Rapport n° 228 (2003-2004) de M. Alex TÜRK , fait au nom de la commission des lois, déposé le 3 mars 2004

Disponible au format Acrobat (303 Koctets)

Tableau comparatif au format Acrobat (8,1 Koctets)

N° 228

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 mars 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Robert DEL PICCHIA sur la proposition de règlement portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (n° E 2447),

Par M. Alex TÜRK,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Charles Guené, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché, Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Jean Louis Masson, Mme Josiane Mathon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Voir le numéro :

Sénat : 180 (2003-2004)

Union européenne.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 3 mars 2004, sous la présidence de M. Patrice Gélard, vice-président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Alex Türk, la proposition de résolution n° 180 (2003-2004) présentée, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Robert del Picchia au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de règlement portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures ( E 2447 ) .

Le rapporteur a tout d'abord replacé cette proposition de résolution dans son contexte. Il a souligné que la proposition de règlement était la conséquence de la mise en place de l'espace Schengen et de l'élargissement à 25 pays. Il a également rappelé que de nombreuses initiatives visant à développer une gestion intégrée des frontières extérieures avaient été engagées depuis le Conseil européen de Séville en juin 2002.

Il a ensuite indiqué que le projet de création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures était né de l'ensemble de ces initiatives. Il a estimé que cette agence devrait les coordonner et leur donner une cohérence qu'elles n'ont pas à l'heure présente.

Il a distingué les six grandes missions de cette agence :

- coordonner les opérations conjointes ;

- améliorer la formation des gardes-frontières ;

- analyser les risques ;

- développer de nouvelles technologies de détection ;

- fournir une expertise aux Etats membres ;

- fournir un appui technique en matière d'éloignement aux fins d'organiser des vols groupés.

Il a toutefois précisé que l'Agence ne disposerait pas d'un monopole dans toutes ces matières, les Etats membres conservant leur liberté d'initiative et de participation.

A la suite de cette présentation, il a expliqué que les principales difficultés portaient sur l'organisation et la structure de cette agence communautaire indépendante. Il a particulièrement mis en garde contre le risque de reproduire le précédent d'Europol.

Il a appuyé la proposition de la délégation européenne exigeant que le Conseil fixe les orientations stratégiques de l'Agence et que son directeur exécutif soit responsable devant lui. Il a proposé de préciser que le directeur exécutif devrait être nommé et révocable par le Conseil.

Il a ensuite approuvé la proposition de la délégation pour l'Union européenne consistant à créer une commission de contrôle comprenant des parlementaires nationaux , sur le modèle de ce que le Sénat a déjà préconisé pour Europol.

Toujours en accord avec la proposition de la délégation pour l'Union européenne, il a appelé de ses voeux la poursuite des réflexions en vue de la création d'une police européenne des frontières composée de contingents nationaux .

Le rapporteur a ensuite présenté ses propres recommandations.

Il a soutenu l'idée d' un bureau exécutif composé d'un représentant de la commission et de cinq membres nommés parmi les représentants du conseil d'administration qui superviserait la gestion quotidienne de l'Agence par le directeur exécutif et assisterait le conseil d'administration . Il a indiqué que l'expérience d'Europol démontrait qu'un conseil d'administration pléthorique ne parvenait pas à assumer seul sa mission de contrôle de directeur exécutif.

Enfin, il a souhaité que la future agence soit étroitement associée à l'évaluation Schengen, aussi appelée « Scheval » . Il a observé que cette évaluation relevait jusqu'à présent du Conseil, et par conséquent des Etats membres, lesquels peuvent s'avérer juges et parties. Il a estimé que le contrôle de la bonne application des normes Schengen par les Etats membres tirerait bénéfice du regard extérieur apporté par l'Agence.

A l'issue d'un débat auquel ont participé MM. Patrice Gélard, Daniel Hoeffel, Robert Badinter, Christian Cointat et Alex Türk, rapporteur, la commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par le rapporteur sous réserve d'une modification à l'initiative de M. Robert Badinter. Celui-ci a proposé que le directeur exécutif soit révocable par le Conseil sur proposition du conseil d'administration de l'Agence.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, le 25 novembre 2003, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures.

Cette proposition de la Commission européenne répond à l'invitation du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont demandé à la Commission d'examiner, sur la base des actions déjà entreprises au niveau communautaire, s'il était nécessaire de « créer de nouveaux mécanismes institutionnels y compris éventuellement une structure opérationnelle communautaire » afin de renforcer la coopération opérationnelle en matière de gestion des frontières extérieures.

La Commission européenne a donc proposé, le 11 novembre 2003, la création d'une Agence européenne chargée de soutenir et d'assister les Etats membres dans la mise en oeuvre de la législation communautaire en matière de gestion des frontières extérieures. Elle aurait notamment pour mission de coordonner les opérations conjointes de contrôle aux frontières extérieures et l'organisation de retours groupés des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

La proposition de la Commission européenne a fait l'objet d'un accord politique du Conseil le 27 novembre 2003 sur l'essentiel du texte.

Votre commission regrette à cet égard que le Conseil n'ait pas tenu compte du délai de six semaines prévu par le protocole annexé au Traité d'Amsterdam pour permettre aux parlements nationaux de faire valoir utilement leurs observations. La délégation française a toutefois émis une réserve d'examen parlementaire et la délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté le 20 janvier la proposition de résolution renvoyée à votre commission des Lois qui fait l'objet du présent rapport.

