II. SOINS DE VILLE : MODERNISER L'ORGANISATION DE L'OFFRE DE SOINS
La modernisation de l'organisation de l'offre de soins constitue une question centrale pour les années à venir.
Cette thématique structure l'ensemble du système sanitaire : elle concerne aussi bien les questions de répartition de l'offre de soins sur le territoire que les questions liées à la qualité et à la coordination de la prise en charge des patients ou l'optimisation des dépenses. Elle concerne le secteur hospitalier comme le secteur ambulatoire.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 trace les premiers contours de cette modernisation dans le domaine des soins de ville. Il prévoit à cet effet de nouveaux outils de régulation des dépenses, propose l'expérimentation de nouveaux modes de rémunération des particiens et s'attache à promouvoir une meilleure répartition des professionnels de santé sur le territoire.
A. RELEVER LES DÉFIS POSÉS PAR LA CRISE DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la crise de la démographie médicale est apparue soudainement. Ce n'est qu'au début des années quatre-vingt-dix que l'attention des pouvoirs publics a été attirée sur une possible pénurie de professionnels de santé et notamment de médecins. Longtemps, les autorités sanitaires ont considéré que la France comptait trop de médecins ; le nombre de places ouvertes aux étudiants en médecine ( numerus clausus en fin de première année) avait d'ailleurs fait l'objet de réductions drastiques pendant une dizaine d'années, entre 1983 et 1993.
La création de l'observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) en 2003, a marqué le début d'une politique volontariste destinée à limiter les effets d'une réduction prévisible du nombre de professionnels de santé en exercice . Mais il aura fallu attendre 2007 pour que ce thème fasse l'objet d'un débat public national.
1. Ne pas laisser la situation se dégrader
La situation démographique des professionnels de santé va se dégrader dans les années à venir, sous l'effet conjugué d'un accroissement de la demande de soins exprimé par une population vieillissante, d'une inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire et surtout d'une réduction du nombre de professionnels de santé en activité.
a) Un constat inquiétant
Les perspectives démographiques sont préoccupantes , notamment pour les médecins généralistes qui sont précisément les plus à même de prendre en charge les soins de premier recours et ceux à qui la réforme de l'assurance maladie de 2004 a confié un rôle central dans l'organisation du parcours de soins.
Selon les projections du ministère de la santé, ce n'est qu'à partir de 2016 que les fortes augmentations du nombre d'étudiants en médecine décidées depuis 2004 produiront leurs premiers effets et il faudra attendre 2025 pour que le nombre d'installation de médecins compense celui des cessations d'activités.
Entrées et sorties par année projetée
Source : ONDPS
Selon ces estimations, le nombre total de médecins en activité baisserait de 9,4 % entre 2006 et 2025, passant de 207 277 à 186 000. La densité médicale retrouverait en fait en 2025 le niveau enregistré au milieu des années quatre-vingt.
En outre, les travaux menés par l'ONDPS et les missions régionales de santé (MRS) ont fait apparaître l'existence d'écarts de densité médicale importants entre les différentes régions françaises . A titre d'exemple, on dénombre 419 médecins pour 100 000 habitants en Ile-de-France contre 259 en Picardie. Une étude menée sur les cinq professions les plus importantes sur le plan numérique (chirurgiens-dentistes, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, médecins, pharmaciens) place les régions Picardie, Champagne-Ardenne, Haute et Basse-Normandie parmi les moins bien pourvues.
Or, selon toute probabilité, la baisse du nombre de professionnels de santé en activité va se traduire par un creusement de ces disparités, notamment en zone rurale ou dans les quartiers sensibles des périphéries urbaines.
b) Des premières réponses fondées sur l'incitation
Depuis 2005, les pouvoirs publics ont privilégié le recours à des mécanismes d'incitation financière pour favoriser l'installation ou le maintien des médecins dans les zones sous-médicalisées déterminées par les missions régionales de santé.
Ces mesures bénéficient du dynamisme des collectivités territoriales chargées de les mettre en oeuvre . Plusieurs régions et départements proposent des bourses aux étudiants en médecine, soit pour favoriser les stages dans les zones sous-médicalisées (région Bourgogne), soit en contrepartie d'une installation future dans une zone sous-médicalisée une fois les études achevées (départements de l'Allier ou de la Manche).
Les collectivités territoriales encouragent également la création de cabinets médicaux en versant des aides à l'installation et au fonctionnement. Ces contributions consistent la plupart du temps en une prise en charge totale ou partielle des dépenses immobilières afférentes à l'installation des professionnels de santé.
