IV. UNE PRISE EN CHARGE MÉDICALE RENFORCÉE, CONDITION DE LA RÉINSERTION
Le projet de loi propose d'étendre les hypothèses dans lesquelles l'injonction de soins peut être ordonnée et de systématiser ce dispositif.
La mise en place de soins adaptés constitue une dimension essentielle de la politique de réinsertion et partant de la lutte contre la récidive. Le législateur s'est efforcé de concilier cette préoccupation avec le principe du consentement aux soins 45 ( * ) . Les règles de déontologie médicale interdisent en effet au médecin de soigner une personne contre sa volonté. Comme l'a rappelé à votre rapporteur M. Evry Archer, directeur du service médical pénitentiaire régional (SMPR) de Lille, elles se fondent elles-mêmes sur l'inviolabilité du corps humain (incompatible par exemple avec une castration physique) et la probable inefficacité de soins engagés sans l'adhésion du patient.
Si le traitement forcé du délinquant est exclu, en revanche le refus de suivre un traitement médical peut entraîner l'exécution de la sanction pénale : tel est l'équilibre retenu pour les régimes de l'obligation de soins et de l'injonction de soins.
A. LES DISPOSITIFS ACTUELS
1. Avant la condamnation ou comme alternative à l'incarcération : l'obligation de soins
Une obligation de soins peut être décidée par le juge au stade présentenciel dans le cadre du contrôle judiciaire ou comme alternative totale ou partielle d'une peine d'emprisonnement dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve .
L'obligation de soins consiste à soumettre l'intéressé à des mesures d'examen médical ou de soins y compris sous le régime de l'hospitalisation d'office.
La violation de cette obligation peut conduire dans le cas du contrôle judiciaire à une mise en détention provisoire et dans celui du sursis avec mise à l'épreuve à la révocation du sursis et donc à l'incarcération de l'intéressé.
En pratique, il incombe aux services pénitentiaires d'insertion et de probation d'encourager le condamné à adhérer aux soins et à trouver un médecin.
Un rapport semestriel est rendu au juge de l'application des peines afin de l'informer sur l'évolution de cette mesure.
Selon une étude de l'école nationale de l'administration pénitentiaire 46 ( * ) , il semblerait qu'en 1999, les trois quarts des condamnés pour infractions sexuelles étaient concernés par l'obligation de soins . En outre, parmi les obligations particulières prévues par l'article 132-45 du code pénal, cette mesure serait l'une des plus prononcées.
2. Les traitements en prison
Les traitements en prison se font sur une base volontaire (hormis le cas de l'hospitalisation d'office pour les personnes détenues atteintes de troubles mentaux). Si le refus de soin n'est pas punissable, il peut néanmoins conduire à limiter les réductions de peines supplémentaires au titre de l'article 721-1 du code de procédure pénale au motif que le détenu ne manifeste pas « des efforts sérieux de réinsertion sociale ».
3. Après la détention, l'injonction de soins
Aux termes de l'article 131-36-4 du code pénal, le suivi socio-judiciaire « peut comprendre une injonction de soins ». L'injonction, prononcée en principe par la juridiction de jugement, demeure subordonnée à une expertise médicale établissant que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement . En cas de meurtre ou assassinat d'un mineur, précédé ou accompagné de viol, de torture ou actes de barbarie, l'expertise devra être réalisée par deux experts.
L'injonction de soins prend tous ses effets à la libération du condamné. En vertu du principe du « consentement aux soins », la personne condamnée pourra refuser le traitement médical prescrit par l'injonction de soins mais elle s'expose à la mise à exécution de l'emprisonnement prononcé par la juridiction (article 131-36-4, alinéa 2 du code pénal). En effet, l'inobservation par le condamné des obligations résultant du suivi peut être sanctionnée par un emprisonnement dont la durée sera initialement fixée par la décision de condamnation. Il appartient au juge de l'application des peines d'ordonner, le cas échéant, l'exécution de cet emprisonnement.
Le juge de l'application des peines doit désigner un médecin coordonnateur sur une liste départementale de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée, établie par le procureur de la République (article L. 3711-1 du code de la santé publique). Le médecin coordonnateur assume une triple fonction :
- il invite le condamné à choisir son médecin traitant ;
- il conseille le médecin traitant -considéré comme médecin référent- à la demande de celui-ci ;
- il transmet au juge de l'application des peines ou à l'agent de probation les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction des soins.
La part des suivis socio-judiciaires assortis d'une injonction de soins n'est pas appréhendée par les statistiques du ministère de la justice. Il semble cependant qu'elle demeure faible.
A l'initiative de votre rapporteur, la loi relative au traitement de la récidive a été complétée afin de permettre au médecin traitant de prescrire à la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire des médicaments entraînant une diminution de la libido. Cette prescription est naturellement subordonnée à l'accord de la personne sous la forme d'un consentement secret et renouvelé au moins une fois par an.
L'autorisation récente de mise sur le marché des deux principaux traitements contre le cancer de la prostate utilisés pour réduire la libido des auteurs d'infractions sexuelles a été modifiée pour reconnaître ce type d'utilisation.