En effet, bien que le règlement doive être adopté définitivement avant la fin du premier semestre 2004 pour que l'agence entre en fonction le 1 er janvier 2005, des modifications sont encore susceptibles d'intervenir. Lors de sa réunion du 5 février 2004, le groupe de travail « Frontières » du Conseil a procédé a un nouvel examen de la proposition de règlement. Il y a apporté plusieurs modifications portant notamment sur la structure et l'organisation de la future agence. Le Conseil JAI qui se tiendra à la fin du mois de mars prochain pourrait donc adopter un texte sensiblement différent de la proposition initiale de la Commission.

Après avoir souligné la nécessité d'une coopération renforcée pour le contrôle des frontières extérieures de l'Union et rappelé les actions engagées, votre rapporteur présentera les dispositions de la proposition de règlement avant d'exposer le contenu de la proposition de résolution et les modifications apportées par votre commission.

I. LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES : UNE NÉCESSITÉ MOTIVANT DES ACTIONS NOMBREUSES MAIS DISPERSÉES JUSQU'À PRÉSENT

A. UNE PROBLÉMATIQUE ANCIENNE QUE LA PERSPECTIVE DE L'ÉLARGISSEMENT REND ENCORE PLUS URGENTE

1. L'espace Schengen et la suppression des contrôles aux frontières intérieures

Depuis l'entrée en application de la Convention de Schengen 1 ( * ) le 26 mars 1995, les contrôles et la surveillance aux frontières extérieures des Etats membres participants sont régis par des principes communs et uniformes. Les modalités d'application de ces principes sont détaillées par le Manuel commun des frontières extérieures.

L'ensemble de cet acquis Schengen a reçu une nouvelle base juridique au titre IV du traité instituant la Communauté européenne à la suite de l'adoption du traité d'Amsterdam.

La suppression des frontières intérieures et la libre circulation ont fait naître une solidarité entre Etats européens. Cela est particulièrement vrai face à l'immigration illégale, les arrivants entrés clandestinement par un pays dit de première ligne devenant par la suite des sans-papiers dans les pays dits de seconde ligne.

Les disparités de la qualité du contrôle des frontières extérieures induisent des risques pour la sécurité de l'ensemble des Etats membres.

Toutefois, le choix fut fait lors de la mise en place de l'espace Schengen de laisser à chaque Etat membre la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures. Chaque Etat est donc libre de confier le contrôle et la surveillance des frontières aux autorités de son choix selon sa propre structure nationale interne.

Aucune gestion opérationnelle intégrée au niveau communautaire n'a donc été prévue, même si des coopérations bilatérales ont pu se développer.

Le contrôle de la bonne application des règles communes pour le franchissement des frontières extérieures a été confié à la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen, laquelle dépend du Conseil des ministres. Cette évaluation Schengen, aussi appelée « Scheval », donne lieu à un rapport 2 ( * ) .

2. Le défi de l'élargissement

L'Union européenne comptera 6.000 kilomètres de frontières terrestres et 85.000 kilomètres de frontières maritimes à la suite de l'élargissement à dix nouveaux Etats membres, auxquelles il faut ajouter les frontières aéroportuaires.

Le contrôle de la frontière orientale, allongée d'environ 3.000 kilomètres, sera transféré à de nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Etats baltes). Chypre et Malte représentent également un enjeu important du point de vue de la sécurité des frontières maritimes . Parmi les nouveaux Etats membres, seule la République tchèque n'aura pas la charge d'une frontière extérieure terrestre ou maritime.

Selon le rapport global annuel de suivi de la Commission européenne sur le degré de préparation à l'adhésion à l'Union européenne rendu public le 5 novembre 2003, il est nécessaire que « la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie continuent de renforcer leurs frontières extérieures ».

A titre d'exemple, la Commission européenne, dans son rapport de suivi spécifique à la Pologne, pointe le retard pris dans la mise en oeuvre du plan d'action Schengen et notamment les effectifs et la formation insuffisants des gardes-frontières. Or, la Pologne aura la responsabilité de 1.258 kilomètres de frontières terrestres.

Certes, la majeure partie de l'acquis Schengen ne s'appliquera pas aux pays adhérents au moment de leur adhésion mais à une date ultérieure, après adoption d'une décision distincte par le Conseil 3 ( * ) . Les effort engagés par ces pays, soutenus par les aides et programmes communautaires, auront d'ici là amélioré le contrôle des frontières extérieures 4 ( * ) .

Pour autant, le défi de l'élargissement ne doit pas conduire à stigmatiser les futurs Etats membres en laissant croire que leurs frontières seront hors de tout contrôle efficace et qu'il conviendrait donc de mettre rapidement sur pied une gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union, voire un corps européen de gardes frontières.

La problématique des frontières extérieures préexiste à l'élargissement comme il a été vu ci-dessus.

En outre, les défaillances possibles des futurs Etats membres ne doivent pas masquer les propres insuffisances des Etats membres actuels.

A cet égard, la France a fait l'objet d'observations critiques de la part de la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen en 2002. Reprenant et complétant l'évaluation Schengen, un rapport réalisé par la société CIVIPOL pour la Commission européenne 5 ( * ) constate que « les visas ne sont pas toujours contrôlés, les passeports pas toujours datés, les cheminements dans la zone internationale des passagers entre le navire et les points de contrôle pas toujours étanches ».

Par exemple, notamment en raison d'effectifs insuffisants de la police aux frontières, 20 % seulement des passagers seraient contrôlés en période de haute saison touristique sur un total de 550.000 passagers par an au port de Marseille.

