Article 1er - Programme de recherche pour la gestion des matières et des déchets radioactifs
Le droit en vigueur
L'article L. 542-3 du code de l'environnement, issu de l'article 4 de la loi du 30 décembre 1991 précitée, prévoit que le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport faisant état de l'avancement des recherches et des travaux menés simultanément sur :
- la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue ;
- le stockage en formation géologique profonde ;
- les procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface.
C'est en application de cette loi que les recherches conduites ont démontré la faisabilité du stockage en couche géologique profonde dans l'argile ainsi que de l'entreposage de longue durée 36 ( * ) . De plus, a été établie, au plan expérimental, la possibilité de réaliser la séparation poussée puis la transmutation de plusieurs éléments radioactifs à vie longue.
Les trois axes de recherches fixés par la loi de 1991 La séparation et la transmutation (Axe 1) La séparation poussée Préalable à la transmutation, la séparation a pour but de récupérer, d'une part, les actinides mineurs dont la période de radioactivité se mesure en centaines de milliers d'années, et, d'autre part, les produits de fission, dont la période de radioactivité est d'environ mille ans. Grâce à la séparation, les produits de fission seraient stockés en l'état, tandis que la transmutation permettrait, par bombardement neutronique, de transformer les actinides mineurs en des produits de fission d'une période radioactive d'environ un millier d'années. Se plaçant en aval du traitement, la mise en oeuvre industrielle de la séparation nécessitera toutefois d'attendre le renouvellement en 2040 des installations de La Hague. La transmutation La transmutation des actinides mineurs est également démontrée sur le plan scientifique. Soumis à un bombardement neutronique, les actinides mineurs sont effectivement cassés en des noyaux plus légers dont la période radioactive, divisée par mille, est ramenée à environ mille ans. Les recherches sur la transmutation ont été principalement effectuées grâce au réacteur Phénix. Pour réaliser la transmutation à l'échelle industrielle, d'autres outils seront nécessaires : les réacteurs de Génération IV ou les réacteurs sous-critiques pilotés par accélérateurs de type ADS (« Accelerator Driven Systems »). Compte tenu des délais de mise au point de ces nouveaux types de réacteurs et de la vérification qu'ils peuvent transmuter de grandes quantités d'actinides mineurs, la transmutation à l'échelle industrielle est envisageable au mieux en 2040. Le stockage en formation géologique profonde (Axe 2) Le stockage en formation géologique profonde a pour objectif de faire jouer à une couche souterraine de roches comme l'argile, le granite, le sel ou le tuf, le rôle de coffre-fort vis-à-vis des déchets radioactifs issus du retraitement ou des combustibles irradiés lorsque ceux-ci ne sont pas retraités. Elle est considérée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), agence de l'ONU, et par de nombreux pays - Allemagne, Belgique, Etats-Unis, Finlande, Suède, Suisse - comme la méthode la plus sûre pour apporter une solution définitive aux déchets radioactifs. Dans le cadre de ces recherches, l'ANDRA (Agence nationale pour les déchets radioactifs) a accumulé de nombreux résultats favorables sur la capacité de l'argile à confiner les déchets radioactifs, grâce à ses recherches menées, d'une part, dans les laboratoires souterrains de Mol (Belgique) et du Mont Terri (Suisse), et, d'autre part, à Bure (Meuse), par des forages depuis la surface et par des études in situ dans la niche du laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne. L'argile du callovo-oxfordien de Bure présente des capacités de confinement favorables, même si certaines études ne sont pas encore achevées. Par ailleurs, les études d'ingénierie montrent que l'on peut concevoir un centre de stockage réversible, où la reprise des colis de déchets est possible sur une longue période, tout en bénéficiant d'un niveau de sûreté élevé. En tout état de cause, l'horizon de mise en service du stockage réversible est, en France, de 2020-2025. Le conditionnement et l'entreposage de longue durée (Axe 3) Constituant l'axe 3 de la loi de 1991, le conditionnement et l'entreposage à long terme en surface sont deux domaines où des progrès importants ont été enregistrés. Les volumes de déchets de haute ou moyenne activité ont été divisés par dix depuis 1992, par la vitrification des effluents, le compactage des déchets technologiques et des structures métalliques des combustibles. Conçus pour compléter les entreposages industriels actuels d'une durée de vie de 50 ans, les entreposages de longue durée en surface ou en sub-surface visent des durées de fonctionnement de 100 à 300 ans. Un entreposage de longue durée pourrait être mis en service opérationnel en France d'ici à 2015. |
Le texte du projet de loi initial
Dans le texte initial du Gouvernement, le premier alinéa assigne à l'ensemble du programme de recherches le respect des principes de l'article L. 542-1 du code de l'environnement, à savoir : la protection de la nature, de l'environnement, de la santé des personnes et de la sécurité ainsi que la limitation des charges pour les générations futures.
