EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat a été saisi, le 25 novembre 2003, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures.
Cette proposition de la Commission européenne répond à l'invitation du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont demandé à la Commission d'examiner, sur la base des actions déjà entreprises au niveau communautaire, s'il était nécessaire de « créer de nouveaux mécanismes institutionnels y compris éventuellement une structure opérationnelle communautaire » afin de renforcer la coopération opérationnelle en matière de gestion des frontières extérieures.
La Commission européenne a donc proposé, le 11 novembre 2003, la création d'une Agence européenne chargée de soutenir et d'assister les Etats membres dans la mise en oeuvre de la législation communautaire en matière de gestion des frontières extérieures. Elle aurait notamment pour mission de coordonner les opérations conjointes de contrôle aux frontières extérieures et l'organisation de retours groupés des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
La proposition de la Commission européenne a fait l'objet d'un accord politique du Conseil le 27 novembre 2003 sur l'essentiel du texte.
Votre commission regrette à cet égard que le Conseil n'ait pas tenu compte du délai de six semaines prévu par le protocole annexé au Traité d'Amsterdam pour permettre aux parlements nationaux de faire valoir utilement leurs observations. La délégation française a toutefois émis une réserve d'examen parlementaire et la délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté le 20 janvier la proposition de résolution renvoyée à votre commission des Lois qui fait l'objet du présent rapport.
En effet, bien que le règlement doive être adopté définitivement avant la fin du premier semestre 2004 pour que l'agence entre en fonction le 1 er janvier 2005, des modifications sont encore susceptibles d'intervenir. Lors de sa réunion du 5 février 2004, le groupe de travail « Frontières » du Conseil a procédé a un nouvel examen de la proposition de règlement. Il y a apporté plusieurs modifications portant notamment sur la structure et l'organisation de la future agence. Le Conseil JAI qui se tiendra à la fin du mois de mars prochain pourrait donc adopter un texte sensiblement différent de la proposition initiale de la Commission.
Après avoir souligné la nécessité d'une coopération renforcée pour le contrôle des frontières extérieures de l'Union et rappelé les actions engagées, votre rapporteur présentera les dispositions de la proposition de règlement avant d'exposer le contenu de la proposition de résolution et les modifications apportées par votre commission.
I. LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES : UNE NÉCESSITÉ MOTIVANT DES ACTIONS NOMBREUSES MAIS DISPERSÉES JUSQU'À PRÉSENT
A. UNE PROBLÉMATIQUE ANCIENNE QUE LA PERSPECTIVE DE L'ÉLARGISSEMENT REND ENCORE PLUS URGENTE
1. L'espace Schengen et la suppression des contrôles aux frontières intérieures
Depuis l'entrée en application de la Convention de Schengen 1 ( * ) le 26 mars 1995, les contrôles et la surveillance aux frontières extérieures des Etats membres participants sont régis par des principes communs et uniformes. Les modalités d'application de ces principes sont détaillées par le Manuel commun des frontières extérieures.
L'ensemble de cet acquis Schengen a reçu une nouvelle base juridique au titre IV du traité instituant la Communauté européenne à la suite de l'adoption du traité d'Amsterdam.
La suppression des frontières intérieures et la libre circulation ont fait naître une solidarité entre Etats européens. Cela est particulièrement vrai face à l'immigration illégale, les arrivants entrés clandestinement par un pays dit de première ligne devenant par la suite des sans-papiers dans les pays dits de seconde ligne.
Les disparités de la qualité du contrôle des frontières extérieures induisent des risques pour la sécurité de l'ensemble des Etats membres.
Toutefois, le choix fut fait lors de la mise en place de l'espace Schengen de laisser à chaque Etat membre la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures. Chaque Etat est donc libre de confier le contrôle et la surveillance des frontières aux autorités de son choix selon sa propre structure nationale interne.
Aucune gestion opérationnelle intégrée au niveau communautaire n'a donc été prévue, même si des coopérations bilatérales ont pu se développer.
Le contrôle de la bonne application des règles communes pour le franchissement des frontières extérieures a été confié à la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen, laquelle dépend du Conseil des ministres. Cette évaluation Schengen, aussi appelée « Scheval », donne lieu à un rapport 2 ( * ) .
2. Le défi de l'élargissement
L'Union européenne comptera 6.000 kilomètres de frontières terrestres et 85.000 kilomètres de frontières maritimes à la suite de l'élargissement à dix nouveaux Etats membres, auxquelles il faut ajouter les frontières aéroportuaires.
Le contrôle de la frontière orientale, allongée d'environ 3.000 kilomètres, sera transféré à de nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Etats baltes). Chypre et Malte représentent également un enjeu important du point de vue de la sécurité des frontières maritimes . Parmi les nouveaux Etats membres, seule la République tchèque n'aura pas la charge d'une frontière extérieure terrestre ou maritime.