3. La question de l'immigration clandestine

La politique migratoire relève principalement des Etats membres, mais commence à faire l'objet d'une politique commune en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement 6 ( * ) .

Depuis le Conseil européen de Tampere en 1999, la lutte contre l'immigration clandestine est au premier rang des sujets abordés lors de ces conseils 7 ( * ) .

Les afflux de clandestins auxquels sont confrontés, avec une intensité particulière, les pays du sud de l'Europe dans des conditions souvent dramatiques, ont conduit à poser la question de la lutte contre l'immigration irrégulière sous l'angle de la gestion intégrée des frontières extérieures . L'Espagne, l'Italie et la Grèce ont notamment demandé le partage du fardeau financier entre les pays dits de première ligne et de seconde ligne.

Votre commission tient toutefois à souligner que l'enjeu d'une gestion intégrée des frontières extérieures de l'Union européenne dépasse la seule question de l'immigration clandestine . A cet égard, la Commission européenne a dans sa communication « Vers une gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne » du 7 mai 2002 proposé une définition large de la sécurité des frontières extérieures, incluant la lutte contre la criminalité internationale, le terrorisme, la corruption, la fraude, la traite des êtres humains et les trafics.

La future agence européenne devra veiller à ne pas focaliser son activité sur la seule question de l'immigration illégale.

B. DE NOMBREUSES ACTIONS ENGAGÉES MAIS DES EFFORTS DISPERSÉS ET MAL ÉVALUÉS

1. Le Plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne

A la suite de la communication de la Commission européenne « Vers une gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne » du 7 mai 2002, le Conseil JAI du 13 juin 2002 a adopté le Plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne.

Les gouvernements ont largement entériné les propositions de la Commission, notamment celles consistant à améliorer la coordination entre les gouvernements et les services chargés du contrôle des frontières. Mais ils ont repoussé à plus tard la mise en place d'un corps européen de garde-frontières.

Le Conseil européen de Séville, réuni les 21 et 22 juin 2002, a demandé la mise en oeuvre au plus vite de ce plan. A cette fin, il a souhaité la mise en place sans délai, dans le cadre du Conseil des ministres, de l'Instance commune de praticiens des frontières extérieures , composée des chefs des services de contrôle aux frontières des Etats membres et chargée de coordonner les mesures figurant dans le plan.

Dans le courant du second semestre 2002, l'Instance commune a approuvé les programmes, les projets-pilotes et les opérations conjointes ci-après, dont l'initiative est à chaque fois revenue à un ou plusieurs Etats membres en application des conclusions de Séville.

a) Les programmes

- élaboration d'un modèle d'analyse commune des risques (chef de file : Finlande) ;

- création d'un tronc commun pour la formation des gardes frontières (chefs de file : Autriche et Suède) ;

- création du centre pour les frontières terrestres conçu pour organiser des échanges de personnel et mettre en oeuvre des opérations conjointes en des points déterminés des frontières extérieures terrestres, dans le but d'harmoniser et d'améliorer les pratiques des services nationaux compétents (chef de file : Allemagne) ;

- création du centre d'excellence de Douvres conçu pour mettre au point de nouvelles technologies de détections afin de lutter contre l'immigration clandestine (chef de file : Royaume-Uni) ;

- création d'un centre pour les frontières maritimes visant à coordonner la surveillance des frontières maritimes (chefs de file : Espagne et Grèce).

b) Les projets-pilotes

- normalisation des mesures de sécurité applicables au rapatriement des étrangers par voie maritime, aérienne ou terrestre et coordination de l'organisation de vols groupés européens (chef de file : France) ;

- coordination des enquêtes transfrontalières relatives aux infractions touchant à l'immigration clandestine (chef de file : France, avec le soutien d'Europol) ;

- mise en oeuvre d'un projet-pilote dans les aéroports internationaux en vue de créer une banque de données en temps réel et de procéder à des échanges d'informations et de personnel (chef de file : Italie) ;

- détachement d'experts des Etats membres auprès de la Turquie et de la Serbie, aux fins de dispenser des formations ou recueillir des renseignements sur les filières dans la perspective d'un réseau d'officiers de liaison Immigration (chef de file : Royaume-Uni).

c) Les opérations conjointes

Outre les opérations conjointes terrestres organisées par le centre pour les frontières terrestres, une demi douzaine d'opérations ont été montées, essentiellement pour la surveillance des frontières maritimes (opérations Ulysse, Triton, Rio IV, ORCA, Rio III).

A titre d'exemple, l'opération Triton, coordonnée par la Grèce et conduite les 4-7 mars 2003, s'est traduite par l'arraisonnement de 200 navires et l'interpellation de 226 immigrés clandestins et de six passeurs.

2. Des résultats inégaux et un manque de coordination

L'ensemble de ces actions bien qu'engagées sous l'égide de l'Instance commune dans le cadre du Conseil ont suscité des critiques quant au manque de coordination et de suivi.

La mise en oeuvre du Plan de gestion intégrée a fait l'objet d'une évaluation par la présidence grecque en juin 2003 8 ( * ) .

Ce rapport interne a révélé des résultats contrastés : certains projets ont atteint leurs objectifs, d'autres ont échoué, souvent en raison de la motivation insuffisante des participants.

En effet, chaque projet est tributaire de l'implication du chef de file et du nombre d'Etats prêts à s'y associer . Le rapport remarque d'ailleurs que les futurs Etats membres n'ont pas été suffisamment associés.