Le deuxième alinéa (1°) concerne les recherches et études sur l'entreposage, auxquelles est assigné l'objectif de la création de nouvelles installations ou de la modification d'installations existantes pour répondre aux besoins.
Le troisième alinéa (2°) indique que la poursuite des recherches sur le stockage en couche géologique profonde doit permettre le choix d'un site et la conception d'un centre de stockage réversible. Pour ce dernier, la date d'instruction de la demande d'autorisation est fixée à 2015 et la mise en exploitation à 2025.
Le quatrième alinéa (3°) prévoit la poursuite des recherches sur la séparation des éléments radioactifs à vie longue du reste des déchets et sur leur transmutation. Si les recherches déjà réalisées sous la responsabilité du CEA ont démontré la faisabilité de ces opérations, le projet de loi rappelle qu'elles sont indissociables de la recherche sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires 37 ( * ) .
A ces trois axes de recherches posés par la loi de 1991, l'article 1 er du projet de loi ajoute de nouvelles actions beaucoup plus circonscrites.
Le cinquième alinéa (4°) concerne les sources scellées usagées, résultant d'utilisations médicales ou industrielles, pour lesquelles des procédés permettant leur stockage, éventuellement dans des centres existants, devront être mis au point pour 2008.
Le sixième alinéa (5°) s'applique aux déchets contenant du tritium 38 ( * ) , pour lesquels de nouvelles solutions permettant la réduction de leur radioactivité avant stockage en surface ou en faible profondeur devront être mises au point à l'horizon 2008.
Le septième alinéa (6°) prévoit la présentation en 2009 d'un bilan des solutions de gestion à court et à long terme des déchets à radioactivité naturelle renforcée. Il s'agit de résidus à radioactivité concentrée produits par l'industrie à partir de matières qui n'avaient cependant pas été exploitées pour les propriétés radioactives (ces déchets sont par exemple très présents dans l'industrie des céramiques).
Enfin, le huitième alinéa (7°) dispose que des solutions de gestion des matières radioactives - c'est-à-dire des substances valorisables - seront préparées pour être proposées en 2010 dans l'hypothèse où il serait renoncé à l'avenir à leur utilisation ultérieure. Il s'agit en particulier des recherches et études sur le stockage des combustibles usés.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Sur proposition de sa commission au fond, l'Assemblée nationale a, d'une part, précisé la rédaction et modifié la présentation des quatre premiers alinéas et, d'autre part, supprimé les quatre derniers alinéas dont l'essentiel a été transféré à un nouvel article 1 er bis .
Elle a en effet souhaité hiérarchiser les domaines de recherches en réservant l'article 1 er aux seuls déchets radioactifs à vie longue de haute ou de moyenne activité, qui concentrent l'essentiel de la radioactivité et pour lesquels trois axes de recherches avaient déjà été tracés en 1991. Les matières et les autres déchets radioactifs sont, quant à eux, traités par l'article 1 er bis .
Au premier alinéa de l'article 1 er , il a donc bien été rappelé, d'une part, que les axes de recherches désormais présentés par cet article ne concernaient que les déchets radioactifs à vie longue et, d'autre part, qu'il existait une relation de complémentarité entre ces trois axes issus de la loi de 1991. La présentation des trois alinéas les concernant a d'ailleurs été modifiée afin de restaurer l'ordre de classement des trois axes issus de la loi dite « Bataille » 39 ( * ) .