L'assurance maladie accorde également des aides à l'installation par l'intermédiaire du fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins de ville (Fiqcs).
En Lorraine, l'union régionale des caisses d'assurance maladie et le conseil régional ont signé une convention pour coordonner leurs actions en faveur de l'installation des médecins dans les zones sous-médicalisées.
Enfin, en fonction du lieu d'installation et pour une durée limitée, les professionnels de santé libéraux peuvent bénéficier d'exonérations au titre de l'impôt sur le revenu et de la taxe professionnelle.
Ces dispositifs d'incitation sont relativement récents, puisqu'institués en vertu de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux qui autorise les collectivités territoriales à intervenir. Qui plus est, leur complexité justifierait la conduite d'une politique de communication plus complète en direction des étudiants et des jeunes médecins. Or aujourd'hui, cette politique est défaillante, ce qui réduit l'efficacité de ces mesures incitatives.
2. La recherche de nouvelles solutions
De nombreuses institutions (académie de médecine, conférence nationale de santé, Cour des comptes, Hcaam) ont estimé que cette politique de « moindre contrainte » était insuffisante face à l'ampleur des défis à relever.
Ce débat a pris une ampleur nouvelle lorsque le Président de la République déclaré, dans une intervention du 18 septembre 2008 4 ( * ) , qu' « en matière de démographie médicale, il faut au minimum s'inspirer des négociations entre l'assurance maladie et les infirmières ».
a) L'exemple de la convention infirmière
Les accords (une convention et un protocole) signés le 22 juin 2007 entre l'assurance maladie et les infirmiers libéraux présentent un double intérêt :
- d'abord, ils proposent de développer la délégation de tâches des médecins vers les infirmières, notamment dans le domaine de la vaccination. Cette mesure fait d'ailleurs l'objet d'un article dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. La délégation de tâches favorise une meilleure répartition des rôles entre professionnels de santé, libère du temps médical et permet aux médecins de se consacrer aux actes les plus complexes ;
- ensuite, le protocole prévoit la possibilité de moduler les règles de conventionnement afin de favoriser un rééquilibrage de la démographie des infirmiers libéraux en fonction des besoins exprimés par les régions.
L'entrée en vigueur de cette mesure nécessitait une modification législative , car les partenaires conventionnels ne disposaient pas en l'état du droit de déterminer les conditions et les modalités du conventionnement.
Le Gouvernement a souhaité accéder à cette demande en introduisant deux articles spécifiques dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Cette mesure permettra à l'ensemble des professionnels de santé d'engager la réflexion sur une régulation géographique de l'offre de soins. Les partenaires conventionnels sont chargés de définir les voies et moyens à employer pour limiter l'installation de nouveaux professionnels de santé dans les zones sur-dotées.
Ces propositions ont provoqué, en septembre dernier, une grève des étudiants et internes en médecine qui se sont déclarés opposés à une révision des critères d'installation des praticiens libéraux en zone sur-dotée, selon le modèle prévu par la protocole infirmier. C'est dans ce contexte que l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a débuté à l'Assemblée nationale.
b) L'organisation des Etats généraux la santé
Ce conflit ne s'est dénoué que le 29 octobre, par la conclusion d'un accord signé par le ministère de la santé et les organisations les plus représentatives des étudiants en médecine et des jeunes.
Ce protocole fixe le cadre de la concertation sur les conditions d'installations et d'exercice des professionnels de santé.
En janvier 2008, des Etats généraux de la santé regrouperont l'ensemble des parties : professionnels de santé, représentants de patients, associations d'élus locaux. Ils seront organisés sous l'autorité du professeur Yvon Berland, président de l'observatoire national de la démographie des professions de santé, et d'Annie Podeur, directrice de l'hospitalisation et de l'offre de soins au ministère de la santé
Le périmètre et les modalités d'organisation seront précisés prochainement, en concertation avec les syndicats professionnels.
Le protocole précise que les Etats généraux doivent servir de cadre à une réflexion globale sur l'évolution de l'organisation de l'offre de soins et de l'implantation des médecins sur le territoire. Dans ce cadre seront abordés de nombreux sujets liés, tels que la formation initiale, les conditions d'installation et d'exercice ou les modes de rémunération.
Les conclusions des Etats généraux seront ensuite « transmises par la ministre à l'Uncam, à titre de cadrage pour les négociations conventionnelles nécessaires ».
* 4 A l'occasion du quarantième anniversaire de l'association des journalistes de l'information sociale.