L'absence de coordination réelle a interdit toute vision globale des projets menés au risque que des doublons apparaissent. A titre d'illustration, le Royaume-Uni souhaitait lors de la mise en place du centre d'excellence de Douvres en matière de nouvelles technologies de détection que celui-ci puisse mener des opérations conjointes à son initiative, alors que le centre pour les frontières terrestres conduisait déjà des opérations conjointes.

Un manque de lisibilité de ces actions a été souligné, les différences de nature entre les programmes, les centres ad hoc, les projets-pilotes et les opérations conjointes n'apparaissant pas clairement.

Enfin, le rapport de la présidence grecque a constaté l'absence d'un mécanisme de surveillance et « d'une méthode d'évaluation indépendante et approfondie, ainsi que d'une méthode pour traiter et utiliser les résultats [de ces projets] ».

Au total, le Plan de gestion intégrée fut l'occasion d'un foisonnement d'initiatives ouvrant des pistes de recherche, mais a montré les limites d'un modèle décentralisé et non institutionnalisé.

Le rapport concluait que « la responsabilité globale de la planification des opérations et de la mise en oeuvre des programmes incombait à l'Instance commune » et appelait à examiner « la nécessité d'une nouvelle structure institutionnelle afin de renforcer la coopération opérationnelle pour la gestion des frontières extérieures ».

II. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT DU CONSEIL PORTANT CRÉATION D'UNE AGENCE EUROPÉENNE POUR LA GESTION DE LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES : PRÉSERVER LES COMPÉTENCES DES ÉTATS MEMBRES TOUT EN OPTIMISANT LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE

Dans la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil en vue du Conseil européen de Thessalonique sur le développement d'une politique commune en matière d'immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier, le 3 juin 2003 9 ( * ) , la Commission européenne a proposé que l'Instance commune continue à fixer les orientations politiques et stratégiques sous le contrôle du Conseil des ministres, tandis que les tâches de nature plutôt opérationnelle pourraient être confiées à une nouvelle structure communautaire permanente , qui serait en mesure d'exécuter ces tâches quotidiennes de gestion et de coordination et d'apporter une réponse rapide en cas d'urgence.

Lors de sa réunion des 19 et 20 juin 2003, le Conseil européen de Thessalonique a donc invité la Commission à faire des propositions en ce sens.

Le 11 novembre 2003, la Commission a déposé la présente proposition de règlement après que le Conseil a approuvé le principe de la création d'une agence communautaire.

L'article 66 figurant au titre IV du traité instituant la Communauté européenne constitue la base juridique du règlement 10 ( * ) . Le Conseil statue donc à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et après consultation du Parlement européen.

La politique communautaire en matière de gestion intégrée des frontières extérieures constituant un acquis de Schengen, le projet de création de l'agence constitue un développement des dispositions de cet acquis. En conséquence, sa mise en oeuvre devra tenir compte des différents protocoles convenus avec le Danemark, la Norvège, l'Islande, le Royaume-Uni et la République d'Irlande. Mais d'ores et déjà, ces pays à l'exception du Danemark ont annoncé leur volonté de participer pleinement aux activités de l'agence.

Cette proposition de règlement ne remplace pas un texte communautaire normatif mais se substitue partiellement au Plan de gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l'Union de juin 2002. Elle ne devrait pas impliquer de modifications de notre législation nationale.

A. LES MISSIONS DE L'AGENCE

Les articles 2 à 9 définissent les missions de l'agence. Celles-ci sont pour l'essentiel similaires à celles de l'Instance commune .

L'agence devrait néanmoins s'acquitter d'une tâche supplémentaire consistant à fournir aux Etats membres l'appui technique nécessaire pour coordonner des opérations conjointes d'éloignement.

L'agence ne pourrait pas définir d'orientations politiques, ni présenter de propositions législatives. Elle assisterait simplement les Etats membres dans la mise en oeuvre de la législation communautaire en matière de gestion des frontières extérieures.

Six grandes missions peuvent être distinguées.

1. Coordonner la coopération opérationnelle entre les Etats membres en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures

L'agence coordonnerait les opérations conjointes aux frontières. A cette fin, elle pourrait créer et s'appuyer sur des bureaux spécialisés prévus à l'article 13 de la proposition de règlement. En réalité, ces bureaux déconcentrés seraient la reprise des centres existant pour les frontières terrestres, aériennes et maritimes. Ils étudieraient les meilleures pratiques et relaieraient l'agence localement aux fins de l'organisation concrète des opérations conjointes et projets-pilotes.

L'agence pourrait avoir l'initiative de telles opérations conjointes, les co-financer et devrait évaluer systématiquement les résultats.

Toutefois, à la demande du Conseil dans ses conclusions du 28 novembre 2003, il a été précisé que « la participation des Etats membres à des activités opérationnelles communes se ferait sur une base volontaire ». Dans le même sens, plusieurs Etats membres au sein du groupe de travail « Frontières » du Conseil ont demandé à ce qu'il soit ajouté un paragraphe prévoyant explicitement que les compétences de l'agence sont sans préjudice des compétences des Etats membres. L'agence n'aurait donc pas de monopole .

2. Assister les Etats membres dans la formation des gardes-frontières nationaux

Outre le développement d'un tronc commun de formation déjà initié par l'Autriche et la Suède dans le cadre du plan de gestion intégrée, l'agence proposerait directement aux agents des services nationaux compétents des stages et des séminaires.