Selon le rapport global annuel de suivi de la Commission européenne sur le degré de préparation à l'adhésion à l'Union européenne rendu public le 5 novembre 2003, il est nécessaire que « la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie continuent de renforcer leurs frontières extérieures ».
A titre d'exemple, la Commission européenne, dans son rapport de suivi spécifique à la Pologne, pointe le retard pris dans la mise en oeuvre du plan d'action Schengen et notamment les effectifs et la formation insuffisants des gardes-frontières. Or, la Pologne aura la responsabilité de 1.258 kilomètres de frontières terrestres.
Certes, la majeure partie de l'acquis Schengen ne s'appliquera pas aux pays adhérents au moment de leur adhésion mais à une date ultérieure, après adoption d'une décision distincte par le Conseil 3 ( * ) . Les effort engagés par ces pays, soutenus par les aides et programmes communautaires, auront d'ici là amélioré le contrôle des frontières extérieures 4 ( * ) .
Pour autant, le défi de l'élargissement ne doit pas conduire à stigmatiser les futurs Etats membres en laissant croire que leurs frontières seront hors de tout contrôle efficace et qu'il conviendrait donc de mettre rapidement sur pied une gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union, voire un corps européen de gardes frontières.
La problématique des frontières extérieures préexiste à l'élargissement comme il a été vu ci-dessus.
En outre, les défaillances possibles des futurs Etats membres ne doivent pas masquer les propres insuffisances des Etats membres actuels.
A cet égard, la France a fait l'objet d'observations critiques de la part de la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen en 2002. Reprenant et complétant l'évaluation Schengen, un rapport réalisé par la société CIVIPOL pour la Commission européenne 5 ( * ) constate que « les visas ne sont pas toujours contrôlés, les passeports pas toujours datés, les cheminements dans la zone internationale des passagers entre le navire et les points de contrôle pas toujours étanches ».
Par exemple, notamment en raison d'effectifs insuffisants de la police aux frontières, 20 % seulement des passagers seraient contrôlés en période de haute saison touristique sur un total de 550.000 passagers par an au port de Marseille.
3. La question de l'immigration clandestine
La politique migratoire relève principalement des Etats membres, mais commence à faire l'objet d'une politique commune en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement 6 ( * ) .
Depuis le Conseil européen de Tampere en 1999, la lutte contre l'immigration clandestine est au premier rang des sujets abordés lors de ces conseils 7 ( * ) .
Les afflux de clandestins auxquels sont confrontés, avec une intensité particulière, les pays du sud de l'Europe dans des conditions souvent dramatiques, ont conduit à poser la question de la lutte contre l'immigration irrégulière sous l'angle de la gestion intégrée des frontières extérieures . L'Espagne, l'Italie et la Grèce ont notamment demandé le partage du fardeau financier entre les pays dits de première ligne et de seconde ligne.
Votre commission tient toutefois à souligner que l'enjeu d'une gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne dépasse la seule question de l'immigration clandestine . A cet égard, la Commission européenne a dans sa communication « Vers une gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne » du 7 mai 2002 proposé une définition large de la sécurité des frontières extérieures, incluant la lutte contre la criminalité internationale, le terrorisme, la corruption, la fraude, la traite des êtres humains et les trafics.
La future agence européenne devra veiller à ne pas focaliser son activité sur la seule question de l'immigration illégale.
* 1 L'intitulé exact de cette convention est « Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Bénélux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 ».
* 2 La France a fait l'objet d'une évaluation au premier trimestre 2002.
* 3 Ce décalage entre l'adhésion à l'Union et à l'espace Schengen n'est pas inédit. L'Autriche a ainsi adhéré à la Convention Schengen le 28 avril 1996 mais n'a été autorisée à appliquer pleinement l'acquis Schengen que le 31 mars 1998.
* 4 La Pologne s'est ainsi engagée à embaucher 5.300 agents d'ici 2006 comme gardes-frontières professionnels, qui se substitueront notamment à des appelés.
* 5 Etude de faisabilité relative au contrôle des frontières maritimes de l'Union européenne, juillet 2003, doc. 11490/1/03, par la société CIVIPOL et transmis à la Commission européenne.
* 6 Voir le rapport d'information n° 1238 « L'Europe forteresse : mythe ou réalité » de M. Thierry Mariani, député, au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale (19 novembre 2003).
* 7 En particulier le Conseil européen de Laeken (14 et 15 décembre 2001), le Conseil européen de Séville (21 et 22 juin 2002) et le Conseil européen de Thessalonique (19 et 20 juin 2003). La présidence italienne a aussi ouvert de nombreux chantiers.