efficacité énergétique, mais a fait observer que les mesures du SNIT ne suffiraient pas, par elles-mêmes, à remettre en cause l'hégémonie du transport routier.
Des progrès sont donc à attendre concernant les transports, mais ils dépendront aussi bien de l'arrivée à maturité des technologies que de l'évolution des comportements des usagers , qu'il s'agisse des transporteurs de marchandises ou des particuliers.
La présente proposition de directive ne prévoit pas d'appliquer aux transports routiers le mécanisme d'obligations en matière d'économies d'énergie (voir infra ), renvoyant à des textes concernant spécifiquement ce secteur et notamment au livre blanc sur le transport 9 ( * ) adopté le 28 mars 2011.
Pour des organismes publics exemplaires
L'exposé des motifs de la proposition de directive indique, à juste titre selon votre commission, que les organismes publics doivent faire figure d'exemple en ce qui concerne l'efficacité énergétique . Au-delà de leurs dépenses, qui représentent 19 % du produit intérieur brut de l'Union, leurs actions bénéficient d'une grande visibilité qui peut contribuer à faire modifier les comportements des particuliers et des entreprises.
Ces actions concernent d'abord les bâtiments . En France, les bâtiments des collectivités territoriales représentent plus de 110 millions de m² et constituent le premier poste de dépense énergétique des communes (69 %) 10 ( * ) . Les bâtiments de l'État couvrent pour leur part 65 millions de m².
Votre rapporteur souligne que les collectivités ont mené, au cours des dernières années, d'importantes politiques de rénovation de leurs bâtiments publics, notamment scolaires, qu'il est nécessaire de prendre en compte dans tout dispositif nouveau.
De plus, il ne faut pas oublier que, au-delà du bâtiment, les collectivités peuvent explorer d'autres gisements d'économies d'énergie dans la gestion des services publics.
Ainsi l'éclairage public entraîne-t-il en France une consommation de 7 TWh, soit 20 % de la dépense énergétique des communes 11 ( * ) .
Au total, les organismes publics savent, comme les entreprises, que les investissements ayant pour objet l'efficacité énergétique, lorsqu'ils sont précédés d'une analyse des coûts et des bénéfices, apportent un gain substantiel : on a estimé qu'une méthode de gestion et d'optimisation rigoureuse et persévérante permet de réaliser des économies de 20 à 40 % sur le poste de dépenses « énergie » des collectivités 12 ( * ) .
Les mécanismes d'obligation en matière d'économie d'énergie
Certains pays européens ont d'ores et déjà instauré des mécanismes d'obligation en matière d'efficacité énergétique .
La France, par la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE), a défini le dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE). Ce système repose sur deux catégories d'acteurs :
- les fournisseurs d'énergie, dits « obligés », doivent réaliser ou faire réaliser des économies d'énergie. Ils peuvent satisfaire à leurs obligations en acquérant des certificats d'économie d'énergie auprès des « éligibles » (voir infra ) ou en menant des actions de promotion de l'efficacité énergétique auprès de leurs clients ;
- certaines personnes morales (« éligibles ») peuvent, par leurs actions d'économie d'énergie ou, dans certains cas, de développement d'énergies renouvelables, obtenir de l'administration des certificats qu'elles peuvent revendre aux obligés qui remplissent ainsi leurs obligations d'économie d'énergie.
De nombreuses actions entrent dans le cadre des CEE : isolation, chauffage, éclairage...
L'intérêt du système mis en place en France est largement reconnu . Le système des CEE a permis, selon les estimations des services de l'État, d'obtenir des économies d'énergie de près de 65 TWh cumac 13 ( * ) sur la période 2006-2009, dépassant l'objectif initial de 54 TWh cumac . Certaines personnes auditionnées par votre rapporteur ont toutefois critiqué son coût administratif et sa complexité, considérant qu'il ne s'agissait pas du moyen optimal pour réaliser des économies d'énergie au moindre coût.
La loi Grenelle 2 a décidé de proroger le dispositif pour une deuxième période de trois ans à compter du 1 er janvier 2011. L'objectif d'économies est fixé cette fois à 345 TWh cumac et les obligations sont étendues aux personnes qui mettent à la consommation les carburants pour automobiles, au-delà d'un certain seuil. Les personnes éligibles à l'obtention de CEE sont, outre les obligés, les collectivités publiques, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et les bailleurs sociaux.
Des mécanismes d'obligations d'économies d'énergie reposant sur le même principe, mais fonctionnant selon des modalités différentes, ont également été mis en place au Danemark , en Grande-Bretagne , en Italie et dans la Région flamande 14 ( * ) .
La maîtrise de l'énergie et les compteurs communicants
La proposition de directive propose également des dispositions relatives au comptage et à la facturation de l'énergie.