3. Evaluer les risques

L'agence reprendrait les activités du centre d'analyse des risques, dont les activités ont commencé à Helsinki le 1 er avril 2003.

Cette mission est indispensable au succès de l'agence et lui donnerait toute sa plus-value.

En effet, quelle que soit la nature des mesures à renforcer ou à créer, celles-ci reposent sur une analyse de risque préalable. Elle permet d'identifier et de dénombrer les flux migratoires ainsi que de mesurer l'efficacité des pratiques mises en oeuvre selon le type de frontières.

Cela suppose d'entretenir des liens étroits avec les services de police aux frontières des Etats-membres, avec les officiers de liaison dans les pays tiers et avec Europol . Les articles 10 et 11 prévoient de tels échanges d'informations, le groupe de travail « Frontières » du Conseil ayant à cet égard élargi le champ de la coopération possible entre l'agence et Europol. Le texte initial limitait les accords entre l'agence et l'Office européen de police aux seuls échanges d'informations stratégiques non personnelles. La nouvelle version a supprimé cette précision restrictive.

4. Suivre l'évolution de la recherche en matière de contrôle et de surveillance

L'agence reprendrait les activités assumées actuellement par le centre d'excellence de Douvres.

5. Aider les Etats-membres confrontés à une situation exigeant une assistance opérationnelle et technique renforcée à leurs frontières extérieures

Outre la coordination des opérations, l'agence pourrait détacher des experts spécialisés. Ils auraient à leur disposition des équipements techniques de contrôle et de surveillance acquis par l'agence . Précisons que les experts ne disposeraient d'aucun pouvoir répressif.

Par ailleurs, comme le prévoit l'article 7 du projet de règlement, l'agence établit et gère « un inventaire des équipements techniques de contrôle et de surveillance des frontières extérieures appartenant aux Etats membres que ceux-ci sont prêts à mettre volontairement et temporairement à la disposition d'autres Etats-membres, après évaluation des besoins et des risques par l'Agence ».

6. Fournir aux Etats membres l'appui technique nécessaire pour organiser des opérations conjointes d'éloignement

Dans le cadre du Plan de gestion intégrée, la France s'est proposée d'être le chef de file d'un projet-pilote visant à rationaliser les mesures d'éloignement au moyen de vols groupés.

Des réunions d'experts ont abouti à l'adoption d' « orientations communes sur les mesures de sécurité à prendre pour les opérations communes d'éloignement par voie aérienne ». Ces orientations harmonisent les règles de sécurité lors de l'organisation de ces vols.

Plusieurs vols ont été organisés dans ce cadre, avec les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Espagne.

La proposition de règlement présentée par la Commission européenne en novembre 2003 a prolongé ces travaux en confiant à l'agence la coordination et l'organisation des opérations conjointes de retour. Toutefois, le Conseil JAI du 28 novembre 2003, dans ses conclusions, a marqué sa réticence à aller aussi loin et a souhaité que l'agence fournisse uniquement un appui technique pour organiser ces vols. Ajoutons que le projet de rapport du Parlement européen sur ce texte se prononce contre l'attribution à l'agence d'une quelconque compétence en matière d'éloignement.

En conséquence, le groupe de travail « Frontières » du Conseil a modifié la proposition de règlement initial en supprimant l'idée d'une organisation directe de ces vols par l'agence.

Celle-ci pourrait néanmoins disposer des ressources financières de la Communauté consacrées à la politique de retour. La Commission européenne a de nouveau proposé d'affecter 30 millions d'euros pour les années 2004-2006 afin de financer cette politique 11 ( * ) .

B. L'ORGANISATION DE L'AGENCE : UN MODÈLE INSPIRÉ DES PRÉCÉDENTES AGENCES DE RÉGULATION EUROPÉENNES

1. Une structure légère et indépendante

La structure retenue dans la proposition de la commission est celle d'une agence communautaire, indépendante et dotée de la personnalité juridique. Elle aurait la possibilité d'établir dans les Etats membres des bureaux spécialisés avec l'accord des Etats membres concernés.

Son personnel (experts nationaux détachés ou agents recrutés directement par l'agence) aurait le statut des fonctionnaires des Communautés européennes.

A ce stade, la commission envisage une structure légère d'une trentaine de personnes, avec un budget montant progressivement en puissance. Selon la programmation retenue, l'agence serait opérationnelle au 1 er janvier 2005 et disposerait d'un budget de 6,157 millions d'euros. En 2006, ce dernier serait de 9,754 millions d'euros puis, en 2007 et 2008, de 15,754 millions d'euros en raison de l'acquisition d'équipements techniques, avant de trouver son régime de fonctionnement normal autour de 8,754 millions d'euros par an.

Toutefois, les renseignements recueillis par votre rapporteur au cours de ses auditions laissent penser que les effectifs de l'agence seraient plus proches de 50.

En outre, le budget de l'agence ne tient pas compte à ce stade des fonds qui pourraient lui être alloués pour participer au financement d'opérations conjointes de retour.

2. Les organes directeurs de l'agence

Le texte initial de la proposition de règlement datée du 20 novembre 2003 prévoyait :

- un conseil d'administration composé de douze membres nommés par le Conseil et de deux représentants de la Commission ;

- un directeur exécutif, « totalement indépendant dans l'exercice de ses fonctions », nommé à la majorité des deux tiers par le conseil d'administration à partir d'une liste établie par la Commission européenne et révocable dans les mêmes conditions.