Le deuxième alinéa (1°), qui vise désormais la séparation et la transmutation, a fait l'objet d'un complément relatif au calendrier de mise en oeuvre des réacteurs pilotés par un accélérateur et dédiés à la transmutation des déchets. En plus de l'échéance de 2020 pour l'exploitation d'un prototype a été introduite celle de 2012 pour la présentation d'une évaluation des perspectives industrielles offertes par ces nouvelles générations de réacteurs aujourd'hui à l'étude.
Le troisième alinéa (2°), consacré au stockage en couche géologique profonde, a été modifié dans le sens d'un meilleur encadrement du processus décisionnel. Il est en effet ajouté que l'instruction de la demande d'autorisation (prévue pour 2015) ne peut être engagée qu'au vu des résultats des études conduites, de même qu'il est explicitement rappelé que la mise en exploitation (envisagée pour 2025) est subordonnée à cette autorisation.
Enfin, une modification rédactionnelle a été motivée par le souhait de faire systématiquement suivre le mot « stockage » de l'adjectif « réversible ». Votre commission estime toutefois qu'en application de l'article 3 du présent projet de loi, le stockage en couche géologique profonde est nécessairement réversible, sans qu'il soit besoin de le préciser.
Le quatrième alinéa (3°) fixe à 2015 l'échéance de la création de nouvelles installations d'entreposage ou de la modification des installations existantes.
Les cinquième, sixième, septième et huitième alinéas ont été supprimés, leur contenu ayant été largement transféré à l'article 1 er bis .
Observations de votre commission
Votre commission estime que les précisions apportées par l'Assemblée nationale sont très utiles, car elles permettent :
- de mieux poser les grands principes qui doivent guider la politique de recherche, qu'il s'agisse de la réversibilité du stockage ou de l'indispensable complémentarité entre les trois axes de recherches ;
- de préciser le calendrier de passage des recherches aux réalisations industrielles.
A ce titre, la date de 2012 inscrite dans l'évaluation des perspectives industrielles des réacteurs de quatrième génération est un apport de l'Assemblée nationale par rapport à l'échéance volontariste de 2020 pour leur mise en exploitation qui a déjà été fixée par le Président de la République. Cette date de 2012 constitue un bon compromis entre l'objectif 2020, d'une part, et les recherches en cours, d'autre part, qu'il s'agisse des réacteurs à neutrons rapides au sodium 40 ( * ) ou au gaz 41 ( * ) .
Quant à la date de 2015 pour la création ou la modernisation d'installations d'entreposage, il apparaît à votre commission qu'elle ne saurait nullement signifier que les décisions de couverture de l'ensemble des besoins futurs de stockage devront avoir été prises à cette date, c'est-à-dire sans attendre l'autorisation et la construction éventuelle d'un centre de stockage en couche géologique profonde. Au cas où un tel projet aboutirait dans la région de Bure autour de 2025, il pourrait en effet se révéler utile à cette date de construire un centre d'entreposage à proximité du centre destiné à l'accueil, plus ou moins long, des déchets avant leur stockage.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification. |
* 36 La question de la distinction entre le stockage et l'entreposage de longue durée est traitée à l'occasion de l'examen de l'article 3.
* 37 Dont la perspective est inscrite à l'article 5 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique.
* 38 Matériaux contaminés lors des processus de fabrication mis en oeuvre par le CEA pour ses applications civiles et militaires.
* 39 La séparation / transmutation (axe 1), le stockage (axe 2) et l'entreposage (axe 3).
* 40 La construction d'un démonstrateur de réacteur à neutrons rapide au sodium pourrait être initiée en 2015, pour une entrée en service en 2020. Le prototype d'environ 600 MWe servirait dans un premier temps à démontrer ses performances technico-économiques avec le cycle uranium-plutonium puis serait progressivement utilisé pour tester le recyclage des actinides.
* 41 Pour le réacteur à neutrons rapides, le calendrier repose sur la réalisation d'un prototype de petite puissance (50 MWth) sans système de conversion de l'énergie et qui serait exploité entre 2015 et 2023 environ. Il y aurait ensuite un prototype de puissance plus élevée, au plus tôt en 2025, visant à démonter la faisabilité technico-économique de la filière et qui serait ensuite très progressivement testé pour le recyclage des actinides.