La maîtrise de l'énergie représente une source indéniable d'économies d'énergie . Celles-ci doivent passer par l'injection d' « intelligence » dans les réseaux, afin de permettre à ceux-ci de répondre à un triple défi, comme le constatait votre commission à l'issue d'une table ronde sur les compteurs évolués 15 ( * ) en décembre 2010 :
- la hausse de la demande d'électricité ;
- la gestion de la pointe de consommation ;
- l'intégration des productions décentralisées.
Si les compteurs communicants ont un effet bénéfique indéniable sur les réseaux dont ils facilitent la gestion, leur effet sur la maîtrise de l'énergie et donc sur l'efficacité énergétique fait encore l'objet de débats . L'information des consommateurs est nécessaire mais, votre rapporteur le souligne, pas forcément suffisante pour garantir une modification de comportements sur le long terme.
La directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité a prévu la mise en place, pour 80 % des clients d'ici à 2020, de compteurs intelligents. Cette installation peut toutefois être subordonnée à une évaluation économique à long terme de l'ensemble des coûts et des bénéfices des compteurs pour le marché et pour le consommateur.
La France, pionnière en la matière, a mené une expérimentation sur les compteurs communicants Linky, qui a conduit le gouvernement à annoncer, le 28 septembre dernier, leur déploiement généralisé d'ici à 2018.
Votre commission souligne que le déploiement de ces compteurs doit avoir lieu au bénéfice des consommateurs et tout particulièrement des ménages à faibles revenus et des personnes démunies.
Une piste intéressante sous conditions : la cogénération
La proposition de directive encourage au développement de la cogénération à haut rendement .
Votre commission fait observer que la cogénération doit être commandée en premier lieu par un besoin de chaleur . Par exemple, un site industriel proche pourra utiliser la chaleur produite tout au long de l'année, tandis qu'un réseau de chaleur urbaine récupérerait cette chaleur surtout pendant les mois d'hiver.
La cogénération n'a donc pas vocation à suivre un chemin de développement identique dans tous les pays de l'Union européenne. Si la France demeure certainement en-dessous de son potentiel avec un parc installé de 4,4 GW, qui pourrait même baisser dans les années à venir 16 ( * ) , c'est surtout dans les pays d'Europe centrale ou nordique, où les besoins de chaleur sont importants, que la cogénération a connu la plus grande progression :
Part de la cogénération dans la production nationale d'électricité
Source : Agence internationale de l'énergie, Cogeneration and District Energy , 2008
Votre rapporteur souligne que la cogénération ne se limite pas à la récupération de chaleur dans les centrales électriques de plus de 20 MW. Il peut être également intéressant d'ajouter une turbine dans des unités produisant de la chaleur, l'électricité produite étant, elle, facile à transporter.
Il souligne également les potentialités de la cogénération à partir de ressources renouvelables. La petite cogénération utilisant la biomasse pourrait connaître un développement intéressant, compte tenu du potentiel forestier français, à condition de prendre en compte ses coûts et ses avantages.
Enfin des dispositifs de mini-cogénération ou de micro-génération 17 ( * ) commencent à équiper des immeubles auxquels ils fournissent, de manière décentralisée et sans impact sur les réseaux, une partie importante de leur chaleur et de leur électricité.
* 7 Le kilowattheure « énergie primaire » (kWh ep ) mesure la consommation d'énergie primaire par unité de surface et par an.
* 8 CGDD, Bilan énergétique pour 2010, page 51 : la consommation d'énergie dans les transports s'élève à 50,1 Mtep en 2010, dont 46,3 proviennent du pétrole, 2,6 % des énergies renouvelables et 1,1 % de l'électricité.
* 9 Commission européenne, Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports - Vers un système de transport compétitif et économe en ressources », COM(2011) 144 final, 28 mars 2011.
* 10 Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, point d'étape du 23 septembre 2011.
* 11 Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, point d'étape du 23 septembre 2011.
* 12 AMORCE, L'Élu, l'énergie et le climat , janvier 2008.
* 13 L'unité de mesure utilisée pour les CEE est le kWh cumac , qui correspond à 1 kWh d'énergie finale cumulée et actualisée sur la durée de vie du produit.
* 14 Energy saving obligations and tradable white certificates , rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne, décembre 2009.
* 15 Le compteur électrique évolué : pour quoi faire ? , rapport d'information n° 185 (2010-2011) de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, 15 décembre 2010.
* 16 Alors que le développement de la cogénération a été très rapide entre 1998 et 2002, la plupart des contrats d'achat arrivent à expiration entre 2010 et 2014. Le Bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande d'électricité en France de RTE considère comme vraisemblable le déclassement de 3 GW d'installations de cogénération d'ici à 2015.
* 17 À titre d'exemple, des unités de quelques dizaines de kWh ont été installées dans les immeubles résidentiels de la ZAC de Bonne à Grenoble, qui a obtenu le Grand Prix national Écoquartier en 2009. Ce projet de micro- ou de mini-génération, soutenu par des fonds européens, demeure encore pionnier en France, alors que la pratique est beaucoup plus répandue en Allemagne.