Ce conseil d'administration adopterait à une majorité des trois quarts le programme de travail de l'agence , définirait les procédures de prise de décision par le directeur exécutif en rapport avec les missions opérationnelles de l'agence et exercerait l'autorité disciplinaire sur le directeur exécutif. Il adopterait chaque année le rapport général de l'agence et le transmettrait au Parlement européen, au Conseil, à la Commission, au Comité économique et social et à la Cour des comptes.

Le directeur exécutif gérerait l'agence, préparerait et exécuterait le projet de programme de travail ainsi que les décisions et activités approuvées par le conseil d'administration.

Toutefois, le Conseil JAI dans ses conclusions adoptées le 28 novembre 2003 a précisé que « chaque Etat membre devrait disposer d'un représentant au sein du conseil d'administration de l'agence, lequel devrait se composer des chefs opérationnels des autorités répressives nationales chargées de la gestion des frontières ».

La réunion du groupe de travail « Frontières », le 5 février 2004, a donc abouti à une nouvelle version de la proposition de règlement. Elle pourrait être adoptée par le Conseil JAI à la fin du mois de mars.

Le texte serait modifié de la façon suivante :

- le conseil d'administration serait composé d'un représentant de chaque Etat membre et de deux représentants de la Commission ;

- le directeur exécutif serait nommé dans les conditions exposées précédemment par ce conseil d'administration remodelé ;

- il serait créé un bureau exécutif composé des deux représentants de la Commission et de cinq membres désignés par le conseil d'administration parmi les représentants des Etats membres ; ce bureau exécutif aurait notamment pour mission de surveiller la gestion quotidienne de l'agence par le directeur exécutif pour le compte du conseil d'administration.

III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ET LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : RENFORCER LE CONTRÔLE POLITIQUE DE L'AGENCE ET MAINTENIR L'OBJECTIF D'UNE POLICE EUROPÉENNE DES FRONTIÈRES

1. Préserver les compétences du Conseil de l'Union européenne

En proposant la création d'une agence de régulation autonome, la Commission s'est inspirée des précédentes expériences.

Il existe aujourd'hui quinze agences européennes, trois ayant été instituées depuis le Livre blanc sur la gouvernance européenne du 25 juillet 2001.

Intervenant toutes dans le champ des compétences communautaires traditionnelles (notamment le marché intérieur), elles ont pour but une meilleure application de la législation communautaire.

Comme l'indique le Livre blanc de 2001, « l'atout des agences réside souvent dans leur capacité à tirer parti d'un savoir-faire sectoriel de haute technicité ». C'est pour la Commission « un moyen utile de recentrer ses ressources sur ses missions essentielles ».

Ce contexte justifie la relative indépendance de ces agences, en particulier vis-à-vis du Conseil, et l'influence de la Commission dans leur fonctionnement. Toutes sont organisées selon un modèle semblable.

Ainsi, l'agence européenne pour la sécurité maritime est composée :

- d'un conseil d'administration comptant un représentant de chaque Etat membre et quatre représentants de la Commission, ainsi que de quatre représentants des secteurs professionnels les plus concernés, nommés par la Commission ;

- d'un directeur exécutif, indépendant dans l'exercice de ses fonctions, nommé par le conseil d'administration à la majorité des quatre cinquièmes et révocable dans les mêmes conditions.

L'autorité européenne de sécurité des aliments se compose elle aussi :

- d'un conseil d'administration composé de quatorze membres désignés par le Conseil en consultation avec le Parlement européen, à partir d'une liste établie par la Commission, ainsi que d'un représentant de la Commission ;

- d'un directeur exécutif, indépendant dans l'exercice de ses fonctions, nommé par le conseil d'administration à la majorité de ses membres sur la base d'une liste de candidats proposée par la Commission.

Enfin, dernier exemple, l'agence européenne de la sécurité aérienne se compose :

- d'un conseil d'administration comptant un représentant de chaque Etat membre et de la commission ;

- d'un directeur exécutif, indépendant dans l'exercice de ses fonctions, nommé et révoqué par le conseil d'administration sur proposition de la Commission à la majorité des trois quarts.

Le dispositif retenu 12 ( * ) pour la future agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures est donc très proche de ces précédents, alors même que le contexte est différent :

- les missions (le contrôle des frontières extérieures) touchent à des prérogatives de puissance publique et à l'exercice des libertés publiques ;

- la Commission européenne n'exerce jusqu'à présent pas ou peu de compétences dans ces matières (il ne s'agit donc pas de créer une agence pour déconcentrer certaines missions assumées par la Commission).

C'est la raison pour laquelle la proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne du Sénat souhaite que le Conseil définisse les orientations politiques et stratégiques de l'agence et que le directeur exécutif de l'agence soit responsable directement devant lui 13 ( * ) .

Sur le premier point, le considérant (19) de la nouvelle version du projet de règlement du Conseil issue des travaux du groupe de travail « Frontières » du 5 février 2004 est un progrès. Il précise que « la conception de la politique et de la législation en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures continue de relever de la responsabilité des institutions de l'Union européenne, en particulier du Conseil ». La réserve de la proposition de résolution serait donc partiellement satisfaite si cette version venait à être adoptée.

Sur le second point, le directeur exécutif de l'agence resterait nommé et révocable par le conseil d'administration à la majorité des deux tiers. L'article 22 précise que « le directeur exécutif répond de ses actes devant le conseil d'administration ».

