Article 34 quater
(art. 35 octies nouveau de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)
Expérimentation sur les transports de personnes maintenues ou retenues

Cet article est issu d'un amendement présenté par M. Christian Estrosi et adopté par l'Assemblée nationale . Il vise à créer un article 35 octies à l'ordonnance du 2 novembre 1945 afin de prévoir qu'à titre expérimental, l'Etat pourrait confier à des personnes publiques ou privées le transport de personnes retenues en centres de rétention ou maintenues en zone d'attente.

Une telle expérimentation apparaît utile pour évaluer si policiers et gendarmes pourraient être dégagés de ces missions qui ne sont pas strictement liées à la sécurité.

Déjà l'annexe 1 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, fixait, parmi les orientations de la politique de la sécurité intérieure, la nécessité de recentrer les forces de gendarmerie et de police sur leurs véritables missions de sécurité . Ainsi, il y est affirmé que l'efficacité de ces forces « impose qu'elles se consacrent à leurs métiers et ne soient pas immobilisées par des tâches administratives. Les dispositions nécessaires seront prises pour que les tâches administratives et techniques actuellement remplies par des policiers et des gendarmes soient confiées à des agents relevant d'autres statuts. Certaines de ces tâches techniques telles que l'entretien du parc automobile, seront, à chaque fois que possible, transférées au secteur privé. » De plus, il a été affiché à plusieurs reprises la volonté de limiter le nombre de policiers et gendarmes chargés du transfèrement des détenus.

Dans le cas du présent article, est en cause le transport des étrangers maintenus en zone d'attente ou retenus en centre de rétention. Lors de l'adoption de son amendement à l'Assemblée nationale, M. Christian Estrosi a fait valoir le nombre particulièrement important d'agents de l'Etat et de véhicules exclusivement chargés, chaque jour, du transfèrement des étrangers.

Par exemple, le transfèrement entre la zone d'attente de Roissy et le tribunal de grande instance de Bobigny mobilise soixante-neuf gendarmes ou policiers de la police de l'air et des frontières par jour. Lors de son déplacement au centre de rétention du Mesnil Amelot, votre rapporteur a pu également constater que cela constituait une mission particulièrement lourde quant au nombre de gendarmes de l'escadron sur place et de véhicules qui y étaient affectés.

La possibilité pour le juge de statuer dans une salle d'audience « spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention » ou de prévoir que le déroulement de l'audience aurait lieu par vidéoconférence (article 33 du projet de loi) constitue une alternative intéressante, principalement en ce qui concerne le problème particulier du transfèrement d'étrangers maintenus dans la zone d'attente de Roissy 194( * ) .

Toutefois, il semble également possible que l'Etat puisse, à titre expérimental, passer des marchés publics avec des personnes publiques ou privées agrémentées afin de leur confier le transport de personnes retenues en centres de rétention ou maintenues en zone d'attente. La réussite de cette expérimentation pourrait ensuite être généralisée et pérennisée.

Il convient de rappeler que l'expérimentation est une pratique courante . Des mesures expérimentales furent notamment prévues par la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse ou lors de l'institution du revenu minimum d'insertion par la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988. Elle a depuis été constitutionnellement consacrée à l'article 37-1 de la Constitution, par la loi n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.

L'expérimentation devant être conciliée avec certains principes constitutionnels comme le principe d'égalité ou l'indivisibilité du territoire, elle doit, en vertu de l'article 37-1 de la Constitution avoir une durée et un objet limités. Le recours à l'expérimentation avait déjà été encadré par les principes posés par le Conseil d'Etat 195( * ) et le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-322 du 28 juillet 1993 relative à la loi relative aux établissements publics ayant un caractère scientifique, culturel et professionnel.

Tout d'abord, l'expérimentation doit être limitée dans le temps . En l'espèce, le présent article du projet de loi ne prévoit aucune durée de l'expérimentation , votre commission vous proposera donc un amendement en ce sens.

Ensuite, le législateur doit « définir précisément la nature et la portée des expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification ou à leur abandon . » L'article 34 quater du projet de loi semble répondre à l'exigence de limitation de l'objet de l'expérimentation. En effet, il est indiqué que des marchés relatifs aux transports de personnes retenues en centre de rétention ou maintenues en zone d'attente pourraient être passés avec des personnes publiques ou privées bénéficiant d'un agrément délivré en application de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité. Il est également précisé que ces marchés ne pourraient porter que sur la conduite et les mesures de sécurité inhérentes à cette dernière, la surveillance des étrangers restant assurée par des agents de l'Etat.

Le présent article pose également le principe selon lequel la passation de ces marchés devrait respecter le code des marchés publics.

En outre, il est précisé très spécifiquement dans quelles conditions de nouveaux agents pourront être chargés de cette mission. Chacun devrait bénéficier d'une formation adaptée et avoir réussi un examen technique. Il serait désigné par l'entreprise attributaire du marché et devrait faire l'objet d'un agrément préalable, pour une durée limitée, du préfet du département où l'entreprise a son établissement principal.

L'agrément pourrait être refusé ou retiré « lorsque la moralité de la personne ou son comportement apparaissent incompatibles avec l'exercice de sa mission ». Le retrait de l'agrément serait retiré par le préfet ou le procureur de la République, après que l'intéressé ait pu présenter des observations. En cas d'urgence, une suspension immédiate est prévue.

En outre, un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions d'application du présent article, en particulier les conditions dans lesquelles les agents de sécurité privés pourraient être armés.

Enfin, l'expérimentation doit avoir pour objectif une généralisation du dispositif . Le présent article ne fait mention d'aucun bilan pouvant aboutir à l'abandon, la généralisation ou la prolongation de l'expérimentation.

Votre commission est favorable à cette expérimentation qui permettra de tester une nouvelle solution pour résoudre le problème des transfèrements de personnes. Les forces de police et de gendarmerie doivent se consacrer aux activités relevant véritablement de leurs fonctions liées à la sécurité . Ainsi, concernant les transfèrements, il est normal que la surveillance des étrangers soit assurée par les policiers ou les gendarmes. En revanche, la conduite du véhicule et les mesures de sécurité inhérentes à cette dernière peuvent être externalisées.

Votre commission vous propose toutefois par amendement d'améliorer la rédaction de l'article, de supprimer la possibilité de prévoir par décret en Conseil d'Etat que les agents de sécurité privée investis de ces nouvelles missions puissent être armés, et d' encadrer davantage la procédure de l'expérimentation :

- en indiquant que les marchés de transport prévus par cet article pourront être passés dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, et pour une durée n'excédant pas deux ans ;

- en prévoyant que le gouvernement présente au Parlement un rapport dressant le bilan de l'expérimentation avant l'expiration du délai de dix-huit mois, dans un objectif de généralisation du dispositif.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 34 quater ainsi modifié .

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