B. LE PROJET DE LOI : LA SYSTÉMATISATION DE L'INJONCTION DE SOINS
1. La détermination d'un cadre plus contraignant
Le projet de loi complété à la suite d'une lettre rectificative, comporte désormais un volet consacré à l'injonction de soins.
Le dispositif proposé vise en premier lieu à généraliser l'injonction de soins pour les auteurs d'infractions sexuelles. A cette fin, il tend à étendre l'application de l'injonction de soins à toutes les personnes qui encourent un suivi socio-judiciaire, y compris lorsque celui-ci n'a pas été prononcé. Il vise à systématiser cette mesure dans le cadre du suivi socio-judiciaire, du sursis avec mise à l'épreuve, du contrôle judiciaire et de la surveillance judiciaire dès lors qu'une expertise aurait conclu à la possibilité d'un traitement et que le juge de l'application des peines ne s'y opposerait pas.
Le projet de loi entend également subordonner les réductions supplémentaires de peine ainsi que la libération conditionnelle à un suivi médical pour les personnes condamnées pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru.
2. La position de votre commission
Les représentants du corps médical consultés par votre rapporteur sur les effets d'une systématisation de l'injonction de soins, ont exprimé des commentaires nuancés.
Ils ont d'abord rappelé le principe du consentement de la personne aux soins. Mme Sophie Baron-Laforêt, médecin, secrétaire de l'Association pour la recherche et le traitement des auteurs d'agressions sexuelles, a en outre, observé que le caractère obligatoire de l'injonction de soins ne devait pas conduire les acteurs de la chaîne pénale et, en particulier, le juge de l'application des peines, à porter une moindre attention aux cas particuliers alors qu'un « regard individualisé est porteur d'une action plus efficace ».
En outre, M. Evry Archer, directeur du SMPR de Lille, a rappelé que tous les délinquants sexuels n'étaient pas susceptibles d'un traitement . Il a relevé que la conférence de consensus sur la mise en oeuvre de la loi du 17 juin 1998 avait exclu le traitement dans plusieurs hypothèses notamment lorsque l'intéressé ne reconnaissait pas les faits ou refusait les soins. M. Roland Coutanceau, médecin psychiatre, a pour sa part plaidé pour une diversification des modalités de prise en charge des délinquants sexuels en prônant en particulier un accompagnement criminologique , notamment pour les personnes qui ne justifient pas nécessairement d'un traitement médical, dans le cadre de groupes de détenus -méthode susceptible de faire prendre conscience aux intéressés de la portée de l'acte commis. Ce suivi permettrait aussi d'évaluer la dangerosité des participants.
Par ailleurs, M. Evry Archer a attiré l'attention sur les difficultés pour l'expert mandaté par la juridiction de jugement de déterminer la possibilité d'un traitement lorsque celui-ci ne pourra intervenir qu'après la libération de la personne. Il a cependant observé qu'il était exceptionnel que le psychiatre conclut à l'impossibilité des soins.
Le principal motif de préoccupation demeure cependant l'insuffisance des moyens pour la mise en oeuvre de la prise en compte sanitaire. S'agissant de l'obligation de soins, selon l'étude précitée de l'administration pénitentiaire, les délais nécessaires à la mise en oeuvre de la mesure représentaient entre le tiers et les deux tiers de la durée du sursis.
Le dispositif de l'injonction de soins présente également des faiblesses. Il demeure difficile, comme l'a rappelé Mme Emmanuelle Perreux, présidente du syndicat de la magistrature, de recruter des médecins coordonnateurs compte tenu en particulier de la modestie de la rétribution : 427 euros pour l'année par personne dans un suivi complet et 213 euros si le suivi est de trois mois. Certaines juridictions n'auraient pas pu établir de listes de médecins coordonnateurs empêchant, en pratique, l'application de l'injonction de soins ordonnée par le juge.
Selon la contribution que l'association nationale des juges de l'application des peines adresse à votre rapporteur, le nombre de médecins coordonnateurs s'élèverait à quatre-vingt dix. En outre, d'après ce document, sur quatre-vingt deux tribunaux de grande instance interrogés, près de la moitié ne disposerait pas de médecin coordonnateur.
Le déficit de médecins traitants apparaît comme un frein encore plus fort au développement de l'injonction de soins en raison de l'insuffisance des effectifs de psychiatres publics et de leur inégale répartition sur le territoire.
Cependant, les interlocuteurs de votre rapporteur s'accordent à reconnaître l' intérêt de l'injonction de soins dont le dispositif permet, en principe, un véritable suivi de la personne associant les responsables judiciaires, sociaux et médicaux.
Il faut donc souhaiter que l'élargissement par le projet de loi de l'application de cette mesure conduise à adapter les moyens nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des personnes soumises à l'injonction de soins.
Votre commission vous proposera un amendement afin de rétablir la faculté du juge de l'application des peines de s'opposer à la suppression, motivée par un refus de soin, d'une réduction de peine supplémentaire.
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Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi .
* 45 La seule exception au consentement reste l'internement d'office des personnes atteintes de troubles mentaux.
* 46 La prise en charge pénitentiaire des auteurs d'agressions sexuelles, état des lieux et nouvelles pratiques, ENAP, juin 2006.