2. Un contrôle de l'agence par les parlements nationaux

La proposition de résolution demande que les parlements nationaux soient tenus informés du fonctionnement et des activités de l'agence, notamment par la création d'une commission de contrôle comprenant des parlementaires nationaux.

Ce souhait rejoint la réserve précédente dans le souci de soumettre cette agence à un système efficace de supervision et de contrôle. Il s'inspire de ce que le Sénat a préconisé s'agissant d'Europol 14 ( * ) .

Le parallèle avec l'Office européen de police peut être fait dans des matières relevant éminemment de prérogatives de puissance publique.

3. Conserver l'objectif de la création d'une police européenne des frontières

Dans sa proposition de résolution, la délégation pour l'Union européenne appelle à réexaminer l'hypothèse d'une police européenne aux frontières, le cas échéant dans le cadre d'une coopération renforcée. L'agence ne serait donc qu'une étape.

Cette police européenne serait composée de contingents nationaux intervenant en appui des polices locales en cas de besoin .

Comme le rappelle la communication de M. Robert Del Picchia sur l'agence européenne 15 ( * ) , la France et l'Allemagne avaient proposé, à nouveau, la création d'une police européenne des frontières dans leur contribution commune à la Convention européenne.

Dans son projet de rapport 16 ( * ) sur la présente proposition de règlement du Conseil, le Parlement européen suggère que l'agence ait pour mission d'étudier la possibilité d'instituer un corps de gardes-frontières européen.

Certes, la création d'une police européenne des frontières rencontre de nombreux obstacles, le principal étant l'absence d'un cadre juridique approprié pour le détachement de personnel disposant de pouvoirs répressifs dans d'autres Etats membres.

Toutefois, l'agence devrait poser les jalons préalables à une telle police, en développant une formation, des modèles d'analyse et des matériels commun.

Votre commission des Lois n'ignore pas que les perspectives ainsi dessinées ne pourront se concrétiser que dans de nombreuses années. Mais le rôle du Parlement en matière européenne est de définir les objectifs souhaitables, quand bien même ceux-ci ne pourraient être atteints que bien plus tard.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre commission des Lois approuve la proposition de résolution qui lie l'approfondissement de la coopération européenne à un contrôle politique accru.

Les propositions de votre commission consolident ces deux orientations.

1. Un directeur exécutif nommé et révoqué par le Conseil

La proposition de résolution approuve la création d'une agence communautaire sous réserve que le directeur exécutif soit responsable directement devant le Conseil des ministres et non devant le conseil d'administration de l'agence.

Votre commission des Lois propose de préciser cette réserve en indiquant que le directeur exécutif est nommé et, sur proposition du conseil d'administration, révocable par le Conseil des ministres.

Dans une matière relevant des prérogatives régaliennes traditionnelles des Etats, le contrôle politique ultime doit s'exercer au plus haut niveau.

C'est ce contrôle qui donnera la légitimité d'agir au directeur exécutif. En outre, en exigeant que la révocation par le Conseil se fasse sur la proposition du conseil d'administration, un lien est conservé entre le directeur exécutif et le conseil d'administration

2. Approuver la création d'un bureau exécutif chargé d'assister le conseil d'administration et le directeur exécutif

Votre commission estime nécessaire l'institution d'un bureau exécutif qui serait composé de cinq membres élus par le conseil d'administration parmi les représentants des Etats membres et de deux représentants de la Commission européenne. Elle en soutient l'idée telle qu'elle ressort des travaux du groupe de travail « Frontières » du Conseil lors de sa réunion du 5 février 2004.

La création d'un bureau exécutif resserré supervisant la gestion quotidienne de l'agence par le directeur exécutif et assumant une fonction d'intermédiaire entre le conseil d'administration et le directeur exécutif rendrait crédible le contrôle administratif du directeur exécutif par le conseil d'administration, en particulier si ce dernier compte un représentant de chaque Etat membre.

Le cas d'Europol démontre en effet qu'un conseil d'administration pléthorique ne parvient pas à exercer ses pouvoirs pleinement . Le bureau exécutif, sans se substituer au conseil d'administration, l'assisterait pour préparer ses réunions et concentrer les débats sur les dossiers les plus importants. L'efficacité opérationnelle y gagnerait.

Toutefois, votre commission des Lois suggère que la Commission européenne ne dispose que d'un seul représentant au sein de ce bureau. La présence des deux représentants de la Commission n'apparaît pas utile dans une instance resserrée.

3. Associer étroitement l'agence à l'évaluation Schengen

Depuis la mise en place de l'espace Schengen, le contrôle de la bonne application des règles communes pour le franchissement des frontières extérieures a été confié à la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen, laquelle dépend du Conseil des ministres.

Sur cette question essentielle de l'évaluation, le Conseil, et donc les Etats membres, se retrouvent juge et partie.

Sans douter de la qualité des rapports d'évaluation Schengen 17 ( * ) , la présence d'un regard extérieur pourrait apporter une expertise complémentaire.

A cet égard, le considérant (19) de la proposition de règlement initiale laissait ouverte l'éventualité que l'Agence effectue des inspections aux frontières extérieures à l'avenir en cas d'extension de ses compétences. Cette option a été retirée du texte issu de la réunion du groupe de travail « Frontières » le 5 février dernier.

Sans aller jusqu'à des inspections dirigées par l'agence elle-même, il conviendrait néanmoins d'associer très étroitement l'agence aux évaluations Schengen.

En effet, l'agence a, dans l'actuel projet, la responsabilité de concevoir un modèle d'analyse commune et intégrée des risques et de fournir des analyses au Conseil. Pour construire ces analyses, il semble indispensable que l'agence ait une bonne connaissance de la qualité et des défauts des contrôles aux frontières effectués par chaque pays, et par conséquent de l'application des normes Schengen. L'agence pourrait par exemple proposer à « Scheval » l'inspection de portions de frontières si ses analyses laissent présumer une défaillance du contrôle.

En tout état de cause, quelle que soit la forme qu'elle prendrait, une association très étroite de l'agence au Conseil dans le cadre de l'évaluation Schengen doit être encouragée.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a adopté une proposition de résolution, dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(texte adopté par la commission des Lois en application de l'article 73 bis du règlement du Sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (texte E 2447),

Approuve la création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, telle que proposée par la Commission européenne, sous les trois réserves suivantes :

- le Conseil devrait définir les orientations politiques et stratégiques de l'Agence et le directeur exécutif de l'Agence devrait être nommé et, sur proposition du conseil d'administration, révocable par lui ;

- les parlements nationaux devraient être tenus informés du fonctionnement et des activités de l'Agence, notamment par la création d'une commission de contrôle comprenant des parlementaires nationaux ;

- l'Agence devrait être étroitement associée à la Commission permanente d'évaluation et d'application de Schengen et à ses travaux.

Soutient la création d'un bureau exécutif telle que l'a proposée le groupe de travail « Frontières » du Conseil le 5 février 2004, sous réserve que la Commission n'y dispose que d'un représentant au lieu de deux. Ce bureau serait par conséquent composé de cinq membres élus par le conseil d'administration parmi les représentants des Etats membres et d'un représentant de la Commission.

Demande que soit examinée, pour les frontières extérieures de l'Union européenne élargie, la mise en place, éventuellement dans le cadre d'une coopération renforcée, d'une police européenne des frontières, composée de contingents nationaux, qui pourrait venir en appui des polices locales et les soutenir en cas de besoin.

ANNEXE
-

Liste des personnes auditionnées

_____

M. Patrick DELAGE, préfet, secrétaire général adjoint au SGCI,

M. Jean-Michel THILLIER , directeur adjoint des douanes, conseiller chargé de la police aux frontières et de l'immigration illégale au SGCI.

M. Pierre DEBUE, directeur central de la police aux frontières,
Mme Catherine GALY , chef du bureau Affaires internationales à la DCPAF.

M. Bernard DUJARDIN, contrôleur d'Etat, chef de projet pour la société CIVIPOL aux fins de la réalisation d'une étude de faisabilité relative au contrôle des frontières maritimes de l'Union européenne.

M. David MARTINON, conseiller diplomatique au cabinet de M. Nicolas SARKOZY, ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

* 1 L'intitulé exact de cette convention est « Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Bénélux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 ».

* 2 La France a fait l'objet d'une évaluation au premier trimestre 2002.

* 3 Ce décalage entre l'adhésion à l'Union et à l'espace Schengen n'est pas inédit. L'Autriche a ainsi adhéré à la Convention Schengen le 28 avril 1996 mais n'a été autorisée à appliquer pleinement l'acquis Schengen que le 31 mars 1998.

* 4 La Pologne s'est ainsi engagée à embaucher 5.300 agents d'ici 2006 comme gardes-frontières professionnels, qui se substitueront notamment à des appelés.

* 5 Etude de faisabilité relative au contrôle des frontières maritimes de l'Union européenne, juillet 2003, doc. 11490/1/03, par la société CIVIPOL et transmis à la Commission européenne.

* 6 Voir le rapport d'information n° 1238 « L'Europe forteresse : mythe ou réalité » de M. Thierry Mariani, député, au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale (19 novembre 2003).

* 7 En particulier le Conseil européen de Laeken (14 et 15 décembre 2001), le Conseil européen de Séville (21 et 22 juin 2002) et le Conseil européen de Thessalonique (19 et 20 juin 2003). La présidence italienne a aussi ouvert de nombreux chantiers.

* 8 Rapport au Conseil sur la mise en oeuvre des programmes, des centres ad hoc, des projets pilotes et des opérations conjointes, 11 juin 2003, 10058/1/03.

* 9 COM (2003) 323 final.

* 10 Art. 66 : Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 67, arrête des mesures pour assurer une coopération entre les services compétents des administrations des Etats membres dans les domaines visés par le présent titre, ainsi qu'entre ces services et la commission.

* 11 Cette somme inclurait les retours forcés, les retours volontaires et des aides aux pays tiers pour rapatrier des étrangers dans leur pays d'origine. Seule la partie de ces fonds destinée aux retours forcés serait gérée par l'agence.

* 12 Voir pages 19 et 20.

* 13 A titre d'exemple, le directeur d'Europol est nommé à l'unanimité par le Conseil, après avis du conseil d'administration, et est révocable à la majorité des deux tiers par ce même Conseil, toujours après avis du conseil d'administration.

* 14 Résolution européenne n° 13 (2003-2004) sur le projet de protocole modifiant la Convention Europol proposé par le Danemark. Rapport n° 58 de M. Alex Türk.

* 15 Réunion du mardi 20 janvier 2004 de la Délégation pour l'Union européenne du Sénat.

* 16 Parlement européen - doc. 2003/0273 (CNS) - le 7 janvier 2004.

* 17 Le rapport d'évaluation Schengen sur la France en 2002 fut d'ailleurs critique, notamment sur les contrôles aéroportuaires et au port de Marseille.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page